• Aucun résultat trouvé

Mobilité résidentielle et mobilités socio-professionnelles : l’ambivalence des coïncidences

Chapitre 3 La mobilité comme ressource ? Quarante ans d’effets positionnels de la mobilité

2. Mobilité résidentielle et mobilités socio-professionnelles : l’ambivalence des coïncidences

On va désormais s’intéresser à la façon dont s’articulent la trajectoire résidentielle et la trajectoire socio-professionnelle des individus. Pour ce faire, on va utiliser les trois variables de mobilité socio-professionnelle qu’on a définies dans le premier chapitre, et les décrire en regard des mobilités résidentielles. Les mobilités résidentielles des salariés du privé coïncident-elles avec des trajectoires socio-professionnelles spécifiques ? Plus précisément : les différentes formes de mobilité résidentielle contribuent-elles à identifier les individus qui accèdent à de meilleures positions socioprofessionnelles que les autres ?

2.1. Mobilités résidentielles et mouvements dans l’emploi

Le premier résultat qui ressort de l’étude du lien entre mobilités résidentielles et mobilités dans l’emploi, c’est son ambivalence. En effet, la mobilité résidentielle coïncide avec plus d’entrées dans l’emploi que l’immobilité, mais aussi avec plus de sorties de l’emploi que l’immobilité.

a. La mobilité résidentielle : la chance de trouver un emploi…

On a vu en introduction qu’une partie des injonctions à la mobilité s’appuient sur l’idée qu’une plus grande mobilité permettrait de réduire le chômage en favorisant la rencontre de l’offre et de la demande d’emploi. Cette justification macro-économique de la mobilité résidentielle est complétée par un argument d’ordre microéconomique : les actifs mobiles seraient ceux qui peuvent le plus profiter des opportunités qui s’offrent à eux et qui peuvent optimiser leur recherche d’emploi. De fait, on a pu constater que les individus mobiles entrent plus (mais de moins en moins) dans l’emploi. Mais pour que la mobilité résidentielle puisse être considérée comme une ressource pour l’entrée dans l’emploi, encore faut-il préciser à quels emplois elle permet d’accéder.

Un premier enjeu est de savoir quel type d’emploi obtiennent les mobiles. La mobilité résidentielle coïncide-t-elle avec des entrées dans l’emploi stable ou dans l’emploi

précaire ? Pour répondre à cette question, on a restreint la population aux chômeurs et étudiants en (n-1) qui sont restés hors de l’emploi ou qui ont trouvé un emploi de salarié du privé en (n), en excluant les individus entrés dans l’emploi public ou indépendant. Les effectifs de cette population sont donc peu élevés, représentant au mieux 10% des échantillons annuels. Afin de « lisser » les résultats et de les rendre plus lisibles, on présente ici des moyennes quinquennales :

Graphique 39. Sur- et sous- probabilité des chômeurs ou étudiants d’avoir trouvé un emploi selon leur mobilité résidentielle

Note : la population étant restreinte aux individus trouvant un emploi de salarié du privé, les emplois « stables » sont ici les CDI et les emplois « précaires » regroupent les autres formes de contrat.

Lecture : entre 1982 et 1986, la part d’anciens chômeurs et étudiants ayant trouvé un emploi stable est 132% plus élevée parmi ceux qui ont changé de commune.

Champ : Chômeurs et étudiants en (n-1).

On retrouve le résultat qui veut que la probabilité d’avoir trouvé un emploi est plus élevée parmi les individus mobiles. Mais on note que les mobilités courtes (mobilité-commune) augmentent nettement plus la probabilité d’avoir trouvé un emploi précaire que les mobilités longues. On peut interpréter ce résultat de deux manières. Premièrement, il semble indiquer que les individus qui n’élargissent pas l’aire géographique dans laquelle ils cherchent un emploi se privent d’une ressource importante, et qu’ils doivent plus se résoudre à accepter des emplois précaires. Deuxièmement, on peut aussi penser que les

-50% 0% 50% 100% 150% 200%

7a. Emploi stable

Commune Département Région Immobile

-20% 0% 20% 40% 60% 80% 100% 7b. Emploi précaire

162

emplois stables ont plus de valeur pour les individus et qu'ils sont donc prêts à accepter une mobilité résidentielle longue pour en obtenir un.

Un deuxième enjeu est de savoir quelle catégorie socio-professionnelle atteignent les mobiles. On a ici calculé l’écart entre la part de chaque catégorie socio-professionnelle parmi les mobiles entrés dans l’emploi, et la part de chaque catégorie socio-professionnelle parmi tous les individus entrés dans l’emploi :

Tableaux 14. Sur- et sous-représentation de chaque PCS parmi les entrants dans l’emploi ayant connu une mobilité-commune

1972- 1976 1977- 1981 1982- 1986 1987- 1991 1992- 1996 1997- 2001 2002- 2006 2007- 2011 Cadres 9,4 4,2 -0,1 -4,4 1,3 -26,8 -18,3 8,6 Professions intermédiaires 44,5 49,4 41,5 30,3 16,4 23,8 24,0 3,0 Employés 12,8 8,7 Employés qualifiés 31,5 23,7 13,4 20,7 -4,3 3,8 Employés non qualifiés -8,3 -6,9 -25,7 -19,5 -21,6 -11,0 Ouvriers -26,2 -23,3 Ouvriers qualifiés -16,8 10,1 12,5 1,9 4,7 -0,6 Ouvriers non qualifiés -25,1 -36,1 -20,7 -15,0 -2,5 -8,3

Lecture : entre 1972 et 1976, la part de professions intermédiaires dans les individus entrant en emploi dans le secteur privé est 44,5% plus élevée parmi ceux qui ont changé de commune.

Champ : chômeurs et étudiants en (n-1), salariés du privé en (n).

Les professions intermédiaires sont nettement sur-représentées parmi les individus entrant dans l’emploi et ayant changé de commune au cours de l’année. On note que cette sur- représentation concerne aussi les employés qualifiés et, relativement, les ouvriers qualifiés. Cependant, les écarts entre catégories socioprofessionnelles se réduisent avec le temps parmi les entrants dans l’emploi ayant connu une mobilité courte. Les mobilités longues sont, elles, bien plus discriminantes :

Tableau 15. Sur- et sous-représentation de chaque PCS parmi les entrants dans l’emploi ayant connu une mobilité-département

1972- 1976 1977- 1981 1982- 1986 1987- 1991 1992- 1996 1997- 2001 2002- 2006 2007- 2011 Cadres 234,0 213,9 64,6 115,1 118,0 125,6 50,0 151,1 Professions intermédiaires 84,6 59,6 86,9 129,9 88,4 76,9 38,5 27,7 Employés -16,3 14,9 Employés qualifiés 2,3 -39,8 -37,0 -25,3 21,3 -14,0 Employés non qualifiés -27,0 -13,8 -25,9 -30,8 12,3 -29,5

Ouvriers -45,9 -60,8

Ouvriers qualifiés 5,7 -1,0 -8,6 -21,1 -2,7 -19,8 Ouvriers non qualifiés -52,5 -72,0 -59,9 -47,9 -68,6 -47,6

Lecture : entre 1987 et 1991, la part d’employés qualifiés dans les individus entrant en emploi dans le secteur privé est en moyenne inférieure de 39,8% parmi ceux qui ont changé de département. Champ : chômeurs et étudiants en (n-1), salariés du privé en (n).

Le fait d’avoir changé de département est bien plus discriminant en termes de catégorie socioprofessionnelle des entrants dans l’emploi. Les cadres restent très nettement sur- représentés, malgré une baisse de cette surreprésentation entre 2002 et 2006. Ils le sont d’autant plus que les professions intermédiaires ont vu leur surreprésentation se réduire nettement sur les vingt dernières années. Quant aux ouvriers et employés, on note que les ouvriers qualifiés sont moins sous-représentés parmi les mobiles-département entrant en emploi.

Tableau 16. Sur- et sous-représentation de chaque PCS parmi les entrants dans l’emploi ayant connu une mobilité-région

Mobilité-région 1972- 1976 1977- 1981 1982- 1986 1987- 1991 1992- 1996 1997- 2001 2002- 2006 2007- 2011 Cadres 176,8 226,9 191,4 226,0 179,2 255,7 143,6 113,6 Professions intermédiaires 159,2 62,4 88,4 72,4 33,2 44,7 65,2 65,1 Employés -20,9 -5,6 Employés qualifiés -13,5 -40,8 -29,1 -45,9 -31,6 -30,0 Employés non qualifiés -43,1 -5,5 -17,7 -43,9 -20,9 -47,1 Ouvriers -56,8 -45,2 Ouvriers qualifiés -20,9 -10,3 -2,6 0,8 -4,9 -21,0 Ouvriers non qualifiés -44,9 -55,3 -57,0 -65,3 -63,9 -37,7

Lecture : entre 1997 et 2001, la part des cadres dans les individus entrant en emploi dans le secteur privé est en moyenne supérieure de 255,7% parmi ceux qui ont changé de région. Champ : chômeurs et étudiants en (n-1), salariés du privé en (n).

164

La répartition par catégorie socioprofessionnelle des mobiles-région entrant dans l’emploi fait ressortir les mêmes tendances que celle des mobiles-département. On note cependant que les professions intermédiaires restent sur-représentées, certes moins que les cadres, mais de manière significative et relativement stable dans le temps.

La part de chômeurs et d’étudiants trouvant un emploi est donc nettement plus élevée parmi les mobiles. Les mobilités longues jouent un rôle discriminant fort, les individus trouvant des emplois stables et des emplois de cadres y étant sur-représentés. Être mobile coïncide bien avec de meilleures trajectoires d’entrée dans l’emploi. Mais qu’en est-il des trajectoires des actifs occupés ?

b. … et le risque d’en perdre un

Si les chômeurs et inactifs semblent profiter de la mobilité résidentielle pour mieux s’insérer dans l’emploi, les actifs occupés donnent à voir une autre réalité : la mobilité résidentielle coïncide aussi avec des formes de fragilisation socio-professionnelle. C’est ce que montre la probabilité pour un actif occupé de perdre son emploi selon sa mobilité résidentielle :

Graphique 40. Sur- et sous-probabilité pour les actifs occupés de perdre leur emploi selon leur mobilité résidentielle

Champ : salariés du privé en (n-1).

Lecture : en 1977, la part de salariés du privé ayant changé de région à avoir perdu leur emploi au cours de l’année écoulée était supérieure de 360% à la moyenne.

-100% 0% 100% 200% 300% 400% 500%

La probabilité de perdre son emploi est particulièrement élevée pour les salariés ayant connu une mobilité résidentielle très longue (mobilité-région). Cela veut d’abord dire que, mis à part quelques cas dans lesquels l’effet de frontière joue et des individus changent de région sur des distances très courtes, il est très difficile de préserver son emploi en changeant de région. Ici, le seuil pertinent est celui de la mobilité-région. Les mobiles- commune et les mobiles-département ont eux aussi plus de chances de perdre leur emploi, mais dans des proportions largement inférieures à celle des mobiles-régions, et on constate que leur profil est assez proche.

La deuxième interprétation qu’on peut faire de ce graphique, c’est que ceux qui changent de commune ou de département semblent pouvoir adopter des arrangements qui leur permettent de garder leur emploi, par exemple en jouant sur les mobilités quotidiennes. On note d’ailleurs que la sur-probabilité de perdre son emploi à l’occasion d’une mobilité diminue en quarante ans. On peut y voir un signe de la diffusion de ces arrangements, en lien par exemple avec le développement des infrastructures de transport rapide sur le territoire national. Mais le changement de région semble être une mobilité trop longue pour la concilier avec le maintien dans l’emploi occupé.

Enfin, la forte probabilité de perdre son emploi à l’occasion d’une mobilité résidentielle est signe d’une nette dissociation de la trajectoire professionnelle et de la trajectoire résidentielle. Les mobilités longues avec maintien dans l’emploi sont relativement rares. On peut y voir le signe que les employeurs proposent finalement peu de « mutations », qui se traduisent par une mobilité géographique sans perte d’emploi. Le fonctionnement du marché du travail, globalement atone depuis une quarantaine d’années, contribue aussi à cette dissociation : les individus mobiles qui ne gardent pas leur emploi ont peu de chances d’en trouver au cours de la période d’observation des mobilités, à savoir un an. Chercher et trouver un emploi est un processus long, dont la temporalité n’est pas synchronisée à celle des mobilités résidentielles. Mis à part les cas dans lesquels la mobilité résidentielle peut être déclenchée par la perte d’emploi elle-même, les individus déménagent malgré la rupture professionnelle que ce déménagement peut occasionner. Il s’agit là d’un arbitrage de fait qui donne à voir une certaine autonomie des choix résidentiels au regard des trajectoires professionnelles.

On constate donc que la mobilité résidentielle coïncide avec des mouvements opposés dans l’emploi. La probabilité de trouver un emploi stable et un emploi de cadre est nettement

166

plus élevée chez les individus qui connaissent une mobilité longue, mais dans le même temps la probabilité de perdre un emploi est nettement plus élevée chez les mobiles dans leur ensemble… Il n’y a pas d’articulation univoque entre les deux ordres de mobilité, et on retrouve ce résultat dans la mesure des mobilités sociales.

2.2. Mobilité résidentielle et mobilités sociales

La question des rapports qu’entretiennent la mobilité géographique et la mobilité sociale relève d’une tradition de recherche qui remonte aux années 1960, notamment dans la lignée des travaux de Bell (1998 [1968]). Les injonctions à la mobilité sous-entendent ou affirment que la mobilité résidentielle permet la mobilité sociale, ou à tout le moins qu’elle lui est nécessaire. Une telle conception de la mobilité semble bien trop univoque pour être convaincante. On la discutera en mesurant les mobilités socio-professionnelles de la mobilité résidentielle et en posant la question du déclassement.

a. Des mobilités ascendantes et descendantes dans la hiérarchie socio- professionnelle

Les mobiles ont plus de chances que les immobiles de connaître une mobilité occupationnelle ascendante :

Graphique 41. Sur- et sous-mobilité occupationnelle ascendante selon leur mobilité résidentielle

Champ : actifs occupés salariés du privé en (n) et en (n-1).

Lecture : en 1991, les salariés du privé ayant changé de région avaient 180% de chances de plus que les autres de connaître une mobilité occupationnelle ascendante.

-100% 0% 100% 200% 300% 400% 500% 600%

La probabilité pour les mobiles de connaître une mobilité occupationnelle ascendante est bien plus élevée que celle de l’ensemble de la population. Si la mobilité-région a un effet particulièrement fort, on note que la mobilité-commune et la mobilité-département ont elles aussi un effet positif. Cependant, la sur-ascension occupationnelle des mobiles s’est progressivement réduite au fil des années 1990 et 2000 et n’a remonté que vers 2009-2010. On peut penser qu’en période de crise, les employeurs préfèrent promouvoir des salariés déjà intégrés dans l’entreprise en ayant recours à des mutations plutôt qu’aux marchés de l’emploi locaux. Il est aussi possible que les réorganisations de l’appareil productif puissent se faire en faveur des salariés qui n’ont pas perdu leur emploi.

La mobilité résidentielle est particulièrement liée à ce qu’on peut appeler la « cadration », à savoir le fait d’atteindre la position de cadre supérieur :

Graphique 42. Taux de « cadration » selon la mobilité résidentielle

Champ : ensemble des salariés du privé non cadres en (n-1).

Lecture : entre 2002 et 2006, 6,8% des salariés du privé non cadres ayant changé de région devenaient cadres en moyenne chaque année, contre 2,1% de ceux ayant changé de commune sans changer de département.

La probabilité de devenir cadre est nettement plus élevée pour les individus mobiles168. Plusieurs arguments peuvent rendre compte de ce résultat. Être mobile est une ressource pour passer cadre. C’est un moyen d’élargir le périmètre de recherche d’emploi, tant sur le marché externe du travail que sur les marchés internes, la mobilité géographique permettant

168 Sachant que la population est ici restreinte aux salariés du privé à l’enquête et un an avant l’enquête, ce qui

exclut donc en particulier les mobilités des étudiants entrant dans l’emploi. 0% 2% 4% 6% 8% Ensemble Commune Département Région

168

d’avoir accès à toutes les offres d’emploi au sein d’une entreprise. On peut aussi prendre en compte le fait que les emplois d’exécution et de petite maîtrise, d’une part, et les emplois de cadres d’autre part ne sont pas tous localisés aux mêmes endroits, rendant la mobilité géographique nécessaire pour changer de statut. Enfin, on peut penser que les individus sont plus susceptibles d’accepter de vivre une mobilité résidentielle, et a fortiori une mobilité longue, si la contrepartie professionnelle de cette mobilité est de devenir cadre.

Comme on a pu le dire dans le chapitre 1, la mesure de la mobilité socio-professionnelle par le changement de catégorie socio-professionnelle prive les cadres de toute mobilité ascendante. Il est possible d’aller plus loin à partir de 1990 en identifiant les individus connaissant la forme la plus élevée de promotion professionnelle : l’accès au statut de cadre dirigeant169. Les individus dans cette situation sont très peu nombreux : hors pondération, on dénombre 145 individus dans cette situation entre 1990 et 2002, et 123 autres entre 2003 et 2011 (soit des estimations de respectivement 49 500 et 32 000 individus après pondération), mais on peut calculer la part d’entre eux ayant connu une mobilité résidentielle :

Tableau 17. Accès au statut de cadre dirigeant et mobilité résidentielle

1990-2002 2003-2011 Sont devenus cadre dirigeant 145 121

Dont :

Ont connu une mobilité

résidentielle 39 (27%) 11 (9%)

Ont connu une mobilité résidentielle longue

(département et plus) 27 (19%) 8 (7%)

On constate que les années 2003-2011 ont vu chuter la part de salariés ayant accédé au statut de cadre dirigeant en ayant été mobiles. Les deux crises économiques de 2004 et 2009 ont probablement mené les employeurs à privilégier des promotions sans mobilité géographique, l’accompagnement d’une mobilité géographique pouvant être très coûteux quand il s’adresse à des cadres dirigeants.

On voit donc que si la mobilité résidentielle est liée à des trajectoires sociales ascendantes, cela n’est pas toujours le cas. Plus encore, on retrouve le lien paradoxal qu’on avait

169 Les cadres dirigeants sont ceux qui occupent des classés comme « directeur général » ou un de ses

identifié entre mobilité résidentielle et mouvements dans l’emploi. Car la mobilité résidentielle est aussi associée à des trajectoires sociales descendantes :

Graphique 43. Sur- et sous-mobilité occupationnelle descendante selon la mobilité résidentielle

Champ : actifs occupés salariés en privé en (n) et en (n-1).

Lecture : en 1997, les salariés du privé ayant changé de région avaient 385% de chances de plus que les autres de connaître une mobilité occupationnelle descendante.

Depuis 1982, la probabilité de connaître une mobilité occupationnelle descendante est nettement supérieure pour tous les salariés du privé ayant connu une mobilité résidentielle. Cet effet s’est réduit au fil des années 1990, mais les crises économiques de 2004 et de 2009 l’ont à nouveau renforcé.

Le lien entre mobilité résidentielle et mobilité occupationnelle paraît bien paradoxal, ou tout du moins équivoque. La mobilité peut être liée à des trajectoires de promotion autant que de démotion, comme le confirme l’étude de l’articulation entre mobilité résidentielle et classement social des individus.

b. Des mobiles sujets au déclassement comme au surclassement social

En effet, la position sociale des individus n’est qu’un indicateur très imparfait de leur classement social. Les positions sociales ont une valeur en elles-mêmes, puisqu’elles révèlent l’existence d’une hiérarchie sociale au fond assez univoque. Mais les individus se classent et sont classés en appréciant leur situation socioprofessionnelle au regard d’autres éléments, comme leur capital scolaire, leurs perspectives de promotion, ou encore leur origine sociale. Car être profession intermédiaire peut être synonyme d’ascension sociale

-100% 0% 100% 200% 300% 400% 500% 600% 700%

170

pour un enfant d’ouvrier aussi bien que de démotion sociale pour un enfant de cadres supérieurs.

La question du classement social des individus est une question sociologique de premier plan, qui a été particulièrement investie ces dernières années par des travaux portant sur le déclassement social. Le déclassement est au cœur d’un profond malaise social (Chauvel 2006 ; Peugny 2006 ; Lambert 2012), une véritable « épreuve de la frustration » (Peugny 2009) pour ceux qui se sentent déclassés170. Alors que l’ « insécurité sociale » (Paugam 2003) fait désormais partie des questions fondamentales de la société française contemporaine, l’enjeu pour les individus menacés par le déclassement est de s’en protéger171. Quant à ceux qui sont touchés par le déclassement, l’enjeu est d’en sortir. La mobilité résidentielle le permet-elle ?

Pour répondre à cette question, on propose de retravailler l’identification des trajectoires individuelles que propose Peugny (2009, p. 172-174) dans une perspective dynamique. Au regard de la catégorie socio-professionnelle de leur père, les individus sont classés comme « immobiles », « ascendants » ou « descendants ». On a ensuite comparé leur situation en (n-1) et en (n) pour identifier quatre situations présentées dans le tableau suivant :

Tableau 18. Définition de cinq formes de mobilité sociale

Situation en (n)

Ascendant Immobile Descendant

Situation en (n-1) Ascendant Pas de changement Reclassement descendant Déclassement Immobile Surclassement Pas de

changement Déclassement

Descendant Surclassement Reclassement ascendant

Pas de changement

Le classement des individus en « ascendant », « immobile » ou « descendant » reproduit la méthode employée par Peugny (2009).

On a ensuite choisi de regrouper les individus en trois catégories :

1. Connaissent un surclassement social ou un reclassement ascendant entre (n-1) et (n)

170 On ne rentrera pas ici dans le riche débat autour du déclassement, et notamment des notions de

déclassement subjectif et de déclassement objectif. Des individus objectivement déclassés peuvent ne pas avoir le sentiment subjectif de l’être (Di Paola et Moullet 2012), et une mesure objectivante du déclassement est peut-être limitée. De même, identifier l’origine sociale des individus par la PCS du père n’est pas toujours satisfaisant (Merllié et Prévot 1997)

2. Connaissent un déclassement social ou un reclassement descendant entre (n-1) et (n) 3. Ne voient pas leur classement social changer

Cette mesure de la dynamique du classement social est impactée par le même bruit de mesure que celui qu’on a identifié concernant la mobilité socioprofessionnelle. Le surclassement semble sous-évalué entre 1993 et 2002 et nécessiter une correction172 :

Graphique 44. Mobilité sociale des salariés du privé depuis 1982

Champ : salariés du privé en n et n-1.

Au-delà du doute à avoir sur la mesure du surclassement entre 1993 et 2002, on observe