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I.2.1 Généralités sur le socialisme

Dans le document John Stuart Mill, libéral utopique (Page 156-172)

En conséquence de leur orientation vers l'avenir et de leur concentration sur l'« élément historique » de la condition humaine317, les socialistes partagent à grands traits les

caractéristiques suivantes : une croyance dans l'effectivité ou dans la plausibilité (désirable) du Progrès comme amélioration globale du bien-être humain, celle-ci mobilisant elle-même deux éléments, une certaine confiance dans l'universalité de la nature humaine, conçue comme perfectibilité indéfinie grâce au partage de la Raison, et la volonté de construire délibérément le Progrès ainsi entrevu par des moyens réflexifs, critiques et coopératifs.

En ce sens, la pensée socialiste trouve ses origines dans le mouvement européen des Lumières, où elle est encore très proche d'un certain libéralisme par sa foi en la Raison, sa critique des privilèges et ses considérations sur l'égalité dans le genre humain, comme en témoigne par exemple la philosophie de Condorcet en France318. Elle bifurque et se distingue

clairement du radicalisme et du libéralisme quand, avec le triomphe de ce dernier, la réalité du projet « progressiste », rationaliste, démocratique, industriel et mercantile laisse apparaître les conséquences indésirables de l'extension de la liberté319. Ces conséquences apparaissent au

premier chef dans le domaine économique, et la naïveté de la théorie économique classique, radicale-libérale, ainsi que sa confiance excessive dans l'identification possible des différents intérêts via les mécanismes du marché, sont désormais critiquées. Le mot de « socialisme » apparaît d'ailleurs tardivement, dans les années 1820 et 1830, lorsque « l'économie politique » classique et l'économie capitaliste effective sont déjà bien déployées en Angleterre320. Comme

317 Voir i.0.2.2.

318 Michel WINOCK (1978), pp.20-21, souligne que

« Jusqu'en 1789, le socialisme – dans ses ébauches [c'est-à-dire, sous les traits littéraires de l'utopie] – avait été rêvé. Or, c'est au cours de la Révolution française que le socialisme d'imagination va devenir un socialisme d'action. […] En ce sens, la Révolution rend possible, au moins mentalement, le passage de l'utopie à l'action. »

Il ajoute plus bas (p.22) :

« La Révolution française est ainsi devenue un paradigme dont les révolutions suivantes s'inspirent. […] C'est grâce à la Révolution que le socialisme devient pensable. »

319 Voir I.0.1.1. et I.0.1.2. sur le radicalisme antérieur et contemporain de Mill, et i.0.3. sur la « crise du libéralisme » à la fin XIXe siècle.

320 Robert Owen semble être l'un des inventeurs du terme « socialisme », qu'il désigne d'abord par l'expression « mouvement social ». Voir HALÉVY (1940), p.21 :

« Le mot socialisme est moderne. Il est né à peu près simultanément en France et en Angleterre, entre 1830 et 1840. Mot nouveau, il répond à des réalités nouvelles. »

le souligne Élie HALÉVY (1940), le socialisme se cristallise prioritairement comme un projet réactionnel de nature bien plus économique que politique, visant à l'amélioration matérielle des conditions de vie par des moyens réformistes ou révolutionnaires321.

Il appartient alors à l'Humanité de faire advenir un monde meilleur, par son action sur les différents rapports sociaux et notamment de production, et le mouvement historique est conçu comme se déployant à l'échelle collective, celle-ci recouvrant à la fois une perspective universaliste et une division pratique de la société en groupes restreints que sont (dans le

« 1. En France chez les Saint-Simoniens, parmi lesquels Pierre Leroux prétend avoir été le premier à lui donner un sens précis et à en faire le nom d'une doctrine ; il entendait par là l'excès opposé à l'individualisme, la théorie qui subordonne entièrement l'individu à la société […] [En quelque sorte,

donc, un synonyme de « holisme » au sens de Dumont]

2. En Angleterre, dans l'école de Robert Owen. Il y devint usuel au cours des discussions de l'Association of all classes of all nations, fondée par Owen en 1835. »

Voir aussi plus récemment et plus précisément Michel WINOCK (1978), p.11 – qui se réfère lui-même à

GANS Jacques (1957), « L'origine du mot 'socialiste' et ses emplois les plus anciens », Revue d'histoire

économique et sociale, 1957, XXXV/1 :

« Si les termes socialiste et socialisme apparaissent en Angleterre dès 1822, sous la plume des hommes proches de Robert Owen, ancien industriel, qui passe pour l'inventeur de la doctrine, on ne les relève en France qu'à partir de 1831. Le 12 avril 1833, dans La Réforme industrielle, journal de Charles Fourier, on lit une annonce concernant une réunion où « les socialistes et les industrialistes » seront en majorité. Forgé en Grande-Bretagne au début des années 1820, le mot ne devient vraiment usuel des deux côtés du Pas de Calais qu'une dizaine d'années plus tard. »

Il est intéressant de constater schématiquement que d'un substrat commun anti-privilèges et pro-liberté issu des Lumières, parallèlement à l'essor industriel moderne, les courants de pensée libéral d'un côté, socialiste de l'autre, se séparent nettement dès la fin des guerres napoléoniennes. Le libéralisme, proche un temps du radicalisme qui promeut le suffrage universel (et s'incarnerait dans une frange du Chartisme), s'en distingue de plus en plus en refusant le nivellement démocratique (les libéraux ne sont pas démocrates). Les socialistes, d'abord focalisés sur les questions économiques, en viennent pourtant bientôt, pour une large majorité d'entre eux, à défendre la démocratie comme moyen d'égalisation et d'émancipation des plus humbles (on pense par exemple à la figure à la fois romantique et socialiste de Lamartine dans la Révolution de 1848 en France). Réciproquement, le mouvement démocrate, d'abord sans lien avec les idées des socialistes, voient en eux des alliés à partir des années 1830. Voir là encore HALÉVY (1940), op. cit., p.80, et p.29 :

« La fusion de l'idée démocratique et de l'idée socialiste ne s'accomplit pas tout de suite. [En France] La révolution de 1830, si elle fut un mouvement d'inspiration républicaine et anti-cléricale, n'est nullement socialiste. »

« […] vers 1840, en France comme en Angleterre, socialisme et démocratie tendent à se rapprocher. En Angleterre, cette réconciliation est marquée par le chartisme ; en France, des hommes comme Blanqui et louis Blanc suivent une orientation analogue. »

Notons toutefois clairement que même si nous réutilisons une partie de ses recherches sur la généalogie des courants politiques et sa philologie des théories, nous n'adhérons pas aux critères de délimitation à nos yeux trop larges proposés par Élie Halévy qui lui permettent de faire, sans autre nuance, du conservateur mystique Carlyle et de l'esthète réactionnaire Ruskin « deux théoriciens anglais du socialisme » (op. cit., p.375). Nous préférons adopter les grilles de lecture expliquées ci-dessus et en Introduction (i.0.2.), obligeant à parler de « social-conservatisme » pour décrire les penseurs susmentionnés et empêchant de réduire le socialisme à une simple attitude économique favorable à la fraternité, à la juste rémunération du travail ou hostile à l'industrialisation.

Le socialisme apparaît comme une Weltanschauung plus complexe qui englobe l'économique mais ne s'y réduit pas, et qui subsume la distinction soulignée par Michel WINOCK (1978) entre « doctrine socialiste » et « mouvement socialiste » (op.cit., p.11).

321 Voir Halévy, op. cit., p.49 : dans les années 1830,

« le socialiste est celui qui se désintéresse de la politique et ne cherche à résoudre que la question sociale ; celui qui se préoccupe uniquement de réorganiser la société pour en éliminer la misère, sans rien demander à l'État. »

lexique marxien, marxiste et par extension chez la plupart des socialistes) les « classes ». Au sein de celles-ci, les « classes laborieuses », en tant que classes productives, tiennent ou devraient tenir une place prépondérante dans la marche de l'Histoire. Le but est ultimement d'atteindre une sorte de « fin de l'Histoire » harmonieuse et propice au bonheur, quelles qu'en soient les modalités d'advenue et que celle-ci soit conçue comme l'aboutissement « naturel » du capitalisme en place ou comme sa subversion radicale et constructiviste par des forces contestataires.

Michel Winock résume avec justesse le paradigme démocratico-égalitaire qui n'est pas tant strictement égalitaire que fondé sur l'idée de participation équitable et d'organisation (scientifique) dans la pensée socialiste, à tous les niveaux de la vie économique et sociale, en lien avec une conception historicisme polarisée par l'idée de Progrès graduel ou brutal :

« […] le socialisme est fondé sur une philosophie de l'histoire occidentale, reposant elle-même sur l'idée de progrès, c'est-à-dire de la transformation du monde dans un sens positif. Il vise à la création d'une société égalitaire par l'organisation de la production et la substitution de la propriété sociale à la propriété individuelle ou capitaliste. Cette société doit être le règne de la démocratie réelle, à la fois politique et économique, dans la cité comme dans l'entreprise. »322

C'est pourquoi Michael FREEDEN (2003) souligne aussi à raison que la tendance majoritaire de l'idéologie socialiste est de considérer le déploiement historique à l'échelle des groupes : ce sont eux qui agissent dans l'Histoire – quand bien même il ne s'agirait pas explicitement de « classes » bien cloisonnées. Les caractéristiques que compile l'auteur sont aussi importantes les unes que les autres mais peuvent toutes être reliées au dénominateur commun qu'est l'orientation historique du collectif en vue de la production concertée d'un futur désirable :

« Premièrement, [le socialisme] voit l'unité de base de la société dans le groupe, qu'il s'agisse de la société dans son ensemble ou d'un groupe plus restreint comme une commune ou un syndicat. Pour les socialistes, les êtres humains sont constitués par leurs relations avec leur environnement humain et même non-

Au-delà de la justesse descriptive de cette remarque pour qualifier l'émergence historique des mouvements socialistes voir ci-dessus notre nuance concernant l'appréhension de l'idéologie socialiste dans son ensemble. Nous pouvons également mentionner l'analyse de Durkheim en ce qui concerne l'attachement socialiste à « l'organisation », qui peut se passer d'État (avec l'« autogestion ») mais peut tout aussi bien y faire appel, in DURKHEIM Émile (1928), Le Socialisme, 1978, Retz, p.42, cité par Winock, op. cit., p.28) :

« Le socialisme est essentiellement une tendance à organiser […] ; l'amélioration du sort des ouvriers n'est qu'une des conséquences que le socialisme espère de l'organisation économique qu'il réclame. »

humain. […] Deuxièmement, il a la passion de l'égalité, il est pour la suppression des distinctions hiérarchiques et pour la redistribution des biens sur la base des besoins humains. Troisièmement, il identifie le travail (aussi appelé labeur, créativité, productivité ou activité) comme la caractéristique distinctive de la nature humaine, et partant, comme l'élément de base autour duquel l'organisation sociale doit être structurée. Quatrièmement, il chérit un idéal de bien-être ou d'épanouissement humain qui se fonde sur l'éradication de la pauvreté et, sur le plus long terme, sur la libre participation de tous à la prospérité matérielle et intellectuelle de l'Humanité. Cinquièmement, il exprime une croyance dans la promesse portée par le processus historique et dans la capacité des êtres humains à diriger ce processus dans le sens du progrès. Le socialisme est prioritairement orienté vers le futur et très critique envers le passé et le présent. »323

En effet, on peut noter que les caractéristiques deuxième et quatrième se rejoignent et forment l'idéal normatif de justice ; la première et la troisième apparaissent comme les moyens, fondés sur des conceptions sociologiques, en vue de cette fin ; la cinquième, enfin, rassemble et dépasse les autres et constitue la marque « socialiste » proprement dite324. Sous

323 Op. cit., p.83 :

« First, [socialism] sees the group as the basic social unit, whether society as a whole or a smaller group such as a commune or a syndicate. For socialists, human beings are constituted by their relationships with their human and, at one remove, their non-human environments. […] Second, it has a passion for equality, for the removal of hierarchical distinctions, and for the redistribution of goods on the basis of human need. Third, it singles out work (also termed labour, creativity, productivity or activity) as the fundamental constitutive feature of human nature, and accordingly the basic element around which social organization must be structured. Fourth, it cherishes an ideal of human welfare or flourishing based in the short run on the elimination of poverty and in the longer run on the free participation of all in the material and intellectual inheritance of humanity. Fifth, it fosters a belief in the promise held out by the historical process and the ability of human beings to direct that process to beneficial ends. Socialism is importantly future-oriented and heavily critical of the past and the present. »

324 On remarquera cependant que, dans certaines traditions utopiques, progressisme et réaction – au sens de rejet du présent au profit d'un passé fantasmé, d'un « âge d'or » perdu – peuvent s'accorder, le modèle passé devenant un objectif d'avenir (moyennant évidemment une transposition, et non un simple retour en arrière). William Morris, par exemple, meneur du mouvement socialiste Arts and Crafts à la fin du siècle, incarnera bien cette tendance en vantant le modèle des guildes corporatistes du XIVe siècle. Sur les liens entre la pensée de William Morris et celle de Mill, voir III.2.2.3.

Néanmoins, cette tendance utopique-réactionnaire ne doit pas être surestimée, ni surtout servir à discréditer le devenir ultérieur du socialisme ou de l'écologie (comme le fait, entre autres, FRANÇOIS Stéphane (2012),

L'Écologie politique, une vision du monde réactionnaire ?, Paris, Cerf, 160 p. : voir notre réponse en IV.0.3.1.). En

effet elle s'efface et devient rapidement minoritaire au profit de la généralisation d'une philosophie plus linéaire de l'Histoire (au rebours d'une conception cyclique) à mesure que l'industrialisation et la démocratisation des sociétés occidentales s'installent comme configuration irréversible.

C'est à ce titre que WINOCK (1978) voit proprement en Saint-Simon un précurseur du socialisme « moderne », c'est-à-dire progressiste et propre au XIXe siècle, et non « rétrograde » comme les ébauches des siècles précédents (op. cit., pp.26-28) :

« Saint-Simon croit au progrès, à l'évolution, à l'impossibilité d'un retour à l'ancienne société ; il a foi en l'avenir de la science et du genre humain. […] Si l'on doit […] le compter parmi les précurseurs du socialisme, c'est à la fois par sa conviction qu'un progrès industriel représente la direction la plus

un angle davantage pratique, ces différents éléments sont complétés par Michel Winock qui, au-delà de l'orientation historique déjà mentionné, énumère les caractéristiques suivantes pour rassembler les différentes mouvances socialistes :

« […] l'imaginaire utopique, une philosophie de l'histoire, une base « scientifique » (la critique de l'économie politique), une base politique (l'aspiration démocratique), une base sociale (la formation d'un prolétariat issu de la révolution industrielle) »325

Ces différentes caractéristiques permettent d'unifier à grands traits le déploiement des mouvements effectifs d'action politique et sociale. Nous nous focaliserons néanmoins davantage sur les caractéristiques plus idéologiques et doctrinales, même si les trois premiers points soulignés par Winock ressortissent à l'idéologie : polarisation de la conception de l'histoire vers le futur – et un futur désirable aux contours potentiellement « millénaristes » –, mise en évidence des limites des premières théories du marché, soubassement et conséquences ontologiques et sociaux de celle-ci en termes de justice, fraternité et organisation de la production et de la répartition des richesses.

À l'intérieur de ce cadre de pensée général, le socialisme se déploie dès le premier XIXe siècle dans des directions variées et géographiquement différenciées. Cette disparité est soulignée par Mill lui-même, par exemple dans ses Chapters on socialism où il distingue dans le(s) socialisme(s), comme dans toute doctrine politique, deux tendances : l'une critique ou caustique, posant un diagnostic sur l'état présent de la société, l'autre constructive et prescriptive, indiquant des correctifs à apporter326. L'Angleterre, berceau de la Révolution

industrielle, est naturellement la nation qui voit se constituer les premiers courants socialistes revendiqués, opposés au paupérisme et à l'optimisme libéral en matière de justice sociale (tel qu'incarné à leurs yeux par Ricardo et ses disciples, ou encore par Jean-Baptiste Say en France).

certaine de l'histoire, et que la finalité de ce progrès était de servir la classe la plus pauvre. »

C'est dans cette perspective, bien sûr, que se situent John Stuart Mill et les penseurs qui nourrissent sa réflexion, notamment Tocqueville.

325 Op.cit., p.13.

326 Voir CW:5, p.711. Pour Mill, l'unité des différents mouvements est à chercher davantage du côté du diagnostic, qui témoigne bien d'une commune représentation du monde ou d'une conception commune de la justice :

« Jusqu'à un certain point, ils cultivent la même conception générale du remède à apporter à ces défauts ; mais dans les détails, nonobstant cet accord général, on constate une grande disparité. »

(« Up to a certaain point they entertain the same general conception of the remedy to be provided to those faults ; but in the details, notwithstanding this general agreement, there is a wide disparity. »)

C'est Robert Owen (1771-1858) qui apparaît comme le pionnier du socialisme identifiable comme tel et le fondateur de sa branche « utopique », en posant dès 1815 les bases du mouvement coopératif. Patron d'usine, il propose l'encadrement du temps de travail327, instigue des expériences socialistes dans les workhouses accueillant les pauvres et

développe une sorte de paternalisme social visant à constituer des usines-modèles où les travailleurs de tous âges seraient protégés, avec salaires fixes, temps de travail encadré et écoles et jeux pour les jeunes enfants. Son postulat est que non seulement le bien-être des travailleurs n'est pas incompatible avec la productivité, mais qu'au contraire cette dernière est bien plutôt accrue par le bien-être au travail. Ce socialisme, compatible avec un certain conservatisme et non sans rapport avec ce qui se développera en France sous le nom de « catholicisme social », permet également l'encadrement moral des travailleurs sous l'égide de l'entrepreneur.

En 1817, il est le père de la théorie des « trois 8 » qui deviendra une revendication de la Première Internationale des travailleurs (1864-1876) : « 8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de sommeil ». Au fil du siècle, les Owenites mettent en place différents projets de coopératives, parmi lesquelles celle de Brighton, en 1828, est la première à allier production et distribution328. Les magasins coopératifs connaîtront ensuite une recrudescence dans les

années 1840. Le mouvement essaime également aux États-Unis, où Owen lui-même fonde en 1826 une colonie utopique expérimentale à New Harmony (Indiana). Réciproquement, c'est inspiré par des expériences américaines qu'il fonde, de 1832 à 1834, des bourses du Travail (National and Equitable Labour Exchange), permettant d'acquérir des biens manufacturés sans intermédiaire, au prix estimé du travail lui-même.329

On note aussi avec Élie Halévy, qui voit en lui « les origines anglaises du marxisme »330,

l'importance de la pensée de l'Anglais Thomas Hodgskin (1787-1869), issu de l'utilitarisme, devenu un critique majeur du capitalisme et le meneur d'un mouvement syndical cependant attaché au libre-échange et opposé à tout communisme (notamment owenite). Il faut rappeler à cet égard que l'Angleterre est un pays pionnier de la reconnaissance des droits sociaux des travailleurs, avec en particulier la reconnaissance du droit de « coalition », soit droit de grève,

327 Il est entre autres en 1815 à l'origine du projet de loi, amoindri et adopté par le gouvernement Peel en 1819, modifiant la loi de 1802 et limitant à 12h la journée de travail des enfants de 9 à 16 ans dans les filatures de coton et interdisant le travail des enfants de moins de 9 ans. Les différents Factory Acts se succèdent jusqu'en 1891 et raccourcissent progressivement la durée du temps de travail des adultes (y compris des femmes en 1844) et des enfants de plus de 13 ans, par exemple en passant de 12 à 10 heures par jour (en 1847), avec enfin un repos dominical généralisé.

328 Élie HALÉVY (1940) remarque que le principe coopératif est davantage axé, en France sur la production

(associations), en Angleterre sur la consommation (cooperative stores).

329 Voir entre autres GARNETT Ronald George (1972), Co-operation and the Owenite Socialist Communities in

Britain, 1825-1845, Manchester University Press, 272 p.

dès 1824 (alors qu'il faudra attendre 1884 et la loi Waldeck-Rousseau en France). Elle est aussi la terre de naissance des trade-unions : ces syndicats ouvriers, en marge des courants socialistes et pour la plupart rompus à la théorie du libre-échange, n'en visent pas moins à instaurer un contre-pouvoir ouvrier aux capitaines d'industrie (dans l'esprit anglais des checks and balances) et à permettre aux travailleurs de négocier à égalité avec les employeurs et les capitalistes331. Leur existence et leur puissance sont attestées dès le premier quart du siècle,

Dans le document John Stuart Mill, libéral utopique (Page 156-172)