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Chapitre 2 -Modèle et algorithmes

2.1 Modèle psychologique

Pour notre problème de sélection/rejet, nous utilisons un modèle de processus de décision proposé par Barthélemy et Mullet (1986), à savoir l’Heuristique de la Base Mobile (notée dans la suite de ce rapport HBM ).

Ce modèle multi-attributs est fondé sur des recherches en psychologie de la décision. Le classement (sélection/rejet, l’affectation à une catégorie ...) d'un objet s’effectue à partir de l’ensemble des valeurs (aspects) prises sur chacun des attributs décrivant cet objet.

On peut ainsi chercher à acquérir les stratégies de décision expliquant les choix effectués par le décideur. Cet apprentissage nous fournira deux types d’information :

1. Quelle est la quantité d’information manipulée ?

Dans notre modèle, cela se traduit par la connaissance du nombre d’attributs traités.

2. Quelle est la qualité de l’information manipulée ?

C’est-à-dire, quel est niveau d’exigence du décideur sur chacun des attributs traités ?

Ce modèle suppose que, en situation de décision, un décideur fait preuve d’une rationalité qui est limitée (Simon, 1979) par ses facultés cognitives (capacité de rétention et de calculs de la mémoire à court terme) et par ses aspirations (plaisir, goût du risque ...).

C’est un point de vue bien différent de la rationalité économique ou utilitariste dont nous avons parlé au chapitre 1. Un individu peut optimiser son plaisir de jouer en dehors de toute considération monétaire des issues. Enfin, nous ne faisons pas l’hypothèse que le décideur possède toutes les informations et encore moins qu’il puisse les traiter entièrement.

Selon Montgomery (1983), ces limitations conduisent le décideur à rechercher une structure de dominance parmi les aspects, c’est-à-dire à ne considérer pour un objet donné qu’une collection limitée d'aspects. Ce sous-ensemble d’aspects est toutefois suffisamment grand (en taille ou en qualité) pour permettre de prendre une “bonne”

décision.

Le choix s’opère alors lorsqu’une structure de dominance permettant d'établir une décision est atteinte. La décision est vue comme un processus de traitement des aspects : les sous-ensembles d’aspects sont passés successivement en revue jusqu’à l’obtention d’une structure de dominance d’où le nom de base mobile.

L’HBM suppose l’utilisation de quatre règles élémentaires permettant de décider dans la plupart des cas : règle de dominance, règle lexicographique, et les règles conjonctive et disjonctive.

La règle de dominance est sensée être la règle principale, les autres règles pouvant être vues comme des accélérateurs décisionnels.

Le modèle incorpore trois principes de fonctionnement cognitif de l’expert : 1. Principe d’économie ou de parcimonie

Ce principe précise que l’expert n’utilise simultanément qu’un ensemble limité d’aspects.

Ceci est dû au fait qu’il est incapable de traiter l’ensemble des données en entier au même instant. Il considère donc des sous-ensembles compatibles avec sa mémoire à court terme et avec ses capacités de calcul (Aschenbrener et Kasubek, 1978 ; Johnson et Payne, 1985) ; les stratégies de décision stockées en mémoire à long terme sont traitées en mémoire à court terme (sans stockage intermédiaire dans la mémoire à long terme).

La règle lexicographique, qui ordonne les attributs par ordre d’importance, traduit bien ce principe. En effet, elle permet de s’intéresser à un nombre limité d’aspects, en ne considérant que les attributs importants.

2. Principe de fiabilité ou de justificabilité

On dit souvent que ce n’est pas la décision qui est difficile mais ce qui se passe une fois la décision prise et en particulier la nécessité de justifier les choix effectués. Le décideur doit donc utiliser des

sous-ensembles d’aspects suffisamment grands pour que son choix soit justifiable individuellement et/ou socialement (De Hoog et van der Wittenboer, 1986 ; Payne et al., 1988).

Bien que ce principe puisse sembler en contradiction avec le précédent, il ne l’est pas : il permet de préciser que les sous-ensembles d’aspects traités doivent être suffisamment «signifiants» et de qualité (Adelbratt et Montgomery, 1980 ; Ranyard et Crozier, 1983).

La règle conjonctive qui introduit des seuils sur les attributs afin de représenter un niveau d’exigence minimale est quant à elle l’expression privilégiée du principe de fiabilité. Mais, l’utilisation de la règle lexicographique n’est absolument pas incompatible avec ce principe.

3. Principe de décidabilité ou de flexibilité

Le décideur doit parvenir rapidement à une décision dans la plupart des cas, et pour cela, il lui faudra changer de structure de dominance jusqu'à ce qu'un choix soit possible (Huber, 1986 ; Klayman, 1982 ; Montgomery 1983 ; Svenson, 1979). Ce principe réconcilie les deux principes précédents.

S’il ne veut pas mourir de faim comme ll’âne de Buridan, le décideur doit être flexible dans le choix des sous-ensembles d’aspects traités. Il doit donc s’être forgé des stratégies stables lui permettant de décider rapidement.

Etant donné un objet à classer, l’HBM consiste alors en : 1. La recherche d’une structure de dominance.

2. La comparaison de cette structure à un ensemble de valeurs seuils associé.

3. La sélection de l’objet si l’ensemble des seuils est franchi, sinon il faut réitérer le processus à l’étape 1., en recherchant une nouvelle structure de dominance.

Finalement, on s’aperçoit que la décision, via la recherche d’une structure de dominance, peut être représentée par un algorithme très simple, comme cela est montré figure 4.

Figure 4. Décision/jugement via la recherche d’une structure de dominance La comparaison de l’objet sur lequel porte la décision avec une structure de dominance se réalise selon un chemin très analogue : chaque aspect de l’objet est évalué par rapport à la valeur attendue, c’est-à-dire la valeur prise dans la structure de dominance, de l’attribut correspondant. Dans le cas d’une tâche de sélection/rejet, par exemple, le non respect d’une seule valeur attendue sur une structure de dominance particulière, permet de rejeter l’objet considéré. La sélection de ce dernier suppose une évaluation complète d’une structure de dominance permettant de le sélectionner. Cette sélection peut se faire à partir d’une seule structure de dominance. Le rejet d’un objet suppose, quant à lui, que toutes les structures de dominance aient été comparées aux valeurs prises par l’objet. Ainsi, on peut s’attendre à ce que les décisions de rejet d’un objet soient plus longues que celles de sélection.

Objet

Est-ce que la

structure de dominance permet de décider ?

Existe-t-il une structure de dominance non explorée ? Non

Non

«Non» décision Oui

Décision

Oui

Les structures de dominances, qui émergent de l’utilisation des quatre règles de décision et des principes cognitifs, s’expriment sous des formes de disjonctions de conjonctions de valeurs prises par les attributs. Disjonctions, car le décideur doit parvenir rapidement à une décision et ainsi fonctionner en terme de “ou” s’il n’a pas tout à fait ce qu’il désire (principe de décidabilité). Conjonctions sur les attributs, car il doit également prendre de “bonnes” décisions (principe de fiabilité). Les règles de décision produites par le modèle HBM peuvent donc être vues comme des règles logiques mises sous forme normale disjonctive.

On peut alors utiliser, afin de faciliter l’interprétation de ces règles, un formalisme polynômial (Barthélemy et Mullet, 1987). Ainsi, pour notre problème de décision, un polynôme RD (règles de décision) est une expression formelle de la forme :

RD = M1 + M2 + ... + Mn (1)

où les Mi, sont des monômes de décision et où “+” représente les disjonctions entre monômes.

Les monômes Mi correspondent aux conjonctions sur les aspects permettant d’emporter la décision. Ce sont des expressions formelles de la forme :

(2)

où les Xi sont les attributs servant à décrire les objets et les ji, les valeurs seuils (niveaux d’exigence du décideur) prises par l’attribut correspondant.

On pourra alors utiliser la mise en facteur commun des monônes “importants”.

Cette opération permettra en particulier de mettre en évidence les points d’ancrage et d’ajustement.

Soit par exemple, l’ensemble des voitures que le décideur doit sélectionner ou rejeter. Chaque voiture est décrite par les quatre attributs à valeurs totalement ordonnées (supposées correspondre aux préférences du décideur) suivants :

• X1 est le prix en francs donné par des intervalles ([85 0001, 95 000], [75 001, 85 000], [65 001, 75 000], [55 001, 65 000], [45 000, 55 000]) ;

• X2 est le comportement routier (moyen, bon, excellent) ; Mi Xj1

1Xj2 2…Xjp

p

=

• X3 est le confort et design (mauvais, moyen, bon, excellent) ;

• X4 est la consommation moyenne en litres (10, 9, 8, 7) ; La combinatoire des attributs permet de décrire 240 objets.

Une structure de dominance est une partie de {X1, X2, X3, X4}, par exemple : X1X3. Le critère de sélection associé à une structure de dominance est la comparaison à un ensemble de valeurs seuils : X1≥3 et X3≥2.

Les stratégies du décideur sont telles qu’une voiture est sélectionnée si :

• son prix ne dépasse pas 55 000 francs et son confort et design est au moins bon,

ou

• son comportement routier est excellent et sa consommation moyenne ne dépasse pas 7 litres,

ou

• son prix est inférieur à 65 000 francs et son confort et design est au moins moyen et sa consommation moyenne ne dépasse pas 8 litres.

Cette stratégie de sélection permet de sélectionner 62 voitures parmis l’ensemble des 240 voitures théoriques initiales. La représentation polynômiale de cette stratégie est (en codant un attribut Xi à c valeurs par {0, 1, ..., c-1}) :

Remarque : dans un monôme, on économise la représentation de la plus mauvaise valeur possible d’un attribut (ce qui dans notre modèle signifie que le décideur accepte, pour le monôme considéré, toutes les valeurs de l’attribut).

RD X4