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Les études présentées précédemment ont permis de déterminer les populations relatives des différents complexes présents sur la surface (figure0.15). L’information qui en résulte est importante mais elle est lacunaire puisqu’elle ne permet pas directement de déterminer l’activité catalytique des sites ou la dynamique de leur formation. En particulier, il n’est pas possible de savoir si les sites sont isolés les uns des autres ou bien si les réactifs peuvent passer de l’un à l’autre. Ces phénomènes sont intrinsèquement liés à la diffusion des réactifs, phénomène nécessaire à la formation de structures en surface. C’est un phénomène fondamental pour la compréhension de la partie dynamique de l’activité catalytique, de l’accès aux sites actifs mais également des processus comme la nucléation et les changements de phase en surface [106–108].

F. 0.16 : Les trois types de sites principaux sur une surface 111 d’un cristal fcc : simplement lié (on-

top) en vert, ponté (bridge) en rouge et triplement lié (threefold) en bleu. Le disque blanc représente

la position d’un adsorbat simple dans chaque site.

0.5.1 Diffusion moléculaire en surface

La diffusion d’adsorbats en surface a été étudiée depuis longtemps, d’abord pour des atomes puis pour des molécules organiques sur une surface de métal. À cette fin on considère l’adsorbat en interaction avec une grille de sites, pour le Pt(111) elle est hexagonale. L’adsorbat peut sauter d’un site à un autre en dépassant une barrière énergétique, l’énergie d’activation 𝐸𝑎𝑐𝑡. Pour une surface comme le Pt(111) de nombreux sites existent, même pour un adsorbat simple comme le CO qui peut-être adsorbé au dessus d’un atome on-top, entre deux atome sur un site ponté, bridge ou dans un creux entre trois atomes, un site threefold (figure0.16). Pour un adsorbat plus complexe comme le TFAP ou le NEA, les possibilité sont plus nombreuses et les modes de diffusion complexes puisque différents centres de rotation existent dans la molécule.

C’est le sujet de l’étude conjointe STM et DFT présentée au chapitre6.

Si on considère un mode de diffusion particulier, on peut lui attribuer un taux de diffusion. Pour une molécule et un mode de diffusion donné, le taux de diffusion est une fonction de la température et de l’énergie d’activation (équation (1)). Ceci nous permet alors de remonter à la barrière d’activation si des mesures du taux de diffusion sont effectuées à plusieurs températures.

La figure0.17illustre cette situation, une molécule adsorbée se trouve dans un site stable avec une énergie d’adsorption à ce site 𝐸𝑞, pour se déplacer vers un site adjacent par diffusion elle doit dépasser une barrière de potentiel. La molécule doit en effet passer par des géométries d’adsorption moins

stables entre les deux sites. L’état de transition 𝐸𝑇 est définit comme la conformation au sommet de la barrière de potentiel, il est caractérisé par une énergie 𝐸𝐸𝑇. La barrière de potentiel est donnée par

𝐸𝑎𝑐𝑡 = 𝐸𝐸𝑇 − 𝐸𝑞. Les propriétés de l’état de transition gouvernent le processus de diffusion. Dans ce contexte le processus de diffusion peut-être considéré comme n’importe quelle réaction chimique activée thermiquement et être traitée dans le formalisme de la théorie de l’état de transition (Transition State Theory, TST). La “réaction” en question consiste à déstabiliser la liaison entre la molécule et la surface au site stable et à la reformer après le passage de la barrière.

En théorie de l’état de transition, pour une réaction simple : A + B C on peut écrire :

A + B 𝐾‡ [ET]‡ 𝑘‡

C

où [ET]‡ représente l’état de transition et K‡ la constante d’équilibre entre les réactifs et l’état de transition et [k]‡la constante de la réaction de production du produit C. On peut alors écrire la constante

de la réaction en fonction de l’état de transition comme :

𝑘 = 𝑘‡𝐾‡

et on peut montrer [109,110] que :

𝑘 = 𝜅𝑘𝐵𝑇 ℎ 𝑒

−𝛥𝐺‡

𝑅𝑇 (2)

où 𝑘𝐵est la constante de Boltzmann, 𝑇 la température en K, 𝑅 la constante des gaz parfaits, 𝛥𝐺‡l’éner-

gie libre d’activation (de l’état de transition) et 𝜅 est un facteur de probabilité pour la transformation de ET en C qui prend des valeurs entre 0 et 1 [110,111]. Le facteur 𝜅 permet de considérer la possibilité que la molécule à l’état de transition ne devienne pas une molécule de produit. Cette correction n’est pas toujours incluse et devrait rester proche de 1 dans la plupart des cas [112]. On peut ensuite étendre la formule précédente pour expliciter l’enthalpie et l’entropie d’activation comme suit :

𝑘 = 𝜅𝑘𝐵𝑇 ℎ 𝑒

𝛥𝑆‡

𝑅 𝑒−𝛥𝐻‡𝑅𝑇 (3)

En négligeant la faible dépendance de 𝛥𝐻‡avec la température [109], on peut rapprocher cette formule de l’équation d’Arrhenius (équation1) et en apprendre plus sur la signification physique du préfacteur :

𝐴 = 𝜅𝑘𝐵𝑇 ℎ 𝑒

𝛥𝑆‡

𝑅 (4)

On voit ainsi que le préfacteur dépend d’une constante fondamentale 𝑘𝐵𝑇

ℎ , d’une constante phénomé-

nologique 𝜅 et de la variation d’entropie entre les réactifs et l’état de transition. La constante 𝑘𝐵𝑇

ℎ a

une valeur de l’ordre de 1013𝑠−1. On peut la considérer comme une fréquence d’essai, c’est-à-dire la fréquence à laquelle deux molécules vont réagir en l’absence de barrière énergétique et de coût en- tropique. Les réactifs doivent posséder assez d’énergie pour dépasser la barrière mais il est également possible qu’ils doivent se plier à certaines conditions, comme une orientation ou plus généralement une configuration géométrique particulière qui va apporter un coût entropique à la réaction et donc moduler le taux de la réaction par 𝑒𝛥𝑆‡𝑅 (qui se situe entre 0 et 1 si le changement d’entropie est négatif).

F. 0.17 : En haut, barrière à la diffusion entre deux sites stables (bleu) en passant par l’état de tran- sition instable (rouge). En bas, illustration de la géométrie de ces sites, pour passer d’un site stable au-dessus d’un atome à un autre voisin, l’adsorbat doit passer dans un creux, une géométrie moins stable.

Dans le cas de la diffusion d’une molécule sur une surface, une réaction unimoléculaire, il est en général vrai que l’état de transition est semblable au réactif dans son état d’adsorption stable. Dans ce cas on a un préfacteur proche de 1013𝑠−1.

Il est également possible d’exprimer le préfacteur en fonction des degrés de liberté du système de façon explicite [113]. On peut alors montrer que le préfacteur est proportionnel au rapport du produit de toutes les fréquences de vibration propre du système au repos (dans le site stable) sur le produit de toutes les fréquences propres du système à l’état de transition, excepté le degré de liberté qui entraîne la réaction.

∏𝑁𝑖=1𝜈𝑖 ∏𝑁−1𝑗=1 𝜈𝑗

Par exemple, la vibration d’élongation d’une liaison ne sera pas incluse dans le préfacteur si elle se brise durant la réaction qui nous intéresse. Dans le cas un processus de diffusion ce sera la translation dans la direction du mouvement qui ne sera pas incluse. S’il n’existe aucune différence de conforma- tion et de degré de liberté entre l’état stable et l’état de transition, alors le préfacteur se réduit à une fréquence 𝑘𝐵𝑇

ℎ [112,113]. On voit alors que la part entropique du préfacteur est liée au changement de

liberté conformationnelle entre l’état de transition et l’état stable. Même si cet effet est généralement minime, il faut considérer tous les degrés de liberté du système, ainsi si l’état de transition a un effet non négligeable sur les atomes de la surface et qu’il contraint leurs vibrations, cela aura un impact sur le préfacteur.

0.5.2 Mesure expérimentale de la diffusion par STM

On considère que le processus de diffusion d’un site à un autre est aléatoire et suit une loi de Poisson. C’est-à-dire qu’il respecte les conditions suivantes :

• La probabilité d’apparition d’un événement dans un certain intervalle de temps est indépendante de l’apparition d’événements dans les autres intervalles de temps.

• La probabilité d’apparition d’un événement dans un suffisamment petit intervalle de temps 𝛿𝑡 est proportionnelle à 𝛿𝑡.

• La probabilité que plus d’un événement se produise dans un suffisamment petit intervalle de temps tends vers 0.

On peut en déduire que la probabilité de ne pas observer d’événement entre les instants 𝑡 et 𝑡 + 𝛿𝑡 est :

ℙ(𝑁𝑡− 𝑁𝑡+𝛿𝑡 = 0) = 1 − 𝛾𝛿𝑡 + 𝑜(𝛿𝑡)

. On dit alors que le processus suit une loi de Poisson de paramètre 𝛾. Une propriété importante d’un processus de Poisson est que la probabilité qu’aucun événement n’apparaisse pendant un intervalle 𝛥𝑡 est :

ℙ(𝑁𝛥𝑡 = 0) = 𝑒−𝛾𝛥𝑡 (5)

En supposant l’observation d’une molécule en train de diffuser sur une surface avec une fréquence assez rapide pour suivre tous les événements de diffusion, alors il est possible de mesurer la distribution des intervalles de temps entre les événements de diffusion. Si cette distribution suit une loi exponentielle décroissante de paramètre 𝑟, alors le taux de diffusion 𝑟 à cette température est déterminé. Cette mé- thode ne peut être utilisée en toute rigueur que si la vitesse d’acquisition est très rapide, c’est possible avec un STM si une méthode de suivi des molécules est utilisée [114,115].

Il est également possible d’obtenir le taux de diffusion si on ne possède pas une information complète sur la distribution des événements de diffusion. Dans le cas d’une diffusion le long d’un axe il est possible d’utiliser les mesures de distance parcourue entre chaque mesure, sachant que chaque mesure est probablement la somme de plusieurs événements de diffusion, et d’utiliser cette distribution pour évaluer le taux de diffusion. Pour cela il faut décider quels types d’événements seront considérés : diffusion entre sites voisins, diffusion vers un site voisin-de-voisin... L’expression pour la distribution de distance parcourue a été déterminée par Ehrlich [116–118], si on ne considère que des événements de diffusion entre sites voisins en une dimension, on obtient :

𝑥1= 𝑒−𝛾1𝑡𝐼

𝑥(𝛾1𝑡) (6)

où 𝐼𝑥 est la fonction de Bessel modifiée de première espèce et d’ordre 𝑥. Si on considère les diffu- sions entre voisins, voisins de voisins (doubles sauts) et voisins de voisins de voisins (triples sauts), on

obtient : ℙ𝑥3= 𝑒−(𝛾1+𝛾2+𝛾3)𝑡 +∞ ∑ 𝑘=−∞ 𝐼𝑘(𝛾3𝑡) +∞ ∑ 𝑗=−∞ 𝐼𝑗(𝛾2𝑡)𝐼𝑥−2𝑗−3𝑘(𝛾1𝑡) (7)

La sommation dans cette dernière formule permet de prendre en compte toutes les combinaisons pos- sibles de sauts simple, double et triples qui entraînent un déplacement d’une longueur 𝑥. La formule s’étend relativement facilement pour de plus grands sauts multiples mais la complexité explose. Si la longueur exacte en terme de distance inter-sites n’est pas disponible ou bien si le processus ne s’y prête pas, comme dans le cas d’une rotation, il est possible d’évaluer le taux de diffusion à partir des intervalles entre les mouvements mais il faut prêter attention à la possibilité que certains événements de diffusion passent inaperçus. C’est la situation de la plupart des expériences STM qui sont limitées par la durée d’acquisition d’une image. Le taux de diffusion pourrait alors être sous évalué [119,120]. Si les événements de diffusions sont rares par rapport à la vitesse d’acquisition des mesures, cette méthode reste assez précise.

Quelque soit la méthode utilisée pour déterminer le taux de diffusion à une certaine température, il faut alors recommencer la même mesure à plusieurs températures pour suffisamment d’événements de diffusion. On peut utiliser la loi d’Arrhenius (équation1) pour déterminer la barrière d’activation et le préfacteur. Sur une échelle semilog, ils sont contenues dans la pente de la droite et son ordonnée à l’origine, respectivement.

0.5.3 Étude dynamique des sites

L’étude de la diffusion des adsorbats ne se limite pas au comportement de monomères isolés. En effet il est important de considérer la diffusion des réactifs alors qu’ils sont en interaction avec le modificateur. Les degrés de liberté de diffusion du réactif lui permettent d’explorer les différents sites accessibles et de trouver l’environnement le plus stable. La diffusion du modificateur est d’une moindre impor- tance ici puisque ce dernier diffuse beaucoup moins vite que les réactifs à cause de son groupement polyaromatique

L’étude des modes de diffusion en contact avec le modificateur permet également de jauger la section efficace d’interaction des sites. Ainsi il est possible qu’un site soit la géométrie d’interaction la plus probable pour de nombreuse trajectoire de diffusions et qu’un autre ne puisse être atteint que par un petit nombre de trajectoires. Ceci permet d’estimer la partie entropique du processus d’assemblage indépendamment de la stabilité absolue des différentes géométries d’interaction.

La seconde partie de l’étude concerne la stabilité des sites. En effet, en étudiant la diffusion des réactifs en interaction, il est possible d’obtenir une estimation de la barrière de diffusion pour chaque sites. Cette grandeur peut alors être reliée à la stabilité du site en question.

F. 0.18 : (A) Le naphtalène tourne sur lui-même sur la surface. (B) On mesure le temps passé par chaque molécule entre deux rotations. (C) La distribution de ces intervalles donne le taux de diffusion par comparaison avec une loi exponentielle.

Chapitre 1

Partie expérimentale

1.1

Introduction

Les expériences réalisées dans le cadre de cette thèse nécessitent l’utilisation de techniques spécifiques à la science de surface. Ce chapitre servira d’introduction brève à ce domaine pour permettre au lec- teur une meilleure compréhension des résultats présentés. Maintes techniques puissantes de la chimie moderne ne peuvent s’appliquer à proximité d’une surface métallique. Ainsi la résonance magnétique nucléaire (RMN) et les techniques de cristallographie comme la diffraction des rayons X ne sont pas applicables à notre étude. Les techniques de spectroscopie vibrationnelle doivent également être adap- tées.

Nous pouvons cependant tirer profit d’appareils spécifiques à l’analyse de surface tels que le micro- scope à effet tunnel (Scanning Tunneling Microscope, STM) ou le microscope à force atomique (Ato- mic Force Microscrope, AFM). Ces techniques permettent d’obtenir une résolution atomique sur une surface et ouvrent la porte à l’étude de molécules et de sites uniques à la surface d’un catalyseur. La condition de cette résolution est le contrôle parfait des conditions expérimentales et la détermination de la périodicité atomique de la surface. Ceci ne peut être obtenu qu’en travaillant sous ultra-haut vide (UHV).

La méthodologie utilisée lors de mes travaux de thèse consiste à combiner imagerie à l’échelle (sous)- moléculaire, spectroscopie de surface et calculs théoriques. La combinaison de ces outils est nécessaire pour atteindre une compréhension des mécanismes en jeu. Les synergies existantes entre les technique sont explicitées dans la suite de ce chapitre. Les molécules utilisées lors de mes travaux sont soit commercialement disponibles soit le résultat de synthèses pour notre projet par nos collaborateurs du laboratoire Boukouvalas au département de chimie de l’Université Laval.

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