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La mise en abyme selon Jean Ricardou :

1-Le « procédé » de Raymond Roussel :

2- La mise en abyme selon Jean Ricardou :

Voila, très brièvement, ce qui pourrait résumer la réflexivité chez Raymond Roussel. Cependant, ce que reproche Dällenbach à la conception rousselienne de la réflexivité, c’est d’avoir toujours au centre du procédé même, ce perpétuel jeu d’accommodation, auquel est contraint son lecteur devant le vertige des manies, des phobies et des jeux de mots de Roussel. De notre part, nous notons que la réflexion de Roussel (qui rejoint celle d’André Gide) ne s’applique qu’à ses propres textes, rendant ainsi le procédé de « mise en abyme » inefficace et inopérant dans d’autres situations non-conformes à celles des deux auteurs.

2- La mise en abyme selon Jean Ricardou :

La mise en abyme connaît un nouvel essor avec l’émergence du Nouveau Roman, elle apparaît comme l’un de ses traits les plus distinctifs.

Référence incontournable, Jean Ricardou est considéré comme le véritable pionnier de la mise en abyme du point de vue de son exploitation dans la critique littéraire, bien avant que Dällenbach ne fasse mûrir les esquisses théoriques de la notion pour faire du procédé un véritable dispositif spéculaire opératoire tant au niveau de la fiction qu’aux niveaux énonciatif et textuel. C’est particulièrement dans ses ouvrages, Problèmes du nouveau roman2 et Le Nouveau Roman3, qu’il va essayer, à l’aide de plusieurs exemples, de saisir l’envergure de la portée narrative du procédé.

1

DÄLLENBACH, op.cit, p.231.

2

Problèmes du nouveau roman, Paris, Seuil, 1967.

3

41 Ricardou prolongeant, dans un premiers temps, la réflexion gidienne, tente d’élargir le champ du concept pour l’adapter à l’évolution du Nouveau Roman. Ouvrant un jeu de mots entre « abîme » et « abymé », il met en avant sa propre description qu’il intitule « le récit abymé » dans Le Nouveau Roman. La définition qu’il donne de la mise en abyme semble déjà déceler les prémices de la typologie proposée par Dällenbach. Il tente de situer textuellement l’ampleur narrative du procédé et ce, en « démontrant comment la mise en abyme constitue à tous points de vue, le paramètre d’une écriture bien charpentée »1, elle apparaît d’abord comme un « résumé » de l’œuvre ou de l’histoire qui la contient :

« Puisque l’histoire, dans ses linéaments essentiels, est connue avant que la plume n’attaque le papier, n’est-il pas tentant d’injecter en un quelconque point de son cours, certain passage qui en offrirait une sorte de résumé ? C’est par elle-même que l’histoire serait ʺcontestéeʺ.

… Si je considère la mise en abyme dans sa plus ample généralité, je constate qu’une nécessité régit ses dimensions : jamais, semble-t-il, la micro-histoire ne doit être plus longue que l’histoire qu’elle reflète, sous peine de devenir l’histoire reflétée. C’est dire que l’histoire contenue ne peut évoquer l’histoire contenante que sous l’espèce d’un résumé». 2

C’est autour du terme de « contestation » que va s’articuler la particularité des nouveaux romanciers pour qui, la mise en abyme est plus une exigence qu’un mode de réflexion. Cette notion de « contestation », Ricardou va la transposer à la littérature puisque, toujours selon lui, la micro-histoire conteste la macro-histoire (à savoir le récit-même) par le biais de la mise en abyme. «Cette contestation du récit, la mise en abyme l’opère doublement, en ce

1

FAROUK, May, op.cit, p.16.

2

42 qu’elle est révélatrice, en ce qu’elle est antithétique »1

. Ceci dit, la mise en abyme, selon Ricardou possède deux fonctions principales : l’une révélatrice et l’autre antithétique.

La mise en abyme révélatrice possède trois prédicats de base : la répétition, la condensation et l’anticipation2 :

« Répétition : toute mise en abyme multiple ce qu’elle imite ou, si l’on préfère, le souligne en le redisant.

Condensation : mais elle le redit autrement ; le plus souvent, elle met en jeu des évènements plus simples, plus brefs.

Anticipation : en outre, il arrive souvent que les micro-évènements que la mise en abyme recèle précèdent les macro-évènements correspondants ; en ce cas, la révélation risque d’être si active que tout le récit peut en être court-circuité.»3.

La mise en abyme en répétant l’œuvre première, révèle son mode de fonctionnement et met à jour sa structure : le récit prend conscience de lui-même et dissipe sa propre illusion référentielle.

C’est dans cette perspective, que l’on retrouve la conception de Gide qui tenait avant tout à démontrer l’action qu’exerce le micro-récit sur le macro-récit, cette action qu’il désignait par « rétroaction » et qui permet la réciprocité qu’il voulait indiquer. Ricardou confirme notre hypothèse en écrivant:

« Il faudrait (alors), remplacer l’idée d’un micro-récit comme mise en abyme d’un macro-récit par l’hypothèse d’une macro-histoire comme mise en périphérie d’un micro-récit. Une mise en périphérie

1

RICARDOU, Le Nouveau Roman, op.cit, p.50.

2

Cité par Farouk May, op.cit, p.18.

3

43 qui permettrait au microcosme déduit d’agir à son tour sur le macrocosme ».1

La mise en abyme est également antithétique, dans la condition de briser l’unité du récit en dédoublant son action « en la soumettant à la relance infinie de scissions toujours nouvelles »2, ou au contraire, en regroupant les récits fragmentaires sous son aile métaphorique : « l’unité, elle (la mise en abyme) la divise, la dispersion, elle l’unit »3

. C’est de cette manière que le Nouveau Roman rompt avec le récit traditionnel.

Par la suite, le concept de mise en abyme selon Ricardou s’éloigne de la réflexion gidienne pour s’approcher de la position rousselienne. L’extension du sens de mise en abyme, selon la conception ricardolienne, s’apparente peu à peu aux similarités textuelles qui soulignent la structure du récit. Cette extension est due à l’évolution du Nouveau Roman qui a tendance à se constituer comme un objet formel en constante structuration.

Ceci dit, la mise en abyme traditionnelle ne peut répondre au mouvement d’un récit dynamique4

, elle se dissout dans le texte, perdant ainsi son statut d’enclave pour se prêter à des jeux de miroitement incessants.

La mise en abyme, telle que Ricardou ou Roussel la conçoivent, œuvre non seulement dans « l’infiniment petit » (au niveau des phrases, des mots, des lettres) mais aussi dans « l’infiniment grand » (le récit devenant réflexif dans son entier).

Dällenbach prend une distance avec les définitions un peu larges et laxistes de Ricardou qui pourraient faire tomber le concept gidien dans l’imprécision. Ce qu’il reproche aussi à la conception ricardolienne, c’est ce refus devant

1

Le Nouveau Roman, op.cit, pp. 54-55.

2

Ibid., p. 73.

3

Ibid., p .75.

4

Nous verrons plus loin comment la pratique de la mise en abyme a évolué chez les nouveaux romanciers des années 50 à 70.

44 l’appartenance de la mise en abyme à la « mimesis » et de « tenter l’impossible pour la libérer du joug de la représentation alors que c’est autour des notions de reproduction (mimesis) et de production que se joue le débat » 1. Enfin, les travaux de Ricardou représentent un passage obligatoire dans toute étude sur la mise en abyme.