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Chapitre I : Ancêtres et genèse du MMA

2) Le modèle sportivisé de l’UFC

Johan Heilbron et Maarten Van Bottenburg parlèrent des premiers UFC comme

d’un processus de dé-sportivisation132, rejoignant ainsi celui de dé-civilisation de groupes sociaux avancé par Norbert Elias et Eric Dunning133. Le MMA entame alors

une nouvelle étape de son évolution par le biais d’une plus grande sportivisation. C’est par le biais de l’organisation américaine de l’Ultimate Fighting Championship, que ce sport va prendre la forme que nous connaissons aujourd’hui. Du no holds barred sans

132D’après J. Heilbron, M. Van Bottenburg, op.cit., p. 33.

133D’après N. Elias, E. Dunning, op.cit., 392 p.

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gants et sans limites de temps jusqu’à son expansion dans le monde, l’UFC a grandi rapidement en l’espace de 20 ans, annihilant de nombreux concurrents pour acquérir un

statut quasi monopolistique.

2.1) Une évolution difficile du MMA à la fin des années 1990

L’organisation américaine de l’UFC connut à la fin des années 1990 une période

particulièrement trouble. Le Pride F.C. au Japon est un rival très sérieux qui prit le

leadership de ce nouveau marché des arts martiaux mixtes, dès 1997. Mais la franchise nippone ne fut pas la seule raison.

2.1.1) Un contexte défavorable

C’est l’ensemble du MMA mondial qui connut une période de stagnation autour des années 2000. En effet, il suffit de regarder le graphique pour voir qu’une progression

des créations d’organisations eut lieu à la suite de la réussite du Pride. Par contre, de 1999 à 2001, une légère stagnation fut à signaler. Cela découlerait d’un intérêt moindre pour le MMA alors qu’à l’opposé, le début des années 2000 correspond à l’âge d’or du

K-1134. D’ailleurs, les japonais du Pride prirent cette concurrence au sérieux en

engageant des échanges qui permirent au public de MMA de voir à plusieurs reprises Bob Sapp par exemple sur le ring du Pride. 2002 fut marquée par le plus grand évènement hybride organisé par ces derniers et les dirigeants du K-1 : le Pride Dynamite. Aux États-Unis, l’UFC ne se distingue pas par ses nouveautés, nous

retrouvons la généralisation des gants, la suppression des coups de pied et de genou sur un homme au sol et la suppression des coups de tête.

Les dirigeants américains eurent du mal à garder les têtes d’affiche de l’UFC :

Royce Gracie, Ken Shamrock, Mark Kerr, Dan Henderson, etc. quittent l’octogone pour

rejoindre le rival du Pride.

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Figure 1 - Nombre de créations annuelles d’organisations de MMA entre 1980 et 2003135

Enfin, c’est au cours de cette transition qu’est attribuée l’invention du terme

« Mixed Martial Arts », lors de l’UFC 18 en janvier 1999. Son auteur est l’ancien

champion olympique de lutte Jeff Blatnick. La fin des années 1990 est également marquée par les vives critiques que suscite ce sport dans les différents états américains qui le bannissent. Devenu commentateur télévisé, et membre de la commission interne

de l’UFC, il dit ceci : « Ne vous référez plus au no holds barred, ce sont des arts martiaux mixtes »136. Il explique ainsi les connotations négatives portées par le terme « no holds barred » et considère que le terme de « Mixed Martial Arts » correspond mieux aux différentes formes martiales qui composent ce sport. Ce dernier terme s’est

ainsi généralisé dans le monde entier, devenant le nom « officiel ». 2.1.2) 2001 : le tournant américain

Le premier virage fut juridique par l’adoption de règles de la part des différentes commissions athlétiques des États américains. Après une tentative floue en Californie

135 Chiffres obtenus sur MMA-Core, [En ligne : http://www.mma-core.com/organizations/all ]. Dernière

consultation le 26/07/2014.

136 D. Meltzer, « Whenever you hear the term mixed martial arts, you should think Jeff Blatnik », in

MMAfighting, mis en ligne le 24/10/2012, [En ligne :

http://www.mmafighting.com/2012/10/24/3550680/whenever-you-hear-the-term-mixed-martial-arts-you-jeff-blatnick ]. Consulté le 18/06/2014. 1980 -1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 Nombre de créations annuelles d'organisations de MMA 5 3 5 18 33 34 55 74 72 83 113 136

Nombre de créations annuelles d'organisations de MMA entre 1980 et 2003

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en avril 2000, ce n’est qu’en septembre de la même année que l’État du New Jersey, par l’intermédiaire du New Jersey State Athletic Control Board137, décida de se pencher sur

ce sport afin de mieux le réguler. Après plusieurs réunions au cours de l’année 2001,

des règles unifiées virent le jour et se propagèrent dans les autres états américains

autorisant le combat libre. Le premier évènement de l’UFC sous ses règles fut l’édition 28, à Atlantic City (dans l’État du New Jersey), le 17 novembre 2000. Depuis ce

moment, les règles unifiées interdisent les coups de genou sur un homme au sol, les

coups de coude sur la colonne vertébrale et la nuque, les frappes sur l’arrière du crâne. Ces règles introduisent également un meilleur suivi médical, et un contrôle plus assidu des accès à la surface du combat. Une plus grande distinction de classes de poids est

aussi réalisée. Cependant, malgré les neuf classes de poids, l’UFC mit plusieurs années à les intégrer dans sa quasi-totalité. En effet, en 2014, il n’y a que la catégorie des super poids lourds (plus de 120 kg) qui est absente dans l’octogone.

Le second tournant provient du changement effectué au sein de la plus grande organisation de combat sur le sol américain. En janvier 2001, l’Ultimate Fighting Championship changea de propriétaires. Les frères Fertitta rachetèrent l’organisation

américaine en déclin pour deux millions de dollars138. Lorenzo et Franck Fertitta sont des hommes d’affaires travaillant dans les casinos, les restaurants, ainsi que des promoteurs dans le milieu du sport. Lorenzo est également un ancien membre du Nevada State Athletic Commission (NSAC). Ce savant mélange fit de Las Vegas la nouvelle capitale du MMA ; l’ancien manageur de combattants Dana White devint le

nouveau président de l’UFC, au sein du groupe Zuffa, LLC. Le résultat ne se fit pas

attendre : « Ils ont créé plus de règles, des rounds, on a assisté à la mort du Free Fight et à la naissance du MMA »139.

137 « Mixed Martial Arts Unified rules of conduct additional Mixed Martial Arts », in Department of Law and

public safety New Jersey State Athletic Board, mis en ligne le 05/09/ 2002, [En ligne :

http://www.state.nj.us/lps/sacb/docs/martial.html ]. Consulté le 17/06/2014.

138 Rapporté par le magazine Forbes, mis en ligne le 17/09/2008, [En ligne :

http://www.forbes.com/lists/2008/54/400list08_Frank-Fertitta-III_K7DM_print.html ]. Dernière consultation le 09/06/2014.

139 Citation dans J. Basse, J. Jarossay, Free Fight : au cœur de l’Ultimate Fighting Championship et du MMA,

100 2.2) L’évolution continuelle de l’UFC

La modernisation de cette pratique moins brutale et mieux structurée qu’avant

permit son retour sur les écrans des télévisions américaines. La téléréalité de l’Ultimate Fighter s’est exportée sur plusieurs continents, toujours estampillée par la franchise de l’UFC. Selon une étude, 17,8% des étatsuniens ont connu le MMA par le biais de cette

téléréalité140. Ce développement n’est pas qu’international, il touche aussi l’intégration

de nouvelles catégories de poids.

2.2.1) La décennie gagnante de l’Ultimate Fighter.

Afin de rebondir à la suite de l’apport des athlètes venus de l’Ultimate Fighter, la

renommée de l’organisation franchit de nouveaux échelons grâce à la réussite

commerciale et sportive du TUF (The Ultimate Fighter) : une téléréalité réunissant seize

mixed martial artists sur la chaîne américaine Spike TV, dès 2005. Neuf ans plus tard,

The Ultimate Fighter atteint la vingtième saison. Ajouté à ces vingt éditions tournées à Las Vegas :

- trois saisons furent tournées au Brésil entre 2012 et 2014 (TUF Brazil). - une en Chine en 2013 (TUF China).

- une en Australie en 2012 (TUF The SmashesUK VS Australia). - une au Canada en 2013 (TUF Nations : Canada vs Australia). - une au Mexique en 2014 (TUF Latin America).

Depuis, 2005, le succès de cette téléréalité sportive permit à l’organisation américaine de l’UFC d’acquérir le monopole de la discipline en annihilant les intentions des principaux concurrents. Les rachats successifs des organisations du World Extreme Championship en 2006, du Pride F.C. en 2007 et plus récemment du Strikeforce en 2011 assoient définitivement la domination de l’UFC sur le monde du MMA. En 2014,

seul le Bellator aux États-Unis peut concurrencer sans pour autant poser des difficultés, avec de grands noms de la discipline (et anciens vétérans de l’UFC).

140 D. P. S. Andrew, C. T. Greenwell, S. Kim, « An analysis of spectator motives and media consumption

behavior in an individual combat sport: cross-national differences between American and South Korean Mixed

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2.2.2) L’ouverture vers de nouvelles catégories de poids

À l’instar des grandes organisations mondiales à la fin des années 1990 et aux débuts des années 2000, l’UFC privilégiait les catégories avec les combattants les plus

lourds même si le premier champion que fut Royce Gracie ne pesait « que » 80 kilogrammes. La première distinction de poids à l’UFC intervint lors de la douzième

édition en 1997, avec les poids lourds (plus de 100 kg) et les poids légers (moins de 100

kg). Après l’UFC 28, l’organisation américaine suivit les règles unifiées du New Jersey State Athletic Control Board. De nouvelles catégories de poids furent adoptées ou réajustées, par exemple, la catégorie Batamweight devint lightweight, celle des

lightweight devint welterweight, etc. jusqu’à la création de lightheavyweight.

Cependant, d’août 2004 à mars 2006, la catégorie des poids légers (lightweight) fut

suspendue, n’étant pas assez attractive. Cette période correspond avec l’essor progressif

des « petites » catégories de poids au Japon et au Pride F.C. en particulier avec ses éditions Bushido, et ses tournois d’où émergeront des « stars » de la discipline : Takanori Gomi, Tatsuya Kawajiri, Shunya Aoki, Hayato Sakurai, etc. Le MMA japonais étant plus compétitif dans les catégories inférieures aux poids moyens.

L’attrait pour les « petites » catégories de poids toucha le continent nord-américain avec la réussite du World Extreme Championship (le WEC, racheté par Zuffa en janvier 2007) dont Urijah Faber, José Aldo, Anthony Pettis, Benson Henderson ou encore Dominick Cruz étaient les fers de lance. Sur la figure 5 (à la page 127), l’édition 48 du WEC talonna des évènements de la « grande sœur» l’UFC : 175 000 PPV furent

vendus. En octobre 2010, l’UFC intégra dans ses rangs deux nouvelles catégories : les poids plumes (featherweight) et les poids coqs (bantamweight). En septembre 2012, la catégorie des poids mouches (flyweight) fit son apparition dans l’octogone. Enfin, les athlètes féminines arrivèrent dans l’octogone dès février 2013 : la catégorie

bantamweight de la championne Ronda Rousey, et la catégorie strawweight qui apparut

au cours de la saison 20 de l’Ultimate Fighter avec Carla Esparza sacrée en finale de la saison, en décembre 2014.

2.2.3) Les disparités entre les catégories

Deux ans après l’intégration des poids mouches à l’UFC, l’attrait du public pour cette catégorie reste faible, d’où le choix de n’avoir mis que cinq combats flyweights en

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main event (dont deux évènements en pay-per-view). Cela se répercute sur les salaires des athlètes poids mouches, inférieurs aux autres athlètes de l’organisation. Si les

qualités sportives de leur représentant sont manifestes, le prétendant au titre Ian McCall avance des idées qui obéissent clairement à la logique du sport-spectacle, tout en

utilisant de l’humour :

« Je ne veux pas accabler Demetrious Johnson, mais c'est de sa responsabilité (en tant que champion). Le gars a le charisme de ma tasse à café. À vrai dire, ma tasse a même plus de personnalité vu que c'est un mug à l'effigie de Joe Rogan. Il ne fait pas son boulot en matière de marketing. Nous le savons tous, il est excellent, il livre de grandes performances, il s'améliore à chaque combat, etc., bla bla bla. Mais il s'agit de

divertissement. C'est comme ça que fonctionne ce business et apparemment, on n’en fait

pas assez chez les flyweights. Donc ce qu'il va se passer, c'est que je vais prendre sur moi et botter le cul de tout le monde, devenir champion et ensuite commencer à faire du trash talk tel un Conor McGregor et faire le buzz. Qui sait, peut-être que je vais m'arranger pour être arrêté au volant en état d'ivresse ? Je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour générer de l'argent et donner plus de visibilité aux petits gars141 ».

La visibilité et les salaires des athlètes passent par l’intérêt du public, un intérêt qui se chiffre à partir des pay-per-views, des tickets d’entrée vendus et des audiences

télévisées. Au temps du sport-spectacle, les performances sportives ne sont pas suffisantes, car il faut également le charisme et la communication des combattants. 2.2.4) L’expansion internationale de l’UFC

Outre une excursion sur l’île de Porto Rico (un état libre associé aux États-Unis par

le Commonwealth, un territoire non incorporé) en 1995, la politique d’expansion se fit

en deux étapes. La première se situe de 1995 à 2002 avec peu d’évènements en dehors

des États-Unis dont quatre au Japon entre 1997 et 2000, un évènement au Brésil en 1998 et au Royaume-Uni en 2002. La seconde étape intervint dès 2008 avec une expansion plus remarquable, continue et progressive, témoignant de la réussite mondiale de

l’organisation américaine. Treize évènements au Royaume-Uni dès 2007142, dix-sept au Canada dès 2008, deux en Irlande depuis 2009, trois en Allemagne dès 2009, deux aux

141 « Ian McCall déplore le manque de popularité des poids mouches », in Riddum, mis en ligne le 30/10/2014,

[En ligne :

http://riddum.com/nouvelles/news-ufc/40145-ian-mccall-deplore-le-manque-de-popularite-des-poids-mouches ]. Consulté le 31/10/2014.

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Émirats Arabes Unis dès 2010, cinq en Australie depuis 2010, seize au Brésil depuis 2011, trois au Japon depuis 2012, trois en Chine (Macao) depuis 2012, deux en Suède depuis 2012, un à Singapour en 2014, un en Nouvelle-Zélande en 2014, un au Mexique en 2014. En dehors des États-Unis et de son état libre Porto Rico, treize pays ont

accueilli un évènement de l’UFC.

La future tâche des frères Fertitta et de Dana White est de conquérir les terres

encore hostiles à la venue de ce sport, des territoires où l’interdiction règne : l’État de

New York aux États-Unis premièrement, puis la France. L’Ultimate Fighting Championship par l’intermédiaire des commissions athlétiques des États comme le New

Jersey par exemple, a permis de sportiviser le MMA. Son statut de quasi-monopole a encouragé les organisateurs à suivre ce modèle. Les règles unifiées touchent l’ensemble

du MMA mondial, à quelques exceptions près. Cependant, son développement sportivisé laisse apparaître des disparités entre les athlètes puisque les petites catégories de poids n'ont pas le même traitement télévisuel et salarial que les combattants plus lourds.