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Introduction générale

C. Instruments de gestion

1. Contrôle de l'accès à la pêcherie

Différents instruments permettent d'implémenter les stratégies décrites précédemment. Une première série d'instruments vise à contrôler l'accès à la pêcherie, afin d'éviter les situations d'open-access. La régulation de l'accès à la pêcherie peut se traduire par une limitation du nombre de licences de pêche, ou du nombre d'heures passées en mer. C'est

notamment la méthode de gestion adoptée pour la coquille Saint-Jacques (Pecten maximus) en Bretagne : en effet, en baie de Saint-Brieuc, les pêcheurs n'ont le droit de draguer la coquille Saint-Jacques que 45 minutes par jour (COBRENORD 2018). La régulation de l'accès peut aussi se traduire par la définition de saisons de pêche. L'exemple le plus célèbre est certainement celui de la pêcherie de flétan du Pacifique (Hippoglossus stenolepis), où la réduction de la saison de pêche s'est accompagnée d'une augmentation de la capacité des vaisseaux de pêche (Gordon 1954).

La mise en place d'aires marines protégées (AMP) constitue également une forme de contrôle de l'accès à la pêcherie, dans la mesure où elle implique une régulation de l'entrée dans la zone protégée. Selon la World Database on Protected Areas, initiée par le Programme des Nations-Unies pour l'Environnement et l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature, 7.26% des océans sont actuellement couverts par une aire marine protégée (IUCN & UNEP 2018). La pêche est complètement prohibée au sein de certaines AMP, comme les réserves intégrales, mais celles-ci représentent moins de 10% des aires marines protégées mondiales (Costello & Ballantine 2015). Des méta-analyses indiquent que la mise en place d'une réserve augmente en moyenne la biomasse des stocks, leur densité, la taille corporelle des poissons et la richesse spécifique au sein de la zone protégée (Lester et al. 2013). Certaines études concluent également que la mise en place d'une réserve peut augmenter la productivité en dehors de la réserve (Roberts 2001; White & Kendall 2007). Cependant, le redéploiement de l'effort de pêche autour des zones protégées peut augmenter la surpêche en dehors de la réserve (Hilborn et al. 2004; Abbott & Haynie 2012), et la mise en place d'une réserve peut réduire la productivité des pêcheries adjacentes si les ressources produites au sein de la réserve sont peu mobiles (Hilborn 2012). Une synthèse de la littérature révèle ainsi qu'un nombre équivalent d'études concluent que la présence ou l'absence d'AMP permet de maximiser les captures (ou la profitabilité) des pêcheries (Gaines et al. 2010). Ces résultats

indiquent néanmoins que la mise en place d'une AMP peut être compatible avec l'optimisation des captures ou des profits.

Définir la position et l'étendue spatiale d'une AMP nécessite cependant de connaître l'écologie des populations concernées. En particulier, lorsque plusieurs populations sont reliées par des migrations de larves, de juvéniles ou d'adultes, elles forment une même

métapopulation, dont la structure spatiale influence les dynamiques (Hanski 1998; Tromeur et

al. 2016). Par exemple, la croissance d'un stock peut être forte dans certaines localités (dites

sources), et faible dans d'autres localités (dites puits). Comme le montrent (Crowder et al.

2000), la position des AMP devrait ainsi favoriser prioritairement la conservation des zones sources. De plus, plusieurs études suggèrent que quelques grandes réserves seraient plus efficaces en termes de conservation qu'un plus grand nombre de petites réserves (Walters 2000; Edgar et al. 2014).

2. Contrôle du profl de pêche et de la capacité

Le profil de pêche (ou fishing pattern) caractérise la sélectivité avec laquelle est pêchée une ressource hétérogène, comme un stock composé de différentes tailles, ou une pêcherie composée de différentes espèces. Le contrôle du profil de pêche peut prendre deux formes : le contrôle des captures (tailles limites) ou le contrôle des engins de pêche (types de filets, etc.). Le contrôle des captures consiste à définir des tailles minimales, afin de favoriser la croissance des petites tailles (Mullon et al. 2012), ou des tailles maximales, visant à favoriser la reproduction des big old fat fecund female fish (BOFFFFs), dont la productivité serait bien supérieure aux plus petites tailles (Hixon et al. 2014; Barneche et al. 2018). Le contrôle des engins de pêche consiste à mettre en place des régulations visant à modifier les capturabilités d'une flottille (Kolding et al. 2015), par exemple en interdisant certains types de filets. La régulation des filets peut avoir des conséquences similaires au contrôle des tailles pêchées ; ainsi, augmenter la maille des filets réduit la proportion de petites tailles capturées.

Les régulations visent également à endiguer la surcapacité des pêcheries, souvent associée à la surexploitation des stocks. Un ensemble de régulations techniques, par exemple sur la taille et le tonnage des bateaux, permettent de réduire la capacité des flottilles. Des instruments économiques peuvent également y participer. C'est le cas de certaines subventions, comme les programmes de rachat des vaisseaux de pêche (Sumaila et al. 2010). De la même manière, réduire des subventions augmentant la capacité (comme des subventions à l'installation) ou l'effort de pêche (comme les subventions sur les carburants), ou instaurer des taxes ayant le même effet, permettrait de réguler la capacité et l'effort de pêche (OECD 2017).

3. Contrôle des captures

Une dernière série d'instruments consiste à réguler les rendements issus de la pêche, c'est-à-dire les variables de sortie de la pêcherie. C'est le cas des quotas de captures, mis en place pour de nombreux stocks gérés par l'Union Européenne : l'autorité fixe pour chaque stock un maximum de captures, le total allowable catch (TAC), qui est ensuite réparti entre pêcheurs. Cet instrument entraîne cependant le problème des choke species dans les pêcheries mixtes (Rindorf et al. 2016) : l'effort d'un pêcheur possédant des quotas pour plusieurs espèces est contraint par l'espèce dont le quota est atteint le plus rapidement (c'est-à-dire pour l'effort de pêche le plus bas). Il doit donc arrêter de pêcher alors qu'il lui reste des quotas pour d'autres stocks.

Dans le cadre d'une gestion par quota individuel transférable (individual transferable

quota, ITQ), un quota total est défini puis réparti entre pêcheurs, qui peuvent ensuite échanger

leurs quotas individuels sur un marché de quotas, induisant un prix de quota. Ce système a d'abord été introduit en Islande en 1979 (Arnason 1996), puis dans de nombreux autres pêcheries. Ainsi, en 2003, 148 pêcheries étaient soumises à un système d'ITQ (Costello et al. 2008). D'après ces mêmes données, les stocks gérés par ITQ étaient plus durables que les

autres stocks gérés. De plus, des simulations indiquent qu'une gestion par ITQ serait à la fois plus soutenable et plus profitable qu'une limitation des efforts au MSY (Costello et al. 2016). Cependant, la transférabilité des quotas individuels peut entraîner une concentration des quotas dans les mains de certaines entreprises, menant à des situations de quasi-monopole, et réduisant la diversité des métiers d'une pêcherie (Sumaila 2010; Péreau et al. 2012).

4. Structures de gestion et gouvernance

Les instruments de gestion des pêcheries sont décidés et mis en place par une grande diversité de structures institutionnelles, caractérisées par différentes échelles d'organisation et de gestion. En haute mer, regroupant près de 60% des océans, les pêcheries sont régulées par des organisations régionales de gestion des pêches, ou regional fisheries management

organizations (RFMOs). La quinzaine de RFMOs existant actuellement couvre la quasi-

totalité des hautes mers (Cullis-Suzuki & Pauly 2010). L'ICCAT (International Commission for the Conservation of Atlantic Tunas) concerne par exemple l'ensemble de l'océan Atlantique. Cependant, l'efficacité des RFMOs, notamment en termes de conservation des stocks, est actuellement remise en cause (Cullis-Suzuki & Pauly 2010). Ces inefficacités peuvent provenir en théorie de la difficulté d'un grand nombre de pays à coopérer (Bjørndal et al. 2000). De plus, ces organisations peuvent impliquer des coûts de coordination importants, d'autant que la plupart des décisions sont prises par consensus (Hilborn et al. 2005).

Les eaux nationales sont restreintes à la zone économique exclusive (ZEE), qui s'étend de la côte à 200 milles marins (environ 370km). Dans cette ZEE, l'Etat côtier possède des droits de gestion des ressources naturelles, dont les ressources halieutiques. La gestion des pêches dans les ZEE est plus ou moins décentralisée (Hilborn et al. 2005). Dans de nombreux pays se développent des initiatives de co-gestion (co-management), caractérisées par une participation conjointe du gouvernement national et des organisations de pêcheurs (Jentoft 1989). Le mode de gestion le plus décentralisé consiste en une gestion par les communautés

locales, ou community-based resource management, dans lesquelles ceux qui suivent les règles sont ceux qui les édictent (Berkes 2006). De nombreux travaux soulignent l'intérêt de ce mode de gestion pour l'exploitation des ressources naturelles (Berkes et al. 1989; Ostrom 2009). Une gestion locale réduirait notamment les coûts associés à la coordination des différents acteurs (Ostrom 2009). Cependant, une coordination entre les échelles locales et des échelons plus larges semble nécessaire afin de soutenir et surveiller l'échelon local (Berkes 2006). L'enjeu majeur des structures de gestion est que leur échelle spatiale soit adaptée à celle de la ressource biologique (Hilborn et al. 2005). Une gestion locale semble ainsi particulièrement pertinente pour des ressources peu mobiles. Cependant, de nombreuses populations sont structurées dans l'espace, et requièrent ainsi une coordination entre une gestion locale et une gestion régionale (Hilborn et al. 2005).

En résumé, la gestion classique des pêches est fondée sur la définition de points de référence mono-spécifiques et leur mise en place par une régulation de l'accès, du profil de pêche ou des captures, à travers des structures de gestion impliquant plus ou moins les différentes parties prenantes. La gestion écosystémique naît d'une critique de cette gestion, en particulier des points de référence mono-spécifiques, qui rejaillit sur les instruments et les structures de gestion.

III. La gestion écosystémique des pêches