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(b) Bornes, bassin molassique et Jura

7. Modèles géodynamiques de la collision

Il existe différents modèles géodynamiques de la collision, du fait de l'évolution des connaissances, de la hiérarchisation des faits et du grand nombre d'inconnue. Je vais présenter ici les modèles classiques, cherchant à expliquer la genèse des Alpes en tant que chaîne de collision. Je procèderais en quatre étapes: d'abord, les modèles de l'histoire récente, cherchant à expliquer l'extension de la zone interne, synchrone de raccourcissements et de décrochements dans la zone externe. Ensuite les modèles cherchant à expliquer l'histoire du raccourcissement de cette chaîne arquée. Dans un troisième temps, nous discuterons des modèles expliquant l'exhumation syn-convergence des unités de haute pression. Dans un quatrième temps, nous parlerons des modèles mettant en relation les mouvements asthénosphériques et les mouvements crustaux.

a) Synchronisme entre extension, convergence et décrochement

De l'inversion du front pennique [Seward and Mancktelow, 1994; Ceriani et al., 2001; Tricart et al., 2001; Tricart, 2004] aux failles normales fragiles distribuées dans la zone interne [Sue and Tricart, 1999, 2002; Champagnac et al., 2006a, 2006b; Tricart and Sue, 2006; Tricart et al., 2006] et à la faille normale du Simplon [Grasemann and Mancktelow, 1993; Steck and Hunziker, 1994], une dynamique extensive néogène caractérise la déformation de la zone interne. Cette extension s'opère alors que la zone externe est affecté par du raccourcissement (Jura, Nappes de Digne, Chaînes Subalpines; voir les sections précédentes) ou du décrochement dextre (Argentera, Belledonne, Mont-Blanc, Aar). Par ailleurs, ce régime généralisé de décrochement dextre parallèle à la chaîne, qui est Néogène supérieure [Tricart, 2004; Rolland et al., 2009; Sanchez et al., 2011b] à actuel [Maurer et al., 1997; Thouvenot et al., 2003; Delacou, 2004], est en accord avec une rotation antihoraire de la plaque Apulienne [Vialon et al., 1989; Collombet et al., 2002]. De plus, un changement de la dynamique extensive a été documentée (direction parallèle puis perpendiculaire à la chaîne), ce qui implique une possible évolution des causes géodynamiques de cette extension [Delacou, 2004; Champagnac et al., 2006a, 2006b] (Fig. II-26).

Différents modèles peuvent expliquer cette extension (Fig. II-27), impliquant des forces de volumes ou des forces aux limites [Sue and Tricart, 2002]: (1) le

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retrait de la plaque plongeante qui induit une extension arrière-arc [Sue et al., 1999]; (2) la rupture du slab ou de la racine lithosphérique [Sue et al., 1999]; (3) l'effondrement gravitaire de la chaîne [Delacou, 2004; Delacou et al., 2004]; (4) une extension superficielle au dessus d'un coin ascendant (indentation verticale) [Eva et al., 1997; Rolland et al., 2000; Lardeaux et al., 2006; Schwartz et al., 2009]. (5) Une extension extrados d'un plis de rampe crustale [Burg et al., 2002]; (6) un échappement latéral induit par l'indentation et/ou la rotation de la plaque Apulienne [Bistacchi and Massironi, 2000; Champagnac et al., 2006a]; (7) un système transtensif induit par une collision oblique et/ou une rotation de l'Apulie [Maurer et al., 1997].

II-26: Evolution tectonique néogène d'après [Champagnac et al., 2006a]. (a) extension parallèle à l'orogène dans la zone interne et raccourcissement dans la zone externe due à l'extrusion vers le bassin Liguro-Provençale induit par l'indentation et la rotation de la plaque Apulienne. (b) Régime tectonique à la fin de l'ouverture du bassin Liguro-Provençale caractérisé par un mouvement du front de la chaîne vers le NW (Jura), vers le SW (nappe de Digne) ainsi que par des mouvements décrochant dextre et l'exhumation des massifs cristallins externes. (c) extension perpendiculaire à la chaîne récente à actuelle associée à un régime convergent peu développé.

L'extension fragile parallèle à l'arc, interprété comme la plus ancienne des extension fragile [Delacou, 2004; Champagnac et al., 2006a, 2006b], non datée mais probablement Oligocène supérieur à Pliocène, ne peut être expliquée par un effondrement syn-orogénique, un slab break-off ou par un retrait du slab qui induisent une direction d'étirement parallèle à la direction de raccourcissement [Delacou, 2004]. Il en va probablement de même pour l'indentation verticale [Rolland et al., 2000], notamment parce que le poinçon (le manteau Apulien) se présente sous la forme d'une étroite bande N-S à NNE-SSO (Fig. II-13). Cette

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direction d'étirement pourrait être en revanche expliquée par une extrusion latérale de la zone interne sous l'effet du poinçonnement N-S à NO-SE de la plaque Apulienne couplé à sa rotation antihoraire et favorisé par la bordure libre au Sud de cette zone que constituait la mer Liguro-Provençale [Champagnac et al., 2006a].

Une diminution de la convergence au Pliocène a pu favoriser l'effondrement gravitaire de la zone interne, caractérisé par une direction d'étirement perpendiculaire à la chaîne [Delacou, 2004] (Fig. II-27C). La chaîne résulterait donc d'un équilibre entre forces de volume et forces aux limites induit par l'interaction de différent processus (épaississement de la croûte, rotation de la plaque Apulienne, ouverture de la mer Liguro-Provençale et de la mer Tyrrhénienne, diminution du taux de convergence...).

b) Le raccourcissement d'une chaîne arquée

De nombreuses études ont tenté d'expliquer les mécanismes du raccourcissement ayant conduit à l'édification de l'arc Alpin, et différents faits étayent différentes théories: (1) le raccourcissement de la zone externe est globalement perpendiculaire à l'arc Alpin depuis 40Ma (Fig. II-13) [Choukroune et al., 1986; Platt et al., 1989a; Lickorish et al., 2002; Rosenbaum and Lister, 2005a]; (2) un raccourcissement NO-SE associé à des décrochements sénestres subméridien, au moins postérieur aux dépôts éocènes (et donc à 34Ma environs) , affectent les unités proches du front pennique [Ricou and Siddans, 1986; Fügenschuh et al., 1999; Ceriani et al., 2001]; (3) une linéation globalement orienté N-S à NO-SE, synchrone de l'épisode de haute pression, semble affecter les unités de la zone interne (voir sections précédentes); (4) le taux de raccourcissement semble croître du Sud vers le Nord [Sinclair, 1997b; Burkhard and Sommaruga, 1998; Lickorish and Ford, 1998; Philippe et al., 1998; Bellahsen et al., 2012].

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II-27: Différents modèles expliquant l'extension de la zone interne synchrone du raccourcissement de la zone externe. (A) et (B) d'après Sue et al. [1999]; (C) répartition des contraintes d'après l'analyse des mécanismes aux foyers: argument pour un effondrement gravitaire d'après [Delacou et al., 2004]; (D) d'après [Rolland et al., 2000].

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Pour expliquer le raccourcissement radial de la zone externe, [Platt et al., 1989a] ont invoqués un effet couplé entre le mouvement linéaire de la plaque Apulienne vers le NO et des forces de volumes perpendiculaire à une frontière courbe du poinçon Apulien (Fig. II-28A). Néanmoins, ce modèle implique l'enregistrement d'une rotation des directions de transport, ce qui n'est pas observé sur le terrain et qui rend donc ce modèle obsolète selon [Fry, 1989a].

Le modèle de [Vialon et al., 1989] (Fig. II-28B), qui suppose un mouvement vers le NO de la plaque Apulienne suivi par sa rotation antihoraire, explique non seulement le raccourcissement radial de l'Arc Alpin mais également l'augmentation vers le Nord du taux de raccourcissement. De plus, ce modèle est privilégié par la modélisation analogique [Lickorish et al., 2002]. En revanche, ce modèle implique également la rotation du Pelvoux et Belledonne, qui semblent pourtant ne pas avoir subit de rotation significative autour d'un axe vertical depuis 25Ma au moins [Henry, 1992; Crouzet et al., 1996]. Quoi qu'il en soit, ce modèle est supporté par les données paléomagnétiques qui indiquent d'importante rotation dans la zone interne ainsi que la présence d'une zone de cisaillements sénestres dans les Alpes Ligure Briançonnaise [Collombet et al., 2002]. Par ailleurs, [Schmid and Kissling, 2000] propose que le mouvement vers le NO (qui fait suite à un mouvement vers le N) est synchrone de cette rotation antihoraire.

Le modèle de [Butler et al., 1986] (Fig. II-28C) implique un raccourcissement qui ne serait pas parfaitement radial à l'arc Alpin mais plutôt composé de deux directions de transport orthogonales. Dans ce modèle, la plaque Apulienne se déplace vers le NO le long d'une rampe crustale sur laquelle chevauche les massifs cristallins externes. Les mouvements vers le SO du sud de l'arc alpin résulteraient d'un effondrement gravitaire dû à la bordure de la rampe. Néanmoins, le transport des nappes de l'Embrunais-Ubaye se faisaient déjà vers le SO tandis que la rampe crustale n'était pas encore active.

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II-28: Les 4 différents modèles de collision principaux synthétisé d'après [Lickorish et al., 2002]. (A) le modèle de [Platt et al., 1989a]: le raccourcissement

radial de l'arc Alpin résulte du mouvement linéaire vers le NO de la plaque Apulienne couplé à des forces de volumes perpendiculaires à la bordure circulaire de ce poinçon; (B) le modèle de [Vialon et al., 1989]: déplacement vers

le NO de la plaque Apulienne couplé à sa rotation antihoraire. Ce modèle est rejoint par ce lui de [Collombet et al., 2002] qui intègre en plus une zone de cisaillement sénestre dans les Alpes Ligure Briançonnaise; (C) le modèle de

[Butler et al., 1986]: mouvement vers le NO de la plaque Apulienne. Le raccourcissement NE-SO du sud des Alpes est expliqué comme un effondrement gravitaire le long de la bordure de la rampe de charriage; (D) le modèle de [Ricou and Siddans, 1986]: mouvement vers le nord puis vers l'Ouest de la plaque Apulienne.

Le modèle de [Ricou and Siddans, 1986] (Fig. II-28D), repris par [Coward

and Dietrich, 1989], implique un mouvement de la plaque Apulienne en deux temps: d'abord vers le Nord puis vers l'Ouest. Le premier est accompagné de

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grands décrochements sénestres subméridiens accompagnés de chevauchements vers le Nord à Nord-Ouest. La plaque Apulienne se déplace ensuite vers l'Ouest, bordée au Nord par les décrochements dextres du complexe périadriatique [Handy et al., 2005] et au Sud par les décrochements sénestres de la Stura/Cueno [Coward and Dietrich, 1989; Giglia et al., 1996], tout deux orientés E-W. Les travaux de [Ceriani et al., 2001] indique bien la présence d'une activité transpressive sénestre subméridienne autour du front pennique.

Un autre modèle propose une rotation de blocs rigides postérieure à un raccourcissement homogène orienté NE-SO [Rosenbaum and Lister, 2005a]. Néanmoins, ce modèle qui implique une rotation de l'argentera de 110° n'est pas supporté par les données paléomagnétiques qui indiquent a posteriori que cette zone n'a subit aucune rotation depuis le Permo-Trias [Heller et al., 1989].

Dumont et al. [2008, 2011, 2012] ont proposés un modèle où la plaque adriatique présente en mouvement rectiligne rotatif: vers le Nord jusqu'à 45-50Ma, vers le NW entre 33 et 45Ma et vers l'Ouest entre 33 et 25Ma (modèle intermédiaire entre B et D de la figure II-28).

Il existe donc différents modèles dont aucun ne fait pour l'heure consensus. L'analyse cinématique, qui identifie la direction et le sens du transport de matière ainsi que la chronologie et la quantité du raccourcissement, est une méthode clef pour contraindre ces modèles ou en proposer de nouveaux [Choukroune et al., 1986; Lickorish et al., 2002]. Qui plus est, la cinématique du massif des Ecrins, à l'interface entre des mouvements vers le NO au nord et vers le SO au sud, est une zone clef pour la compréhension de l'évolution cinématique des zones externes.

Les parties suivantes sont disponibles en Annexe 3 :

c) Exhumation syn-convergence d'unité de Haute Pression d) Mouvements asthénosphériques et subductions