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La stratégie de modélisation adoptée dans ce travail a consisté à améliorer un modèle de type arbre dépendant des distances en affinant les sous-modèles décrivant le recrutement et la mortalité. Contrairement aux approches classiques, qui tendent à créer des groupes d’espèces puis à caler ensuite des modèles de croissance, de mortalité et de recrutement sur ces groupes définis une fois pour toutes, nous avons considéré séparément les processus de croissance (sous-modèles déjà calés par Gourlet-Fleury, 1997), de mortalité (groupes et sous-modèles calés dans le cadre de ce travail) et de recrutement (groupes et sous-modèles calés dans le cadre de ce travail). C’est la première fois que cette stratégie est adoptée dans un simulateur-arbre (Gourlet-Fleury et al., 2005). En combinant les différents groupes et les différents processus (croissance, mortalité et recrutement), il a été possible de distinguer et de modéliser le comportement de 92 ensemble d’espèces représentant autant de stratégies différentes. La forêt virtuelle issue de cette modélisation possède plus de 160 espèces par hectare et une dynamique semblable à celle d’une forêt en équilibre dynamique.

Le travail de modélisation qui a été réalisé dans cette thèse a incorporé toutes les avancées et les connaissances accumulées ces dernières années dans la compréhension de la dynamique du site de Paracou. Ainsi pour la mortalité par chablis des arbres, des données du sol influençant leur survie comme par exemple la présence d’une nappe phréatique ou de sols hydromorphes (Morneau, 2007 ; Ferry et al., 2010) ont été utilisées pour la modélisation de ce processus. De même pour les indices de compétition, qui en prenant en compte le voisinage

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de l’arbre (10, 20 et 30m) incorporent les observations faites par Durrieu de Madron (1993). Pour la mortalité sur pied, le poids des variables biologiques comme la croissance passée ou le diamètre de l’arbre a été pris en compte dans la modélisation de ce processus. La modélisation de la mortalité a clairement identifié des variables explicatives distinctes et liées à deux types de mortalité différents. Le caractère stochastique de la mortalité par chablis est un facteur limitant pour la modélisation car de nombreux facteurs incontrôlables (vent, forte pluie) difficiles à modéliser y jouent un rôle important.

La classification des espèces en groupes de mortalité à partir d’une approche bayésienne a permis la création de deux groupes de mortalité sur pied et trois groupes de mortalité par chablis. Chaque groupe possède un modèle propre de prédiction de la mortalité avec différentes variables explicatives. Les modèles de mortalité sur pied sont géneralement cohérents avec l’écologie des espèces constituant les différents groupes. Ainsi la mortalité des espèces héliophiles et tolérantes de petite taille et à faible densité de bois dépend de l’accroissement diamétrique et du nombre d’arbres dominants autour de l’individu. La mortalité des espèces tolérantes de grande taille et à forte densité de bois dépend de l’accroissement diamétrique ainsi que de leur diamètre. La cohérence entre les modèles de mortalité par chablis et l’écologie des espèces des différents groupes est cependant moins facile à cerner. En effet les groupes de mortalité par chablis sont très hétérogènes : dans les trois groupes, on recense des espèces d’au moins 4 tempéraments écologiques différents. Il est difficile par exemple d’expliquer la répartition des espèces tolérantes de grande taille entre les 3 groupes de mortalité par chablis. Le manque d’information sur l’autoécologie des espèces des forêts tropicales limite notre capacité à évaluer la pertinence du regroupement proposé par la modélisation bayésienne. Le caractère aléatoire de la mortalité par chablis, qui peut être provoquée par des facteurs climatiques externes (fortes pluies et vents), joue sans doute un rôle important dans l’hétérogénéité des groupes.

Pour le recrutement, des variables simples décrivant la participation d’individus de petite taille et des espèces pionnières dans le peuplement ont été capables de modéliser le recrutement de différentes espèces et de reproduire leurs courbes avec différents pics, intensités et durée. Cependant nos modèles de recrutement présentent des faibles valeurs de R2, indiquant que les variables expliquent seulement une petite partie de la variance observée.

Les variables qui nous avons utilisées dans ce travail décrivent essentiellement la structure de la forêt et/ou son évolution (effectifs, surface terrière), et l’apparition (recrutement) d’un arbre ne dépend pas uniquement de ces variables. La topographie, les caractéristiques des sols, la présence des arbres semenciers, l’existence de disséminateurs, la distance aux arbres

173 semenciers, la viabilité des graines, l’allélopathie, la prédation des semences et des plants, la compétition intra- et interspécifique, sont des variables tout aussi importantes susceptibles d’agir sur le recrutement. Des limitations dans l’obtention des données et aussi dans une problable incorporation de ces variables dans le Simulateur nous ont conduit à travailler de manière objective avec l’information disponible. Bien que les modèles de recrutement obtenus soient caractérisés par de faibles valeurs de R2 l’information écologique portée par les variables retenues sont à la base de la sylvigénèse de la forêt tropicale. Ainsi une forte densité d’arbres dans une parcelle, représentée par la variable NTv, autoriserait le recrutement d’individus des taxons tolérants mais freinerait celui de taxons héliophiles. Cette forte densité (NTv) doit être par contre associée à une faible densité des espèces colonisatrices (drNT_Col_c), au contraire ce sont les espèces héliophiles qui seraient recrutées en dépit des espèces tolérantes. Aussi, la variable NT_Col_v , retenue dans la formulation de 4 de 6 modèles, semble avoir le rôle « d’horloge déclencheur » du recrutement. La valeur décroissante de son coefficient allant des espèces pionnières à vie courte (Cecropia spp.=5,4152) aux espèces héliophiles (Tachigali melinonii, Pourouma melinonii, Parkia

nitida = 3,332) en passsant par les espèces pionnières Tapirira guianensis, Vismia spp, Inga

spp. (4,381) et Miconia spp. (3,3225) indiquerait ordre de la sucession écologique de ces espèces, in fine le cycle sylvigénétique.

Ainsi que la plupart des auteurs qui travaillent avec la modélisation des processus de la dynamique des forêts tropicales, nous nous sommes confrontés à des faibles valeurs de R2 (voir par exemple, Phillips et al., 1994 ; Liu et Ashton, 1998 ; Pélissier et al., 1998 ; Phillips et al., 2004a ; b).

Il est important de reconnaitre les limites de notre approche à simuler le recrutement des espèces tolérantes. La plupart des espèces tolérantes ont recruté de nouveaux individus dans des conditions environnementales très variées (bord de grandes trouées, sous bois, centre de trouées). Les variables explicatives sélectionnées n’ont manifestement pas été capables de prendre en compte cette réponse des tolérantes dans des situations très contrastées. Dans le but d’améliorer la modélisation du recrutement des espèces tolérantes, d’autres variables mériteraient d’être considérées, en particulier : l’âge des individus recrutés, le temps écoulé depuis l’exploitation ou encore la taille des trouées (Brokaw et Scheiner 1989, Swaine and Whitmore 1988).

Parmi les 7 modèles de recrutement, quatre modélisent exclusivement le recrutement des espèces pionnières ou héliophiles, surreprésentant ainsi la participation de ces espèces dans le peuplement. Cette surreprésentation des espèces héliophiles devrait, en raison de leur

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croissance plus élevée, engendrer une augmentation significative de la surface terrière qui à son tour provoquerait une augmentation du taux de mortalité. On aurait ainsi tendance à penser que le peuplement virtuel est plus dynamique. Or, le taux de turnover du peuplement indique que ce dernier possède un comportement plus proche de la forêt de Paracou dominée par des genres tolérants que d’une forêt héliophile. Il est donc légitime de se poser la question de savoir si les espèces recrutées en tant que héliophiles ont réellement un comportement héliophile dans le simulateur. Cette question n’a pas pu être traitée dans cette étude. Pour y répondre, il serait nécessaire de simuler chacune des 92 stratégies à part au sein d’un peuplement ‘gris’ (peuplement dont la dynamique est simulée selon un comportement moyen) et comparer leur évolution avec celles des espèces réelles de Paracou. Il serait ainsi possible de caractériser de façon plus précise le comportement de chaque stratégie (pionnière, héliophiles, tolérantes).

Dans ce travail a choisi d’utiliser une approche bayésienne pour la modélisation de la mortalité et une approche fréquentiste pour celle du recrutement. Ce choix se justifie principalement en raison de la disponibilité de données : beaucoup plus importantes pour l’analyse du recrutement. On suppose alors que cette « disponibilité » de donnés nous permettrait d’estimer la probabilité p de recruter les espèces. Or, les faibles valeurs de R2 des modèles de recrutement tempèrent cette supposition. La modélisation du recrutement via l’approche bayésienne reste à faire. Bien que sa mise en place soit laborieuse, les résultats obtenus dans la modélisation de la mortalité ont été encourageants.

La période de stimulation de la croissance et du recrutement après perturbation est de courte durée. Les variables utilisées dans la simulation ont été capables de reproduire la forte réactivité du recrutement après une perturbation (réactivité comparable à celle de la forêt réelle) mais n’ont pas été capables de reproduire l’étendue de la durée de stimulation observée en forêt : les variables ne gardent pas la « mémoire » de la perturbation. L’utilisation dans la modélisation du recrutement des variables décrivant l’environnement plus proche de l’arbre (10m autour) a été une tentative de réduire cet effet (décrit déjà pour Gourlet-Fleury en sa thèse). Nos variables décrivent le voisinage autour des arbres à des distances fixes de 10 ou 30 m. Les arbres ressentent l’influence du voisinage de manière inégale selon leur taille. L´utilisation de variables décrivant l’environnement de l’arbre en fonction de sa taille peut donc être une source d’amélioration pour la modélisation de ces processus. Finalement, on peut envisager l’utilisation d’une variable simple mais arbitraire comme un « compteur du temps passé depuis la perturbation » pour allonger la durée de la stimulation.

175 Tout en reconnaissant ses limites – étendue très courte de l’augmentation de la croissance et du recrutement après perturbation, composition floristique déséquilibrée vers le pôle des héliophiles – le modèle Selva nous a permis de tester différents régimes d’exploitation et d’évaluer leur applicabilité dans une forêt amazonienne non seulement en termes de durabilité écologique mais aussi en termes de durabilité économique. Un travail de simulation plus simple sans prendre en compte la diversité de la forêt, comme celui proposé au chapitre 1, peut bien évidemment donner des réponses sur l’utilisation à court terme de la forêt pour la production de bois d’œuvre, mais sur le long terme il était indispensable d’apporter des pistes sur l’évolution de la composition floristique des forêts exploitées.