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B. INTRODUCTION

IV. Le foyer cortical des GAERS et ses neurones ictogéniques

3. Activités neuronales

Un foyer épileptique, tel que décrit ci-dessus, est une région cérébrale dans laquelle des neurones peuvent effectuer une transition d'un état normal à un état pathologique, souvent de manière imprévisible, brusque et pendant une courte période, en raison de diverses altérations dans la structure et/ou les propriétés fonctionnelles des réseaux neuronaux locaux. Ces altérations incluent potentiellement – mais non exclusivement – une morphologie aberrante des neurones, un changement dans leur excitabilité, des modifications dans les fonctions synaptiques excitatrices et/ou inhibitrices, un dysfonctionnement astrocytaire ou de la barrière hémato-encéphalique, une neuroinflammation et des gains ou pertes de composantes neuronales individuelles (Avanzini et coll., 2007). Ces altérations, isolées ou combinées, rendent les réseaux neuronaux du foyer enclin à générer des synchronisations paroxystiques et rythmiques. Dans le cas du foyer cortical des GAERS, il existe une population de

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neurones pyramidaux présentant des altérations dans leur excitabilité membranaire, dans leur activité synaptique et dans les profils de décharges, pendant et en dehors des crises, cohérent avec un rôle pro-ictogénique. Je vais décrire ces propriétés telles que connues avant mes recherches doctorales.

IV. 3. a. Propriétés générales

Conjointement à la survenue des DPO dans l’électrocorticogramme (ECoG), les principaux types neuronaux corticaux (neurones pyramidaux, cellules étoilées et interneurones GABAergiques) chez le GAERS présentent des modifications globalement analogues dans leur profil d'activité spontanée. Les activités synaptiques de fond dans ces neurones, essentiellement dépolarisantes, irrégulières et rapides entre les crises, sont rapidement remplacées par des dépolarisations rythmiques amples et en phase avec les pointes dans l’ECoG (figure 10), générant différentes fréquences de décharge en fonction du type cellulaire et des couches (Charpier et coll., 1999 ; Paz et coll., 2005 ; Polack et coll., 2007, 2009, Polack et Charpier 2009 ; Chipaux et coll., 2011, 2013 ; Pouyatos et coll., 2013). Ces paroxysmes cellulaires se superposent à une hyperpolarisation prolongée qui dure tout au long de la crise, laquelle résulte d’un arrêt transitoire du bruit synaptique dépolarisant, entraînant un déplacement passif vers le potentiel membranaire au repos et une diminution de la conduction membranaire globale des neurones due à l’interruption des activités synaptiques continues (Charpier et coll., 1999).

IV. 3. b. Spécificités des neurones ictogéniques

Les neurones pyramidaux des couches profondes (5 et 6) du cortex S1 chez le GAERS présentent un ensemble de propriétés électrophysiologiques spécifiques suggérant un rôle crucial dans la genèse des crises, et qui a conduit à leur qualification de « neurones ictogéniques » (Polack et coll., 2007).

IV. 3. b. i. Activités inter-ictales

Pendant les périodes inter-ictales, ces neurones ont un potentiel membranaire moyen plus dépolarisé (figure 10A), comparé au même type neuronal enregistré dans les autres régions corticales du GAERS ou dans le même cortex des rats non-épileptiques (Polack et coll., 2007, 2009 ; Depaulis et Charpier, 2018). Cette dépolarisation anormale est corrélée à une fréquence de décharge spontanée plus élevée de

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potentiels d’action, lesquels sont générés par un barrage continu de potentiels synaptiques montrant de très rares hyperpolarisations (figure 12 ; Polack et coll., 2007, 2009, Polack et Charpier 2009 ; Chipaux et coll., 2011, 2013). Le patron de décharge des potentiels d’action de ces neurones est globalement plus régulier comparé aux autres neurones corticaux (Polack et coll., 2007), et de courtes périodes (0.5 – 1 s) d’oscillations membranaires supraliminaires, avec une fréquence interne d’environ de 10 –12 Hz, peuvent survenir spontanément sans être corrélées à des oscillations de même fréquence dans l’ECoG sous-jacent (Polack et coll., 2007). De plus, ces neurones présentent une propension plus élevée à générer spontanément, ou lors d’injection de courant dépolarisant, des bouffées de décharges de type intrinsic

bursting, un pattern d’activité intrinsèque favorisant l’émergence des activités

épileptiques dans le néocortex (Timofeev et Steriade, 2004).

Figure 10 : Activités inter-critiques et critiques intracellulaires des neurones ictogéniques chez le GAERS.

A, activité intracellulaire d'une cellule pyramidale de la couche 5 (bas) enregistrée simultanément avec l’EEG de surface (haut). L'apparition d'une DPO dans l'EEG s'accompagne dans le neurone de dépolarisations rythmiques qui se superposent à une hyperpolarisation tonique (ligne pointillée). B, segment (0,5 s de durée) d'enregistrement lors de la période critique. Les composantes pointe (S) et onde (W) des DPO et leurs corrélations intracellulaires sont délimitées respectivement par les

A

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rectangles gris et rouge. La ligne pointillée indique la valeur moyenne du potentiel de membrane inter-ictale. La décharge de potentiels d’actions associée à la composante pointe est interrompue par des événements synaptiques hyperpolarisants (flèches obliques). Dans cette cellule, la phase dépolarisante du cycle oscillatoire affiche un profil en forme de rampe (flèche barée). C, alignement des activités neuronales associées à la composante pointe. La dépolarisation (courant DC de +1 nA) d'un neurone pyramidal (enregistré avec une électrode au KAc, trace du haut) au-dessus du potentiel d'équilibre du Cl− indique une dépolarisation synaptique précoce (flèche) rapidement interrompue par une hyperpolarisation. Lorsque le neurone est chargé avec ions chlorures (enregistrement avec une électrode au KCl, trace intermédiaire), l’hyperpolarisation synaptique est convertie en potentiel dépolarisant de grande amplitude, suggérant la présence d'une conductance synaptique médiée par les récepteurs GABAA. L'inhibition synaptique des neurones pyramidaux au cours de la composante pointe est temporellement corrélée avec la décharges des interneurones corticaux (Intern, trace du bas). D’après Depaulis et coll., 2016.

L’activité exacerbée des neurones des couches profondes du cortex S1 en dehors des DPO est convertie en activité « normale », i.e. identique à celle décrite dans les mêmes neurones chez les animaux non-épileptiques, lors d’injection systémique d’ETX à des doses suffisantes pour interrompre les crises chez les GAERS (Polack et Charpier, 2009).

IV. 3. b. ii. Activités ictales

Au cours des crises, les neurones pyramidaux des couches profondes du cortex S1 présentent une hyperpolarisation soutenue sur laquelle se greffent des dépolarisations rythmiques en phase avec les composantes pointes dans l’ECoG correspondant (figure 10A, B ; Polack et coll., 2007, 2009 ; Polack et Charpier, 2009 ; Chipaux et coll., 2011, 2013). La probabilité de décharge de PA lors de ces dépolarisations est significativement supérieure à celle des autres neurones pyramidaux du foyer et des neurones des couches profondes dans les autres régions corticales chez les mêmes GAERS (Polack et coll., 2007, 2009). De plus, leur décharge lors du cycle pointe-onde dans l’ECoG précède systématiquement celle des autres neurones dans le cortex S1, mais aussi celle des neurones localisés dans les régions corticales distantes (figure 11A), dans les noyaux thalamo-corticaux associés (figure 11B) et dans le noyau réticulaire du thalamus (Polack et coll., 2007, 2009, Polack et Charpier 2009 ; Depaulis et Charpier, 2018). Les événements synaptiques et cellulaires sous-tendant l’activité des neurones ictogéniques lors des DPO sont (Polack et coll., 2007, 2009 ; Polack et Charpier 2009 ; Chipaux et coll., 2011 ; Depaulis et Charpier, 2018) (figures 9 – 11) : 1) une hyperpolarisation soutenue pendant toute la crise, associée à une augmentation de la résistance membranaire probablement due à l’interruption des conductances synaptiques toniques (phénomène dit de « disfacilitation », voir Charpier et coll., 1999), 2) des dépolarisations répétées à la fréquence des pointes ECoG dont

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la partie initiale, probablement glutamatergique, induit le plus souvent une décharge répétée de PA (de 1 à 4) ; 3) ces dépolarisations synaptiques sont précédées, dans environ la moitié des neurones, par une lente rampe de dépolarisation (figure 10B) (initiée à partir de l’hyperpolarisation membranaire tonique associée à la crise) probablement sous-tendue par l’activation du courant cationique non-spécifique Ih, 4) l’excitation synaptique initiale est suivie par un potentiel synaptique dépolarisant présentant de brèves hyperpolarisations, lesquelles coïncident avec la décharge répétée des interneurones GABAergiques locaux et sont converties en larges dépolarisations par l’injection intracellulaire d’ions chlorures (figure 10C), suggérant la mise en jeu des récepteurs GABAergiques de type A.

Figure 11 : La décharge des neurones pyramidaux des couches profondes du cortex S1 précède celle des neurones corticaux et thalamiques.

A et B, superpositions des activités intracellulaires (traces du bas) enregistrées, dans les mêmes expériences, dans un neurone ictogénique pyramidal (Pyr. S1, traces rouges) (A et B), dans un neurone pyramidal du cortex moteur (Pyr M1) (trace grise) (A) et dans un neurone thalamo-cortical (TC) du noyau POm (trace grise) (B). Les ECoG enregistrés simultanément sont présentés au-dessus des enregistrements intracellulaires. La ligne pointillée verticale indique le pic de négativité de la composante pointe de l’ECoG du cortex S1, utilisé comme référence temporelle. Les encarts montrent une microphotographie d'une cellule ictogénique (A) et la décharge induite lors d’un rebond post-inhibiteur après injection d’un courant hyperpolarisant dans le neurone T-C. Dans cette figure, SoCx signifie S1. D’après Depaulis et Charpier, 2018.

Il est intéressant de noter que le potentiel d’inversion de cette dernière composante synaptique, aux alentours de –60 mV (Chipaux et coll., 2011), est similaire à celui mesuré dans les mêmes neurones chez l’animal sain, indiquant, contrairement à d’autres formes d’épilepsie corticale (Miles et coll., 2012), que l’ictogenèse dans ce modèle n’est pas dépendante d’un défaut dans le contrôle homéostatique des concentrations en ions chlorures. Le corrélat intracellulaire de la composante onde

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dans les neurones pyramidaux des couches profondes du cortex S1 est similaire à celui observé dans les autres neurones corticaux : une suspension de toute activité synaptique et de décharge (Polack et coll., 2007, 2009a, 2009b ; Depaulis et Charpier, 2018).