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L’étude des troubles dépressifs chez l’Homme souffre d’une limite importante liée à l’éthique. L’étude approfondie de la dépression doit donc se faire par le biais de modèles animaux mimant au mieux les troubles de la dépression. Les modèles animaux de la dépression sont évalués en fonction de leur validité étiologique. Pour être considéré comme un comportement de type dépressif, ce comportement doit être déclenché par les mêmes composantes étiologiques que la dépression humaine. Ceci reste un défi difficile car même aujourd’hui, l’étiologie de la dépression chez l’homme n’est pas clairement établie, ce qui rend l’étude de la dépression sur l’animal controversée. Paul Willner définit la validité d’un modèle animal de la dépression (Willner, 1984, 1995) selon 3 critères :

- La validité de construction : l’étiologie de la maladie doit être semblable entre l’Homme et l’animal

- La validité descriptive : les symptômes observés chez l’Homme et l’animal et les modalités de traitement doivent être comparables

- La validité prédictive : les effets d’un antidépresseur connu observés chez l’Homme doivent être retrouvés chez l’animal sans modification ou atténuation. Malheureusement, aucun des modèles animaux mis au point jusqu’à présent ne remplit complètement ces critères. Certains de ces modèles reflètent une partie de la symptomatologie de la dépression et ont permis la mise au point de tests simples dans le but de développer de nouveaux composés antidépresseurs. Les modèles animaux disponibles aujourd’hui sont très nombreux et concernent plusieurs souches de rongeurs. Ainsi, plusieurs modèles mimant certains symptômes et altérations de la maladie ont été mis au point, dont certains sont présentés ci-dessous.

a. Induction Génétique

Le génie génétique a rendu possible l’exploration fonctionnelle des conséquences d’une mise sous silence, ou au contraire d’une surexpression de certains gènes impliqués dans la physiopathologie de la dépression. De nombreuses nouvelles lignées mutantes, principalement chez la souris, continuent d’être créées grâce au développement des techniques de séquençage et l’avancée des connaissances sur l’implication des gènes dans la maladie. Les mutations les plus employées confèrent un gain (Knock-In - KI) ou une perte (Knock-Out - KO) de fonction à un ou plusieurs gènes donnés. Les gains de fonction sont

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généralement construits par la réplication de la section codante du gène, en plusieurs réplicas, ce qui augmente le nombre de transcrits. Les pertes de fonctions sont quant-à-eux construit par l’insertion d’un transgène qui donne une conformation erronée à la protéine finale, la rendant inefficace.

Ainsi, des mutants ayant une invalidation des transporteurs de sérotonine (SERT KO), de transporteur de noradrénaline (NET KO) ou encore de transporteur de dopamine (DAT KO) ont été générés (Perona et al., 2008). Ces inactivations ont permis de mieux comprendre le rôle joué par chaque neurotransmetteur dans la pathologie et d’apporter une piste thérapeutique (Perona et al., 2008; Haenisch et al., 2009). Des mutations invalidant des récepteurs sérotoninergiques sont aussi couramment utilisées comme modèles de dépression. La diminution de densité du récepteur 5-HT1A dans les structures limbiques de patients dépressifs a mené les généticiens à développer des mutants afin de mieux comprendre l’implication de ce récepteur dans les troubles anxio-dépréssifs (Toth, 2003). Des constructions génétiques plus complexes, invalidant 2 gènes à la fois ont également été développées afin de permettre une vision globale de l’intervention d’une classe entière de récepteur dans la pathologie, comme par exemple l’invalidation des récepteurs 5-HT1A /5-HT1B (Guilloux et al., 2011).

Depuis quelques années, le développement rapide de technologies de pointe a permis de mettre en place des outils d’activation ou d’invalidation conditionnelle par l’insertion de séquence CRE recombinase dans le génome d’animaux transgénique (Branda and Dymecki, 2004). Ainsi, l’optogénétique, qui permet le contrôle spatial et temporel de l’expression d’un gène en le rendant sensible à une certaine longueur d’onde lumineuse, a permis de mieux comprendre les mécanismes mis en jeu dans les troubles dépressifs (Steinberg et al., 2015) en ciblant par exemple la contribution des neurones dopaminergiques (Chaudhury et al., 2013) ou encore les circuits préfrontaux (Vialou et al., 2014).

b. Induction Expérimentale/Environnementale

Modèles chirurgicaux et pharmacologiques

Des modèles chirurgicaux tentant de mimer au mieux la symptomatologie de la dépression existent mais nous ne citerons qu’à titre indicatif la bulbectomie olfactive bilatérale (Hendriksen et al., 2015). Cette lésion entraine des modifications comportementales accompagnées de modifications neuroimmunes, endocrines et d’altération des systèmes de neurotransmission. Il existe également des modèles pharmacologiques, comme par exemple

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les administrations chroniques à base de corticostérone (Darcet et al., 2014), ou encore des administrations de réserpine (O'Neil and Moore, 2003). Pour la suite de ce manuscrit, nous nous intéresserons particulièrement aux inductions de troubles dépressifs par des modèles basés sur l’hypothèse du dérèglement de l’axe HPA.

Les modèles de dépression induite par l’exposition au stress sont assez répandus dans la communauté scientifique (Gold, 2015). Ces modèles sont basés sur différents types de stress qui peuvent se rapprocher de divers aspects de la pathologie (figure 24). De plus, les différents modèles de dépression induite par le stress semblent avoir une bonne validité étiologique, ainsi qu’une bonne validité de construction et descriptive.

Résignation Acquise

La résignation et le sentiment d’impuissance sont des symptômes importants dans la dépression majeure et ont fait l’objet de nombreuses études précliniques. Chez l’Homme, la résignation désigne une inhibition comportementale dans le contrôle de stimuli aversifs (Pryce et al., 2011). La résignation acquise fut le support du premier modèle animal mimant les troubles de patients dépressifs (Seligman et al., 1968). Seligman l’élabora dans un premier temps chez le chien et observa qu’un animal ayant reçu une série de chocs électriques auxquels il ne peut échapper, ne cherchera que peu à éviter une autre série de chocs même si la possibilité de les éviter lui est permise. Ce modèle valide les 3 critères de Willner et de nombreux concepts de la physiopathologie de la dépression ont été validés par son biais (Vollmayr and Gass, 2013).

Stress social

Dans un premier temps, l’environnement social peut être considéré comme un facteur de stress. En effet, chez l’Homme, la perte de rang social, de statut social et/ou de contrôle sont des exemples courants des « événements de la vie » qui apportent un risque de dépression (Brown, 1993). A partir de cette observation, les modèles animaux basés sur les

Figure 24 : Modèles animaux de la dépression chez le rongeur

Modèle d’induction et de détection de troubles de type dépressif chez le rongeur par différents tests comportementaux (Krishnan and Nestler, 2008).

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perturbations sociales ont pu voir le jour. Le paradigme du « resident-intruder » (i.e. résident/intrus), spécifique aux rongeurs, est le modèle le plus populaire concernant les inductions de troubles dépressifs par un stress social. En général, un individu mâle (intrus) est introduit dans la cage d’un autre individu mâle (résident). Les animaux entrent généralement en conflit, et si cette situation est maintenue pendant plusieurs jours, on entre dans un phénomène de stress chronique qui engendre des troubles dépressifs (Hollis and Kabbaj, 2014). Ce paradigme engendre des troubles de l’hédonie, des troubles motivationnels (Rygula et al., 2005), un retrait social, une anxiété accrue (Koolhaas et al., 1997; Crawford et al., 2013), des troubles du sommeil et de l’alimentation, le tout associé à des modifications physiologiques, comme une diminution du volume et de la neurogénèse hippocampique (Van Bokhoven et al., 2011).

Stress Périnatal

Les modèles d’induction de troubles dépressifs par l’exposition au stress en début de développement (prénatal ou postnatal) sont basés sur des observations montrant une sensibilité de ces périodes sur le développement futur de pathologies de type dépressives (Lucassen et al., 2013; Suri and Vaidya, 2015). La survenue d’événements négatifs dans ces périodes développementales, comme la perte d’un ou des parents, les abus, la négligence physique et affective entraine une vulnérabilité dans l’émergence de troubles à l’âge adulte (Heim and Binder, 2012). La séparation maternelle est un des modèles de stress précoce les plus utilisés (Czeh et al., 2015a) et peut engendrer des troubles comportementaux associés à des modifications de réseaux neuronaux (Ishikawa et al., 2015), des troubles mnésiques (Sousa et al., 2014), physiologiques (augmentation des taux de corticostérone (Sousa et al., 2014) ; altération de la transcription des GR et MR (van der Doelen et al., 2014)), des troubles de la neurogénèse hippocampique (Koehl et al., 2012) et des modifications épigénétiques (Wu et al., 2014; Babenko et al., 2015) à court, moyen ou long terme. Un autre modèle de stress post-natal employé consiste à limiter la nidification de la femelle, ce qui résulte en des interactions mère-petits anormales et fragmentés (Naninck et al., 2015) engendrant des perturbations de la neurogénèse hippocampique associés à des fonctions cognitives altérées.

Enfin, de nombreuses études s’intéressent aujourd’hui au stress prénatal et démontrent que ce dernier induit aussi des dérégulations de l’axe HPA, mimant ainsi des modèles de dépression (Louvart et al., 2009). Ce modèle montre une anxiété accrue (Laloux et al., 2012), une activité neuronale plus importante dans l’HPC et le locus cœruleus, une réponse plus

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importante et plus durable dans le temps à un stress modéré (Viltart et al., 2006), des perturbations mnésiques et modifications épigénétiques (Benoit et al., 2015).

Stress Chronique Léger Imprédictible

Le stress chronique léger imprédictible (SCLI) est un des modèles les plus robustes et réalistes mimant les symptômes de la dépression (Willner, 2005). Le paradigme du SCLI consiste en l’exposition de l’animal à une série d’éléments stresseurs imprédictibles sur une période allant de plusieurs semaines à plusieurs mois. Le modèle originel mis au point par Katz et Hersh en 1981 comportait l’application de stress d’une intensité relativement importante comme des chocs électriques, des secousses ou encore des bains d’eau froide (Katz and Hersh, 1981). Willner modifiera ce protocole en utilisant des stresseurs d’une intensité plus faible mais sur une durée plus importante, afin de se rapprocher de l’étiologie de la dépression chez l’Homme (Willner et al., 1992b). L’avantage de ce paradigme est qu’il engendre des modifications comportementales, neurochimiques, neuroimmunes et neuroendocrines qui se rapprochent de celles observées dans la dépression chez l’Homme (Wiborg, 2013). Ainsi, la littérature nous rapporte des modifications de la neurogénèse (Tanti and Belzung, 2013), des aversions sociales (Barik et al., 2013) ou une neuroinflammation (Farooq et al., 2012). D’autres études montrent également la mise en place d’une anhédonie (Forbes et al., 1996; Strekalova and Steinbusch, 2010), des troubles de la mémoire (Conrad, 2010; Lee and Goto, 2015) ou encore des diminutions de noradrénaline et de sérotonine dans les structures du système limbique (Vancassel et al., 2008).

Les études ont également montré que la quasi-totalité de ces troubles était atténuée, voire abolie, par un traitement chronique aux antidépresseurs (Gumuslu et al., 2013). Ces observations sont d’une grande importance puisqu’elles témoignent d’une grande similarité entre les troubles présents dans ce modèle animal avec les troubles cliniques les plus couramment rencontrés chez des patients dépressifs. Le SCLI et les paradigmes de stress chronique en général, sont donc les modèles animaux se rapprochant le plus de l’étiologie de la dépression humaine.

Comme nous l’avons brièvement décrit précédemment, la SST est une neurohormone impliquée dans les régulations de l’axe HPA et son fonctionnement est altéré en cas de dépression majeure. Le lien existant entre le stress, l’émergence de troubles dépressifs et la SST nous a particulièrement intéressés et nous allons développer davantage les fonctionnalités de cette neurohormone dans la partie suivante.

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Introduction Générale – La Somatostatine

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La Somatostatine

La somatostatine (SST) est un polypeptide découvert par Roger Guillemin en 1972 en tentant de purifier l’hormone de libération de l’hormone de croissance (Brazeau et al., 1973) à partir d’hypothalamus de mouton. Le premier rôle alors attribué à ce peptide fut une inhibition de l’hormone de croissance, ce qui explique son nom de somatostatine du grec soma « le corps » et statikos « statique ».