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Section 2 – Les principaux modèles de persuasion en communication marketing

1. Les modèles de persuasion d’inspiration cognitive

Dans les modèles d’inspiration cognitive, la persuasion est reliée au degré d’élaboration du message par l’individu, c’est-à-dire à l’intensité du traitement des arguments du message ou de la marque. Plus spécifiquement, pour Scholten (1996, p. 98), « l’élaboration du message renvoie à l’apprentissage des arguments, à la génération de pensées sur ces arguments et à leur intégration dans une structure d’attitude globale ». Clairement, et dans une perspective proche de la théorie économique, les modèles d’inspiration cognitive se représentent les consommateurs comme rationnels dans leurs préférences et dans leurs comportements. Leur idée forte « réside dans la conviction que les messages de publicité transmettent des croyances qui modifient ou confortent celles que les prospects possèdent. Ces croyances façonnent des attitudes à l’égard de la marque promue et c’est l’attitude – variable de nature affective – qui va provoquer le comportement d’achat désiré » (Derbaix et Grégory, 2004, p. 10). Parmi ces modèles, les modèles de hiérarchie des effets (A), le modèle de structure

Chapitre 1 – Communication marketing et modèles de persuasion

cognitive et le modèle de réponses cognitives (B) font l’objet d’une présentation dans les prochaines pages.

A. Les modèles de hiérarchie des effets

Les modèles de hiérarchie des effets sont historiquement les premiers modèles de la communication persuasive. Le modèle AIDA (Attention Intérêt Désir Action), premier modèle de hiérarchie des effets, date ainsi de 1898 (Malaval et Décaudin, 2005, p. 26) et figure encore aujourd’hui parmi les modèles de communication les plus enseignés (Derbaix et Grégory, 2004, p. 10).

Les modèles de hiérarchie des effets se représentent la persuasion comme une succession d’étapes :

1. étape cognitive (learn) : prise de conscience du produit, information sur ses attributs et formation de croyances à son égard ;

2. étape affective (feel) : expérience d’un intérêt, d’une préférence ou d’une attitude à l’égard du produit ;

3. étape conative (do) : réponses comportementales à l’égard du produit. Le Tableau 1 rappelle les principaux modèles de hiérarchie des effets publicitaires.

Tableau 1 −−−− Les modèles de hiérarchie des effets publicitaires (Derbaix et Grégory, 2004, p. 61) Hovland et alii (1953) Lavidge et Steiner (1961) McGuire (1976)

Niveau cognitif 1. Attention 2. Compréhension 3. Acceptation / croyances 1. Conscience 2. Connaissance 1. Exposition 2. Attention 3. Compréhension Niveau affectif 3. Attrait 4. Préférence 4. Acceptation / attitude 5. Rétention Niveau conatif 4. Action 5. Conviction 6. Achat 6. Comportement

Le respect strict de la séquence « learn feel do » reflète la domination du cognitif dans

la hiérarchie des effets publicitaires. Il correspond à un achat raisonné : la communication apporte des connaissances sur le produit ou sur la marque, celles-ci permettent la formation d’une évaluation sur la base de laquelle un comportement sera décidé.

B. Les modèles strictement cognitifs

Deux types de modèle strictement cognitif sont à distinguer : le modèle de structure cognitive et le modèle de réponses cognitives (Lutz et Swasy, 1977 ; Olson et alii, 1982).

Le modèle de structure cognitive

Le modèle de structure cognitive, formulé par Cartwright dès 1949 (Lutz et Swasy, 1977), propose d’appréhender la persuasion publicitaire comme la modification de la structure cognitive, c’est-à-dire comme la modification du « réseau composé de concepts au sujet d’une marque ou d’un produit et de relations entre eux » (Olson et alii, 1982, p. 246). Il est ici noté que cette représentation de la structure cognitive est très proche de la manière dont Keller (1993) définit l’image de la marque. En 1996, Grunert les assimile d’ailleurs explicitement.

Pour comprendre en quoi consiste la modification de la structure cognitive, il faut retourner au modèle attente-valeur d’Ajzen et Fishbein (1980, p. 67)11. Dans ce modèle, l’attitude d’un individu envers un comportement est fonction des croyances que l’individu nourrit à l’égard de ce comportement, et plus spécifiquement du caractère plus ou moins favorable de l’ensemble des conséquences pertinentes associées à ce comportement, les valeurs étant pondérées par leur probabilité d’occurrence (les attentes). Adapté plus qu’appliqué à l’explication du comportement du consommateur, le modèle attente-valeur propose d’estimer l’attitude à l’égard d’un produit ou d’une marque comme la somme des évaluations de chaque attribut déterminant pondérées par l’importance de cet attribut aux yeux du consommateur (Ajzen et Fishbein, 1980, p. 153).

Si l’on revient à la communication publicitaire, le modèle de structure cognitive suggère que l’information contenue dans le message est traitée et traduite sous la forme d’un certain nombre de croyances portant sur le produit et sur la marque. Ces croyances peuvent être consistantes avec la structure cognitive existante du consommateur. Dans le cas contraire,

11 Le modèle attente-valeur d’Ajzen et Fishbein (1980, p. 67 et 153) s’applique à la formation ou au changement d’attitude de l’individu. Il doit clairement être distingué du modèle de l’action raisonnée, proposé par les mêmes auteurs, pour expliquer le comportement de l’individu. Pour Ajzen et Fishbein (1980, p. 54), le comportement d’un individu vis-à-vis d’un objet découle conjointement de l’attitude de l’individu envers ce comportement – et non de son attitude envers l’objet lui-même (Ajzen et Fishbein, 1980, p. 27 et 159) – et de la pression sociale exercée sur l’individu en faveur dudit comportement. Les deux perspectives peuvent éventuellement être intégrées lorsque les principes du modèle attente-valeur sont mobilisés pour rendre compte de la formation ou du changement d’attitude de l’individu envers le comportement considéré.

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elles génèrent une dissonance cognitive12 qui incite le consommateur à modifier son évaluation des attributs déterminants du produit et/ou l’importance relative de ces attributs, donc sa structure cognitive (Grunert, 1996) et par conséquent son attitude (Lutz et Swasy, 1977 ; Mitchell et Olson, 1981 ; Olson et alii, 1982 ; Ajzen, 1991). En effet, l’expérience d’une dissonance entre deux cognitions constitue pour l’individu une source d’inconfort psychologique (Festinger, 1957, p. 2) et par conséquent une puissante motivation en faveur d’une réduction de cette dissonance (p. 18). Pour ce faire, l’individu peut changer un ou plusieurs éléments de ses cognitions dissonantes, ajouter de nouveaux éléments consonants ou réduire l’importance des éléments impliqués dans la dissonance (Festinger, 1957, p. 19 ; Petty et Cacioppo, 1981b, p. 137). Finalement, la persuasion passe donc toujours par la capacité de la communication à modifier les croyances, soit des variables de nature purement cognitive. Parce qu’il repose sur une conceptualisation du type avant / après exposition, le modèle de structure cognitive contraint toutefois la mesure des croyances à des croyances prédéterminées et masque le processus cognitif à l’œuvre pendant l’exposition (Lutz et Swasy, 1977). Le modèle de réponses cognitives a été proposé pour répondre à cette critique. Le modèle de réponses cognitives

Le modèle de réponses cognitives met l’accent sur les pensées spontanément générées pendant l’exposition au message (Wright, 1973), donc sur le processus cognitif lui-même davantage que sur le résultat cognitif (Olson et alii, 1982). Selon Wright (1980), ces pensées spontanées doivent être recueillies et analysées suivant un protocole rigoureux. Concrètement, le répondant est invité à lister toutes les pensées, réactions ou idées relatives au produit ou à l’annonce qui lui sont venues à l’esprit pendant l’exposition à l’annonce. Ce matériel fait ensuite l’objet d’un codage par des experts indépendants13.

Ces pensées spontanées varient en quantité et en importance, et peuvent être classées en trois types de réponse cognitive (Wright, 1973) :

• les contre-arguments : ils apparaissent en cas de dissonance cognitive entre le message et le système de croyances initial de l’individu ;

12 La théorie de la dissonance cognitive, formulée par Festinger en 1957, repose sur l’idée que l’individu essaie de maintenir une certaine harmonie entre ses cognitions (i.e., opinions, attitudes, connaissances, croyances et valeurs). Cette théorie a montré sa pertinence dans l’explication du comportement du consommateur, dans les phases pré- et post-décisionnelles (Cummings et Venkatesan, 1975).

13 Pour Wright (1980), cette méthodologie de recherche relativement spécifique doit respecter des contraintes relatives au recueil de données (e.g., la formulation d’une consigne d’élicitation très générale, l’imposition d’une contrainte de temps pour l’élicitation) ou à la fiabilité du codage entre les experts.

• les interrogations envers la source : elles se substituent aux contre-arguments lorsque la source du message est perçue comme biaisée ;

• les pro-arguments : ils apparaissent lorsque le message est à l’origine d’associations congruentes avec le système de croyances initial de l’individu.

Ces trois types de réponse cognitive expliquent entre 35 et 60% de la persuasion (Wright, 1973). Parmi ces trois types de réponse, les contre-arguments sont les plus influents, notamment lorsque l’information est complexe à traiter (e.g., restriction sur le temps, surcharge d’informations, format audio vs. print de l’annonce). Pour le justifier, Wright (1973, 1974) suggère que le consommateur perçoit une tentative d’influence de la part de l’annonceur d’autant plus grande que l’annonce lui paraît complexe et s’en défend en adoptant une attitude critique à l’égard de celle-ci.

Olson et ses collègues (1982) reconnaissent un quatrième type de réponse cognitive relatif aux états de curiosité. Ces réponses cognitives du quatrième type seraient « provoquées par le style ou l’argumentation du message et déterminent le niveau d’attention qui lui est porté » (Derbaix et Grégory, 2004, p. 68).

Le modèle unifié réponses cognitives / structure cognitive

Pour une explication « complémentaire » de l’influence de la communication en marketing, Lutz et Swasy (1977), et après eux Olson et ses collègues (1982), ont suggéré une synthèse des deux modèles cognitifs qui précèdent : le modèle unifié réponses cognitives / structure cognitive. Dans ce modèle, les réponses cognitives jouent un rôle médiateur dans l’influence de l’exposition à l’annonce sur la structure cognitive de la marque (Olson et alii, 1982), comme le suggère la Figure 4 :

Figure 4 −−−− Le modèle unifié réponses cognitives / structure cognitive

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Dans les différents modèles qui viennent d’être abordés, les variables cognitives sont le point de départ du processus de persuasion ou les médiateurs de ce processus. Ce rôle de premier

Exposition à la communication persuasive Réponses cognitives Structure cognitive Modification de l'attitude

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plan a néanmoins été remis en cause. Dans un contexte de forte concurrence entre les produits et de faible différenciation, les sollicitations commerciales se multiplient, les consommateurs atteignent les limites de leurs capacités cognitives, les annonceurs privilégient une communication plus émotionnelle : les processus de persuasion cognitifs fonctionnent moins bien (Derbaix et Grégory, 2004, p. 10). Le consommateur s’éloigne ainsi de l’hypothèse de rationalité et invite un certain nombre de chercheurs à considérer des modes de persuasion alternatifs.