• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE

3.5 Le modèle Design Experiment

Qui a dit que pour solutionner un problème, il fallait l’extraire de son milieu, tester des solutions possibles et l’y réintroduire par la suite? Est-ce envisageable d’étudier une problématique en contexte? Et si la solution à une difficulté qui afflige le monde de l’éducation pouvait être inspirée par les mécanismes de contrôle d’une chaîne de montage?

Introduite dans les années 1980, l’ingénierie didactique est une méthode de recherche qui permet de remettre en question des réalisations didactiques menées en classe à partir de procédés issus de l’ingénierie. Selon Artigue (1988), dans sa profession, l’ingénieur se réfère aux connaissances de son domaine pour élaborer un projet et, dans le but d’innover, il explore des problématiques complexes qui l’amèneront à considérer de nouveaux procédés. L’ingénierie didactique conçoit des expérimentations en classe, où se succèdent une analyse préalable, une conception, une expérimentation et une analyse ultérieure, la validation étant basée sur la comparaison entre les différentes analyses (Artigue, 1988). Pour la chercheuse, la phase d’analyse est significative, car elle permet non seulement de vérifier comment les différents leviers ciblés ont une emprise sur les comportements des apprenants, mais aussi de formuler les hypothèses. La phase conception permet au chercheur de cibler les objectifs qu’il entend réaliser au regard de la problématique. À la phase d’expérimentation, le chercheur teste les solutions

67 Le modèle Design Experiment (que nous désignerons par l’acronyme DE) est souvent répertorié sous l’appellation générique Design-Based Research.

137

envisagées selon les variables micro-didactiques et macro-didactiques ciblées, et recueille des traces d’élèves. La phase d’analyse qui suit permet d’intégrer les données et de mener une validation interne (Artigue, 1988). Pour l’élaboration de notre modèle de VS, cette méthodologie présente un intérêt, puisqu’elle permet d’étudier la complexité de cette communication rompue entre le vulgarisateur et son lecteur, dont nous avons déjà traité. Par exemple, le fait de considérer des variables macro-didactiques (comme les contraintes liées au travail de vulgarisateur : temps, ressources, etc.) et des variables micro-didactiques (les obstacles à la compréhension d’un texte pour l’apprenant : conceptions alternatives, niveaux de formulation des concepts, etc.) permet d’envisager la relation vulgarisateur et lecteur dans toutes ses nuances. En revanche, l’absence de prescriptions claires quant à la façon de confronter les deux phases d’analyse nous incite à continuer notre exploration au sein de cette famille de modèle.

Parallèlement, depuis le début des années 1990, avec les travaux de Brown, Collins, Pea et Hawkins, un nombre grandissant de chercheurs en éducation recourent également aux méthodes propres au champ de l’ingénierie et du design pour élaborer des interventions (Kelly, 2003). Comme l’évoquent Kelly, Lesh et Baek (2008), en préface de leur ouvrage Handbook of design research methods in education, alors que les procédés du design se démarquent généralement par leur dynamisme et leur créativité pour résoudre des problèmes, la recherche mise plutôt sur des méthodes rigoureuses et une organisation systématique pour élaborer des théories. Associer le design et la recherche permet donc d’envisager la création de solutions novatrices, tout autant que le développement de nouveaux savoirs dans le domaine de l’éducation (Kelly et al., 2008). Pour Cobb, Confrey, diSessa, Lehrer et Schauble (2003), les deux champs contribuent à mieux comprendre l’environnement d’apprentissage.

« DE have both a pragmatic bent –enginnering particular forms of learning –and a theoretical orientation– developing domain-specific theories by systematically studying those forms of learning and the means of supporting them (…) DE ideally result in greater understanding of a learning ecology –a complex, interacting system involving multiple elements of different types and levels– by designing its elements and by anticipating how these elements function together to support learning. DE therefore constitute a means of adressing the complexity that is a hallmark of educational setting. » (Cobb et al., 2003, p. 9)

138

Et cet environnement d’apprentissage est le fruit d’une pratique réflexive dans laquelle les élèves, les enseignants et les chercheurs sont engagés, selon Brown (1992). Qui plus est, l’environnement d’apprentissage intègre à la fois la problématique, les différents intervenants impliqués, leurs interventions et les instruments qu’ils mettent à profit, autant d’éléments liés entre eux et qui doivent être pris en compte dans l’élaboration d’une éventuelle théorie du design (Cobb et al., 2003). Or, pour les besoins de cette recherche, pourrait-on envisager de construire un modèle de VS en collaboration avec les vulgarisateurs scientifiques, élaborer des ressources sur le terrain et les tester auprès des jeunes lecteurs? Pour répondre à ces questions, tournons- nous vers le modèle de design, et plus particulièrement vers le modèle DE. Middleton, Gorard, Taylor et Bannan-Ritland (2008) proposent un modèle complet de design en sept phases, inspiré du modèle classique de recherche (en quatre phases) auquel sont ajoutées des phases qui permettent de concilier les éléments de l’environnement. La figure 10 présente ce modèle complet de design.

Figure 10 : Sept phases d’un modèle complet de design (Source : Middleton et al., 2008., p. 32)

139

Les chercheurs attestent que, traditionnellement, une démarche de recherche comprend quatre phases : l’identification du problème (phase 1 sur la figure 10), la conception de solutions possibles (phase 2), la mise à l’essai de la solution retenue (phase 6) et l’implantation de la solution (phase 7). Pour que les données de la recherche puissent être transposées dans différents contextes, la mise à l’essai d’une solution exige du chercheur qu’il circonscrive l’effet d’une variable sur laquelle il intervient, qu’il choisisse les participants d’une manière aléatoire et qu’il prévoie un groupe contrôle (Middleton et al., 2008). Cette méthode de recherche, qui propose une approche essentiellement quantitative, ne permet toutefois pas, à elle seule, de se pencher sur des problèmes complexes. Un chercheur qui s’intéresse aux difficultés d’apprentissage, par exemple, doit tenir compte de nombreux facteurs, dont les conceptions préalables des apprenants, les modes de transmission, le contexte d’appropriation, la disposition des apprenants à recevoir un enseignement, le dynamisme du pédagogue, etc. Pour solutionner de telles problématiques, l’approche qualitative permet d’étudier et de documenter le contexte et les interrelations entre les acteurs impliqués. Aux quatre phases du modèle classique viennent donc s’ajouter trois phases, qui visent à documenter pas à pas l’élaboration du prototype. Le chercheur peut ainsi mieux s’enquérir des moindres étapes qui permettront à l’objet élaboré d’être utile au regard de la problématique. Ces phases constituent le modèle DE.

Pour Middleton et al. (2008), la première phase du modèle consiste à cerner le problème et les référents théoriques afin de formuler les hypothèses ou les questions de recherche. Les chercheurs insistent sur l’importance de la recension de la littérature qui permet, pour reprendre leur métaphore, de former la base de la « soupe primitive par laquelle jaillit la clarté » (Middleton et al., 2008, p. 27). Par la suite, une première version de l’objet est envisagée. Afin de la tester, des critères scientifiques sont sélectionnés. Puis, il s’agit de concevoir une première forme de modèle. D’une façon générale, le chercheur peut aussi décider de ne procéder qu’à une portion du modèle de design, caractérisée par les phases 3 à 5, appelée modèle DE. Le processus en trois phases du modèle DE permet au chercheur d’étudier en profondeur l’élaboration d’un objet en cours d’expérimentation (Cobb et al., 2003). D’abord, le chercheur procède à une étude de faisabilité du premier objet fabriqué (phase 3). Il peut mener des entrevues auprès des participants ou faire des observations sur le terrain afin d’évaluer les effets de l’intervention menée (Middleton et al., 2008). Du point de vue des utilisateurs de l’objet, cela permet d’avoir

140

une première impression de l’intervention en cours. Selon les données recueillies, le chercheur peut soit décider de retourner à la phase initiale (phase 1) afin d’étudier le problème et le cadre théorique, soit passer à la phase 4, ou encore faire avorter la recherche (Middleton et al., 2008). Selon Gorard, Roberts et Taylor (2004), le modèle DE présente l’avantage de pouvoir être initié par un objet jugé inefficace.

Documents relatifs