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2 Revue bibliographique

2.2 Impact des changements climatiques sur les eau

2.2.1 Modélisation et changements climatiques

De manière générale, l’ensemble des études ayant pour thématique l’impact des changements climatiques sur les ressources en eau utilise la même méthodologie. La première étape est de générer un modèle représentant l’état actuel du phénomène d’intérêt (eau de surface, eaux souterraines, etc.). La seconde étape est d’appliquer à ce modèle calé sur des observations de nouvelles conditions limites représentant l’état futur. La dernière étape consiste à comparer les résultats entre le modèle de l’état actuel et le modèle représentant l’état futur afin d’estimer l’impact des changements climatiques. Ce qui différencie ces études, c’est l’approche utilisée pour évaluer l’impact des changements climatiques. On peut les classer en trois catégories : les modèles hydrologiques simples ne prenant pas en compte les écoulements souterrains, qui ont pour objectifs d’évaluer l’impact sur les eaux de surface, les modèles hydrogéologiques couplés avec différents modules ou approches pour simuler la recharge des aquifères, qui ont pour principal objectif d’évaluer l’impact sur les eaux souterraines et les modèles intégrés qui reproduisent l’ensemble des processus dans un seul modèle.

Concernant les études menées uniquement sur les eaux de surface, on pourrait commencer par citer l’étude de Minville et al. (2008) de par la proximité de leur zone d’étude. Ils ont réalisé un modèle utilisant HSAMI (Bisson et Roberge 1983; Fortin 2000) du bassin versant de la Chute-du-Diable (Québec, Canada). En plus d’évaluer l’incertitude liée à leurs projections, ils anticipent pour la période 2071-2100 une augmentation des débits durant la saison hivernale, augmentation variant entre 1.25 et 3 fois plus selon les scénarios, une arrivée plus rapide des crues printanières et une diminution des débits variant entre -5 et 25 % durant l’été.

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Maurer (2007) a quant à lui réalisé un modèle en utilisant VIC (Variable Infiltration Capacity, Liang et al. (1994)) pour cinq bassins versants de la Sierra Nevada (Californie, É-U). Il en résulte également une augmentation des débits hivernaux et une diminution des débits estivaux. Il met aussi en évidence la variabilité des projections en fonctions des scénarios climatiques sélectionnés.

Christensen et al. (2004) ont également utilisé le modèle « VIC » pour modéliser le bassin versant de la rivière Colorado aux États-Unis afin d’estimer l’impact de changements climatiques et de la demande future en eaux. Ils en arrivent à la conclusion que la demande future (distribution et évapotranspiration future) dépasserait les capacités du bassin versant avec une diminution de 17 % du ruissellement en moyenne annuelle pour la période 2070 – 2098,

On peut également citer Gellens et Roulin (1998) qui ont réalisé une étude sur différents bassins versants de Belgique. En plus d’évaluer l’impact des changements climatiques, ils mettent également en avant la variabilité des résultats obtenus en fonction des modèles climatiques utilisés. A titre d’exemple, les projections faites pour les débits d’un cours d’eau peuvent varier entre 0 et +30 % au mois de mai et +10 % et -30 % au mois d’août selon les modèles climatiques utilisés.

On peut citer encore quelques autres études qui ont trait aux eaux de surface et les changements climatiques en général, parmi celles-ci, Arora et Boer (2001) qui ont fait une analyse de l’impact sur 23 principaux cours d’eau dans le monde et ont obtenu des résultats variés selon la localisation des cours d’eau. Dooge et al. (1999) ont développé un modèle permettant d’anticiper l’impact d’une augmentation de précipitations sur le long terme, Fowler et al. (2007) ont étudié l’impact des changements climatiques pour le nord-ouest de l’Angleterre et leurs résultats ont montré une augmentation des débits en hiver d’environ +20 % et une diminution en variant entre -40 % et -80 % au mois d’août. Wilby et al. (2006) ont évalué l’impact sur les aspects qualitatifs et quantitatifs d’un bassin versant en Angleterre et ont mis avant la grande variabilité des résultats selon les modèles climatiques utilisés. Ils ont observé par exemple, une diminution des débits pour chaque mois de l’année avec un modèle provenant du Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation (CSIRO) ou une augmentation pour chaque mois de l’année avec un modèle provenant du Canadian Centre for Climate Modelling and Analysis. (CGCM). Jiang et al. (2007) ont fait eux une

comparaison des projections obtenues avec différents modèles hydrologiques et mettent en avant la variabilité des résultats que peuvent produire ces différents modèles.

La limite principale de ces études est qu’elles ne prennent pas en compte ou seulement de façon très simplifiée les écoulements souterrains. Or, ceux-ci peuvent jouer un rôle important dans la dynamique des cours d’eau comme par exemple soutenir les débits des cours en période de basses eaux ou les cours d’eau peuvent recharger les aquifères, cela rend de ce fait moins réaliste ces études. Le fait de négliger ou de grandement simplifier les écoulements souterrains implique également l’impossibilité d’exploiter les résultats pour estimer l’impact sur la dynamique et les ressources en eaux souterraines.

De la même façon que des études se focalisent sur les eaux de surface, d’autres études se concentrent sur les eaux souterraines. Plutôt que d’exposer les résultats dans les détails de ces études qui peuvent varier sensiblement d’un lieu géographique à un autre, nous tenterons au travers de quelques exemples de définir les différentes techniques qui ont été utilisées afin d’évaluer l’impact des changements climatiques.

L’une des principales différences entre les études réalisées est l’approche (plus ou moins complexe) utilisée pour simuler la recharge en eau des aquifères. À titre d’exemple de méthodologie, on citera les études suivantes : Scibek et Allen (2006) ont utilisé un modèle hydrogéologique à trois dimensions MODFLOW (Harbaugh 2005) représentant deux aquifères alluviaux (34 et 150 km2), situés sur la frontière américano- canadienne et en Colombie-Britannique, couplé au modèle HELP (Hydrologic Evaluation of Landfill Performance Schroeder et al. (1994)). Le modèle « HELP » permet de calculer la recharge en prenant en compte différents paramètres comme le ruissellement, l’infiltration, l’évapotranspiration, la couverture neigeuse, etc. Ces deux aquifères, dont la recharge était dominée par les interactions nappe-rivière pour l’un et par les précipitations pour l’autre, ont montré des réactions différentes comme une diminution des niveaux d’eau dans les rivières ce qui diminue la piézométrie des aquifères ou une diminution de la recharge. Cette étude met en évidence l’importance de reproduire le plus fidèlement possible tous les types d’interactions entre les aquifères et la surface.

Serrat-Capdevila et al. (2007) ont réalisé également un modèle à trois dimensions des écoulements souterrains (MODFLOW) du bassin de San Pedro (7560 km2, Arizona, É-U), mais ils utilisèrent simplement

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une fonction linéaire pour relier les précipitations à la recharge. Les résultats de l’étude indiquent une baisse systématique de la recharge variant entre 17 % et 30 % selon les scénarios climatiques utilisés.

Loáiciga et al. (2000) ont étudié les impacts des changements climatiques sur l’aquifère karstique d’Edwards (Texas, É-U). Pour ce faire, ils réalisent un modèle à deux dimensions avec GWSIM IV (Ground Water Simulation Program, Klemt et al. (1979)). La recharge est calculée en utilisant une fonction empirique faisant le bilan des débits des cours d’eau et l’augmentation de la demande en eau liée à l’augmentation de la population. Cette étude conclut sur le fait que l’augmentation de la demande aura un impact plus important que ceux liés aux changements climatiques.

Jyrkama et Sykes (2007) ont réalisé une étude sur le bassin versant de la rivière Grand (6700 km2, Ontario, Canada) pour lequel, ils utilisent le modèle HELP (précédemment mentionné) pour calculer la recharge des aquifères. Dans tous les scénarios, la recharge augmente. La recharge calculée parait être cependant fortement influencée par la couverture du sol.

Woldeamlak et al. (2007) ont étudié la problématique d’un aquifère sableux situé à 60 km au nord de Bruxelles en Belgique (bassin versant de la rivière Grote-Nete, 525 km2). Ils utilisèrent également un modèle MODFLOW à trois dimensions auquel ils ajoutent les valeurs de recharge obtenues avec WetSpass (Batelaan et De Smedt 2001). WetSpass est un modèle physique spatialement distribué permettant de calculer la recharge en eau en fonction du type de sol, de l’utilisation du sol, de la pente et de la profondeur de la nappe. Il s’apparente au modèle HELP décrit ci-dessus. Woldeamlak et al. (2007) ont présenté une série de résultats allant de l’augmentation ou la diminution des charges hydrauliques en fonction des différents scénarios qu’ils ont réalisés. Ils conclurent que la prise en compte des changements dans l’utilisation des sols dans les scénarios futurs s’avère parfois nécessaire. Ils conclurent également que le développement de modèles en régime transitoire permettrait d’estimer les impacts en fonction des saisons et que les interactions entre les eaux de surface et souterraines devraient être prises en compte afin de faire des prédictions plus réalistes.

On peut encore citer quelques autres études comme celles de Brouyère et al. (2004), Kirshen (2002) et Eckhardt et Ulbrich (2003) parmi d’autres que nous ne développerons pas.

Dans les études mentionnées ci-dessus, la recharge est calculée de manière plus ou moins complexe en fonction de la méthode utilisée. La principale limitation de ces méthodologies est que l’ensemble des mécanismes qui gouverne la recharge (la profondeur de la nappe, le ruissellement, etc.) n’est pas calculé simultanément dans un seul et même modèle. Les phénomènes gouvernant la recharge étant interdépendants, le calcul séparé et non simultané de ces derniers donne lieu à une représentation moins réaliste du phénomène dans sa globalité. Au même titre que les modèles d’écoulement de surface négligent les eaux souterraines, les modèles hydrogéologiques négligent ou simplifient grandement les écoulements de surface ce qui rend impossible d’apprécier l’évolution de la dynamique des eaux de surfaces. Dans le cas d’étude ou l’évolution de la ressource en eau de surface revêt une grande importance, l’utilisation d’un modèle hydrogéologique quelque soit l’approche utilisée pour simuler la recharge, ne permet pas d’évaluer avec précision l’impact sur les eaux de surface.

Afin de pallier ce manque de réalisme, l’utilisation d’un modèle intégré, c’est-à-dire un modèle capable de simuler les écoulements de surface et les écoulements souterrains dans la zone saturée et non saturée, simultanément et dans chaque milieu, semble être une solution.

Il n’existe pas beaucoup d’études liées aux changements climatiques réalisées avec un modèle intégré. On pourrait citer comme étude de référence celle de Goderniaux et al. (2009) qui ont utilisé un modèle « HydroGeoSphere » (HGS) (Therrien et al. 2005) d’environ 10 000 nœuds afin d’évaluer les impacts climatiques sur les réserves en eau du sous-bassin de la rivière Geer en Belgique (480 km2). Au vu de leurs résultats, l’utilisation d’un modèle intégré semble offrir une alternative concluante par rapport aux techniques plus traditionnelles précitées. Leurs résultats indiquent une diminution possible de 8 m des niveaux piézométriques ainsi qu’une réduction des débits à l’exutoire variant entre -9 % et -33 % selon les scénarios, à l’horizon 2080.

Colautti (2010) a également réalisé un modèle HGS de 625 000 nœuds du bassin versant de la rivière Grand (6700 km2, Ontario, Canada) pour évaluer les impacts climatiques. Cette étude représente, à notre connaissance, la plus importante étude du point de vue de la superficie et du nombre de nœuds considérés pour un modèle intégré à l’échelle d’un bassin versant (en régime permanent). Ses résultats montrent une

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augmentation des charges hydrauliques, de la recharge et des débits aux cours d’eau pour tous les scénarios sauf un.

van Roosmalen et al. (2007) ont utilisé un modèle couplé décrit par Sonnenborg et al. (2003) et Henriksen

et al. (2003) basé sur le modèle MIKE-SHE (Refsgaard et Storm 1995) pour estimer l’impact des changements

climatiques de deux bassins versants au Danemark. L’un des bassins est recouvert de dépôts fins en surface, ce qui favorise le ruissellement et l’autre est recouvert par des dépôts plus sableux, ce qui permet une meilleure infiltration des précipitations. Dans le cas du bassin versant dominé par des dépôts sableux, les estimations prédisent une augmentation de plus de 0.5 m du niveau piézométrique moyen et une augmentation de la recharge. Pour l’autre bassin la couche de dépôts peu perméables à la surface limite l’augmentation de la recharge et donc du niveau piézométrique par rapport à l’autre bassin (+0.2 m). Par contre, on observe une augmentation du ruissellement et des débits aux cours d’eau.

Sulis et al. (2011) ont réalisé un modèle couplant les écoulements de surface et souterrains (CATHY) (Camporese et al. 2010) sur le bassin versant de la rivière des Anglais (690 km2) au sud-ouest du Québec (Canada). Cette étude est intéressante de par sa proximité géographique de notre zone d’étude. Les résultats obtenus montrent une augmentation de la recharge et du ruissellement durant l’hiver qui sera plus chaud et plus pluvieux, l’augmentation des débits varie entre 1.5 et 2.5 fois plus selon les scénarios. À l’inverse pendant l’été qui sera plus chaud les débits pourraient être 2 à 5 fois plus petits au mois d’aout. Cette étude met particulièrement bien en évidence la variabilité de l’impact des changements climatiques en fonction des saisons.

On peut également citer des études ayant pour thématique les modèles intégrés sans pour autant être directement liés aux changements climatiques. L’étude de Li et al. (2008) sur le bassin versant de la rivière Duffins Creek (286 km2, Ontario, Canada), semble être de la première importance. L’objectif était de démontrer qu’un modèle intégré (HGS) d’environ 700 000 nœuds d’un aquifère hétérogène permet de reproduire les variations saisonnières des eaux de surface et souterraines en fonction des précipitations, ceci dans le but d’utiliser ce type de modèle dans des études ayant pour thème l’impact des changements

climatiques. Malgré certaines limitations, l’étude conclut sur l’aptitude du modèle à reproduire la dynamique générale du bassin versant.

On citera également Jones et al. (2008) qui ont réalisé un modèle intégré de 600 000 nœuds avec « Integrated Hydrology Model » (InHM) (VanderKwaak 1999) du bassin versant de la rivière Laurel Creek (75 km2, Ontario, Canada). Le but était de démontrer si le modèle était capable de reproduire la dynamique générale des écoulements à l’échelle d’un bassin versant. Les résultats semblent également concluants dans ce cas-ci. D’autres études pertinentes concernant la modélisation intégrée, dont nous ne parlerons pas ici, peuvent être consultées, voir par exemple Sudicky et al. (2008) ou Kollet et Maxwell (2008).

Les résultats encourageants obtenus par ces différentes études attestent de la possibilité d’utiliser un modèle intégré dans une problématique liée aux changements climatiques. Ces modèles peuvent également permettre d’évaluer l’impact sur les eaux de surface et souterraines au sein du même modèle. De plus, cela permet de représenter de la manière la plus réaliste possible l’ensemble des processus d’interactions entre les eaux de surface et souterraines qui semblent jouer un rôle primordial dans ce type d’étude (Jyrkama et Sykes 2007; Scibek et al. 2007; Woldeamlak et al. 2007). On notera toutefois que le temps de simulation représente une limitation importante quant à l’utilisation d’un modèle intégré. En effet, les temps de calcul peuvent être très longs en fonction du nombre de nœuds de calcul du modèle, la discrétisation temporelle et de la plage de temps simulée (Li et al. 2008; Goderniaux et al. 2009).