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La technique principale utilisée lors de mes travaux de thèse est la microscopie à effet tunnel (STM). Inventée en 1981 par Binnig et Rohrer, elle leur vaudra le prix Nobel de physique en 1986 [124], c’est la première technique à permettre l’imagerie directe à l’échelle atomique, notamment la reconstruction 7x7 du Si(111) en 1983 [125]. C’est également la première technique à permettre la manipulation d’atomes uniques, par exemple la formation d’un “corral” atomique [126], voir figure1.2a.

1.3.1 Effet tunnel

Le principe de base du STM est l’effet tunnel, un effet quantique proposé au début du XXème siècle qui a été démontré expérimentalement en 1957 après la découverte de la diode tunnel [127,128], ce qui valut le prix Nobel de physique à Leo Esaki. Cet effet découle des propriétés quantiques de l’électron. En physique classique, un objet rencontrant une barrière de potentiel qu’il est incapable de franchir est arrêté ou réfléchi à cette barrière. Cependant les propriétés ondulatoires de l’électron entraînent un comportement différent. La fonction d’onde de l’électron ne peut s’annuler instantanément à une barrière de potentiel non infinie (figure1.3). Ainsi on trouve une partie exponentiellement décroissante de sa fonction d’onde dans le milieu où se trouve la barrière de potentiel. Si la barrière de potentiel est assez faible et assez peu épaisse, une partie de la fonction d’onde (atténuée) peut se propager de l’autre côté de la barrière. Étant donnée l’interprétation habituelle du carré du module de la fonction d’onde

F. 1.3 : Effet tunnel en 1D pour un potentiel en créneau. E est l’énergie de l’électron incident et V la hauteur du potentiel.

comme la probabilité de trouver l’électron à une position et un instant donné, cela signifie qu’il existe une probabilité non-nulle pour tout électron incident sur une telle barrière de potentiel de passer à travers ! On peut prendre comme analogie classique le comportement d’une onde lumineuse incidente sur une surface réfléchissante qui génère une onde évanescente décroissant exponentiellement dans le matériau et une onde propagative réfléchie. Cet effet est utilisé en spectroscopie infrarouge en réflexion totale atténuée (ATR, Attenuated Total Reflexion) où la partie évanescente de l’onde lumineuse permet d’exciter les vibrations des molécules proches de l’interface (sur une distance de l’ordre de la longueur d’onde).

Un traitement simplifié pour un potentiel en 1D permet, pour des ondes planes incidentes, de résoudre l’équation de Schrödinger en une dimension :

− ℏ

2

2𝑚 d2

d𝑥2𝛹(𝑥) + 𝑉 𝛹(𝑥) = 𝐸𝛹(𝑥) (1.3)

avec ℏ la constante de Planck réduite, m la masse l’électron, 𝐸 son énergie et 𝑉 (𝑥) le potentiel. En supposant un potentiel constant par morceau comme présenté figure1.3, l’équation se simplifie en (1.4).

d2

d𝑥2𝛹(𝑥) =

2𝑚(𝑉 − 𝐸)

ℏ2 𝛹(𝑥) (1.4)

Il est possible de la résoudre dans chaque région de l’espace, en particulier à l’intérieur de la barrière on trouve une solution évanescente de la forme :

𝛹(𝑥) = 𝐴𝑒−𝐾𝑥𝑎𝑣𝑒𝑐 𝐾 = √2𝑚(𝑉 − 𝐸)

ℏ (1.5)

Si l’épaisseur et la hauteur du potentiel sont telles que la fonction d’onde est non nulle en 𝑥 = 𝑏. Alors une solution propagative non nulle existe de l’autre côté de la barrière de potentiel. Ce genre de situation où une barrière de potentiel est située entre deux électrode est appelée une jonction tunnel et le courant qui passe entre les deux côté de la barrière de potentiel, le courant tunnel.

F. 1.4 : Schéma de fonctionnement d’un microscope à effet tunnel. Un courant de consigne est spé- cifié et le moteur piézoélectrique déplace la pointe dans la direction perpendiculaire à la surface pour maintenir le courant constant grâce à une boucle de contre-réaction. Ce mouvement du moteur donne une cartographie de la densité électronique sur la surface. Le courant provient principalement des quelques atomes à l’extrémité de la pointe.

1.3.2 Microscope à effet tunnel

Dans un microscope à effet tunnel, nous fabriquons une jonction tunnel entre une pointe métallique et une surface conductrice. La distance entre la pointe et la surface est contrôlée avec une précision de l’ordre d’une fraction d’angström à l’aide d’un moteur piézo-électrique. La résolution latérale du STM est de l’ordre de 0.1 Å et sa résolution dans la direction perpendiculaire à la surface de l’ordre de 0.01 Å. L’extrême sensibilité du STM vient du comportement de la fonction d’onde dans la barrière comme montré par l’équation (1.5). Un changement d’épaisseur de la barrière d’un angström peut modifier le courant tunnel de plus d’un ordre de grandeur. Ainsi on remarque que seuls les quelques atomes à l’extrémité de la pointe participent au courant tunnel. Dans le cas d’une pointe terminée par un atome unique (le cas le plus favorable), l’atome terminal représente 90% du courant tunnel (figure1.4) Le courant tunnel peut être décrit en fonction de l’épaisseur de la barrière 𝑑, de la tension entre les deux électrode (pointe et surface) 𝑉 et de la densité locale d’états électroniques de la pointe et de la surface [129,130] au niveau de Fermi 𝜌𝑠(𝐸𝐹). Seuls certains états électroniques peuvent donc être mesurés,

F. 1.5 : Schéma de la pointe STM en cours de balayage sur une surface métallique présentant des marches atomiques. La ligne rouge représente le mouvement de la pointe et donc le signal fourni par le microscope.

dépendant de la tension appliquée à la jonction tunnel et de la densité d’états au niveau de Fermi de la pointe et de l’échantillon (figure1.6). Si on considère la densité d’états de la pointe constante au cours de l’expérience, on peut écrire :

𝐼𝑡 ∝ 𝑉 𝜌𝑠(𝐸𝐹)𝑒−2𝑘𝑧 (1.6)

En pratique la pointe du STM balaye la surface de l’échantillon et l’électronique de contrôle fixe le courant tunnel souhaité au moyen d’une boucle de contre-réaction. Ainsi le moteur piézo-électrique se déplace dans la direction perpendiculaire à la surface pour maintenir le courant proche de la valeur de consigne. Si la densité locale d’états électroniques mesurée augmente lors du balayage de la surface, la pointe va s’éloigner de la surface. Au contraire si la densité d’états électroniques au niveau de Fermi diminue, la pointe va se rapprocher (Figure1.5). On voit ainsi que le STM est sensible à une infor- mation électronique sur la surface. Dans le cas le plus simple l’information électronique est similaire à l’information topologique et la pointe suit le profil de la surface et des molécules adsorbées. Il est cependant possible qu’en présence de certaines molécules adsorbées, une dépression soit présente ou une très faible corrugaison, comme c’est le cas du CO sur le Pt(111) dans certains modes d’adsorption [131]. Ainsi il n’est pas évident a priori de déterminer l’identité des différentes protusions présentes sur une image STM. Notons cependant qu’une analyse des images en terme d’information topologique est souvent pertinente mais doit toujours être considérée avec prudence. En cas de doute, compléter les expériences STM avec des calculs théoriques et des mesures spectroscopiques se révèle nécessaire. Il faut aussi remarquer que l’information fournie par une image STM à une tension tunnel constante ne contient pas d’information chimique directe. Le STM ne peut pas distinguer un électron issu d’un carbone, d’un azote ou d’un atome de platine. Cette limitation rend également l’utilisation de tech- niques spectroscopique et de calculs théoriques importante pour extraire un maximum d’information des expériences d’imagerie.

F. 1.6 : Description de l’effet tunnel entre une pointe STM et une surface sous une tension tunnel 𝑈𝑇. 𝐸𝐹𝑒𝑟𝑚𝑖désigne l’énergie du niveau de Fermi dans la pointe et la surface. 𝜙𝑒𝑐ℎet 𝜙𝑝𝑜𝑖𝑛𝑡𝑒représentent le travail de sortie de la surface et de la pointe, respectivement.

1.3.3 STM Aarhus

Deux microscopes à effet tunnel ont été utilisés lors de mes travaux de recherche, tous deux fabriqués par SPECS et de modèle Aarhus 150. Ils sont issus du modèle de STM mis au point à l’université d’Aarhus par le groupe de F. Besenbacher pour étudier des phénomènes en catalyse hétérogène [132]. Ce STM est doté d’une grande vitesse de balayage et d’une très faible sensibilité aux vibrations ce qui le rend extrêmement intéressant pour nos recherches. Le premier STM fait partie d’un système multi-analytique décrit précédemment [133]. Le second STM est une variante du modèle Aarhus 150 qui permet d’effectuer aussi bien des mesures AFM que STM sous UHV, seules les capacités STM ont été utilisées lors de mes travaux. J’ai été en charge de l’achat et du dimensionnement de ce système. Le STM est installé sur un système UHV simple à deux chambres uniquement dédié à la microscopie à effet tunnel à température variable. Ainsi tout a été optimisé lors de la conception et de l’installation du système pour cette seule technique, notamment la configuration de l’introduction des réactif et le mode de transfert de l’échantillon. Cela le rend plus efficace et productif pour les expériences réalisées durant ma thèse.

Lors de l’installation de ce nouveau système nous avons également fait l’acquisition d’une nouvelle électronique haut de gamme de marque Nanonis qui permet un contrôle accru des paramètres du STM (gain de la boucle de contre réaction, programmation des expériences) et un suivi en temps réel de toutes les entrées et sorties du système. La grande stabilité de cette électronique a facilité les expé- riences à température variable et la calibration du STM en permettant la résolution atomique sur le Pt(111) de façon routinière comme le montre la figure1.2b.

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