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La mise en culture de plantes génétiquement modifiées permet-elle une réduction de l’utilisation

4.2. Méthodes de protection des cultures

4.2.7. Les biotechnologies et le génie génétique

4.2.7.4. La mise en culture de plantes génétiquement modifiées permet-elle une réduction de l’utilisation

L’utilisation de plantes génétiquement modifiées en agriculture fait donc débat. Des arguments très divers sont avancés par les tenants de l’utilisation de variétés génétiquement modifiées et leurs opposants. Dans le cadre de cette expertise, nous n’évoquerons ici que la question de l’impact que pourraient avoir ces cultures sur l’utilisation de pesticides.

Le caractère passionné du débat sur les OGM ne rend pas aisée une analyse objective de la littérature pour beaucoup constituée de rapports, parfois d’articles dans des revues scientifiques, mais avec un statut qui va du "point de vue" à l’article revu et accepté par les pairs. L’analyse ci-dessous fera appel à ces trois types d’articles, les rapports principalement utilisés étant originaires de l’"Economic Research Service" de l’United State Department of Agriculture. Les données dont nous disposons aujourd’hui concernent donc essentiellement les Etats-Unis d’Amérique, fortement engagés dans l’utilisation de plantes OGM depuis 1996.

Les cultures sur lesquelles portent ces études sont d’une part, le soja, le coton et le maïs exprimant un gène de tolérance à un herbicide total, le glyphosate, et d’autre part, le coton et le maïs exprimant le gène Bt de résistance à certains insectes (noctuelles).

En 1997, alors que 17% des surfaces de soja et 25% des surfaces de coton étaient cultivés en OGM aux USA, une enquête de l’USDA (McBride and Books, 2000) indique que l’utilisation de soja tolérant aux herbicides entraîne une réduction des coûts d’utilisation de pesticides de 10 $ par acre5, correspondant à un traitement en moins, en moyenne. Ce rapport signale également que la mise en culture de plantes OGM se traduit par une plus grande proportion de traitements en post-émergence et un abandon de certaines pratiques culturales ayant pour objectif principal la destruction mécanique des mauvaises herbes. Le bilan économique de ces cultures reste équivalent dans les deux systèmes, le coût plus élevé des semences transgéniques compensant les gains liés au moindre coût des pesticides et autres pratiques. En ce qui concerne le coton tolérant au glyphosate, les mêmes tendances sont observées avec une augmentation du travail simplifié du sol et une équivalence des performances économiques à l’exception d’une région (Delta Region) où le rendement est inférieur pour les cultures génétiquement modifiées, comparé aux cultures traditionnelles. Dans cette même région, le nombre d’applications d’herbicide était réduit de 5 à 2, alors qu’il est équivalent pour les deux systèmes de culture dans l’autre région enquêtée (Southeast Region). Les résultats concernant le coton Bt indiquent une réduction du nombre de traitement de 1,2 en moyenne si l’on considère les traitements destinés à contrôler les mêmes insectes que ceux visés par l’utilisation de plantes Bt (Southeast Region). Dans l’autre région enquêtée (Delta Region), le nombre de traitements dirigés contre les insectes visés par le gène Bt passe de 1,86 en culture traditionnelle à 0,45 en culture génétiquement modifiée (soit une

5 Acre = 0,405 hectares

diminution d’environ 1,4 traitement par hectare). Dans cette région, par contre davantage de traitements pesticides sont réalisés vis-à-vis d’autres insectes amenant le nombre total d’applications d’insecticides par hectare de 5,38 pour le coton Bt à 4,11 pour le coton traditionnel.

Le Service de Recherche en Economie de l’USDA publie une autre étude en 2000, basée sur les surfaces cultivées en OGM aux USA pour l’année 1999, soit 49% des surfaces des 3 principales cultures citées ci-dessus (Heimlich et al., 2000). Elle reprend également des données de 1997 et 1998 et utilise des modèles économétriques pour prendre en compte des facteurs autres que l’adoption des plantes transgéniques qui pourraient affecter l’utilisation de pesticides.

Une première analyse procède de comparaisons au sein d’une même année. Alors que le nombre de traitement-hectares6 était réduit de 2,5% en 1997 par l’adoption d’OGM, il l’est de 4,4% en 1998, les cultures de soja y apportant la plus grosse contribution. Par contre l’analyse en quantités de matières actives appliquées ne révèle que des différences minimes entre modes de production (-0,1% en 1997 ; -0,05% en 1998 lorsque les cultures de plantes génétiquement modifiées sont adoptées).

Un autre mode de calcul consiste à comparer l’évolution de la consommation de pesticides entre deux années. Ainsi, alors qu’entre 1997 et 1998, le nombre de traitement-hectares augmente de 19,8 millions pour les cultures OGM et qu’il chute de 23,5 millions pour les autres, les auteurs de ce rapport observent une réduction de matière active utilisée entre ces deux années de 3,7.106 kg soit une réduction de 3,5% (différence entre 17,8.106 kg en plus pour les cultures OGM, 21,5.106 kg en moins pour les non OGM).

Afin de tenir compte de la spécificité des années analysées (particularité climatique, importance des bio-agresseurs…) les chiffres corrigés par l’utilisation d’un modèle succinctement décrit dans l’article, donnent, pour le maïs, le soja et le coton transgéniques une diminution de l’utilisation de pesticides de 1,14.106 kg entre 1997 et 1998, soit 1%.

D’autres données, recensées par l’USDA sont aujourd’hui disponibles pour la période 1996-2004 et devraient permettre une analyse plus rigoureuse de l’impact de la mise en culture d’OGM sur l’utilisation de pesticides. Malheureusement, la déclinaison entre cultures génétiquement modifiées et cultures traditionnelles n’est pas réalisée chaque année pour chaque culture. Ainsi pour le soja tolérant au glyphosate, seules les années 1997, 1998 et 2002 permettent une analyse entre ces deux types de culture (Bonny et Sausse, 2004). Les seules analyses que nous ayons pu identifier proviennent d’un cabinet de consultance le Northwest Science and Environmental Policy Center, dans l’Idaho, dirigé par Charles M. Benbrook. Celui-ci publie un "point de vue" dans la revue Pesticide Outlook en 2001 où reprenant les chiffres de l’USDA il conclut à une grande diversité entre situations et, en moyenne à une non réduction voire légère augmentation de l’utilisation d’herbicides suite à l’utilisation de variétés tolérantes au glyphosate. En ce qui concerne les plantes génétiquement modifiées utilisant le gène Bt, si cette technologie a peu modifié les quantités d’insecticide utilisées pour le maïs, elle a permis dans certaines régions des Etats Unis de réduire très significativement les programmes de traitements visant le complexe d’espèces sur lequel est efficace le gène Bt. En Arizona, il a ainsi été observé une réduction de la quantité d’insecticides utilisée contre les insectes visés par le gène Bt de 181 000 kg en 1995 à 907 kg en 2000, essentiellement attribuables à l’augmentation des surfaces en maïs Bt dans cet Etat (Benbrook, 2001). L’auteur signale également que les insecticides ainsi remplacés sont des insecticides particulièrement toxiques comme les organophosphorés. Une évolution similaire est observée au Mississipi. Alors qu’on enregistrait plus de 8 traitement-hectares de 1990 à 1995 dans cet Etat, avec 40% d’organophosphorés une réduction de 9,4 traitement-hectares en 1995 à 0,6 en 2000 a été observée (et une réduction de 3,1 kg d’insecticides appliqués à 0,22 kg par hectare). Dans le même temps, en Alabama où 62% des surfaces sont plantées en maïs Bt, les applications d’insecticides pour lutter contre les insectes visés par le gène Bt ont presque doublé entre 1997 et 2000 sans que ne soit évoquée une hypothèse d’explication (Benbrook, 2001). En Chine, des réductions importantes d’utilisation de pesticides sont observées, puisqu’en expérimentations de pré-productions de coton Bt, les quantités utilisées passent en moyenne de 21,2 kg / ha à 2,0 kg / ha en cas d’adoption des cultures transgéniques (données recueillies sur respectivement 224 et 123 parcelles cultivées en 2002-2003) (Huang et al., 2005).

6 Il s’agit du produit du nombre d’hectares traités par le nombre de traitements réalisés

Dans une revue non publiée mais disponible sur le site internet du Northwest Science and Environmental Policy Center7, Benbrook (2004) reprend les statistiques de l’USDA et fait une analyse du résultat de 9 années de mise en culture de plantes OGM aux Etats Unis (tolérance au glyphosate et résistance Bt). Il conclut que si une légère diminution de l’utilisation de pesticides a pu être observée aux débuts de années de mise en place de ces cultures, cela n’est plus vrai depuis 1999. Il avance ainsi les chiffres suivants : "Les maïs, soja et coton génétiquement modifiés ont entraîné une augmentation d’utilisation de pesticides de 55,5.106 kg depuis 1996. Alors que les cultures "Bt" permettaient une réduction de l’utilisation d’insecticides d’environ 7,1.106 kg sur cette période, les cultures tolérantes aux herbicides enregistraient une augmentation de 55,5.106 kg. Les cultures "Bt" ont permis une réduction de l’utilisation d’insecticides de 5% sur coton et maïs, alors que dans le même temps les quantités d’herbicides utilisées sur maïs, coton et soja augmentaient elles aussi de 5%. Mais comme les quantités d’herbicides utilisées sur maïs coton et soja sont largement supérieures aux quantités d’insecticides utilisés sur coton et maïs, la consommation de l’ensemble de ces pesticides a augmenté de 4,1% entre 1996 et 2004." (Benbrook, 2004).

D’autres sites peuvent être consultés sur Internet, donnant des conclusions différentes tout en faisant référence aux mêmes données de base, comme le signalent Bonny et Sausse (2004) dans leur analyse du soja tolérant au glyphosate. Reprenant les conclusions d’une analyse antérieure de Benbrook (2003), ils en énoncent les limites, des estimations et des extrapolations étant nécessaires pour pallier le manque de précision des données disponibles. Il ressort de ces différents éléments que la question de l’intérêt des OGM pour réduire l’utilisation de pesticides nécessite une analyse au cas par cas.

Dans un rapport technique publié en 2002 et introduisant des données allant jusqu’à 2000, Fernandez-Cornero et McBride (Economic Research Service/USDA) soulignent l’importance des variables à prendre en compte en fonction des objectifs recherchés. Ils estiment ainsi que la réduction de 6,2% en traitement-hectares observée pour l’ensemble des pesticides sur coton, soja et maïs est attribuable pour 80% à la réduction du nombre de traitements herbicides sur soja. L’analyse des quantités de matières actives utilisées sur coton, maïs et soja, révèle également une diminution de 1,1 millions de kg, alors que les quantités totales de matières actives d’herbicides utilisées sur soja augmentent, 6,1.106 kg de glyphosate étant utilisées en remplacement de 5,0.106 kg d’autres herbicides (Fernandez-Cornero et McBride, 2002). Ce même rapport évoque également l’évolution des pratiques liées à l’utilisation de plantes génétiquement modifiées. Dans le cas d’utilisation de variétés tolérantes aux herbicides trois tendances sont observées : une utilisation accrue d’un seul type d’herbicide (le glyphosate), la simplification du travail du sol et l’abandon de pratiques culturales visant à réduire mécaniquement l’importance des mauvaises herbes, le remplacement de traitements en pré-émergence par des traitements post-émergence (Wolfenbarger et Phifer, 2000). Cette évolution de pratiques peut avoir des effets sur l’évolution des communautés de mauvaises herbes. Certains cas de résistance ou de déplacements de flore ont déjà été observés (Owen et Zelaya, 2005) et interrogent quant à la durabilité de méthodes basées sur la tolérance des plantes cultivées aux herbicides. D’autres travaux montrent qu’une destruction tardive de mauvaises herbes avec les traitements de post-émergence permise sur betteraves tolérantes au glyphosate conduit à une infestation accrue de pucerons (Dewar et al., 2000).

Sur colza tolérant au glyphosate, Bowan et al. (2005) observent une réduction des populations de dicotylédones et une augmentation des populations de monocotylédones, en comparaison avec des cultures de colza traditionnelles. Ils montrent également des diminutions significatives des populations d’abeilles et de papillons en cultures de colza tolérant au glyphosate, alors que les populations de collemboles sont plus importantes.

Plus généralement, beaucoup d’auteurs s’interrogent sur la pertinence du lien "plantes génétiquement modifiées – réduction de l’utilisation de pesticides" dans le cas de variétés "construites" pour être tolérantes à un herbicide (Bonny et Sausse, 2004). Dans le cas des plantes exprimant le gène Bt, d’autres auteurs s’interrogent sur la stratégie consistant à "mimer" le mode d’action d’un pesticide, c’est à dire privilégiant un mode d’action unique et fort pour détruire un bio-agresseur (Welsh et al., 2002). Contestant ce qu’ils appellent le "paradigme du pesticide", ils appellent à une utilisation des biotechnologies centrée sur les traits qui permettent de rendre les cultures plus tolérantes face aux

7 http://www.biotech-info.net/Full_version_first_nine.pdf

agressions parasitaires et mieux adaptées aux agro-écosystèmes dans lesquels elles doivent s’intégrer durablement. Dans une revue plus complète analysant les risques environnementaux et les limites des politiques actuelles de régulation de l’utilisation des plantes génétiquement modifiées, Ervin et al.

(2003) reprennent cette argumentation de la nécessité d’une prise en compte de caractères différents de ceux actuellement privilégiés par les grandes firmes de la biotechnologie, avec un choix davantage fondé sur des concepts d’écologie et de biologie évolutive.