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A/ Le mirage d’une distribution calquée sur la croissance urbaine

 La répartition de l’offre de soins : entre concentration et

dispersion

L’offre de soins s’organise selon deux formes principales (carte 9). La première consiste en une concentration des établissements dans les villages situés dans le coude du Mékong ; elle regroupe 8 des 22 structures en arrière ou en bordure du fleuve. La seconde présente une configuration dispersée sur le reste de l’étendue du territoire urbain.

En outre, la répartition de l’ensemble des structures de soins révèle une disposition concentrique, avec cette particularité que chacune des auréoles constituées rassemble des structures sanitaires de même catégorie.

La majorité des hôpitaux centraux et affiliés (l’Hôpital Militaire et celui de la Police), regroupés au centre du modèle, dans la courbure du Mékong, forme la première auréole. Le second tracé concentrique englobe les hôpitaux de district qui sont situés en amont et en aval du fleuve, ainsi que dans les villages en arrière du centre. La troisième auréole regroupe deux des trois hôpitaux centraux généraux et l’Hôpital central d’Ophtalmologie. Enfin, les dispensaires, organisés selon un chapelet régulier en bordure de la limite urbaine, constituent la dernière auréole concentrique.

 Une distribution liée au développement urbain ?

La distribution spatiale des structures sanitaires ainsi que l’abaissement général de leur niveau de soins à mesure que leur distance du centre de Vientiane augmente évoquent les dynamiques du modèle de développement urbain de type « centre/périphérie », caractéristique de nombreuses villes.

De façon à juger d’une telle adéquation, nous allons confronter aux différentes phases d’urbanisation de la capitale l’espace urbain nouvellement développé et les sites d’implantation de l’offre de soins établie à la même période (carte 10, page 101). Nous débutons l’analyse spatio-temporelle du développement urbain à la fin du XIXe siècle, lors de l’instauration du protectorat français, soit la période à partir de laquelle Vientiane renaît de ses cendres49. Les principales étapes du développement urbain respectent la trame politique, puisqu’à chacune de ses nouvelles orientations (coloniale, post-coloniale, socialiste et capitaliste autoritaire), une phase d’urbanisation spécifique est entamée.

- La période coloniale (1896-1953) : la renaissance de Vientiane à partir du centre ancien Dès leur installation à Vientiane, les autorités françaises implantent la résidence supérieure et les bâtiments publics de l’administration coloniale à proximité des anciens éléments fondateurs de la capitale du Lane Xang (palais royal, pagodes Phrakéo et Sisaket). D’abord très peu étendu, l’enclos colonial s’étire sur environ 200 mètres en bordure du fleuve au niveau du coude du Mékong, et gagne sur moins d’une centaine de mètres l’intérieur des terres. Plus précisément, il s’implante dans la partie centre-ouest d’une ancienne enceinte qui, édifiée en 1560, visait à se protéger des éventuelles invasions birmanes. Ces fortifications, distantes du fleuve de 200 à 300 mètres, forment un arc de cercle d’environ trois kilomètres en retrait de la courbure du fleuve.

49 Aux XVIIIe et XIXe siècles, Vientiane fut mise à sac par deux fois par les Siamois, en 1779 et en 1828 – « nous ne laisserons que la terre, le vent et le ciel de Vientiane » [Sisoulath, 2003, 30] – puis une dernière fois en 1888 par les Hô, des pirates chinois.

Document 3 - Plan de Vientiane en 1895-1898

Source : adapté de Sisoulath, 2003

A l’ouest du noyau colonial et jusqu’à la limite occidentale de l’enceinte, s’étend le quartier indigène divisé en trois principaux quartiers : l’un, en contiguïté des bâtiments coloniaux, est principalement habité par des Annamites – qui assistent l’administration française50 –, les deux autres s’organisent, les îlots laotiens et chinois, s’organisent en amont. A partir des deux principales zones limitrophes, indigène à l’ouest et coloniale à l’est, l’urbanisation se poursuivit jusque dans les années 1930, principalement dans la partie amont, là où se situe le port fluvial de la rivière Nam Bassak.

En aval du quartier colonial, le développement fut plus tardif. Il n’atteignit la limite est de l’enceinte que dans les années 1950.

A la veille de l’Indépendance en 1953, le périmètre urbain s’inscrit principalement dans les limites de l’ancienne fortification auxquelles s’ajoutent, d’une part, une importante extension en amont, renforcée à la fin des années 1930 par l’implantation d’un terrain d’aviation, et, d’autre part, une zone nord-est située en retrait du centre colonial, à l’extérieur de l’enceinte. La construction de la radiale nommée Lane Xang, joignant la résidence supérieure à la route nationale 13 sud, est à l’origine de ce dernier axe de développement. L’implantation en 1940 d’un des plus grands marchés, le Talat Sao, « marché du matin », situé à la fois au sortir de l’enceinte et sur cette nouvelle route, ne tarde pas à structurer et à initier le développement de ce que B. Sisoulath définit comme le « péricentre ». L’espace bâti commence dès lors à se densifier dans les zones de terrasse au niveau de l’actuel Arc de Triomphe et plus au nord-est en direction du stupa du That Luang, édifié dès 1566.

50 Les autorités françaises ont préférèrent s’entourer d’Annamites, mieux formés que les Lao aux métiers de l’administration.

Le développement des infrastructures sanitaires à cette même période reste modeste. Il ne comprend que deux structures de soins51: l’une, datée de 1910, s’inscrit dans l’îlot colonial aux côtés des autres bâtiments de l’administration française, et la seconde occupe une position en amont, largement excentrée par rapport à l’espace urbanisé de l’époque.

51 A défaut de pouvoir définir précisément le dispositif de l’époque, nous avons pris en compte les structures de soins encore attestées à ce jour. On présume que ce dispositif diffère peu de celui édifié par la colonie puisqu’elle le développa peu.

Carte 10 - Croissance urbaine et installation des structures de soins publiques à Vientiane (1953-2004)

- Période post-coloniale (1954-1974) : une extension urbaine principalement péricentrale Au lendemain de l’Indépendance, Vientiane entame une croissance urbaine soutenue qui est principalement liée à l’apport massif de dollars américains censé contribuer à contenir l’expansion communiste. Ces capitaux, principalement dévolus à la capitale, rendent cet espace très attractif. Il devient, pour des milliers de personnes déplacées et fuyant les zones de combats, l’Eldorado. Jusqu’à la prise de pouvoir par les révolutionnaires en 1975, l’urbanisation ne cessera pas.

L’expansion urbaine se fait de façon uniforme, enveloppant, sous la forme d’un demi-cercle, l’espace anciennement urbanisé. Elle gagne d’abord l’intérieur des terres à partir des éléments structurants puis, plus la distance par rapport à ces derniers augmente, plus l’urbanisation s’exprime sous la forme d’un mitage spontané.

A l’ouest, l’installation de l’aéroport et, dans les années 1960, du marché du soir, contribue largement à développer ce secteur. Quant au péricentre, polarisé par l’Arc de Triomphe (1961), il devient, après le centre ancien, le second pôle administratif : regroupant des établissements publics (palais du gouvernement, Assemblée Nationale, ministères), la représentation américaine, le prestigieux lycée de Vientiane (anciennement Lycée Pavie) et plusieurs ambassades et organisations internationales. Aux côtés de ces infrastructures, de nombreuses villas ne tardent pas à s’établir, accueillant les expatriés et les hauts fonctionnaires. A l’est, l’installation de nouveaux équipements (centre de formation professionnelle, lycée, Hôpital Militaire) autour de l’ancienne pagode de Sokpaluang suscite l’urbanisation de la partie orientale de Vientiane. Enfin, la création, en 1966, à une quinzaine de kilomètres en aval du centre-ville, du bac lao-tai de Thanalèng, est à l’origine du nouveau cordon urbain situé dans la partie sud de Vientiane, qui s’étire sur plus de quatre kilomètres à partir du centre ancien.

A cette période, les nouveaux éléments du dispositif sanitaire s’accordent peu avec les dynamiques urbaines en cours. Parmi les cinq nouvelles structures, une seule s’intègre dans la zone nouvellement urbanisée. Les autres s’implantent soit dans la ville coloniale, soit dans la périphérie sud à plusieurs kilomètres de la zone d’extension urbaine la plus proche.

- Période socialiste (1975-1985) : la récession urbaine

L’avènement du régime en 1975 marque le début d’un déclin de la dynamique urbaine. Contraints à l’exode pour des raisons politiques et/ou économiques, de nombreux habitants de Vientiane regagnent leur village d’origine ou partent à l’étranger. Malgré l’arrivée massive des révolutionnaires, la population urbaine, entre 1973 et 1980, décroît de 156 000 à 100 000 habitants. En outre, l’interruption brutale de l’aide américaine et des importations qui lui étaient associées (produits alimentaires, matériaux de construction, carburants, etc.), conjuguée à l’indifférence manifeste des nouveaux dirigeants aux questions urbaines, initie une période de récession globale. Contrairement à d’autres villes communistes (de l’ex-URSS, ou des démocraties populaires), Vientiane ne fait en aucune manière l’objet de projets de planification ou de structuration urbaine ; les priorités sont à la stabilisation politique et militaire du pays. Pour cette raison, les autorités s’attachent plus au projet de délocalisation de la

capitale à distance de la frontière thaïlandaise, dans la zone sécurisée de Xieng Khouang (ancien Q.G du Pathet Lao), qu’à son développement sur son site originel.

Dans ces circonstances, le territoire urbain a peu évolué et est resté pour l’essentiel circonscrit par les anciennes délimitations post-coloniales. Pour l’essentiel, l’urbanisation se résume à l’apparition dans la périphérie nord-est de deux îlots urbains dont la formation tient à l’ouverture de plusieurs infrastructures publiques (camps militaires, Hôpital de l’Amitié, etc.).

Bien que le développement urbain stagne pendant la première décennie du régime communiste, le système de soins public, lui, est renforcé par six nouvelles structures. Leurs sites d’implantation concordent mal avec le peuplement urbain : cinq d’entre elles se répartissent dans les zones anciennement urbanisées ou dans les périphéries à dominante rurale. Seule la sixième structure se situe dans un des nouveaux îlots urbains, développé suite cette nouvelle implantation.

- Période du « capitalisme autoritaire » (1986 – 2004) : une extension urbaine vers les grandes périphéries

L’ouverture économique, amorcée dès 1986, initie un remarquable redémarrage de la croissance, laquelle s’exprime principalement dans les pôles urbains – véritables réceptacles des richesses et des investissements – et tout particulièrement à Vientiane, première bénéficiaire des réformes. Plus de 80% des investissements entrepris à l’échelle nationale profitent à la capitale [Sisoulath, 2003, 124] –, une tendance renforcée ensuite par la construction en 1994 du Pont lao-tai de l’Amitié, situé à quinze kilomètres en aval du centre de Vientiane.

Le dynamisme urbain suscité accroît très sensiblement le périmètre de la ville qui accueille de multiples activités commerciales, industrielles et résidentielles. Plus qu’il ne densifie les espaces antérieurement urbanisés, le développement urbain procède par étalement : entre 1995 et 2000, la croissance démographique annuelle, de l’ordre de 12% dans la limite 189, atteint 21% dans les 89 villages périphériques [Sisoulath, 2003, 152].

Le bâti annexe en priorité les abords des voies de communication et les zones exondées, avant de procéder à partir de ces ancrages à une périurbanisation diffuse. Principalement linéaire, ce mode de croissance dessine des interfaces ville-campagne : en bordure des routes s’exprime la ville (densité de population plus élevée, variété des activités commerciales, dynamisme, important flux routier, etc.) et en retrait, un paysage davantage bucolique (rizières, étangs, forêts, etc.).

Les modalités du développement urbain occasionnent une extension multidirectionnelle:

- à l’ouest, en bordure de la RN 13 Nord

- au nord-ouest, le long de la route T7 qui est d’orientation est-ouest

- au nord, en suivant les trois radiales reliant le centre de Vientiane à l’Université Nationale

- à l’est, entre la zone anciennement développée lors de la période post-coloniale et la route T4

- et enfin au sud, aux abords des axes routiers qui sont dans la mouvance des flux initiés par le Pont de l’Amitié.

En somme, le négatif de cette distribution ne laisse apparaître que les zones humides et celles qui ne sont pas traversées par le réseau viaire.

Toutefois, si l’urbanisation s’est développée à partir de 1986, elle a d’abord été progressive et ne s’est véritablement déployée qu’au milieu des années 1990. De façon à étudier le lien entre la croissance urbaine et l’implantation des structures de soins, il convient de distinguer deux phases au sein de cette période : de 1986 à 1995 et de 1996 à 2004. Lors de la première phase, l’extension urbaine est de moindre importance et se limite pour l’essentiel aux pourtours des trois radiales reliant le centre de Vientiane à l’université nationale [Sayarath, 2005, 75]. En revanche, entre 1996 et 2004, le développement urbain est plus prononcé et s’exprime selon les différentes orientations précédemment présentées.

Lors de ces deux périodes, l’adéquation entre la croissance urbaine et le développement du système de soins apparaît incertaine. Des sept nouvelles structures sanitaires développées entre 1985 et 1995, une seule s’implante au sein de l’espace nouvellement urbanisé. Quatre se situent dans des zones dépourvues de toute dynamique urbaine et deux dans des villages anciennement urbanisés (avant 1975). Lors de la seconde phase d’urbanisation (1996-2004), qui est aussi la plus prononcée, le dispositif ne s’étoffe que de deux établissements de soins supplémentaires.

Si, de prime abord, la forme de la distribution de l’ensemble des structures de soins publiques semblait associée au modèle de développement urbain de type centre-périphérie, la confrontation de ces deux dynamiques invalide la relation. Alors que certaines structures de soins, parmi les plus anciennes, figurent en périphérie de l’actuel périmètre urbain, d’autres, très récentes, sont implantées au cœur du centre ancien. Globale, cette approche n’a pas permis de mettre en évidence les logiques à l’origine de l’implantation de l’offre de soins, car celles-ci diffèrent selon la catégorie des structures. Les acteurs et les enjeux variant avec le type d’établissement, c’est à partir d’eux qu’il convient de fonder notre réflexion.

B/ Des logiques d’implantation distinctes selon le type de structure