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I.0.1 Mill inclassable : querelles d'étiquettes et conflits d'interprétation

Dans le document John Stuart Mill, libéral utopique (Page 41-62)

Si l'inventaire des influences et des leitmotiv de la pensée de John Stuart Mill semble si nécessaire, et commence à être fait à nouveaux frais depuis peu37, c'est que le penseur a été, de

son vivant jusqu'à aujourd'hui, l'objet d'interprétations contradictoires et parfois hostiles, qui présentent l'ambiguïté d'être à la fois partielles, souvent réductrices, et pourtant toutes en partie légitimes, à la faveur du syncrétisme reconnu et même revendiqué de l'auteur. Au plus récent, Catherine AUDARD (2015) a rappelé que la pensée de système est tout à fait étrangère à l'idée que Mill se fait de son travail de réflexion :

« ses échanges avec les saint-simoniens et avec Auguste Comte (Auguste Comte and Positivism, 1865) comme sa critique de Bentham (Essai sur Bentham, 1838) témoignent de sa répulsion à l’égard de toute forme de pensée systématique et nécessairement autoritaire selon lui. »38

Faut-il donc voir en lui un simple essayiste ? Ne peut-on, au-delà de ce rejet revendiqué – qui participe lui-même d'une conception de longue haleine de ce que doivent être la connaissance et la nature de l'investigation à prétention de vérité – et de l'impression qu'il donne en tant que polygraphe parfois pamphlétaire, reconstituer quelque chose comme un « système » millien, ou une « doctrine » millienne ?

I.0.1.1 Genèse intellectuelle de John Stuart Mill

Lui-même, dans son autobiographie, avoue un parcours intellectuel et politique marqué par les engouements personnels, d'esprit à esprit, comme par les ruptures. Comme le remarque J.M. Robson, éditeur et préfacier des Collected Works :

« Une lumière explicative est jetée sur ce déséquilibre [celui de la quantité de détails par année dans les différentes parties de son autobiographie] par la

37 On pense par exemple au dossier dirigé récemment par Catherine Audard dans la Revue internationale de

philosophie, 2015/2 (n° 272), 120 p.

division tripartite de son existence opérée par Mill : la première partie consistant dans son éducation et son militantisme en faveur du radicalisme philosophique ; la seconde par ses idées nouvelles, leur assimilation, et ses reconsidérations ; et la troisième par des considérations mûres et affirmées (mais pas inflexibles) telles que consignées dans ses œuvres majeures. »39

Le parcours de Mill est donc loin d'être unifié, et c'est dans sa jeunesse que se jouent la majeure partie de ses prises de position ultérieures, puisque son éducation et ses premières allégeances sont la matrice de tous ses engagements en même temps que celle du « traumatisme » affectif qui expliquera ses quelques divergences d'avec son héritage intellectuel.

Pour rappel de ce qui est souvent bien connu, John Stuart naît et passe son enfance dans une maison où l'on reçoit David Ricardo, David Hume, le juriste John Austin, l'historien George Grote ou encore Jeremy Bentham. Son environnement, à mi-chemin entre la classe moyenne et la petite bourgeoisie, est ordonné autour des affinités de son père James : la passion de l'histoire et de l'Antiquité ; l'empirisme venu d’Écosse (et diffusé par Condillac, que Mill lit adolescent) comme épistémologie et comme ontologie ; ses conséquences en termes de rejet de l'idée assignable d'un auteur divin dont on ne saurait faire l'expérience sensible et des dogmes et rites qui s'en réclament ; l'orthodoxie libérale ricardienne et James- millienne comme grille de lecture économique (sous le nom d'« économie politique ») ; l'utilitarisme benthamien comme catéchisme moral et éthique ; le radicalisme comme horizon politique et militant.

Toute son éducation est en effet supervisée par son père, qui se fait spontanément précepteur de son fils et l'initie personnellement au grec et au latin en même temps qu’à sa langue maternelle, puis à l’arithmétique, à l’histoire, à la géométrie, à l’algèbre, à la composition poétique en anglais, aux sciences naturelles (« sciences expérimentales sous l’angle de la théorie », selon l’expression de John Stuart), à la philosophie, à la rhétorique, à la déclamation et enfin à l’économie politique, ne lui laissant pour seul loisir dès sa plus tendre enfance que la tâche de transmettre ses savoirs à ses jeunes frères et sœurs.

Autour de l'âge de quinze ans, John Stuart fait un long séjour en France, où il rencontre par exemple Jean-Baptiste Say et Saint-Simon, ce qui orientera fortement son attention vers le libéralisme continental et la pensée française en particulier : il entretiendra plus tard avec Auguste Comte puis avec Tocqueville une abondante correspondance en français.

Jusqu'à ses vingt ans, Mill suit donc le parcours atypique d'un jeune homme surdoué et extrêmement sollicité intellectuellement, lettré et curieux, agnostique à tendance athée, francophile, démocrate et ambitieux, qui se tient au fait des principaux débats de son temps en matière de philosophie, d'économie et de psychologie et soutient intellectuellement les initiatives politiques audacieuses dans une Angleterre où le parti « radical » émerge en proposant, sans pourtant adopter l'infrastructure définie d'un parti, une troisième voie face aux Torys, défenseurs conservateurs de l'aristocratie foncière, et des Whigs, représentants plus libéraux de la bourgeoisie commerçante.

Les Radicaux, notamment dans leur branche « philosophique », prolongent la pensée des Lumières anglaises et écossaises et s'affirment à partir de 1819 sous l'étiquette de « Radicals ». Comme le rappelle Elie HALÉVY (1901), la « formation du radicalisme philosophique » touche des domaines aussi variés que l'économie politique ou ce que les anglophones appellent « jurisprudence » (à savoir, le droit) et s'appuie principalement sur une méthode empirique et déductive qui cherche un petit nombre de fondements racinaires desquels déduire des conséquences logiques et maximisatrices de l'utilité commune40. Ses

partisans sont alors pour la plupart des activistes érudits qui divulguent leurs idées par la presse (notamment l'Edinburgh Review puis la Westminster Review) et qui dans le domaine strictement politique, promeuvent une réforme parlementaire d'ampleur limitant le pouvoir des notables, protégeant la liberté de discussion, étendant progressivement le droit de vote et visant au suffrage universel au sein d'un système représentatif accru41. John Stuart Mill

raconte avoir instigué, à l'hiver 1822-23, soit à l'âge de seize ans, la création d'une petite Société Utilitariste42 rassemblant pendant plus de trois ans d'abord trois, puis une petite

40 Voir la section suivante, I.0.1.2.

41 Rappelons brièvement qu'alors que les idées libérales s'étaient diffusées au Royaume-Uni, précurseur de l'Europe à ce titre, dès la Glorieuse Révolution de 1688 et tout au long du XVIIIe siècle, au tournant du XIXe siècle l'Angleterre avait finalement durci ses politiques sociales. Parallèlement à l'essor industriel et surtout commercial de l'Angleterre et à la prépondérance accrue de la bourgeoisie mercantile dans les classes dirigeantes, on assiste pendant la deuxième moitié du XVIIIe siècle à la montée conjointe, d'une part du paupérisme (lié en grande partie à un essor démographique global et à l'augmentation de la dette nationale et de la pression fiscale sur les petits contribuables pour financer l'Empire colonial puis les guerres napoléoniennes), d'autre part à une contestation en termes politiques des privilèges des classes possédantes (notamment des propriétaires terriens) et de la corruption afférente. La généralisation du mécontentement pousse le gouvernement conservateur, à partir des années 1780, à limiter les libertés publiques : restriction du droit d'association en 1795, interdiction des syndicats et des corporations professionnelles en 1799, répression de manifestations populaires par l'armée... Une part de la contestation généralisée est calmée par l'accession au pouvoir des Whigs et par le Reform Act de 1832, qui élargit une première fois le droit de suffrage et limite la corruption des « rotten boroughs ». La question du paupérisme n'est cependant pas résolue et si la contestation d'inspiration libérale se voit en partie diminuée, la contestation d'inspiration radicale et d'inspiration socialiste s'accroît, d'un côté sous le nom de chartisme (mouvement radical « populaire » – et non plus « philosophique » – exigeant entre autres le suffrage universel masculin à travers l'adoption d'une « Charte du peuple », de 1838 à 1848), de l'autre dans la continuité des idées associationnistes de Robert Owen (voir I.2.). Voir RAYNAUD (2009B) sur la Révolution anglaise. Voir STEDMAN-JONES (2007) sur le mouvement chartiste.

dizaine de jeunes gens parmi les plus fervents disciples de Bentham. La petite société écrit des articles et anime des débats publics ou semi-publics (dans le cadre d'autres cercles intellectuels, comme la société fabienne, ou d'universités) qui les oppose principalement aux adversaires en chef du libéralisme économique, les owenites. En 1824, il passe une nuit en prison pour avoir distribué publiquement des tracts en faveur de la contraception. Les années 1822-1825 sont pour lui des années politisées et exaltées (Mill parle lui-même de « fanatisme juvénile »43) au cœur de la mouvance radicale-utilitariste.

C'est à l'âge de 20 ans, en 1826, qu'il traverse sa célèbre « crise », qui s'apparente à une forte dépression44 en réaction à l'éducation autoritaire et au surmenage intellectuel subi depuis

son plus jeune âge, et qui le conduit à renier pour un temps la froideur de l'enseignement utilitariste et trop rationnel de son père. Son autobiographie relate en effet que son père n'accordait d'importance qu'aux satisfactions de l'esprit :

« Il ne dérogeait jamais à l'habitude de classer les plaisirs intellectuels au dessus de tous les autres, y compris au titre de leur valeur comme plaisirs, indépendamment de leurs bienfaits au-delà. […] Pour les émotions passionnées de toute sorte, et pour tout ce qui avait pu être dit ou écrit en leur nom [ou : pour les exalter/les vanter] il n'avait que mépris. Il les considérait comme une forme de déraison45. »46

Ainsi : « L'élément qui manquait au plus haut point dans la relation morale qu'il entretenait avec ses enfants était la tendresse »47

Brutalement, le jeune Mill se sent perdre la motivation altruiste et militante qui l'habitait jusque-là et se met à douter du bien-fondé du benthamisme, alors son principal aiguillon voire sa raison de vivre :

43 « Youthful fanaticism », in op. cit, p.111.

44 La description qu'en donne Mill lui-même en l'apparentant à quelques vers de Coleridge est particulièrement édifiante :

« A grief without a pang, void, dark and drear A drowsy, stifled, unimpassionnate grief Which finds no natural outlet or relief In word, or sigh, or tear. »

Soit approximativement : « Une douleur sans fin, vide, sombre et sans heurt / Somnolente douleur, sourde, morne, sans vie / Ne trouvant nulle trêve, nul moment de répit / Dans un mot, un soupir ni même dans un pleur. »

45 « Madness » 46 Op. cit., p.51.

« Depuis l'hiver 1821, quand j'avais lu pour la première fois Bentham, et particulièrement après le lancement de la Westminster Review, j'avais eu ce que l'on peut véritablement appeler un but dans la vie : être un réformateur du monde. Ma conception de mon propre bonheur était entièrement identifié à ce but. […] Mais vint un temps où je m'éveillai de cela comme d'un rêve. »48

Il trouve du réconfort dans les vers de Coleridge et découvre alors la poésie romantique en même temps qu'il en vient à réévaluer l'importance du sentiment personnel, spontané et sans objet politique, dans la construction du bonheur humain. C'est un revirement majeur dans sa pensée jusque-là dominée par le calcul des plaisirs et des peines à l'échelle collective et par la recherche désintéressée du bien commun. Il écrit :

« L'autre grand changement qui intervint dans mes opinions, fut que pour la première fois je mesurai à sa juste valeur, parmi les choses les plus nécessaires au bien-être de l'être humain, la culture de l'individualité dans ce qu'elle a d'intime. Je cessai d'accorder une importance presque exclusive à l'ordonnancement des circonstances extérieures et à la préparation de l'individu à la spéculation et à l'action. »49

Cette découverte de l'individualité dans son affectivité et pas seulement dans son activité « spéculative » aura une immense portée dans la formation ultérieure de sa pensée, et notamment sa défense acharnée de la liberté comme culture de l'originalité et comme libre déploiement des facultés individuelles, comme nous le verrons tout au long de ce travail.

La poésie et la musique, puis les essais politiques de ses contemporains, constituent sa porte d'entrée dans la pensée romantique, et plus largement conservatrice. Le jeune Mill reprend goût à la vie en lisant avec passion Goethe, Coleridge, Humboldt, Byron et Wordsworth. Il s'exalte en écoutant Weber et Mozart. Il discute de ces nouvelles dilections avec son ami John Arthur Roebuck (1802-1879), fervent benthamite et futur Membre du Parlement chez qui il s'émerveille de trouver une forte sensibilité artistique mais dont il déplore la condescendance vis-à-vis de l'utilité des arts dans ce qu'il appellera plus tard, en un sens particulier, le « caractère ». Il se met alors à fréquenter un cercle de coleridgiens où il se lie d'amitié avec le grand théologien Frederick Denison Maurice (1805-1872), plus tard représentant du socialisme chrétien, et avec John Sterling (1806-1844), poète et ami de Carlyle. Il découvre la pensée de Thomas Carlyle (1795-1881) à travers les articles publiés par ce dernier dans l'Edinburgh Review et la Foreign Review, et à travers lui, la pensée

48 Id., p.137. 49 Id., p.147.

romantique continentale50, même si les propos de Carlyle lui semblent alors bien trop

emprunts de mysticisme51. Il échangera toutefois occasionnellement avec lui, avant que le

« mystique » ne se révèle déçu de ne pas rencontrer en lui un disciple plus exalté. Avec ces nouvelles fréquentations et la mise en question, par l'historien Macaulay (1800-1859) notamment, des travaux de Bentham et de son père, Mill abandonne peu à peu l'ambition de la construction a priori d'un système politique complet et la pensée de système en général.

Il n'abandonne pas pour autant tout à fait ses convictions utilitaristes. Il se trouve, pense-t-il, autant de « demi-vérités » (half truths) chez Bentham qu'il y en a chez Coleridge (pour reprendre une expression qu'il trouve chez Coleridge lui-même), les unes et les autres se complétant. Aussi faut-il bien garder à l'esprit que Mill semble avoir souhaité, dès les lendemains de sa « crise », trouver une sorte de juste milieu entre Bentham, le froid démocrate, et Coleridge le conservateur romantique. Cette aspiration à dessiner une « troisième voie » semble inhérente à toute sa démarche même tardive et ce, même si ses références changent et se diversifient. On le verra notamment au travers de sa position sur le plan Hare, qu'il trouve judicieusement « à mi-chemin » entre un projet conservateur et un progrès très démocratique52 : Mill aspire ouvertement à garder le meilleur de la

« conservation » et le meilleur du progressisme, le meilleur de la démocratie tout en évitant ses principaux périls53.

C'est également durant cette même période d'ébullition intellectuelle portée vers les penseurs continentaux que Mill découvre la pensée saint-simonienne, aux alentours de 1830. Il est séduit par cette vision de la marche humaine vers le Progrès et par la classification des époques historiques en « périodes critiques » et « périodes organiques »54 qui font écho, de

manière plus rigoureuses, aux opinions alors diffusées de manière pamphlétaire par Carlyle. On pourra voir que ces premières réflexions sur le désordre et la désorientation des esprits dans un « âge de transition » marqué par la prise d'ampleur de « l'opinion publique » informeront puissamment tous les raisonnements ultérieurs de l'auteur sur le système

50 Voir I.1.2.2.

51 Il relate dans son Autobiographie (id., p.181) :

« J'ai déjà mentionné les écrits de jeunesse de Carlyle comme l'un des canaux par lesquels de nouvelles influences ont élargi le champ étroit de mes jeunes croyances ; mais je ne pense pas que ces écrits, en eux-mêmes, aient jamais eu quelque effet sur mes opinions. Quelles que fussent les vérités qu'ils contenaient […], ils me semblaient un mélange brumeux de poésie et de métaphysique allemande, au milieu duquel la seule chose qu'on pût distinguer clairement était une forte animosité envers la plupart des opinions qui fondaient mon mode de pensée – le scepticisme envers les religions, l'utilitarisme, la doctrine des circonstances –, et une ignorance délibérée de la démocratie, de la logique et de l'économie politique. »

52 Voir l'introduction I.1.1., notes de bas de page. 53 Voir I.1.1. et I.1.2.

représentatif55 ou la nécessaire défense des opinions minoritaires dans le cadre global d'une

recherche de la vérité56, notamment en dialogue avec les écrits d'Auguste Comte et avec

Alexis de Tocqueville en personne. Il restera longtemps en relation avec Gustave d'Eichtal (1804-1886), jeune écrivain saint-simonien de son âge, et fréquentera un temps Saint-Amand Bazard et Prosper Enfantin, porte-parole français du mouvement :

« Leurs critiques des doctrines habituelles du libéralisme me semblaient receler d'importantes vérités ; et c'est en partie grâce à leurs écrits que mes yeux se sont ouverts à la valeur très limitée et temporaire de la vieille économie politique, qui postule l'inéluctabilité de la propriété privée et de l'héritage, et fait de la libre production et du libre-échange le stade ultime57 du progrès social. »58

Mill y voit également une confirmation de ses intuitions féministes, partagées par les socialistes utopiques comme par l'utilitarisme de sa jeunesse :

« Pour avoir proclamé la parfaite égalité des hommes et des femmes, et un ordre des choses entièrement renouvelé en ce qui concerne la relation entre les sexes, les saint-simoniens, comme Owen et Fourier, méritent le souvenir reconnaissant des générations futures. »59

Dans le même temps, en 1830, il fait la rencontre de Mme Harriet Taylor, qui deviendra sa compagne intellectuelle et sa muse, et à laquelle il vouera un amour d'autant plus éperdu qu'il sera interdit jusqu'à la mort du mari de cette dernière puis son remariage avec Mill… en 1851. Quelle que soit l'exagération dont puisse être l'objet l'importance d'Harriet pour notre philosophe, la relation Taylor-Mill semble avoir conditionné une grande partie du regain de sympathies socialistes et surtout de militantisme féministe de John Stuart, qui sera en 1866 le premier Membre du Parlement britannique à appeler officiellement à l'ouverture du droit de vote aux femmes60.

55 Voir I.3.2, I.3.3. et III.3. 56 Voir I.3.2.2. et I.3.2.3.

57 « dernier mot », en français dans le texte. 58 Op. cit., p.175. Mill ajoute (ibid.) :

« Le schéma peu à peu développé par les saint-simoniens, selon lequel le travail et le capital de la société devaient être gérés en faveur de l'intérêt supérieur de la communauté, et que chaque individu devait participer au travail collectif requis selon ses capacités, que ce soit comme penseur, professeur, artiste ou producteur, et être rémunéré selon sa contribution, me paraissait une bien meilleure représentation du socialisme que celle d'Owen. »

59 Ibid.

La pensée de Mill mûrit alors en intégrant des idées socialisantes, qu'il décrit lui-même comme un « socialisme nuancé »61 et en modérant son enthousiasme de jeunesse pour la

démocratie « pure » au profit d'un gouvernement représentatif aux caractéristiques plus complexes, à même de répondre aux enjeux qu'il identifie désormais plus clairement dans le mouvement de démocratisation, notamment à la lumière de ses échanges avec Tocqueville62.

Il s’attelle à l'achèvement d'un travail de grande ampleur, la rédaction de son Système de logique63, qui concentre l'essentiel de sa philosophie de l'esprit et de sa théorie de la

connaissance. Il revient aussi progressivement à l'économie politique, qui se situe alors presque exclusivement du côté du libéralisme, et publie en 1848, année de la révolution accouchant en France de la Deuxième République, une première édition de ses Principes d'économie politique qui intègre plusieurs concessions à la pensée sociale, en particulier la promotion des coopératives de production64.

Dans la dernière partie de sa vie, à la suite de son importante correspondance avec les théoriciens socialistes, de la fréquentation d'Harriet Taylor comme de voyages en particulier en Irlande, Mill se fait de plus en plus ouvertement le promoteur des idées socialistes réformistes. Il renoue officiellement avec l'utilitarisme, qu'il infléchit sensiblement en même

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