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CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE

3.7 Le déroulement de la recherche

Dans notre recherche, les deux premières phases ont été élaborées au sein de la problématique et du cadre conceptuel. Ainsi, après avoir mis en évidence le peu de place accordée aux conceptions alternatives des jeunes apprenants dans la littérature scientifique jeunesse, et considéré la structure du texte de réfutation comme une solution envisageable, nous nous

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sommes demandé si un modèle qui prendrait appui sur ce type de texte pourrait contribuer à contourner certaines difficultés éprouvées par les publications de VS. Après nous être intéressé au domaine de la culture scientifique et technique, avoir présenté les agents de la promotion de la science et exposé les procédés permettant aux vulgarisateurs scientifiques de rendre le discours de la science accessible aux jeunes lecteurs, nous avons fait la recension des principales recherches qui se sont penchées sur le texte de réfutation. Par la suite, nous avons mis en évidence différents concepts didactiques susceptibles de mettre les conceptions alternatives des jeunes lecteurs à l’avant-scène. Enfin, l’examen de trois textes tirés de recherches récentes nous a permis de préciser la pertinence de ces concepts didactiques. En prenant en compte les besoins des vulgarisateurs scientifiques et les contextes variés dans lesquels ils évoluent, nous nous sommes interrogé sur le type de démarche qui permettrait aux vulgarisateurs scientifiques, à la fois de s’approprier un modèle didactique, et également de le bonifier par leur expérience du milieu de la VS.

Notre première version du modèle didactique de VS étant élaborée, nous avons sollicité la participation de deux vulgarisateurs scientifiques : Bruno Lamolet, rédacteur en chef de la revue Sport Débrouillards68, et Laurène Smagghe, rédactrice en chef adjointe de la revue Les Débrouillards.69 Nous avons obtenu le consentement écrit des deux vulgarisateurs scientifiques

qui nous ont autorisé à divulguer leur nom. À la section 3.9, qui porte sur l’échantillonnage, nous justifierons le choix de ces deux candidats. Au bénéfice de leur travail de rédaction pour Les Débrouillards, Bruno rédigeait un texte informatif sur le requin blanc, et Laurène un texte narratif sur le béluga. Les deux rédacteurs nous ont envoyé une copie de leur texte par courrier électronique. À partir de ces textes dits classiques, nous avons composé une version de réfutation du texte informatif sur le requin blanc, et une version de réfutation du texte narratif sur le béluga.70 Puis, nous avons convié les deux rédacteurs à une première rencontre. Lors de cette

rencontre, nous les avons questionnés sur leurs démarches pour vulgariser un texte : de l’idée de départ jusqu’à la publication. Puis, nous les avons interrogés sur la place des conceptions des

68 Une revue qui aborde le sport et les sciences publiée quatre fois par année par Les Débrouillards. 69 Les formulaires de consentement à cette recherche sont à l’annexe 11.

70 Les éléments abordés dans les textes de réfutation étaient les mêmes que ceux des textes classiques (informatif et narratif) et les textes étaient de longueurs comparables.

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jeunes lecteurs dans leur travail de vulgarisation. Nous leur avons exposé nos questions de recherche et présenté notre modèle didactique de VS. Par la suite, nous leur en avons présenté chaque caractéristique, de même que les procédés pour transformer le discours savant en discours vulgarisé. Afin de rendre concrète cette présentation, nous leur avons montré les textes de réfutation que nous avions composés. Également, nous leur avons présenté différents ouvrages didactiques qui recensaient les conceptions alternatives fréquentes de jeunes apprenants. Ces références pouvaient être mises à profit pour solliciter les conceptions des jeunes lecteurs au sein des textes. Par la suite, nous avons procédé à la mise à l’essai des différentes versions des textes auprès d’élèves de cinquième année du primaire. Nous exposerons à la section 3.9 les raisons pour lesquelles nous avons choisi ces sujets de recherche. Une semaine avant la lecture du texte, les 83 élèves participants71 ont répondu au prétest (voir

l’annexe 2). Les enseignants de chacune des cinq classes ont lu les consignes aux élèves et leur ont accordé 30 minutes pour répondre aux questions. Pendant ce temps, les autres élèves qui ne participaient pas à cette recherche complétaient des fiches d’activités complémentaires. À la fin de l’épreuve, les cinq enseignants ont ramassé les copies, les ont insérées dans une enveloppe et ont déposé le tout dans un casier à notre intention. Une semaine plus tard, en matinée, les élèves participants ont été conviés à lire le texte (voir l’annexe 3). Nous avons réparti également les quatre variantes textuelles72 aux élèves participants au moyen d’une pige qui a été effectuée

par la secrétaire de l’école. Puis, dans un deuxième temps, la secrétaire a procédé à une seconde pige afin de constituer les groupes d’élèves qui devaient participer aux entrevues de groupe. En tout, les noms de 24 élèves ont été pigés pour ces entrevues, soit six par variante textuelle. Les noms des élèves ont été collés sur les textes, et chaque paquet a été redistribué dans chacune des classes.73 Les enseignants ont lu la consigne aux élèves et leur ont accordé 20 minutes pour la

lecture du texte. Cette fois encore, les élèves qui ne participaient pas ont complété des activités supplémentaires de mathématique et de français. Après la lecture, les enseignants ont recueilli les textes et ont remis des tables d’addition et de soustraction aux élèves afin qu’ils les solutionnent pendant 15 minutes (voir l’annexe 4). Cette courte activité visait à limiter

71 Qui ont choisi librement de participer à cette recherche, voir le formulaire de consentement à l’annexe 11. 72 Texte informatif classique, texte informatif de réfutation, texte narratif classique et texte narratif de réfutation. 73 Pour des raisons de confidentialité, chaque autocollant a par la suite été remplacé par un numéro d’identification aléatoire.

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l’influence de la mémoire à court terme de manière à ce que les réponses aux questions soient représentatives de la compréhension des jeunes lecteurs. Puis, les enseignants ont remis les posttests74 (voir l’annexe 2) aux élèves, et ces derniers ont eu 30 minutes pour répondre aux

questions. À la fin de l’épreuve, les cinq enseignants ont ramassé les copies, les ont insérées dans une enveloppe et ont déposé le tout dans un casier à notre intention. Puis, nous avons recueilli les textes et les posttests de chaque élève, et les avons assemblés avec les prétests. Pendant une trentaine de minutes, soit le temps que les élèves aillent à la récréation, nous avons consulté, de concert avec les vulgarisateurs scientifiques, les réponses des six élèves qui devaient participer à notre premier groupe d’entrevue. Après la récréation, les premiers élèves ont participé à une entrevue de groupe. Nous avons d’abord accueilli les élèves qui avaient lu le texte informatif classique75 sur le requin blanc pour un entretien de groupe de 60 minutes. Puis,

nous avons interviewé le groupe d’élèves qui avait lu le texte informatif de réfutation sur le requin blanc. Après le dîner, nous avons passé en entrevue le groupe d’élèves qui avait lu le texte narratif classique sur le béluga, et enfin, le groupe qui avait lu le texte de réfutation sur le béluga. Chaque entrevue d’environ 60 minutes était précédée d’une pause d’une vingtaine de minutes pendant laquelle nous pouvions consulter et comparer les réponses des élèves aux prétests et posttests.76 Lors de cette entrevue, nous posions les questions, nous assumions

l’animation des discussions et les deux vulgarisateurs scientifiques participaient librement aux échanges avec les élèves. Les questions portaient sur leurs conceptions scientifiques de départ en lien avec les concepts abordés dans les textes, l’appropriation des différents termes utilisés et l’évolution de leurs conceptions. À la fin de la journée, une entrevue semi-dirigée de 60 minutes avec les vulgarisateurs scientifiques a été organisée. Nous avons pu recueillir leurs commentaires vis-à-vis l’évolution des conceptions scientifiques des élèves suite à la lecture des textes classiques et de réfutation, et discuter d’une éventuelle adaptation de ce modèle didactique dans leur travail. En écoutant les réponses des élèves et en échangeant avec eux, les deux vulgarisateurs ont été à même d’identifier l’importance d’énoncer une conception, de la réfuter explicitement puis de l’expliquer. En somme, l’étude de faisabilité (phase 3) a permis de

74 Peu importe le texte lu, les posttests étaient les mêmes pour tous les élèves.

75 Nous rappelons que les textes classiques ont été écrits par les vulgarisateurs scientifiques et que nous avons écrit la variante de réfutation.

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peaufiner le modèle au regard des rétroactions recueillies. Ainsi, nous avons décidé, entre autres, que pour bien s’approprier le modèle didactique de VS, les vulgarisateurs scientifiques devraient composer la version de réfutation et avoir accès aux conceptions scientifiques des élèves, plutôt que de simplement recourir à des ouvrages de didactique. En faisant participer des vulgarisateurs et leurs jeunes lecteurs à l’élaboration de notre modèle didactique de VS, nous avons contribué, comme le rappellent Middleton et al., (2008), à proposer une approche adaptée afin de mobiliser des membres d’une même communauté autour d’un problème réel.

La phase 4, appelée Teaching Experiment77, peut constituer à elle seule une recherche lorsqu’un

enseignant agit à titre de chercheur et qu’il travaille de concert avec une équipe de recherche à élaborer des leçons destinées à un groupe limité d’élèves, par exemple (Cobb et al., 2003). À l’origine imaginée pour étudier comment les enfants apprennent les mathématiques en classe, ce modèle exige de l’enseignant qu’il revête le chapeau de chercheur pour orchestrer des situations didactiques (Steffe, 1991). Le rôle de l’enseignant dépasse donc celui du simple observateur : il organise les situations didactiques de manière à aménager un contexte favorable aux échanges. Il recrée ainsi une version réduite d’un environnement d’apprentissage, de manière à pouvoir en étudier les moindres aspects (Cobb et al., 2003). Chemin faisant, il émet des hypothèses et les teste afin d’étudier les processus impliqués dans la construction des connaissances (Steffe, 1991). Dans le contexte du modèle DE, des ajustements sont apportés à l’objet par les acteurs issus de l’environnement et il s’ensuit des cycles d’élaboration, d’essais et de tests afin de peaufiner le prototype (Middleton et al., 2008).

Une autre visite a été organisée à l’école afin de permettre une rencontre entre les vulgarisateurs scientifiques et six élèves pigés au hasard. Les échanges ont permis d’identifier les conceptions scientifiques des élèves sur thèmes d’une publication à venir. Lors de l’entretien, nous n’intervenions pas dans les échanges. Pour le bénéfice d’une publication sur les muscles et l’entraînement dans la revue Sport Débrouillards, les élèves ont été questionnés sur quatre sujets : l’origine de la douleur, la flexibilité et l’élasticité des muscles, l’adaptation des muscles à l’effort, et enfin l’enregistrement du mouvement musculaire. Au préalable, Bruno avait

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consulté deux experts pour l’aider à préparer son texte : une physiothérapeute et ancienne olympienne, et une étudiante à la maîtrise en physiologie de l’exercice. Lors de l’entretien, chaque élève était d’abord invité à répondre à des questions individuellement et à élaborer des schémas explicatifs, puis devait partager ses conceptions avec le groupe. Cette rencontre d’environ 60 minutes a permis aux vulgarisateurs scientifiques d’avoir une bonne idée des conceptions scientifiques fréquentes des élèves concernant les quatre sujets abordés. Comme Bruno devait rédiger le texte pour le magazine, il a, dans un premier temps, écrit la version informative de réfutation. Puis, il l’a remise à Laurène, qui a écrit une version narrative de réfutation78 qui, elle, ne serait pas publiée ultimement. Par la suite, ils nous ont envoyé les textes

et nous avons composé les versions classiques79 de chacun d’eux, en enlevant les conceptions

scientifiques fréquentes et les réfutations, et en ne gardant que les explications scientifiques.

De façon similaire, les élèves ont répondu au prétest (voir l’annexe 5) une semaine avant de lire le texte. Tout juste avant la visite des vulgarisateurs scientifiques, les noms des élèves ont été pigés afin de savoir quelle variante textuelle serait attribuée à chacun, et 26 élèves ont aussi été pigés dans un deuxième temps pour déterminer qui participerait aux entrevues de groupe (six élèves : texte narratif de réfutation, six élèves : texte narratif classique, huit élèves : texte informatif de réfutation et six élèves : texte informatif classique). Ensuite, les élèves ont lu le texte (voir l’annexe 6) pendant une vingtaine de minutes, puis ont répondu à des tables d’addition et de soustraction pendant 15 minutes, avant de répondre au posttest (voir l’annexe 5) pendant environ 60 minutes. Pendant la récréation, nous avons pris connaissance des réponses des élèves. Au retour, nous avons commencé les entrevues de groupe. Cette fois, le déroulement des entrevues était différent. En effet, afin d’avoir une meilleure prise sur l’évolution des conceptions des élèves, les entrevues de groupe ont été divisées en deux temps. D’une part, chaque élève était séparé physiquement des autres par un isoloir. Il recevait une copie vierge du texte lu et trois surligneurs fluorescents. Un surligneur jaune permettait aux élèves d’identifier un passage qui contredisait leurs idées de départ. Un surligneur rose leur permettait de mettre en évidence les passages qui les aidaient à bien comprendre une nouvelle notion abordée. À

78 Les éléments abordés dans le texte narratif de réfutation étaient les mêmes que ceux de la version informative de réfutation. Les textes étaient de longueurs comparables.

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l’inverse, un surligneur bleu identifiait ce qui n’était pas clair, et les élèves étaient aussi invités à encadrer les mots qui constituaient des bris de compréhension pour eux. Concrètement, nous avons invité les élèves à relire chacune des quatre parties du texte avec les surligneurs en main. La fonction de chaque surligneur était écrite au tableau, et nous la leur rappelions tout au long du processus. Dans un deuxième temps, en abordant chaque partie du texte, les élèves étaient invités à partager avec les autres chaque élément surligné. Le fait d’être ainsi isolé pour la première partie de l’entrevue permettait à chaque lecteur de repenser au déroulement de sa lecture, d’identifier les difficultés rencontrées, les points tournants, etc. Ceci a permis d’alimenter et d’enrichir les discussions, et ultimement d’éviter d’arriver à des faux consensus. En effet, lorsqu’un élève explique sa pensée au groupe, il est tentant pour les autres de vouloir se rallier à ses idées ou à ses arguments s’ils semblent pertinents ou convaincants. Ainsi, en ayant chacun des traces écrites auxquelles se rapporter, chacun pouvait plus aisément amener le groupe dans ses « propres tranchées » et exposer son cheminement. Ensuite, nous avons passé en revue une question à développement dans chacune des quatre parties du texte. À la fin de la journée d’entrevues, nous avons fait un retour avec les deux vulgarisateurs sur l’évolution des conceptions scientifiques des jeunes lecteurs selon les différentes variantes textuelles, sur le niveau de formulation des concepts dans le texte, sur les bris de compréhension des élèves et sur les commentaires que nous avions recueillis.

Selon Middleton et al. (2008), lorsqu’il atteint la phase 5, le prototype est confronté aux objectifs identifiés au départ de la recherche et le chercheur a alors une bonne idée des différents contextes dans lesquels il peut être implanté. La figure 11 de la page suivante présente les cinq phases de la recherche telles que nous venons de les décrire en détail.

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PHASE 1 : Problématique : peu de place pour les conceptions alternatives des jeunes lecteurs au sein de la VS. Postulat : en prenant appui sur les conceptions alternatives, le vulgarisateur propose un texte plus adapté le vulgarisateurs

PHASE 2 : Élaboration d’une version provisoire d’un modèle didactique de VS

PHASE 3 : Étude de faisabilité du modèle didactique de VS

vulgarisateur scientifique vulgarisatrice scientifique (Bruno Lamolet) (Laurène Smagghe)

chercheur

informatif informatif narratif narratif classique de réfutation de réfutation classique Prétest

Lecture Posttest

Entrevues de groupes (chercheur, vulgarisateurs et jeunes lecteurs) Entrevue semi-dirigée (chercheur et vulgarisateurs)

Quatre groupes de six lecteurs

PHASE 4 : Mise à l’essai du modèle didactique de VS

vulgarisateurs scientifiques (Bruno Lamolet et Laurène Smagghe) émergence des conceptions alternatives (auprès de six élèves) Bruno Lamolet Laurène Smagghe Informatif de réfutation Narratif de réfutation Chercheur

Informatif classique Narratif classique Prétest

Lecture Posttest

Entrevues de groupes (chercheur, vulgarisateurs et jeunes lecteurs) Entrevue semi-dirigée (chercheur et vulgarisateurs)

PHASE 5 : Confrontation du modèle didactique de VS au postulat de départ Quatre groupes de six à huit lecteurs

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