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Modèles et approches de la gestion écosystémique des pêches

où x et E désignent respectivement les vecteurs de biomasses et d'efforts Les captures totales sont maximisées au MSY multispécifique (ou MMSY) Les profits totau

B. Modèles et approches de la gestion écosystémique des pêches

1. Quels modèles pour une gestion écosystémique des ppches ?

Les modèles classiques de gestion des pêches représentent généralement un seul stock exploité par une seule flottille, ou subissant une mortalité de pêche globale. De nombreux modèles mono-spécifiques intègrent aussi une structuration en âge ou en tailles de la population exploitée. L'approche écosystémique de la gestion des pêches requiert une complexification de ces modèles, selon plusieurs axes possibles (Collie et al. 2016) : une prise en compte de déterminants environnementaux influençant la croissance ou la survie des

populations ; une prise en compte d'un plus grand nombre d'espèces, exploitées ou non, et liées par des interactions trophiques ; une prise en compte des dynamiques anthropiques, par exemple à travers la structure et la dynamique des flottilles de pêche. Mais si l'augmentation de la complexité des modèles utilisés permet de mieux décrire certains aspects des systèmes modélisés, elle accroît l'incertitude associée aux nouveaux paramètres pris en compte (Collie et al. 2016). Ceci pose la question du degré de complexité requis pour les modèles de gestion écosystémique des pêches.

Selon Levins (1966), la construction d'un modèle en écologie théorique repose sur un compromis entre trois axes : la précision, la généralité et le réalisme. L'auteur détaille ainsi trois stratégies de construction de modèles, qui peuvent être adaptées aux modèles de gestion des pêches. La première associe réalisme et précision, au détriment de la généralité ; c'est le cas des modèles monospécifiques utilisés dans la gestion classique des pêches, fondés sur la description précise d'un stock, de sa structure en âge ou dans l'espace. La seconde associe généralité et réalisme, au détriment de la précision ; c'est le cas des modèles numériques dits

end-to-end, comme Atlantis ou Ecosim (Plagányi 2007), qui cherchent à décrire de façon

générale et exhaustive le fonctionnement d'écosystèmes marins exploités ; les formes fonctionnelles précises utilisées sont ainsi reléguées au second plan (Carlotti and Poggiale 2010). La troisième associe généralité et précision, au détriment du réalisme ; c'est le cas de modèles simples et analytiques, tels que les modèles de type Lotka-Volterra ; c'est également l'approche que nous avons favorisée dans cette thèse. Des stratégies mixtes existent aussi ; c'est notamment le cas des models of intermediate complexity (MICE), qui visent à combiner généralité, réalisme et précision, en identifiant d'abord la question de gestion, puis en isolant les variables écologiques et économiques qui y sont associées (Plagányi et al. 2014). C'est donc un intermédiaire entre des modèles mono-spécifiques et les modèles end-to-end.

Les modèles utilisés durant cette thèse sont généraux, car il sont fondés sur des équations décrivant des dynamiques très générales ; de plus, ces modèles sont précis, car ils

permettent de comprendre les résultats obtenus, et de les associer à des mécanismes écologiques ou économiques précis. Cependant, les modèles utilisés ne permettent pas de décrire avec réalisme des dynamiques de stocks intégrés dans des écosystèmes complexes. Ils constituent une première approximation, qui permet de formuler des hypothèses pour des modèles plus réalistes. D'ailleurs, comme le souligne Levins, "Un modèle n'est pas validé parce qu'il est 'vrai', mais parce qu'il génère des hypothèses testables et pertinentes pour des problèmes importants."

L'intérêt d'un modèle réside également dans sa capacité à formuler des résultats robustes, c'est-à-dire qui peuvent être reproduits par des modèles fondés sur des hypothèses différentes (Levins 1966). Par exemple, notre conclusion que la maximisation des rendements et des profits dans une pêcherie mixte entraîne la surexploitation des espèces les moins productives et valorisables peut être considérée comme robuste, dans la mesure où elle est soutenue par de nombreuses études fondées sur des modèles différents du nôtre (Ricker 1958; Larkin 1977; Legović & Geček 2010; Guillen et al. 2013). De plus, notre conclusion qu'une diversification des profils de pêche permet de concilier objectifs écologiques et économiques peut être considérée comme relativement robuste, dans la mesure où des modèles différant dans leurs structures et hypothèses y aboutissent (Chapitres VI, VII et Annexe). Des résultats similaires ont de plus été mis en évidence récemment (Lundström et al. 2017). Des études supplémentaires seraient néanmoins nécessaires, afin d'accroître la robustesse de ce résultat.

Aussi n'existe-t-il pas d'approche idéale pour construire un modèle de gestion des pêches ; toutes ces approches sont au contraire complémentaires. De plus, chaque modèle répond à des problématiques différentes. Par exemple, un modèle visant à décrire la réponse qualitative d'une pêcherie à une nouvelle politique favorisera plutôt le réalisme. Un modèle cherchant à établir des politiques quantitatives comme des quotas favorisera plutôt la précision et le réalisme. Enfin, un modèle visant à comprendre les impacts précis de la pêche dans les écosystèmes marins se placera plutôt du côté de la précision et de la généralité.

2. Mise en œuvre opérationnelle de l'approche écosystémique

La gestion écosystémique des pêches appelle la mise en œuvre de nouvelles approches de gestion, intégrant le caractère multi-espèces et multi-objectifs des pêcheries. Plusieurs alternatives à l'approche développée dans cette thèse sont possibles. Gascuel (2009) et Froese et al. (2016b) proposent par exemple de remplacer la recherche de l'impact maximal admissible par la recherche de l'impact minimal sur les écosystèmes marins et leur fonctionnement. Plusieurs auteurs ont également suggéré le concept de minimum sustainable

whinge, visant à minimiser la contestation des acteurs d'une pêcherie, c'est-à-dire à minimiser

les impacts négatifs de la pêche sur l'ensemble des objectifs d'une pêcherie, écologiques comme économiques (Pope 1983; Doyen et al. 2017a). Une autre alternative consiste en la recherche de stratégies de pêche viables, c'est-à-dire vérifiant un ensemble de contraintes écologiques, économiques et sociales. L'application de cette approche appelée écoviabilité à plusieurs cas d'études indique qu'elle favorise à la fois la viabilité écologique et économique des pêcheries (Doyen et al. 2017b).

La mise en œuvre opérationnelle de ces approches achoppe cependant sur un ensemble de difficultés. Premièrement, la connaissance des écosystèmes pêchés, et notamment des interactions entre espèces, est souvent faible. Les réseaux écologiques exploités sont de plus généralement liés entre eux par des migrations ; cette structuration spatiale en méta- communautés (Leibold et al. 2004) complique ainsi la connaissance de ces systèmes. Deuxièmement, la gestion écosystémique des pêches requiert souvent une gestion adaptative (Holling 1978), et donc des mécanismes de surveillance potentiellement coûteux. Enfin, la gestion écosystémique nécessite de définir les objectifs et les préférences de l'ensemble des acteurs concernés, ce qui requiert un important exercice de coordination. Cependant, comme le signalent Patrick & Link (2015b), ces difficultés ne sont pas rédhibitoires ; en particulier, la plupart d'entre elles s'appliquent également à la gestion des pêcheries monospécifiques, qui requiert une connaissance biologique approfondie des populations exploitées, et une gestion

adaptative impliquant souvent plusieurs acteurs. La plupart des outils institutionnels et scientifiques nécessaires à la mise en œuvre opérationnelle de l'approche écosystémique des pêche existent donc déjà et peuvent être mis à profit (Patrick & Link 2015b).