• Aucun résultat trouvé

La dépression est une maladie multifactorielle présentant des facteurs génétiques et environnementaux. Pour traiter une pathologie, il faut d’abord en connaître les causes et les mécanismes physiologiques impliqués puisque la plupart des études ne peuvent pas être conduites chez l’homme. Les modèles animaux ont été développés dans le but d’obtenir une représentation simplifiée des systèmes biologiques impliqués dans la pathologie. L’utilisation des modèles animaux, et en particulier des modèles murins, est aujourd’hui très courante pour l’étude des pathologies humaines.

a. Les animaux peuvent-ils être déprimés ?

Les épisodes dépressifs chez l’humain sont constitués de changements biologiques et de différents symptômes. Parmi ces symptômes, certains sont impossibles à modéliser chez le rongeur comme, par exemple, les sentiments de culpabilité et les pensées suicidaires. Cependant, d’autres symptômes sont transposables de l’animal à l’homme, comme par exemple l’anhédonie, les troubles du sommeil, la résignation ou désespoir comportemental (Tableau 8). Un animal sain soumis à un stress aigu cherchera à s’en extraire, alors qu’un animal « résigné » va rapidement s’immobiliser, ce comportement d’abandon est considéré comme du désespoir. Différents tests sont utilisés pour mesurer le désespoir des animaux, l’interaction sociale et l’anhédonie, d’autres pour induire une résignation via l’utilisation de

- 42 - chocs inévitables. Tous ces tests, pour être reconnus, doivent répondre à quatre critères spécifiques de validité.

Tableau 8: Les modèles animaux caractéristiques des symptômes dépressifs humains D’après (Nina Dedic, 2011).

b. Les critères de validité

Validité prédictive (predictive validity) capacité d’un test à prédire un critère d’intérêt, un

phénomène humain, ceci à partir des performances du modèle. En d’autre termes, l’existence d’une forte corrélation entre les paramètres mesurés dans le test et ceux obtenus en clinique humaine.

- 43 -

Validité conceptuelle (construct validity) correspond à la fidélité avec laquelle le test

mesure ce qu’il est censé mesurer. Bien que ce soit la plus importante des propriétés d’un modèle, elle est très rarement atteinte.

Validité étiologique (etiological validity), assez proche de la précédente, elle existe quand

l’étiologie du phénomène chez l’homme est identique à celle de l’animal. Dans cette situation idéale, le modèle sera extrêmement utile pour les développements thérapeutiques et pour les explorations pathogéniques. Cette situation est rare, excepté dans les pathologies du comportement.

Validité d’apparence (face validity) se réfère à une similarité entre le comportement de

l’animal et une caractéristique spécifique de la maladie chez l’homme. Ce critère est souvent très subjectif.

c. Les tests comportementaux

L’exposition à un stress important est l’un des facteurs environnementaux associé à l’apparition d’épisodes dépressifs majeurs. Les modèles utilisés dans l’étude de la dépression sont basés sur le fait qu’une exposition à un stress peut augmenter la susceptibilité d’apparition de la pathologie. L’aspect conceptuel des modèles est développé ci-dessous, alors que l’aspect technique des modèles utilisés pour la réalisation de ce mémoire sera détaillé dans le chapitre « Matériel et Méthodes ».

i.

Stress aigu

 L’épreuve de la nage forcée

Le test de la nage forcée (Forced Swimming Test, FST) a été développé dans les années 1970 par Porsolt (Porsolt et al., 1977). Le principe est basé sur le fait que l’animal, une fois placé dans une situation stressante, va essayer de s’en extraire. Dans ce test, qui dure 6 minutes, le rongeur est placé dans un cylindre à demi rempli d’eau dans lequel il n’y a aucune issue possible. L’immobilité des animaux est mesurée pendant les 4 dernières minutes (Figure 11) (Cryan et al., 2005). Pour essayer de fuir, les animaux se mettent activement à nager. Lorsqu’ils s’arrêtent de nager et flottent à la surface de l’eau (posture immobile), ceci correspond à de la résignation. Un animal qui cesse de nager est considéré comme résigné par rapport à un animal combatif. Dans ce test, l’administration d’antidépresseurs permet de diminuer le désespoir observé, ce qui se traduit par une forte diminution de l’immobilité de la souris. De façon intéressante, certaines études montrent une implication différente des systèmes sérotoninergiques et noradrénergiques dans le comportement des rongeurs. En effet, il a été décrit que les mécanismes noradrénergiques pourraient avoir une influence sur l’augmentation des tentatives d’escalades des parois du

- 44 - bécher (climbing), alors que le système sérotoninergique serait impliqué dans l’augmentation de la nage des animaux (swimming) (Detke and Lucki, 1996; Detke et al., 1995).

Figure 11 : Représentation schématique du test de la nage forcée

 Le test de la suspension par la queue

Tout comme l’épreuve de la nage forcée, le test de la suspension par la queue (Tail Suspension Test, TST) permet de mesurer l’immobilité des souris, lorsque celles-ci sont placées dans une situation contraignante et stressante, dont elles ne peuvent s’extraire. Les souris sont, dans ce test qui dure 6 minutes, suspendues par la queue à l’aide d’un ruban adhésif, et leur temps d’immobilité est mesuré grâce à un système électronique (Figure 12) (Steru et al., 1985). Ce test a également été validé d’un point de vue pharmacologique, puisque là encore l’ajout d’antidépresseur permet de diminuer le temps d’immobilité des souris (Cryan et al., 2005). Les anxiolytiques, en revanche, entraînent une augmentation de l’immobilité des animaux (Cryan et al., 2002).

- 45 -

 La résignation apprise

Un des modèles classiques dans l’étude de la dépression est la résignation apprise (Learned Helplessness, LH) qui fut étudiée pour la première fois par John Bruce Overmier et Martin E.P. Seligman, chez le chien (Overmier and Seligman, 1967) (Figure 13). Lors du conditionnement, les chiens étaient soumis à des chocs électriques non évitables. Lors du test, les chiens subissaient à nouveau des chocs électriques mais avaient la possibilité de fuir. Les auteurs se sont aperçus que les chiens ayant subi la phase de conditionnement ne fuyaient pas, ils se contentaient de subir les chocs et adoptaient une attitude prostrée et résignée. Depuis cette technique a été transposée à d’autres espèces animales comme la souris, le rat, le chat et le primate (Maier, 1984). Comme pour le chien, les animaux soumis à des chocs électriques inévitables avant le test montrent une diminution de la capacité à fuir. Dans ce modèle, cette diminution est restaurée après administration d’antidépresseurs (TCAs, SSRIs, IMAO) (Martin et al., 1990; Sherman et al., 1982).

Figure 13 : Représentation schématique du test de la résignation apprise

ii.

Stress chronique

 Le modèle de stress chronique léger

Le modèle de stress chronique léger a été développé à la fin des années 1980 (Dalla et al., 2010). Contrairement au FTS, TST et LH qui imposent uniquement un stress aigu lors du test, celui ci a été développé pour étudier les changements comportementaux et neuronaux qui surviennent après un stress chronique. Ce test consiste à exposer l’animal à une série de stress environnementaux imprédictibles et variés : privation de nourriture, d’eau, perturbation du cycle jour/nuit, variations de température, cage inclinée, litière mouillée, etc. Parmi les changements neurochimiques et comportementaux provoqués par ce modèle, une altération

- 46 - du comportement sexuel, une anhédonie (mesurée par la consommation de sucre), des perturbations du cycle veille-sommeil mais aussi des perturbations du système immunitaire ont également été observées. Par ailleurs, ces symptômes sont réversés par l’administration chronique d’antidépresseurs de type TCAs ou SSRIs (Surget et al., 2008).

d. Les modèles animaux des troubles de l’humeur

i.

Les modèles génétiques

 Souris Rouen

L’un des modèles utilisés pour étudier la dépression a été élaboré par une reproduction dirigée de souris présentant des réponses remarquablement différentes dans l’épreuve de la suspension par la queue. Ce modèle est appelé modèle Rouen et est constitué de deux groupes de souris, les souris H/Rouen pour Helpless, et les souris NH/Rouen pour Non Helpless (El Yacoubi et al., 2003). Les souris H/Rouen, également appelées souris « résignées » présentent un temps d’immobilité augmenté, par rapport à leurs congénères, dans le TST et le FST. Ces souris ont un comportement anhédonique qui se traduit par une consommation réduite d’une solution sucrée. En plus de ces observations au niveau comportemental, les souris H/Rouen montrent des modifications du rythme circadien similaires à celles observées chez les patients dépressifs (sommeil fragmenté, plus léger avec augmentation de la durée du sommeil paradoxal). Un autre critère présent chez les patients dépressifs est l’augmentation de la corticostérone sérique, cette augmentation est retrouvée chez les souris H/Rouen comparées aux souris NH/Rouen. De plus, une altération du système sérotoninergique est observée chez les souris « résignées ». Le comportement « dépressif » des souris H/Rouen est corrigé après injections d’antidépresseurs, tels que les TCAs et les SSRIs (El Yacoubi and Vaugeois, 2007).

 Souris C57BL/6NTac

CREB-1 est un gène important qui a été mis en évidence dans la susceptibilité à développer une dépression majeure (Gass and Riva, 2007). Une altération de l’expression de ce gène ainsi que de sa phosphorylation a été observée en clinique grâce à des études sur les cortex temporaux des patients dépressifs. Dans des modèles animaux de dépression cette altération a également été mise en évidence dans l’hippocampe et le noyau accumbens (Nestler et al., 2002); (Carlezon et al., 2005). Une variation génétique A(-115)G, sur le gène CREB-1 a été observée chez certaines personnes souffrant de dépression. Cette observation a orienté la création d’une lignée de souris portant cette mutation : la lignée C57BL/6NTac. Ces souris ont un phénotype dépressif dans les tests comportementaux de

- 47 - dépression tels que le FST et le TST, et ce phénotype est réversé par l’administration d’antidépresseurs (Zubenko and Hughes, 2011).

ii.

Le modèle induit

Ces modèles induits peuvent être de trois types : pharmacologique, chirurgicaux ou comportementaux. Nous donnerons un exemple de chaque modèle.

 Exemple de modèle pharmacologique : la corticostérone

L’augmentation de l’activité de l’axe HPA, qui se traduit par une augmentation du taux de glucocorticoïdes, est une altération neurobiologique cruciale dans la pathologie dépressive. Chez les patients dépressifs, cette augmentation de glucocorticoïdes est normalisée après administration d’antidépresseurs (David et al., 2009). L’augmentation de l’activité de l’axe HPA a été modélisée chez le rongeur grâce à une administration chronique de corticostérone dans l’eau de boisson ou par injection, afin de reproduire un état dépressif (Zhao et al., 2008); (Iijima et al., 2010). Dans ce modèle induit de dépression, la corticostérone permet d’augmenter l’immobilité des animaux dans l’épreuve de la suppression de nourriture et celle de la suspension par la queue. De plus une diminution de la neurogenèse est observée. Ces différentes observations sont réversées après un traitement chronique avec un antidépresseur comme la fluoxétine (David et al., 2009). Ce modèle de dépression induit, grâce à l’administration de corticostérone, a également permis de différencier les effets dus à la neurogenèse (Test de la suppression de nourriture) de ceux qui ne le sont pas (Open Field).

 Exemple de modèle chirurgical : la bulbectomie

L’ablation bilatérale des bulbes olfactifs chez les rongeurs est souvent utilisée en recherche préclinique depuis que des changements comportementaux, neurochimiques, neuroendocriniens et immunologiques ont été observés. Ces changements sont similaires à ceux observés chez les patients dépressifs (Song and Leonard, 2005). La bulbectomie est réalisée sous anesthésie, les bulbes olfactifs sont aspirés à l’aide d’une pompe et l’espace est comblé avec de la cire pour éviter les saignements (Linge et al., 2013).

 Exemple de modèle comportemental : la séparation

maternelle

Des études ont montré que la relation entre la mère et le nouveau-né est une période cruciale pour le développement des circuits neuronaux émotionnels (Cirulli et al., 2003). Une altération de ce comportement social pendant le développement peut affecter la fonction de

- 48 - l’axe HPA et augmenter la réponse au stress chez les enfants. Le modèle de séparation maternelle se base sur ces critères. Il consiste à éloigner les nouveau-nés de leur mère pendant quelques heures, plusieurs jours consécutifs, et ainsi à terme stresser les petits. Cette séparation induit un stress psychologique qui affecte la fonction et la plasticité du cerveau. Ce processus de séparation permet d’obtenir, à l’âge adulte, des animaux stressés et présentant des symptômes dépressifs, des perturbations de l’expression de facteurs neurotrophiques et des changements comportementaux (Ognibene et al., 2008).