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La microstructure avant déformation ayant été caractérisée, de nouvelles analyses ont été effectuées sur un fil tréfilé à  = 3,42, d’un diamètre de 0,31 mm. Rappelons que le fil a été conservé à basse température selon le protocole de stockage établi au chapitre II. Dans le but d’obtenir une bonne représentativité malgré l’hétérogénéité du matériau, quatre pointes ont été préparées et analysées.

Les figures III.15 et III.16 représentent la reconstruction en trois dimensions d’un volume ana-lysé sur l’échantillon écroui, selon deux angles d’observation différents. Dans un premier temps, il est intéressant de noter que la structure lamellaire persiste pour des déformations rationnelles de l’ordre de  = 3,4 : des lamelles riches en carbone sont toujours visibles. Néanmoins, à première vue, ces lamelles ne semblent pas toutes présenter une concentration en carbone équivalente. Afin d’analyser l’effet de la déformation sur la cémentite ainsi que sur la ferrite, les deux phases vont maintenant être étudiées séparément.

2.2.1 Evolution des lamelles de cémentite au cours du tréfilage

L’analyse des quatre pointes étudiées présentant des résultats fortement similaires, une seule pointe a été choisie pour illustrer la discussion.

Les figures III.15 et III.16 représentent les profils de concentration réalisés au travers de deux lamelles riches en carbone provenant du même volume.

A première vue, les profils de concentration en carbone se caractérisent par une teneur maxi-male bien inférieure aux 25 % atomique correspondant à la cémentite stœchiométrique. Cette observation, de nombreuses fois reportée dans la littérature [HON 99, HON 01, BAL 07, MIN 10, LI 11b], apporte une preuve supplémentaire du phénomène de décomposition de la cémentite au cours du tréfilage dans notre acier.

La comparaison de ces quatre profils amène à une seconde constatation : la teneur en carbone est très hétérogène le long d’une même lamelle. Ce point est d’autant plus marqué pour la lamelle analysée sur la figure III.15. En effet, dans le volume analysé représenté en rouge, la teneur en carbone est voisine de 20 % atomique, soit presque la teneur nominale en carbone dans la cémentite de 25 %. Toutefois, dans le volume analysé représenté en vert, la concentration maximale en carbone est inférieure à 10 % atomique.

Cette forte hétérogénéité de concentration peut aussi être illustrée par une cartographie chimique en deux dimensions. La figure III.17 montre ce type de représentation dans le cas d’un sous-volume de 6x10x25 nm3 sélectionné au sein d’une zone riche en carbone. Elle met en évidence à la fois l’hétérogénéité de concentration en carbone de la lamelle et la présence de globules de cémentite stœchiométrique à l’état t0 après tréfilage à  = 3,42.

La mise en évidence de ces globules de cémentite amène à se questionner sur leur origine. En d’autres termes, ces globules sont-ils des résidus de lamelles de cémentite ou proviennent-ils d’une reprécipitation au cours d’un vieillissement non contrôlé (vieillissement dynamique au cours du tréfilage, vieillissement au cours de la préparation des pointes, ...) Une façon d’apporter des éléments de réponse consiste à s’intéresser à la répartition des éléments d’alliage entre les phases. En effet, comme nous venons de le voir, à l’équilibre, la cémentite se trouve enrichie en chrome et appauvrie en silicium à l’inverse de la ferrite. Ainsi, dans le cas où les globules de cémentite correspondraient à des fragments lamellaires non dissouts, ces derniers devraient pré-senter des teneurs en chrome et silicium similaires à celles observées pour la perlite non tréfilée. Au contraire, dans le cas où ces globules seraient liés à une reprécipitation du carbone, cette répartition des éléments d’alliage ne devrait pas être respectée du fait des temps et tempéra-tures mis en jeu trop faibles pour permettre une diffusion suffisante de ces atomes. En effet, une rapide estimation des coefficients de diffusion du carbone, du silicium et du chrome dans la ferrite pour différentes températures auxquelles auraient pu être soumis les échantillons montre que le silicium et le chrome présentent une mobilité négligeable devant celle du carbone (tableau III.5).

Eléments D0 (m2.s−1) Q (kJ/mol) D25C(m2.s−1) D100C (m2.s−1)

Carbone 3,94.10−3 80,2 3,44.10−17 2,31.10−14

Silicium 0,735 219,9 2,09.10−39 1,18.10−31

Chrome 1,480 229,9 7,43.10−41 9,42.10−33

Table III.5: Comparaison des coefficients de diffusion du carbone, du silicium et du chrome dans la ferrite à 25°C et 100°C. Les valeurs des paramètres D0et Q proviennent de [BRA 92].

Observation des évolutions microstructurales au cours du tréfilage par Sonde Atomique Tomographique

Figure III.15: Reconstruction 3D d’un volume analysé sur un fil déformé à  = 3,42 à l’état “t0”. Pour une meilleure visibilité, seuls les ions associés aux atomes de carbone sont représentés. Deux sous-volumes (rouge et vert) de 5x5x10 nm3 ont été sélectionnés pour réaliser des profils de concentration au travers d’une première lamelle riche en carbone, à deux profondeurs d’analyse différentes (épaisseur du volume d’échantillonnage de 1 nm).

Figure III.16: Reconstruction 3D d’un volume analysé sur un fil déformé à  = 3,42 à l’état “t0”. Pour une meilleure visibilité, seuls les ions associés aux atomes de carbone sont représentés. Deux sous-volumes (rouge et vert) de 5x5x10 nm3 ont été sélectionnés pour réaliser des profils de concentration au travers d’une seconde lamelle riche en carbone à deux profondeurs d’analyse différentes (épaisseur du volume d’échantillonnage de 1 nm).

Figure III.17: Cartographie de la composition en carbone en 2D d’un sous-volume de 6x10x25 nm3 sélectionné au sein d’une lamelle riche en carbone (échantillonnage : 1,5 nm).

Pour répondre à la question concernant l’origine des globules de cémentite, les profils de concentration en silicium ont été superposés aux profils de concentration en carbone sur les figures III.15 et III.16. Notons que seul le silicium a été pris en compte ici puisque la répartition préférentielle du chrome ne semble pas facilement observable sur les profils de concentration (figure III.13(b)). Malgré les importantes barres d’erreur associées à la concentration en silicium, deux types de profils peuvent être distingués en fonction de la teneur maximale en carbone. Ainsi, dans le cas des profils réalisés à travers des globules de cémentite (sous-volume rouge de la figure III.15), la répartition préférentielle du silicium dans la ferrite, et particulièrement aux interfaces, est bien observée. D’après le raisonnement présenté plus haut, ceci pourrait indiquer que ces globules correspondent bien à des “restes” de cémentite non ou très peu dissoute.

Au contraire, les profils correspondant au sous-volume vert de la figure III.15 ainsi qu’à ceux de la figure III.16 et présentant des teneurs en carbone très inférieures aux 25 % atomique de la cémentite, ne mettent en évidence aucune répartition préférentielle du silicium. Au contraire, les teneurs en silicium au sein de ces zones riches en carbone s’apparentent à la concentration d’équilibre de cet élément dans la ferrite. Toujours selon le même raisonnement, ces régions ne semblent pas assimilables à des fragments de cémentite dissouts mais plutôt à des régions vers lesquelles le carbone provenant de la cémentite aurait diffuser au cours de la déformation.

Ces observations nous ont amenés à nous interroger sur cette alternance de globules proches de la concentration stœchiométrique et de zones à plus faible teneur en carbone (autour de 10 % atomique) avec une période de l’ordre de 20 nm. Un mécanisme a alors été proposé dans le but de rendre compte d’une telle structure après tréfilage. Ce dernier est résumé de façon schématique sur la figure III.18.

Considérons une colonie perlitique désorientée par rapport à l’axe de tréfilage : les lamelles de cémentite vont avoir tendance à se fragmenter puis à s’affiner pour accommoder la déformation imposée, comme l’ont montré Langford [LAN 70] et plus récemment Zhang et al. [ZHA 10]. Cette fragmentation des lamelles engendrerait ainsi l’apparition de zones de concentration de défauts microstructuraux au niveau des points de fracture. Les atomes de carbone à proximité pourraient ainsi avoir tendance à diffuser sur ces défauts sous l’effet Gibbs-Thomson ou encore du fait de la forte énergie d’interaction entre atomes de carbone et dislocations. Sous l’effet de la déformation, les fragments de cémentite restants ainsi que ces régions riches en défauts et en carbone devraient continuer à s’affiner et s’allonger donnant ainsi naissance à la microstructure complexe observée. Bien que nécessitant des observations complémentaires notamment à plus

Observation des évolutions microstructurales au cours du tréfilage par Sonde Atomique Tomographique

Figure III.18: Représentation schématique d’un scénario potentiellement responsable de l’évolution mor-phologique et de l’hétérogénéité des lamelles de cémentite au cours du tréfilage.

faible déformation rationnelle, ce scénario permet de rendre compte à la fois de l’hétérogénéité au sein même d’une lamelle riche en carbone ainsi que de son aspect irrégulier.

L’évolution morphologique des lamelles de cémentite ayant été analysée, il reste à comprendre comment le scénario proposé influe sur les lamelles de ferrite et notamment sur leur composition en carbone.

2.2.2 Evolution des lamelles de ferrite au cours du tréfilage

Dans le but de caractériser l’évolution de la ferrite au cours du tréfilage, des mesures de concentration en carbone ont été réalisées au sein de deux lamelles de ferrite dans trois pointes différentes. Les sous-volumes sélectionnés pour la mesure ont été choisis en fonction de chaque lamelle étudiée dans le but d’analyser le plus grand nombre d’atomes possible tout en prenant soin de ne pas sélectionner de régions s’apparentant aux lamelles riches en carbone.

Les concentrations ont une nouvelle fois été déterminées à partir des spectres de masse des sous-volumes, après soustraction du bruit de détection. Les résultats de l’étude sont répertoriés sur l’histogramme de la figure III.19.

De façon similaire à ce qui a pu être vu dans le cas de la cémentite, le principal point qui se détache de cette figure est l’importante disparité des teneurs en carbone mesurées dans la ferrite. En effet, au sein d’une même pointe, deux lamelles peuvent présenter des teneurs en carbone extrêmement différentes. Ainsi, dans le cas de la pointe A, la première lamelle étudiée

Figure III.19: Histogramme représentant la teneur en carbone dans la ferrite. Les mesures ont été réalisées au sein de deux lamelles différentes dans trois pointes (A, B et C) à partir des spectres de masse corrigés correspondants.

contient environ 0,1 % atomique en carbone (0,02 % massique), valeur correspondant à la limite de solubilité du carbone dans la ferrite au niveau du palier eutectoïde, alors que la deuxième lamelle considérée présente une concentration sept fois plus élevée. Le même constat peut être fait concernant la pointe notée B avec une teneur en carbone pouvant atteindre 1,2 % atomique (0,27 % massique). La pointe C quant à elle présente moins de variation de concentration d’une lamelle à l’autre mais leur teneur en carbone est supérieure à ce que peut accueillir la ferrite à l’équilibre.

Bien que ces résultats ne fournissent pas d’information concernant la localisation du carbone dans la ferrite (ie. en interstitiel ou ségrégé sur les défauts), ils fournissent une indication sup-plémentaire qui semble confirmer la sursaturation locale de la ferrite après tréfilage. Ce point est d’autant plus probant que la valeur moyenne des teneurs mesurées sur l’ensemble des lamelles étudiées par SAT vaut 0,47 % atomique, soit 0,1 % massique, valeur du même ordre de grandeur que la teneur en carbone globale d’environ 0,075 % massique déterminée à partir des techniques indirectes pour  = 3,4 (figure III.6).