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Section 2 – Les principaux modèles de persuasion en communication marketing

2. La mise en avant de routes de persuasion alternatives

La remise en cause du paradigme cognitif repose sur la reconnaissance de l’existence d’une persuasion qui ne passe pas par une phase médiatrice de nature cognitive. Plus précisément, les travaux conduits sur l’effet d’exposition (A) et sur le transfert affectif (B) considèrent des modalités de persuasion de nature plus automatique et affective que cognitive14.

A. L’effet d’exposition

En 1968, Zajonc relate différentes expériences qui semblent indiquer la formation d’une préférence globale pour un objet – en l’occurrence des mots, des morceaux de musique, des prénoms ou des visages – du seul fait de la répétition de l’exposition à l’objet. Prolongeant l’étude de cet « effet de simple exposition répétée », il suggère plus tard que cette forme de persuasion est indépendante de toute élaboration cognitive (« preferences need no inferences »), dans la mesure où elle résiste à la non-reconnaissance par les sujets de la réalité de l’exposition (Zajonc, 1980 ; Zajonc et Markus, 1982). L’approche « post-cognitive » de l’affectif est donc rejetée et la réponse affective présentée comme la première, voire la principale réponse à un stimulus (Zajonc, 1980 ; Zajonc et Markus, 1982).

Dans le champ de la communication marketing, la publicité subliminale et la publicité d’ambiance, qui fonctionnent théoriquement indépendamment de la conscience de

14 Un autre modèle, le modèle de dissonance, est également présenté comme une critique des modèles classiques. Dans ce modèle, le comportement apparaît en premier et nourrit l’attitude, qui oriente les croyances générées par la communication ultérieure afin de réduire toute dissonance cognitive. Ce modèle ne contredit pas les modèles classiques puisqu’il reconnaît l’importance du cognitif à partir de l’exposition, peu importe que le consommateur soit ou non passé par d’autres phases avant l’exposition. Au-delà du fait que ce modèle ne relègue pas véritablement le cognitif au second plan, son appellation semble malheureuse dans la mesure où la théorie de la dissonance constitue justement l’un des piliers de la psychologie cognitive.

l’exposition au message (Grégory, 1993 ; Pham et Vanhuele, 1997 ; Holden et Vanhuele, 1999), constituent deux applications concrètes de l’effet de simple exposition15.

Le fonctionnement bipolaire des deux hémisphères du cerveau est parfois mobilisé pour expliquer l’effet de simple exposition (Krugman, 1977, 2000). En effet, en cas de faible implication, le stimulus est essentiellement traité par l’hémisphère droit, qui est généralement dédié au traitement de l’information imagée et non verbale. Ce traitement donne lieu à la mémorisation d’une image sans mots, sans réponse cognitive, connexion ou association, et consiste seulement en une plus grande capacité à reconnaître le stimulus (« memory without recall »). Etant attribuée aux qualités de la marque et non à sa familiarité, puisque l’individu n’a pas conscience de la première exposition, cette aisance perçue engendre un jugement affectif envers la marque par mésattribution (Derbaix et Grégory, 2004, p. 119).

Pham et Vanhuele (1997) proposent toutefois une explication alternative à cette aisance perçue : pour eux, l’aisance perçue n’est pas liée à une forme de familiarité inconsciente avec la marque (Jacoby et alii, 1989), mais à l’accélération de la réactivation du réseau mémoriel de la marque, qui facilite le traitement ultérieur de toute information nouvelle à son sujet. Quelle que soit l’explication à cette aisance perçue, elle relèverait pour Lazarus (1984) d’un processus cognitif inconscient. Si la persuasion peut donc se passer d’un traitement conscient, elle se nourrirait a minima d’un processus cognitif inconscient comme préalable à toute réponse émotionnelle (Grunert, 1996). Pour répondre à la controverse16, Zajonc et Markus (1982) rappellent qu’il leur suffit d’avancer un unique contre-exemple pour démontrer que la persuasion ne passe pas de manière systématique par un processus cognitif. Ils le trouvent en l’occurrence dans l’existence de préférences culinaires acquises pendant l’enfance au travers d’un processus d’habituation et de renforcement positif, et non par le biais d’une information de type persuasif.

Finalement, si le modèle de simple exposition ne remet pas fondamentalement en cause les modèles de hiérarchie des effets publicitaires classiques, il suggère toutefois de considérer l’existence d’un processus de persuasion alternatif de nature plus affective et automatique.

15 Publicités subliminale et d’ambiance se distinguent néanmoins par la possibilité d’une telle conscience : il y a normalement conscience de l’exposition dans le cas de la publicité ambiante, alors que par définition, la conscience de l’exposition à la publicité subliminale concerne moins de la moitié des individus exposés du fait de la très faible durée d’exposition au stimulus ou de sa faible intensité (Grégory, 1993 ; Vanhuele, 1999). A l’encontre de l’effet de simple exposition, Mitchell et Olson (1977, 1981) n’observent toutefois aucun effet significatif de la répétition de l’annonce publicitaire sur la formation de l’attitude.

16 Voir le numéro d’American Psychologist (1984, 39, 2) où Zajonc (« On the primacy of affect ») et Lazarus (« On the primacy of cognition ») opposent ouvertement leurs points de vue respectifs.

Chapitre 1 – Communication marketing et modèles de persuasion

D’autres travaux poursuivent cette même question au début des années 80 en proposant de considérer une seconde voie de médiation de la persuasion par l’intermédiaire de l’attitude envers l’annonce (Mitchell et Olson, 1981 ; Miniard et alii, 1990).

B. Le transfert affectif

En 1981, Mitchell et Olson montrent que les croyances portant sur le produit ne peuvent seules rendre compte de la persuasion. L’attitude envers l’annonce, un construit affectif représentant la prédisposition favorable du consommateur à l’égard de l’annonce, explique également la persuasion en contrôlant par les croyances générées.

Pour justifier l’action médiatrice de l’attitude envers l’annonce, l’hypothèse de transfert affectif est formulée (Mitchell, 1980 ; Moore et Hutchinson, 1983 ; MacKenzie et alii, 1986). Si l’hypothèse de transfert affectif semble avoir réuni un large consensus, le rôle médiateur de l’attitude envers l’annonce dans la persuasion est à l’origine de nombreuses incompréhensions qui ne seront pas développées ici17.

L’hypothèse de transfert affectif correspond sensiblement aux deux premiers niveaux du modèle intégrateur proposé par MacInnis et Jaworski (1989). A ces niveaux, le consommateur manque de motivation à traiter l’information. Il ne considère ainsi que les caractéristiques saillantes relatives à l’exécution du message (e.g., couleurs, personnage, musique). Il est fortement influencé par le contexte d’exposition et notamment par son humeur lors de l’exposition (Batra et Stayman, 1990). Les éléments d’exécution ou l’humeur, qui exercent une forte influence sur l’attention au message (Han, 1992 ; Grunert, 1996) et suscitent des réactions affectives automatiques, alimentent ainsi la formation des attitudes (Batra et Stayman, 1990).

Dans ce cadre, la répétition de l’association de la marque à des réactions affectives vécues positivement (« stimulus conditionné ») est susceptible, par conditionnement classique, de générer à terme une disposition favorable à l’égard de la marque (Mitchell et Olson, 1981 ;

17 La première source d’incompréhension réside dans l’idée que la relation liant Aad (attitude envers l’annonce) à Ab (attitude envers la marque) représenterait la route périphérique des cas de faible implication dans le modèle ELM. Postulée par MacKenzie et ses collègues (1986), cette idée est rejetée par d’autres. Pour MacInnis et Jaworski (1989), si cette relation existe, elle n’apparaît qu’à des niveaux intermédiaires de motivation, et donc pas dans l’hypothèse du transfert affectif caractérisée par un niveau de motivation faible. Pour Miniard et ses collègues (1990), cette relation existe, que la route empruntée soit centrale ou périphérique, car Aad s’explique par des croyances liées à des éléments d’exécution, mais également par des croyances liées à des éléments concernant l’argumentation du message et sa crédibilité.

Petty et Cacioppo, 1981b, p. 40). Après extinction du stimulus conditionné, la seule évocation de la marque provoque automatiquement la réaction affective et la disposition favorable initialement due à l’attractivité du stimulus. La persuasion ne s’explique que par l’humeur de l’individu exposé à l’annonce et l’attractivité de ses éléments d’exécution, sa source notamment, et non par le traitement des arguments du message (Batra et Stayman, 1990 ; Grunert, 1996 ; Goldsmith et alii, 2000). Elle repose sur un simple transfert des émotions ressenties à l’occasion de l’exposition. C’est sans doute en partie pour ces raisons que certaines agences de publicité privilégient des pistes créatives jouant sur l’émotion (e.g., la joie, la surprise), au risque d’ailleurs de détourner l’attention de la marque (Chattopadhyay et Nedungadi, 1992) ou de générer chez le consommateur la perception d’une intention de manipulation (Campbell, 1995).

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Dans les travaux sur l’effet d’exposition et sur le transfert affectif, le rôle de l’affectif est envisagé indépendamment de toute variable cognitive (MacInnis et Jaworski, 1989) ou, au contraire, conditionné à la formation préalable de croyances en accord avec les modèles de hiérarchie des effets classiques (MacKenzie et alii, 1986 ; Miniard et alii, 1990). Au-delà de cette indécision, ces travaux s’accordent à reconnaître l’importance d’une voie de persuasion de nature affective.