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Nous arrivons à la fin de ce chapitre un peu plus conceptuel – et un peu moins technique. Cela clôt la tentative de réponse aux questions soulevées dans l’introduction de cette thèse, qui a tout de même nécessité quelques étapes. Nous avons plongé dans des données uniques et complémentaires à celles des marchés financiers classiques, pour y trouver les hypothèses qui allaient ensuite structurer la théorie. Nous avons développé cette théorie dans une limite où elle était soluble – i.e. dans la limite où les agents sont tous suffisamment petits – obtenant entre autres une formule fermée pour décrire l’impact d’une action agressive sur le prix, et démontrant une absence structurelle d’arbitrage. Puis nous avons commencé à prendre du recul, et nous avons extrait la dynamique des agents du contexte limité des marchés financiers continus, pour tenter de comprendre l’effet du mécanisme de marché sur le marché lui-même, faisant apparaître le lien – et les différences – entre les théories classiques de l’offre et la demande et les marchés financiers modernes qui cotent en continu. Après cette abstraction nécessaire tant du point de vue technique que du point de vue conceptuel, mais qui a exigé de postuler certaines hypothèses forcément limitantes, nous avons finalement discuté des différentes manières d’utiliser et de mettre à profit le cadre des agents hétérogènes proposé ici, dans toute sa généralité – que ce soit en finance avec la réalisation d’un simulateur de marché, ou en-dehors comme nous venons de le voir dans la section précédente. Nous avons donc l’impression d’avoir compris un mécanisme fondamental de la microstructure des marchés, d’avoir extrait les équations qui le décrivent et d’avoir enfin développé un cadre général qui parvienne à le capturer pour créer des modèles pertinents et réalistes. Mais à quoi bon si cela reste strictement confiné à cette micro-échelle ? C’est qu’en réalité cela ne le reste pas, comme va le montrer le chapitre suivant.

Chapitre 9

Bulles, crashs, liquidité et impact :

comprendre les événements extrêmes par

la microstructure

From Why do markets crash ? Bitcoin data offers unprecedented insights with Jean-Philippe Bouchaud (Donier and Bouchaud,2015a)

9.1

Préface (français)

Nous avons maintenant à notre disposition une belle théorie micro- et mésoscopique de la for- mation des prix avec l’offre et la demande, mais pour « boucler la boucle » quelque chose manque encore. De même que l’on cherche des lois physiques à l’échelle de l’atome pour expliquer des phé- nomènes à plus grande échelle, de même que la micro-économie cherche dans les comportements individuels des clés pour comprendre le système dans son ensemble, pour gagner toute sa pertinence la présente théorie doit encore prouver ses implications macroscopiques. L’article qui suit, proba- blement le plus « tape à l’oeil » des quatre, se charge donc de faire le lien entre les échelles à travers une quantité : la liquidité. Son but, en se basant – encore ! – sur le Bitcoin et en enquêtant sur qua- torze de ses principaux crashs de l’année 2013, est d’établir la pertinence des mesures de liquidité micro-et mésoscopiques mises en avant par la théorie, et de montrer grâce à des données inédites sur la profondeur de l’offre et de la demande en temps réel leur aptitude à prédire les crises de liquidité marcoscopiques. En particulier, la détermination en temps réel d’une bande de liquidité que le prix sera capable de traverser en période extrême nous renseigne à tout moment sur la propension d’un marché au crash : l’élargissement de cette bande est un signe avant-coureur de périodes troubles,

158 CHAPITRE 9. BULLES, CRASHS, LIQUIDITÉ ET IMPACT

qui dans le cas du Bitcoin aurait pu nous alerter sur l’état de bulle dans lequel il s’est trouvé – au moins – à deux reprises, en Avril et en Décembre 2013.

En un sens, il ne s’agit là que d’un travail préparatoire, servant essentiellement à valider la pertinence macroscopique de la présente théorie. L’étude de la liquidité et de sa dynamique sur un large univers d’actifs financiers serait maintenant de la plus grande valeur.

Abstract : Crashes have fascinated and baffled many canny observers of financial markets. In the strict orthodoxy of the efficient market theory, crashes must be due to sudden changes of the fundamental valuation of assets. However, detailed empirical studies suggest that large price jumps cannot be explained by news and are the result of endogenous feedback loops. Although plausible, a clear-cut empirical evidence for such a scenario is still lacking. Here we show how crashes are conditioned by the market liquidity, for which we propose a new measure inspired by recent theories of market impact and based on readily available, public information. Our results open the possibility of a dynamical evaluation of liquidity risk and early warning signs of market instabilities, and could lead to a quantitative description of the mechanisms leading to market crashes.

9.2

Introduction

Why do market prices move ? This simple question has fuelled fifty years of academic debate, reaching a climax with the 2013 Nobel prize in economics, split between Fama and Shiller who promote radically different views on the questionShiller(2013). Whereas Fama argues that markets are efficient and prices faithfully reflect fundamental values, Shiller has shown that prices fluctuate much more than what efficient market theory would suggest, and has insisted on the role of be- havioural biases as a source of excess volatility and price anomalies. Of particular importance is the origin of the largest changes in prices, aka market crashes, that may have dire consequences not only for market participants but also for the society as a whole Taleb (2010). It is fair to say that after centuries of market follyMackay(2012);Kindleberger and Aliber(2011);Sornette(2009);

Reinhart and Rogoff (2009), there is no consensus on this issue. Many studies Fair (2002); Joulin et al.(2008);Cornell(2013) have confirmed the insight of Cutler, Poterba & SummersCutler et al.

(1989) who concluded that [t]he evidence that large market moves occur on days without identifiable major news casts doubts on the view that price movements are fully explicable by news.... The fact that markets appear to crash in the absence of any remarkable event suggests that destabilising feedback loops of behavioural origin may be at play Smith et al. (1988);Lillo and Farmer (2005);

Hommes et al.(2005);Bouchaud(2013). Although plausible, a clear-cut empirical evidence for such an endogenous scenario is still lacking. After all, crashes are not that frequent and a convincing statistical analysis is difficult, in particular because of the lack of relevant data about the dynamics of supply and demand during these episodes.