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Le modèle des « trois cercles » dans la politique d'immigration et d'asile

M. Leiter, La Mission

1 Dans un article récent de vulgarisation de ses recherches sur l'apprentissage, un sociologue présente un diagnotic du système

4.5 Le modèle des « trois cercles » dans la politique d'immigration et d'asile

Un fait - qui risque d'avoir des incidences prospectives non négligeables - est la présentation officielle dans un rapport du

« modèle des trois cercles » (Conseil fédéral 1991) par la plus haute instance exécutive en Suisse. A l'issu du scrutin du 4 décembre 1988, le Conseil fédéral a réaffirmé sa volonté de poursuivre à long terme sa politique à l'égard des étrangers, sans en modifier les principes. La présentation du « modèle des trois cercles » est apparu deux ans plus tard comme l'aval formel d'un tel choix.

Voici en quels termes est énoncé la présentation du modèle2

1 Nous n'avons pas abordé en profondeur dans notre étude, un des problèmes liés à la redéfinition de la « culture », qui est l'identité religieuse. Ce phénomène qui n'est pas encore très visible en Suisse (pas encore d'affaire de foulard!), est cependant présent. Il pose la question du rapport à des religions non chrétiennes ainsi que celle de l'Ecole publique « laïque » et de la tolérance religieuse entre religions.

2 Voici les principes et les raisons qui président au modèle des trois cercles : « La nouvelle politique à l'égard des étrangers aura pour objet principal l'intégration de la Suisse dans son environnement européen. Notre pays doit pouvoir garder sa place, reconnue par les autres Etats, au sein de l'Europe. Cela exige une ouverture progressive pour aboutir finalement à la libre circulation des personnes entre la Suisse et les Etats de la CE et de l'AELE.

« d. Ces raisons (voir note 1) ont conduit à l'élaboration d'un modèle des trois cercles

-Dans le cercle intérieur (libre circulation), qui ne comprend que les États de la CE et de l'AELE, les limitations actuelles en matière de politique à l'égard des étrangers et de marché du travail qui touchent la libre circulation des personnes sont progressivement abolies

-Le cercle médian (recrutement restreint) comprend les pays qui ne font partie ni de la CE, ni de l'AELE et qui ne font donc pas partie du cercle intérieur; néanmoins, nous souhaitons y recruter de la main-d'oeuvre dans le cadre d'une politique restrictive. Dans l'optique actuelle, les États-Unis et le Canada font notamment partie de ces pays. Dans les années à venir, il sera possible d'admettre d'autres États (d'Europe centrale et d'Europe de l'Est essentiellement) dans le cercle médian. Il conv iendra de faciliter l'admission de main-d'oeuvre particulièrement qualifiée provenant de ce dernier cercle. Il devra être possible de procéder à des simplifications d'ordre administratif, d'améliorer le statut juridique, d'aider aux

La deuxième priorité consistera à maîtriser la pression migratoire croissante du Sud vers le Nord et de l'Est vers l'Ouest. Une politique d'admission restrictive est ici impérative.

La nouvelle politique suisse des années nonante à l'égard des étrangers sera donc la suivante :

a. Afin de préserver notre identité nationale, de sauvegarder la paix sociale et de conserver l'équilibre démographique, il importera de maintenir un rapport équilibré entre Suisses et étrangers. L'effectif de la population étrangère résidante continuera à être placé sous contrôle. Une clause de protection devra permettre d'empêcher d'éventuels mouvements de migration massifs et imprévus en provenance des Etats de la CE et de l'AELE ». p. 12 du même document du Conseil fédéral.

b. Il importera de coordonner les efforts sur les plans européens et mondial afin de maîtriser la pression migratoire.

c. La Suisse a besoin comme auparavant de recourir à la main­

d'oeuvre étrangère pour pouvoir conserver ses avantages en tant que place économique.

perfectionnement professionnel et à l'intégration des intéressés. Toutefois, il faudra poursuivre par principe la politique restrictive qui a été la nôtre jusqu'à présent.

-Le cercle extérieur (pas de recrutement mais possibilité de faire des exceptions) englobe tous les autres États. Les ressortissants de ces derniers ne recevront d'autorisation de séjour et de travail que dans les cas exceptionnels. Il sera toutefois possible d'assouplir au besoin cette pratique dans le cas de spécialistes très qualifiés désirant effectuer un séjour de plusieurs années mais de durée limitée dans notre pays tout en évitant de favoriser la fuite des cerveaux » p. 12 et 13 (Conseil fédéral 1991).

Sur le terrain scientifique, un modèle a normalement pour principe de décrire toute la réalité connaissable. Voyons quel est le rôle d'un modèle qui a une autre fonction sociale que celle de la connaissance. Le modèle des « trois cercles » représente (décrit) « le réel » en classant les travailleurs immigrants et les réfugiés en trois cercles géographiques (Europe, Est, Sud) et en hiérarchisant ces zones à partir d'une certaine représentation de l'éloignement qui recoupe en fait des divisions sociales. La démonstration s'appuie sur un critère de différence culturelle (de « civilisation », (voir p. 32 du document), à cause de nécessités écologiques de la planète. Un tel modèle d'un monde divisé et hiérarchisél est nécessaire pour préserver notre « mode de vie », dit encore le document.

1 Dans le « modèle », certains membres de cette relation sociale particulière d'é/im-migration et d'asile sont inclus dans le cercle intérieur (Portugais), certains sont déclassés (Yougoslaves, deuxième cercle), d'autres sont exclus du système. Les conséquences sont multiples. Notons que les saisonniers portugais seront remplacés par les saisonniers Yougoslaves, Polonais, Turcs, etc.). Notons encore qu'il y aura de nouveaux (et plus de?) clandestins. Notons finalement que la politique « d'intégration » concerne en priorité le cercle central intérieur : l'Europe et renforce l'exclusion des personnes en provenance des deuxième et troisième cercle.

On peut se demander s'il ne convient pas à la recherche en Education et en Sciences humaines de s'interroger sur les incidences d'une tel pensée sur le système éducatif.

Le modèle postule l'existence et le maintien d'une société duale à l'échelle planétaire. Or,« cette vision duale, qui ne réfère pas à la distance kilométrique mais bien à la distance culturelle vient se superposer à la distance de classe » (p. 6), écrit encore un politologue (Monnier 1990). Un ancien directeur du BIT en précise les implications : «. .. il s'agit d'une évolution qui va accentuer les différences entre ceux très bien pourvus (qui ont reçu une bonne éducation, une bonne formation) et auxquels on confie des postes et des responsabilités dans des secteurs très importants des services ou du commerce. Et d'autre part, une masse de plus en plus importante de travailleurs plus ou moins indifférenciés. Ce contre quoi, il va falloir se garder c'est précisément de ce fossé qui risque de s'élargir, de cette distance qui risque de s'aggraver entre ceux qui sont bien protégés, bien pourvus et ceux qui vont l'être de moins en moins. Là, il y a ( ... ) un véritable problème. On le trouve dans une dimension absolument gigantesque dans les pays en développement mais il existe a ussi dans les pays industrialisés. », (Francis Blanchard, Courrier de Genève le 7 juin 1989). Ces constantes structurelles perdurent malgré le nombre, la diversité de provenance des migrants - les statistiques fédérales l'indiquent -, la diversité des causes et des motifs de migration et l'évolution mondiale.

Depuis les années 80, on assiste en Europe et en Suisse à une augmentation de l'immigration d'origine de la zone non EEE, pour divers motifs dont des motifs d'asile (voir 1.2.2). Ce phénomène est appréhendé dans une grille de concepts et dans un cadre juridico-administratif créé pour « accueillir »

l'immigration (de travail et d'asile) plus ancienne et

« traditionnelle » (européenne). Les pays « d'accueil »

définissent les immigrants à l'aide de catégories juridico­

administratives lourdes de leur poids historique, en les classant dans divers statuts (travailleurs, réfugiés, requérants d'asile, pré-requérants d'asile, « disparus », déboutés, etc.). Ces

faits interviennent alors qu'avec la crise économique, on assiste à un réexamen fondamental des politiques d'immigration en Europe. L'AUemagne, puis peu à peu les autres pays européens dont la Suisse ferment leurs frontières aux immigrants de « l'Est » et du « Sud », tout en favorisant ia mobilité des « nationaux » dans le cadre des pays de la CEE.

L'écart entre Je droit et la complexité des réalités sociales mondiales actuelles est visible dans une non prise en compte de certains phénomènes sociaux internationaux (par exemple, la constitution d'un marché mondial, les multiples formes de la vie « politique », les «nouvelles » persécutions dans le droit d'asile). Pour connaître les relations sociales dans toute leur complexité et les besoins éducatifs et de recherche, on ne peut donc pas se satisfaire des définitions étatiques d'un des partenaires des relations. Une éducation aux aspects

« interculturels » d'une relation sociale suppose la prise en compte de l'ensemble des déterminismes qui pèsent sur la relation sociale de mobilité voulue ou forcée.

Par ailleurs, comme l'ont souligné des chercheurs qui se soucient de prospective en économie des migrations, les nouveaux emplois en Europe et les besoins d'immigrants dépendent de l'évolution économique globale de l'Europe prise dans les nouvelles règles du jeu de la transnationalisation de l'économie mondiale (nouveau système technique et incidences sur 1e marché de l'emploi, migration du capital productif, etc.).

Ils ont montré que dans ce cadre, l'immigration exerçait plusieurs fonctions économiques : régulation du marché du travail pour cycles longs, courts, saisonniers, une pression à la baisse des salaires, une contribution au financement des systèmes de sécurité sociale (fonds de retraite). « Comme par le passé les politiques migratoires futures prendront en compte ces fonctions de l'immigration. Malgré un taux de chômage élevé, les gouvernements et les employeurs craignent que le Marché Commun généralisé (1993) ne soit pas assez efficace pour accroître la concurrence entre travailleurs européens, et pour diminuer le prix du travail, étant donné les résistances syndicales et les pénuries de force de travail dans certaines

strates du marché du travail. Les fonctions économiques de la nouv elle i m m igration, s u rtout d'une i m m igrat ion extra­

com m u n a u tai re (pays sous-développés nota m ment, où le niveau des revenus est très inférieur) pourraient apaiser ces craintes. », p. 10, (Verhaeren 1992).

Malgré ces faits structurels, la mobilité des populations est encore représentée selon une perspective « aller-retour » , alors que la réalité nous montre que le phénomène de la circulation des personnes est beaucoup plus complexe (Verhaeren 1988). On a ainsi assisté ces dernières années à des mesures de stabilisation, « d'intégration » et à une politique d'inversion des flux migratoires (politique de retour et de refoulement en matière d'asile) lorsque la demande de travail a baissé. En d'autres termes, les migrations ont continué à être conçues comme provisoires et comme un « aller-retour ».

Or, comme l'ont montré d'autres chercheurs, les migrations sont souvent d u rables , même si elles sont présentées comme temp o ra ire s . : .

« Une des caractéristiques fondamentales du phénomène de l 'i m m igra t i o n e s t q u e, hormis q u e l q u e s s i t u a t io n s exceptionnelles, il contribue à se dissimuler à lui- même sa propre vérité. Parce q u 'elle ne peut pas mettre toujours en conformité le droit et le fait, l'immigration se condamne à engendrer une situation qui semble la vouer à une double contradiction : on ne sait plus s'il s'agit d'un état durable mais qu'on se plaît à vivre avec un intense sentiment du provisoire.

Oscillant, au gré des circonstances, entre l'état provisoire q u i l a définit e n droit et l a situation durable q u i la caractérise de fait, la situation de l'immigré se prête, non sans q uelque ambiguïté, à une double interp rétation : tantôt, comme pour ne pas s'avouer la forme quasi définitive que revêt de plus en plus souvent l'immigration, on ne retient que la qualité d'immigré que son caractère éminemment provisoire (en droit); tantôt, au contra i re, com m e s 'il fallait apporter un démenti à la défin ition officielle de l'état d'immigré comme état provisoire, on insiste avec raison sur la tendance actuelle des immigrés à

« s'installer » de plus en plus durablement dans leur condition d'immigrés.

Parce qu'elle est partagée entre ces deux représentations contradictoires qu'elle s'ingénie à contredire, tout se passe comme si l'immigration avait besoin, pour pouvoir se perpétuer et se reproduire, de s'ignorer (ou de feindre de s'ignorer) et d'être ignorée comme provisoire et, en même temps, de ne pas s'avouer comme transplantation définitive » (p. 50), (Sayad

1991).

Dans ce cadre général en Suisse, pour les immigrants

« traditionnels » , la politique à moyen et long terme a été définie en terme de stabilisation et d'intégration de non

« nationaux » des pays « proches » (naturalisation restrictive, contingents, « retour » forcé), de rotation lente (les permis B et C) ou plus rapide, (statut de saisonnier, tolérance des clandestins, permis de courte durée précaire pour disposer d'un volant de main-d'oeuvre souple). Des programme spécifiques quant à la formation des premières et des deuxièmes générations (modèles assimilationistes, intégrationistes, la prise en charge variable des facteurs humains et de la diversité culturelle, rapport au marché du travail, à la société « d'accueil

» etc.) ont été adoptés. Il s'agirait d'évaluer une telle politique à la lumière de l'évolution et de la provenance de l'immigration actuelle. Le modèle est en train d'être adapté aux exigences européennes (contingents, saisonniers, etc. ) pour les travailleurs « européens » . Il reste constant, dan s sa philosophie du provisoire, pour l'immigration non-européenne.

Le fait qu'une mobilité de ces populations existe, qu'elle est structurelle et donc durable n'est encore pas pris en considération. Il semble au contraire que ce soit la logique des

« limes » (frontières) (Rufin 1991) qui détermine actuellement les rapports avec les immigrants d'une partie des pays de « l'Est

» et le « Sud »1.

lA ce propos, plutôt que de procéder à une longue démonstration, nous nous contentons de citer un journaliste qui, dans un article

Il découle de l'existence d'un tel modèle, une question théorique importante pour la recherche en Sciences de l'Éducation. Face à une telle évolution, l'école et la formation doivent-elles adapter leurs structures, leurs programmes, leur fonctionnement, leurs enseignés, leurs enseignants, etc., à un tel « modèle »? Ou au contraire, peuvent-ils attendre de la recherche, en plus d'une description « critique » d'un tel modèle, l'énumération d'autres critères à la base d'une nouveau pas vers une nouvelle multiculturalité? De la réponse à une telle question dépend l'orientation et le choix des priorités pour toute une série de mesures éducatives.

intitulé : « Le Sud pour mémoire ,. dans lequel il a fait état du rapport annuel de la CNUCED, écrit « ••• le Sud retient l'attention seulement par les peurs qu'H soulève : la peur écologique dont on frémit chaque fois qu'un arbre tombe dans la forêt amazonienne; la peur du sida qui décime les populations africaines; la peur du métissage, de la pression aux frontières de l'Europe, que vient accroître la dislocation à l'Est; la peur démographique d'un péril jaune et noir, face à un Occident ultra-mfooritaire où se concentrent les richesses. ( . .. . ) Comment ne pas voir que l es causes d'appauvrissement viennent de la contraf ote extérieure, de paramètres économiques - les taux, les cours des matières premières, l'appétit du consommateur occidental - sur lesquels le Sud n'a aucune prise, ou si peu? ». (Fottorino E. (199 1) : " Le sud pour mémoire .. ,

Le Monde

17 .9.91, p. 21, article sur le rapport annuel de la CNUCED).

4.6 Le

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nouveau

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racisme : une question pour la