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B. INTRODUCTION

III. Les modèles animaux des épilepsies-absences

2. Les modèles pharmacologiques félins

En 1978, Pierre Gloor propose (Gloor, 1978) que les DPO se développent dans le circuit thalamo-cortical à l’origine des fuseaux de sommeil. Pour valider l’hypothèse, il utilisa un modèle félin, développé originellement par Prince et Farrell en 1969, et consistant en une injection de pénicilline à forte dose par voie intramusculaire (Prince et Farrell, 1969). Cette injection d’un antagoniste GABAergique faible provoque l’apparition de DPO à 3,5 – 4 Hz dans l’EEG cortical, lesquelles sont accompagnées d’une diminution importante de la réponse comportementale aux stimuli sensoriels évoqués. Les DPO du chat sont également associées à des mouvements palpébraux rythmiques, des spasmes des muscles faciaux, des convulsions myocloniques de la tête et du cou et une soudaine fixité du regard (Prince et Farrell, 1969 ; Gloor et Testa, 1974 ; Rodin et coll., 1977 ; Gloor et coll., 1990 ; Avoli et Gloor, 1994 ; Avoli, 1995 ; Gloor, 1995).

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Ce modèle pharmacologique d’épilepsie-absence, appelé Feline Penicillin Generalised Epilepsy (FPGE), est considéré, d’après ses grandes similitudes EEG et comportementales avec les syndromes d’absence humains, comme un bon modèle animal d’absence typique. De plus, les DPO du modèle FPGE sont supprimées par l’injection d’éthosuximide ou de valproate de sodium (Guberman et coll., 1975 ; Pellegrini et coll., 1978).

Les DPO du modèle FPGE semblent résulter d’une transformation des fuseaux de sommeil, lesquels sont physiologiquement exprimés par la boucle thalamo-corticale lors des phases précoces du sommeil lent (voir section 1 – 2 ; Gloor et Testa, 1974 ; Kostopoulos et coll., 1981a ; Kostopoulos et coll., 1981b ; Avoli et Gloor, 1982 ; McLachlan et coll., 1984). En effet, suite à l’injection de pénicilline, les fuseaux de sommeil à 6 – 12 Hz sont progressivement remplacés par des DPO bilatérales et synchrones à 4,5 Hz (figure 1 – 4 ; Kostopoulos et coll., 1981b ; Kostopoulos, 2000). Lors de la période de transition entre l’injection de pénicilline et l’expression pleine et entière des DPO, on observe une augmentation progressive de l’amplitude des fuseaux et de leur synchronie entre les différentes régions corticales. De plus, les stimulations électriques corticales, qui génèrent des fuseaux de sommeil avant l’injection de pénicilline, induisent exclusivement des DPO après l’injection de pénicilline, suggérant ainsi un circuit commun pour la genèse de ces deux types d’activité rythmique (Quesney et coll., 1977; Kostopoulos et coll., 1981b).

L’hypothèse proposée concernant les mécanismes physiopathologiques des DPO dans ce modèle est une diminution de l’inhibition GABAA induite par la péniciline dans la boucle thalamo-corticale, permettant la transformation progressive des fuseaux de sommeil en DPO. Cette transformation se produirait selon la séquence d’événements suivante (Gloor, 1979 ; Kostopoulos et Gloor, 1982 ; Gloor et coll., 1990 ; Kostopoulos, 2000 ; McPherson et coll., 2012). Avant l’injection intramusculaire de pénicilline, les fuseaux de sommeil sont générés au niveau des neurones corticaux par des bouffées rythmiques de potentiels post synaptiques excitateurs (PPSE), restant le plus souvent infraliminaires pour la décharge de potentiels d’action. Cette absence de décharge de potentiels d’action résulte de l’hyperpolarisation membranaire des neurones corticaux (physiologique lors du sommeil lent) et d’une résistance d’entrée membranaire faible. (Blumenfeld, 2012) Les DPO se développent lorsque la pénicilline permet une amplification des entrées synaptiques thalamiques au niveau des neurones corticaux, qui deviennent supraliminaires et conduisent à des

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décharges de potentiels d’action dans les cellules corticales. (Baum et coll., 2015) Cette décharge accrue des neurones corticaux active les interneurones GABAergiques locaux qui, en inhibant en retour les neurones pyramidaux, vont diminuer la fréquence de récurrence des décharges dans la boucle thalamo-corticale. (Wallace et coll., 2004) Cette diminution de fréquence serait exacerbée par la diminution des entrées neuromodulatrices mésencéphaliques (Kostopoulos, 2000).

III. 2. b. Le chat kétamine-xylazine

L’équipe de Mircea Steriade a développé un autre modèle pharmacologique d’épilepsie-absence : le chat anesthésié par un mélange kétamine–xylazine (la kétamine étant un antagoniste non compétitif des récepteurs glutamatergiques N-méthyl-D-aspartate (NMDA) et la xylazine un α2-sympathomimétique). Cette préparation présente une activité EEG corticale complexe composée de complexes de pointe-ondes CPO, ou de poly pointe-ondes rythmiques, survenant à la fréquence de 2 – 3 Hz et associées à des activités rapides (fast runs) à 10 – 15 Hz (figure 6 ; Steriade et Amzica, 1994 ; Steriade et coll., 1998 ; Steriade et Amzica, 2003 ; Timofeev et Steriade, 2004). Cette activité épileptique, qui se développe sur un EEG de fond de sommeil lent (0,5 à 0,9 Hz), et qui est suivie d’une dépression post-ictale, comporte de nombreuses similitudes avec les paroxysmes corticaux observés dans le syndrome de Lennox-Gastaut (une forme sévère d’épilepsie infantile définie par des crises toniques associées à des crises atoniques et des absences atypiques). Ces rythmes EEG peuvent apparaître sous kétamine-xylazine, soit spontanément, soit après stimulations électriques du cortex ou du thalamus, ou ensore, suite à l’application sur le cortex de bicuculline, un antagoniste des récepteurs GABAA (Steriade et Amzica, 2003 ; Timofeev et Steriade, 2004).

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Figure 6 : Activités EEG et intracellulaires corticales dans le modèle de « chat

kétamine-xylazine ».

A, enregistrement simultané de l’EEG (en haut) et de l’activité intracellulaire (en bas) d’un neurone dans l’aire 5 corticale. La crise semble se développer progressivement à partir d’un tracé EEG de sommeil lent. L’activité paroxystique consiste en une décharge de pointe-ondes à 2 Hz interrompue par des fast runs à 15 Hz. Noter l’hyperpolarisation post-ictale. B, agrandissements de l’enregistrement montré en A aux endroits indiqués par une barre horizontale. Noter les décharges en plateau de décharge paroxystique (paroxysmal dépolarization shift) au cours de la DPO. D’après Steriade et Contreras, 1998.

Les DPO induites par le mélange kétamine-xylazine (figure 6) ont une origine corticale. En effet, elles peuvent être observées chez des chats athalamiques, ou dans des blocs déafférentés de cortex cérébral (Timofeev et coll., 1998) et elles sont absentes dans le thalamus de chats décortiqués (Steriade et Contreras, 1998). Nous verrons que ce modèle partage avec les modèles génétiques de rats une initiation corticale des DPO, suggérant que ce profil d’activité corticale in vivo résulte d’une propriété physiopathologique émergeant spécifiquement dans le cortex cérébral. L’activité intracellulaire des neurones corticaux au cours des DPO, induite par le mélange kétamine-xylazine, est caractérisée par des dépolarisations rythmiques de longue durée de type paroxysmal depolarisation shift et par une décharge rapide de potentiels d’action en phase avec la pointe de l’EEG (Lytton et coll., 1997). En

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revanche, les neurones corticaux sont silencieux au cours de l’onde. Durant cet arrêt de décharge, la membrane des neurones corticaux est hyperpolarisée et sa résistance d’entrée est augmentée. Ces modifications d’excitabilité corticale sont attribuées à une diminution de la conductance synaptique associée à l’accroissement d’un courant potassique (hyperpolarisation membranaire) (Neckelmann et coll., 2000). Dans ce modèle, les neurones thalamo-corticaux sont dans leur majorité (60 %) silencieux au cours des DPO (Steriade et Contreras, 1995). L’activité critique de ces neurones est composée d’une séquence de potentiels post-synaptique inhibiteurs (PPSI) rapides associés à une hyperpolarisation tonique (Steriade et Contreras, 1995). Les neurones thalamiques actifs durant les DPO (40 %) déchargent des bouffées de potentiels d’action temporellement associées à la composante pointe de l’EEG. Enfin, les neurones GABAergiques du noyau réticulé du thalamus déchargent, en correspondance avec les pointes dans l’EEG, des bouffées de potentiels d’action temporellement corrélées avec les PPSI des neurones thalamo-corticaux (Steriade et Contreras, 1995).

III. 2. c. Critique des modèles félins

L’inconvénient majeur de ces modèles félins d’épilepsie-absence est que la décharge paroxystique est obtenue pharmacologiquement, en forçant artificiellement des oscillations dans un réseau thalamo-cortical sain, et ne fournissent pas d’indications directes sur les mécanismes ictogéniques survenant spontanément chez un animal épileptique. Par ailleurs, les paroxysmes corticaux induits par le mélange kétamine-xylazine, anesthésiques centraux, présentent certaines caractéristiques électrocliniques différentes de celles des épilepsies-absences. En particulier, l’EEG humain lors des absences typiques ne présente ni activités rapides (fast runs) ni de dépression post-ictale. De ce point de vue, les DPO de ces modèles sont plus proches de celles rencontrées dans le cas du Syndrome de Lennox-Gastaut (Beaumanoir et coll., 2009).