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1.2 Le glissement intergranulaire

1.2.6 Modélisation du glissement intergranulaire

Nous détaillons ici des modèles de glissement intergranulaire, le plus souvent associés à des déformations de polycristaux par uage. Nous présentons également des modèles ten- tant d'unier les comportements de uage et de superplasticité, dans lesquels le glissement intergranulaire joue un rôle déterminant.

Accomodation par diusion de matière

Raj et Ashby [RA71] ont développé un modèle décrivant la vitesse de glissement intergranulaire dans le cas de polycristaux se déformant par uage-diusion. Partant de l'hypothèse que l'accomodation du glissement intergranulaire gouverne celui-ci, ils donnent l'expression de la vitesse de glissement intergranulaire ˙s pour deux types d'accomodation et deux états de précipitation intergranulaire (tableau 1.1). Le développement des ces expressions et la comparaison du cas de l'accomodation par diusion avec d'autres modèles permettent aux auteurs d'introduire une viscosité d'un polycristal ηA (Equation 1.24).

˙γA= τA

ηA (1.24)

Ils montrent ainsi que leur approche, reposant sur l'accomodation du glissement inter- granulaire, est cohérente avec les modèles de Nabarro-Herring et Coble. Dans le cas modèle où la géométrie du joint est une sinusoïde parfaite, la vitesse de glissement intergranulaire est donnée par l'équation 1.25.

˙s = 2 π Ωτa kT λF h2 F D  1 + π λF Djδ D  (1.25) Les contributions des mécanismes de Nabarro-Herring et de Coble sont exprimés si- multanément. Les conditions de sollicitation déterminent le poids de l'un ou l'autre. Le rapport sans dimension M = π

λF

Djδ

D donne le mode de diusion prépondérant [RA71]. Si M >> 1, la diusion est essentiellement intergranulaire et la vitesse de glissement dépend de 1

h2

F. Si M << 1, la diusion est essentiellement volumique, et la vitesse de glissement dépend de λF

h2

F.

L'unicité des mécanismes de déformation intragranulaire et de glissement intergranu- laire conrme la spécité du glissement intergranulaire dans le cas diusionnel : le glisse- ment intergranulaire et la déformation intragranulaire sont intimement couplés [Lan06], ce qui constitue un type particulier de glissement intergranulaire (de Lifshitz).

Mode d'accomodation / précipitation Vitesse de glissement intergranulaire

Accomodation élastique / sans ˙s = (1−ν

2) π3 λ3 F ∞ X 1 n3 h2 n τa E

Accomodation diusionnelle / sans ˙s = 2

π τaΩ kT λF h2 FDv ∞ X 1 h2 n/h 2 F 1 n+ πδλF Dj D !−1

Accomodation diusionnelle / avec ˙s = 1.6τaΩ

kT l2 p a3 pDv  1 + 5δ ap Dj D 

Table 1.1  Vitesses de glissement intergranulaire en uage diusion pour trois congurations d'ac- comodation et d'état de précipitation [RA71].

Accomodation par mouvement de dislocations

La notion de viscosité pour modéliser le glissement intergranulaire a été reprise par Crossman et Ashby [CA75] dans une approche numérique diérente. Cette fois le caractère visqueux correspond uniquement au comportement d'une bande de matière autour du joint de grain, alors que le reste du grain suit la loi de comportement macroscopique du polycristal, avec un exposant n supérieur à 1. La vitesse de glissement intergranulaire varie avec la contrainte selon l'expression (1.26) :

˙ S = δτ

ηj (1.26)

la viscosité ηj dépend du coecient de diusion intergranulaire (equation 1.27). ˙

ηj = kT

8bDj (1.27)

On peut y intégrer les défauts de planéités du joint (équation (1.28)) ou l'état de précipitation intergranulaire (équation(1.29)).

˙ ηj = kT h2 m 8b3D j (1.28) ˙ ηj = kT Sfa2p 8b3D j (1.29)

Le modèle reproduit certaines observations expérimentales, telles que la localisation de la déformation au centre du grain menant au  triple-edge folds  [Gif94]. Sa principale limite se situe dans la non-prise en compte des mécanismes élémentaires de déformation, dont la résultante est nettement plus complexe que la loi de comportement macroscopique appliquée ici pour l'intérieur des grains. De plus la modélisation est ici en deux dimensions, avec une géométrie de grain unique et simpliée. Kim et al [KHM05] ont repris la notion de joint de grain visqueux pour étudier l'eet de la géométrie du joint et des inclusions intergranulaires sur le glissement intergranulaire et la rotation de grains lors du uage- diusion.

Le modèle de  core and mantle 

Le glissement intergranulaire intervient dans la déformation de uage pour un taux de quelques % aux basses températures à 40% en uage diusion. Mais il contribue plus fortement encore à la déformation superplastique [Lan06] ; sa part pouvant atteindre les 80%, voire proche de 100%. La part importante du glissement intergranulaire dans la

déformation totale, ainsi que la nécessité de se situer à une température relativement élevée pour activer l'un ou l'autre de ces deux types de déformation, ont poussé dans le sens d'un modèle unié regroupant le uage et la superplasticité. Le terme uage pouvant antérieurement parfois désigner les deux mécanismes à la fois [HSD58]. Le fait d'englober les deux modes de déformation en un seul phénomène est également partiellement justié par le fait que certains métaux purs en uage à 0,5Tf présentent des taux de déformations élevés sans endommagement, se rapprochant ainsi des taux de déformation caractéristiques de la superplasticité. C'est le cas notamment de l'aluminium pur [Wil02]. Gifkins [Gif76] et Langdon [Lan91] ont contribué à l'approfondissement d'un modèle uniant le uage et la superplasticité, dans un domaine continu déni par la taille de grains et la contrainte appliquée (gure 1.18), à une température xée.

Figure 1.18  Carte des modes de déformation en fonction de la taille de grains et de la contrainte appliquée, pour une alliage superplastique de Zn-22%Al [Lan91].

La propriété superplastique nécessite d'une part une température élevée et d'autre part une taille de grains très petite. Nous ne développons pas ici les détails concernant la superplasticité, qui ne rentre pas dans notre problématique initiale. Nous nous focalisons sur les modélisations du glissement intergranulaire intégrées au modèle proposé. Celui- ci repose sur le principe suivant : l'essentiel de la déformation se situe en périphérie des grains dans une zone appelée manteau. Nous avons vu précédement (paragraphe 1.1.4) que la taille des sous-grains dépend essentiellement de la contrainte appliquée au polycristal. Cette taille caractéristique distingue deux modes de déformation, illustrés gure 1.19.

Figure 1.19 Glissement intergranulaire en uage lorsque L > LS (a) et en superplasticité lorsque L

Lorsque la taille des grains est susamment petite, c'est à dire inférieure à celle carac- téristique des sous-joints obtenus pour la contrainte appliquée, l'ensemble du polycristal se comporte comme le manteau. Nous sommes dans le cas superplastique. Si la taille de grain est supérieure à la taille caractéristique de sous-grains, nous sommes en uage. Le glissement intergranulaire est accomodé par le glissement de dislocations dans le grain voisin. Il se forme un empilement dont la vitesse de montée en tête gouverne le processus de glissement intergranulaire. Dans le cas du uage (a), la montée est intragranulaire, au niveau des sous-joints ; le coecient de diusion est celui de l'autodiusion. Dans le cas de la superplasticité, la montée est intergranulaire, au niveau des joints de grains ; le coecient de diusion associé à ce processus est celui de la diusion intergranulaire. Dans ce modèle la vitesse de glissement intergranulaire est donnée par une expression (équation 1.30) de la forme de l'équation (1.22) : ˙s = kx Dµb kT  b L   σ µ 3 (1.30) Les paramètres de l'équation (1.30) ont été obtenus à partir de données expérimentales concernant l'aluminium pur déformé à 573 K (0,6Tf). La question de leur généralisation à d'autres types d'alliage ou de conditions reste ouverte. En particulier, l'exposant nj de la dépendance de la vitesse de glissement intergranulaire à la contrainte varie d'une famille d'alliage à l'autre, de même que l'exposant n de dépendance de la vitesse de uage à la contrainte. Les valeurs de ces exposants obtenues expérimentalement sont regroupées dans le tableau 1.2 [GM93]. Matériau n nj Al 7,9-8,9 2,2-4,6 Al 7,2 2,6-4,3 Bicristaux Al 0,3%Cu 7,8-9,4 3,5-6,1 Al 0,05%Fe 6,0-8,8 2,4-5,8 Pb 3,9 2.8 Al 0,5%Mg 0,5%Si 3,9 3,9 Cu 30%Zn 5,1 3,3 Polycristaux Mg 0,8%Al 5,2 2,4 Ni 3,8 2,3 Acier bas C 5,6 4,7 acier 316 6 3,8

Table 1.2  Valeur des exposants n et nj obtenues expérimentalement pour plusieurs bicristaux et

polycristaux. [GM93]

Sur le principe de  core and mantle , Gifkins [Gif76] a proposé des expressions de la vitesse de uage selon le mode de déformation dans le manteau des grains ou dans tout le grain. Ces expressions sont récapitulées dans le tableau 1.3.

Elles donnent les grands types de comportement attendus selon le mode d'accomoda- tion du glissement intergranulaire. On retrouve notamment la dépendance à la contrainte qui varie avec un exposant de l'ordre de l'unité pour les mécanismes diusionnels et plus élevé pour les mécanismes de mouvement de dislocations.

Mode d'accomodation Vitesse de uage  Triple-edge folds  ˙ǫ = 5 × 102Db3σ4,5 µ3,5kT 1 + 0, 01 Ls L2 

Diusion le long des joints de grains adjacents ˙ǫ = 82b3D jLσδ3kT Montée des dislocations près des joints adjacents ˙ǫ = 64Dj b

3σ2

µkT L

Table 1.3  Vitesses de uage en fonction du mode d'accomodation du glissement intergranulaire [Gif76].

Déformation au coeur du joint de grain

Le dernier modèle d'accomodation présenté dans le tableau 1.3 correspond à une défor- mation localisée au niveau du joint. An de décrire le glissement intergranulaire, plusieurs auteurs ce sont focalisés sur le mouvement de dislocations dans la structure du joint de grains plutôt que sur l'accomodation dans les grains environnants. Une telle approche est a priori plus précise et rigoureuse que la représentation d'un joint de grains comme une bande amorphe au comportement visqueux, telle que formulée par Crossman et Ashby [CA75]. Elle rendrait toutefois la résolution du problème beaucoup plus complexe pour la simulation de la déformation d'un polycristal. A l'échelle d'un joint de grains, on distingue deux types de dislocations intergranulaires. D'une part les dislocations intrinsèques font partie intégrante de la structure de base du joint. D'autre part les dislocations extrin- sèques qui résultent de l'interaction de dislocations intragranulaires avec le joint de grain. Elles perturbent la structure ordonnée du joint [ddlMP85]. Un joint de grains de haute energie sera un lieu plus favorable à la décomposition de dislocations de grains voisins, qu'un joint de faible énergie déjà très ordonné [KWK81]. Gates [Gat73] a proposé un modèle de glissement intergranulaire dû au mouvement de dislocations intergranulaires intrinsèques. Les points d'ancrages des dislocations intergranulaires se déplacent par dif- fusion. La vitesse de glissement intergranulaire est le produit (équation 1.31) de la vitesse des points d'ancrage, de la densité de dislocations mobiles et du vecteur de Burger du joint de grains. Ce modèle semble compatible avec les ordres de grandeur de vitesses de glissement intergranulaire, ainsi qu'avec plusieurs résultats qualitatifs expérimentaux qui font consensus, comme par exemple la faible propension des joints de coïncidence à glisser.

˙s = ρbjVpp (1.31)

Johanneson et Thölen [JT72] ont proposé un modèle de glissement intergranulaire en deux composantes, reposant pour la seconde sur la dissociation de dislocations autour du joint glissant. Ils s'appuient sur une simulation en deux dimensions du glissement inter- granulaire [JT70] et sur des observations en microscopie à transmission des structures de joints de grains dans du cuivre pur soumis à une charge constante à 0,5Tf. La première composante du glissement intergranulaire, peu sensible à la température, ne nécessite pas l'intégration de nouveaux défauts dans le joint. Il s'agirait d'un réarrangement localisé de la structure atomique de part et d'autre du joint cisaillé. Mais cette composante est dici- lement observable en microscopie. La seconde composante, activée thermiquement, repose sur la dissociation de dislocations vis dans le joint. Les dislocations dissociées glissent le long du joint. Elles s'empilent et provoquent des concentrations de contraintes sur les défauts de planéité du joint et les points triples. La dissociation est activée thermique- ment et est favorisée dans les joints de faibles coïncidence. Elle n'est pas favorisée dans les joints de coïncidence élevée, car ceux-ci sont plus stables énergétiquement. McLean [McL70a] a proposé un modèle simple, en deux dimensions, d'intégration de dislocations intergranulaires dans un joint de grain. Il se focalise sur les eets de l'orientation du joint par rapport à la direction de sollicitation et de l'angle entre le plan de glissement et le plan du joint, représentés gure 1.20.

Figure 1.20 Intégration de dislocations intragranulaires coins parfaites dans un joint de grain incliné par rapport à la direction de sollicitation [McL70a].

Ce modèle relativement simple est cohérent dans une première approche avec plusieurs faits expérimentaux ; notamment un fort eet de l'orientation du joint de grain sur le glis- sement intergranulaire et sur l'évolution de l'endommagement quand la contrainte varie. Watanabe [WYSK79] a enrichi le modèle de McLean et l'a confronté à d'autres résul- tats expérimentaux, notamment sur des bicristaux de zinc. La contribution de Watanabe porte sur la prise en compte de la densité de dislocations intragranulaires dans la vitesse de glissement intergranulaire associée à l'intégration de dislocations extrinsèque aux joint. La dissociation et le mouvement de dislocations extrinsèques nécessitent une combinaison de montée et de glissement. La montée sera d'autant plus aisée que la température sera élevée et que le joint sera de désorientation quelconque. La dissociation sera également plus facile dans un joint peu ordonné que dans un joint de faible énergie.

Nous avons discuté plusieurs propositions de mécanismes de glissement intergranulaire et de modèles de déformation associé, soit directement en tant que vitesse de glissement intergranulaire, soit comme composante de la vitesse de déformation d'un polycristal. Nous pouvons en conclure que la dépendance du glissement intergranulaire à la contrainte varie avec un exposant 1 dans le cas du uage diusionnel, et avec un exposant de l'ordre de 2 à 3 dans le cas d'un uage gouverné par le mouvement des dislocations. Cette dernière valeur de l'exposant, inférieure à celle de l'exposant pour la vitesse de déformation totale (typiquement de 4,5), conduit à la conclusion que la contribution du glissement intergranulaire à la déformation augmente lorsque la contrainte diminue.