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Mobiliser tous les leviers de la politique industrielle

Dans le document LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES (Page 151-155)

D. SE DONNER LES MOYENS DE LA SOUVERAINETÉ NUMÉRIQUE À TRAVERS

3. Mobiliser tous les leviers de la politique industrielle

Tous les outils de la politique industrielle doivent être mobilisés tant pour soutenir ces secteurs (politique industrielle dite « verticale ») que pour créer des écosystèmes favorables pour les acteurs privés (politique industrielle dite « horizontale » qui sera traitée au E de la présente partie). Le soutien public de la France et de l’Europe aux entreprises est essentiel dans un contexte où nos partenaires commerciaux, au premier rang desquels les États-Unis et la Chine, ne jouent pas ou plus le jeu de la concurrence libre et non faussée.

Les outils d’une politique industrielle verticale sont nombreux, des subventions (en particulier en amont du développement d’un produit) aux marchés publics en passant par les prises de participation au capital… Votre rapporteur souhaite insister sur trois points en particulier, qui avaient déjà été mis en exergue par notre collègue Catherine Morin-Desailly dans ses rapports sur l’Europe au secours de l’Internet et sur l’Europe, colonie du monde numérique.

1° Il convient de modifier la philosophie de la politique de concurrence européenne, afin d’éviter qu’elle ne porte préjudice à des initiatives industrielles françaises ou européennes de niveau mondial1. Plusieurs personnes auditionnées ont en effet souligné l’attention disproportionnée apportée, par les autorités européennes, à la concurrence et au bénéfice à court terme du consommateur, au détriment de la constitution

1 Devant votre commission d’enquête, le ministre de l’économie et des finances a ainsi regretté la décision par laquelle la Commission européenne s’est opposée à la fusion d’Alstom et de Siemens, privant l’Europe de la possibilité de se doter du leader mondial de la signalisation ferroviaire.

de champions européens du numérique. Ainsi notamment de Thierry Breton : « au nom de principes concurrentiels qui n'ont plus de sens aujourd'hui et qui relèvent d'une politique de marché tournée vers le consommateur, on a interdit la création de champions industriels européens ! L'Europe doit, à l'inverse, favoriser les rapprochements des grands groupes européens afin de mobiliser des investissements dans des secteurs particulièrement voraces en capitaux et garantir l'émergence d'une politique industrielle sur laquelle doit désormais s'aligner la politique de la concurrence ».

Devant votre commission, le ministre de l’Economie et des Finances a notamment plaidé pour que le Conseil européen ou le Conseil de l’Union européenne puisse s’opposer à une décision de la Commission européenne dans ses fonctions d’autorité européenne de la concurrence, comme le Gouvernement peut le faire au niveau national en France et en Allemagne.

Votre rapporteur rejoint cette préconisation. C’est dans cette même logique que le ministre estime qu’il convient de permettre un contrôle ex post des concentrations plutôt qu’un contrôle ex ante, afin de n’empêcher une concentration que si les effets anti-concurrentiels sont avérés.

En somme, tout en étant plus strict d’un côté pour prendre en compte les acquisitions « prédatrices », il convient d’amender la politique des concentrations pour permettre la constitution de champions nationaux et européens, à l’heure où les marchés sont mondiaux.

2° Selon un récent rapport d’inspection précité1, il convient d’améliorer le régime des aides d’État, singularité européenne qui, en l’état actuel, complique et rallonge la procédure d’octroi des soutiens publics par rapport aux pratiques constatées dans les pays tiers. Il convient donc, comme le propose le rapport, de raccourcir les délais d’examen de ces aides, de mieux prendre en compte les aides d’État versées par des pays tiers et de développer les projets importants d’intérêt européen commun (Piiec).

Améliorer le régime des aides d’État afin de rapprocher l’Europe des standards internationaux en matière de soutien public à la recherche et à l’activité économique.

3° Le levier de l’achat public est essentiel pour promouvoir les entreprises françaises et européennes. Comme l’ont souligné devant votre commission les représentants de la licorne française du cloud OVH, « choisir un acteur américain ou chinois est lourd de conséquences tant au niveau de la protection des données que pour l’ensemble de l’écosystème de la filière numérique », rappelant que, « si la préférence nationale est une notion absente de notre droit, c'est une réalité concrète dans les autres États ».

1 Rapport d’inspection précité, intitulé « La politique de la concurrence et les intérêts stratégiques de l’UE ».

Le levier de l’achat public devrait être systématiquement utilisé pour encourager les entreprises françaises et européennes, comme cela se fait partout dans le monde.

Les administrations publiques pourraient également engager une réflexion sur le recours au logiciel libre1 en vue de s’assurer de maîtriser leurs données et de mieux conduire, potentiellement à moindre coût, les politiques publiques dont elles ont la charge.

En effet, l’État, ses administrations et ses services publics, produisent, recueillent, gèrent et diffusent des données numériques en quantité toujours croissante. Elles concernent les individus, les équipements, les territoires, les résultats des recherches, les décisions administratives ou judiciaires, les éléments de procédure, etc. Dans sa gestion courante de ces informations, s’agissant des données personnelles, il a l’obligation d’en garantir la confidentialité. Ainsi, quand les administrations utilisent des logiciels achetés à des entreprises privées, elles doivent s’assurer de la sécurité de l’accès à ces informations et de l’impossibilité pour le fournisseur de les recueillir et de les exploiter.

Lors des auditions menées par notre commission d’enquête, il ne nous est pas apparu formellement que l’État, dans ses politiques d’achats de matériels et de logiciels informatiques, avait une doctrine générale pour intégrer dans ses appels d’offre cette dimension essentielle de la sécurité des données. Pour s’assurer du respect d’un cahier des charges qui intégrerait cette exigence, il lui faudrait se doter de moyens d’analyse des solutions proposées dont la plupart des ministères semblent dépourvus. Plusieurs de nos interlocuteurs ont souligné que la lisibilité totale des codes sources des programmes informatiques pouvait être une des conditions essentielles de la souveraineté de l’État sur ses moyens numériques.

Deux conceptions opposées du recours au logiciel libre par les administrations Les auditions de votre commission ont permis de souligner les conceptions divergentes quant à la question de savoir si les administrations devraient recourir de préférence au logiciel libre, qui permettent la lisibilité des codes sources.

Le Dinsic de l'État a ainsi fait part de sa vision particulièrement nuancée, résumée par la phrase suivante : « Chaque fois que l'usage est bon, le logiciel libre a sa place. » Cette conception repose sur le constat de l’inadaptation aux besoins de certaines solutions

1 Selon les propos tenus par le représentant de l’association April lors de son audition par votre commission le 8 juillet dernier, « Est qualifié de « logiciel libre » le logiciel qui permet d'assurer quatre libertés fondamentales : la liberté d'utilisation sans restriction d'usage, le droit d'étudier ce logiciel et de le modifier pour qu'il réponde à nos besoins - y compris en en corrigeant les erreurs -, le droit de redistribuer le logiciel et le droit d'en partager les versions modifiées. (…) L'oeuvre fondatrice du logiciel libre, Code is Law, a été écrite par le professeur Lawrence Lessig en 1999 ».

libres déjà utilisées par l’État, qui a pu conduire les agents à recourir à des solutions propriétaires en ligne, et donc peu sécurisées. Par ailleurs, il a considéré que le coût complet (en prenant en compte les coûts de maintenance) des logiciels libres « n'est pas si éloigné de celui des logiciels propriétaires ». De même, M. Bruno Sportisse, président-directeur général de l’Inria considère-t-il que « sur ce sujet, il ne faut pas avoir de dogme dans un sens comme dans l'autre. » Enfin, la ministre des Armées a également souligné les enjeux du recours au logiciel libre pour son ministère : « nous devons sans cesse ménager l'interopérabilité de nos forces. Nos alliés fonctionnent à partir de codes sources qui proviennent de la même entreprise, ce qui constitue une difficulté et ralentit le développement du recours aux logiciels libres. »

A l’inverse, les associations La Quadrature du Net et April1 ont plaidé vigoureusement en faveur du logiciel libre, tant pour les administrations que pour les individus, notamment parce que l’utilisateur, qui a accès au code source, peut en comprendre le fonctionnement et le modifier, ce qui est de nature à préserver sa liberté et à nourrir sa confiance dans la solution numérique. L’association April lutte ainsi pour éviter ou mettre fin aux partenariats conclus par les administrations de l’État avec les géants américains du numérique, comme le ministère de l’Éducation nationale, le ministère de la Justice ou celui de la Défense. Elle plaide également pour que l’État encourage le logiciel libre, par exemple au moyen d'appels d'offres, ou en soutenant les contributions des agents publics.

Le Conseil national du numérique avait également pris position en faveur du logiciel libre2 en recommandant de leur donner la priorité dans la commande publique, pour trois raisons : le logiciel libre permet aux administrations de mieux adapter leurs services publics en développant des solutions qui leurs sont propres tout en étant interopérables, et de mieux les maîtriser, en permettant un audit et la correction en continu des failles de sécurité ; enfin, le logiciel libre serait globalement moins cher.

Pour répondre à cette exigence, mais aussi afin de réaliser, autant que possible, des économies d’acquisition, de gestion, de maintenance et de formation, plusieurs administrations ont fait le choix de développer leurs propres solutions informatiques, à partir de logiciels dont les codes sources sont publics. C’est, par exemple, le cas de la Gendarmerie qui, depuis 2009, a équipé les 80 000 postes informatiques de ses services de solutions informatiques libres qui lui ont permis de regagner son indépendance et sa souveraineté vis-à-vis des éditeurs privés. Il serait très utile de réaliser rapidement le bilan de cette expérience unique et d’évaluer les possibilités de son extension à d’autres ministères.

À tout le moins, il est urgent d’engager rapidement une réflexion au niveau interministériel sur ce sujet. L’idée, présentée devant notre commission, selon laquelle le choix d’acquisition de logiciels par les ministères serait, in fine, dicté par le confort d’utilisation des agents n’est pas recevable.

1 Association pour la promotion et la recherche en informatique libre.

2 Conseil national du numérique, Donner priorité aux logiciels libres dans la commande publique, 2016

4. Renforcer la place des acteurs français et européens dans les

Dans le document LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES (Page 151-155)

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