• Aucun résultat trouvé

Microbiote intestinal et maladie de Crohn

Dans le document en fr (Page 46-52)

I. La maladie de Crohn

I.2 Facteurs étiologiques de la maladie de Crohn

I.2.3 Facteurs microbiens

I.2.3.2 Microbiote intestinal et maladie de Crohn

La population bactérienne totale est plus abondante chez les patients atteints de MC comparativement aux sujets sains, que ce soit dans le mucus ou bien associé à la muqueuse intestinale (Swidsinski et al., 2005) (Figure 12). Cependant, la diversité du microbiote est diminuée chez ces patients, avec la perte d’espèces appartenant aux genres Bacteroides, Eubacterium et

Contrôles MC RCH SII Anorexie

Figure 13 : Signature bactérienne de la MC basée sur 8 genres bactériens.

Validation du potentiel discriminant entre la MC et la RCH de l’association de 8 genres bactériens dans une cohorte de 2045 échantillons fécaux dont 1247 sujets sains, 339 patients atteints de MC, 158 patients atteints de RCH, 202 patients atteints du syndrome de l’intestin irritable (SII) et 99 patients souffrants d’anorexie. Chaque barre bleue indique la présence du groupe bactérien pour chaque sujet avec le gradient de couleurs : blanc = absent, bleu clair = faible abondance relative et sombre = abondance relative élevée. La MC se caractérise par un profil d’abondance pour ces 8 genres bactériens différent par rapport aux autres maladies testées et aux sujets sains (modifiée d’après Pascal et al., 2017).

19

Lactobacillus (Ott, 2004) ou au phylum des Firmicutes, particulièrement Faecalibacterium prausnitzii possédant des propriétés anti-inflammatoires (Martinez-Medina et al., 2006; Sokol et al., 2008). Ces mêmes observations ont été réalisées à la fois chez les patients atteints de MC et leur

frère ou sœur sain(e) comparativement aux sujets contrôles (Hedin et al., 2016). D’autres bactéries réputées « bénéfiques » telles que celles appartenant au genre Bifidobacterium sont également diminuées chez les patients Crohn (Seksik et al., 2003). La dysbiose observée chez ces patients est par ailleurs caractérisée par une augmentation de l’abondance en Enterobacteria, qui pourraient même représenter la flore intestinale dominante (Seksik et al., 2003), et en certaines bactéries commensales possédant des caractéristiques pathogènes potentielles, appelées pathobiontes. Une expansion du phylum des Proteobacteria comprenant notamment les E. coli adhérents et invasifs,

Klebsiella spp., Pseudomonas spp. ou encore Salmonella spp, ainsi que du phylum des Actinobacteria a été révélée chez les patients Crohn comparativement aux sujets sains (Frank et al.,

2007). Une signature bactérienne spécifique de la MC basée sur huit bactéries (Faecalibacterium,

Peptostreptococcaceae, Anaerostipes, Methanobrevibacter, Christensenellaceae, Collinsella, Fusobacterium et Escherichia) a été établie et permet de discriminer les patients atteints de MC des

sujets non atteints (Figure 13) (Pascal et al., 2017). De plus, une différence dans la composition du microbiote intestinal après résection chirurgicale de la portion intestinale atteinte pourrait augmenter le risque de récurrence de la MC chez les patients entrés en rémission suite à cette opération (Yilmaz et al., 2019).

La seule analyse de la composition du microbiote intestinal peut cependant être à l’origine d’une sous-estimation de l’impact de la dysbiose associée aux MICI et de ses répercussions sur la physiologie intestinale. Des analyses méta-génomiques indiquent que 12 % des voies métaboliques diffèrent entre les patients atteints de MICI et les sujets sains alors que seulement 2 % de la composition du microbiote diffère entre ces deux groupes (Morgan et al., 2012). De manière similaire, une diminution du niveau de nombreux métabolites et de la diversité microbienne a été observée chez les patients atteints de MICI comparativement aux sujets non atteints de MICI (Franzosa et al., 2019). Ces profils suggèrent une perte de la « diversité métabolique » analogue à la perte de la diversité taxonomique observée au niveau du microbiome des patients atteints de MICI. De plus, tandis que certains micro-organismes peuvent être très abondants mais rester en dormance dans l’intestin, la perte de certaines bactéries très actives métaboliquement pourrait avoir plus de conséquences que ce que laisserait supposer l’analyse de leur abondance génomique (Schirmer et al., 2018). L’analyse de l’α-diversité microbienne et des voies métaboliques bactériennes dans les fèces de patients atteints de MC avant traitement par des anticorps anti- intégrine α4β7 a révélé une augmentation de cette diversité associée à une augmentation de l’abondance de Roseburia inulinivorans et de l’espèce Burkholderiales chez les patients entrés en

Tableau 3 : Changements du microbiote fongique observés chez les patients pédiatriques comparativement aux sujets sains ou à leurs parents non atteints.

, aucune modification ; , diminution. (Modifié d’après Miyoshi et al., 2018).

Tableau 2 : Changements du microbiote fongique observés chez les patients adultes comparativement aux sujets sains ou à leurs parents non atteints.

, augmentation ; , aucune modification ; , diminution. (Modifié d’après Miyoshi et al., 2018).

Type d'échantillon

Diversité

fongique Changement d'espèces Références

Fèces ↓ ↑ C. utilis et C. parapsilosis, ↓ Cladosporium cladosporioides Chehoud et al ., 2015

Biopsie muqueuse → ↑ Psathyrella spp. et Gymnopilus spp El Mouzan et al. , 2016

Fèces → ↑ Gymnopolius spp. and Hymenochaete spp ↓ Monilinia spp El Mouzan et al ., 2016

Fèces

↑ Saccharomyces cerevisiae, Clavispora

lusitaniae (C. lusitaniae ), Cyberlindnera jadinii (C. utilis ), C. albicans et Kluyveromyces marxianus

Lewis et al ., 2015

Type d'échantillon

Diversité

fongique Changement d'espèces

Charge fongique

totale Références

Biopsie colique ↑ Ott et al ., 2008

Muqueuse iléale ↑ ↑ Candida spp, Gibberella moniliformis , Alternaria brassicicola et Cryptococcus neoformans Li et al ., 2014

Fèces ↑ ↑ C. albicans , Aspergillus

clavatus et C. neoformans Li et al ., 2014

Fèces ↓ ↑ C. tropicalis Hoarau et al. , 2016

Fèces → ↑ C. albicans , ↓ Saccharomyces

cerevisiae Sokol et al ., 2017

Muqueuse colique → ↑ Famille des Cystofilobasidiaceae

20 rémission 14 semaines après traitement comparativement aux patients dont la MC était toujours active après traitement. De plus, 13 voies métaboliques bactériennes étaient significativement enrichies chez ces les patients entrés en rémission après traitement comparativement aux patients dont la MC était toujours active après traitement, suggérant que l’analyse des fonctions du microbiote permettrait de prédire la réponse des patients atteints de MICI au traitement par ces anti- intégrines (Ananthakrishnan et al., 2017).

Les microbiotes viral et fongique

Les microbiotes viral et fongique constituent une part importante des micro-organismes rencontrés dans l’intestin. Une modification et un enrichissement du microbiote viral ont été rapportés chez les patients atteints de MC, sans que cela ne puisse être expliqué par la diversité et la richesse bactérienne (Norman et al., 2015). Une augmentation du niveau des transcrits des

Hepeviridae et une diminution de l’abondance des Virgaviridae au niveau de la muqueuse a été

rapportée chez les patients atteints de MC comparativement aux sujets contrôles, supportant l’idée que certains virus pourraient entraîner une inflammation et participer à la pathogenèse de la MC (Ungaro et al., 2019).

Les profils fongiques au niveau intestinal et fécal chez des patients adultes et pédiatriques atteints de MICI ont été évalués au cours de différentes études, mettant en évidence tantôt une augmentation, tantôt une diminution ou encore aucun changement significatif de la diversité fongique, selon le type d’échantillon biologique analysé et la méthode employée pour évaluer la diversité (Tableaux 2 et 3). Chez les sujets adultes atteints de MICI, l’espèce Candida [notamment

C. albicans (Sokol et al., 2017), C. tropicalis et C. glabrata (Hoarau et al., 2016; Li et al., 2014;

Liguori et al., 2016)] ainsi que Gibberella moniliformis, Alternaria brassicola, Aspergillus clavatus et Cystofilobasidiaceae (Li et al., 2014; Liguori et al., 2016) sont augmentés tandis que

Saccharomyces cerevisiae (Ascomycota) et Malassezia sympodialis (Basidiomycota) sont diminués

(Sokol et al., 2017). A l’inverse, une augmentation de S. cerevisiae a été observée au niveau fécal par Lewis et coauteurs (Lewis et al., 2015). Au niveau du microbiote fongique fécal, Sokol et coauteurs ont observé une association significative entre le ratio Basidiomycota/Ascomycota et le phénotype et la sévérité des MICI (Sokol et al., 2017). Une augmentation de la richesse et de la diversité du microbiote fongique a été rapportée au niveau de la muqueuse inflammée comparativement à la muqueuse non inflammée des patients atteints de MC, avec une expansion de

Candida spp., Gibberella moniliformis, Alternaria brassicicola, et Cryptococcus neoformans dans

les zones inflammées, positivement corrélée à l’expression de TNF-α, IFN-γ et IL-10 (Li et al., 2014). L'analyse conjointe des microbiotes bactérien et fongique a également montré une corrélation très forte entre ces deux microbiotes chez les sujets sains, alors qu’ils sont déséquilibrés

21 chez les patients atteints de MC, suggérant l'existence d'altérations inter-règnes spécifiques à la maladie (Hoarau et al., 2016; Sokol et al., 2017).

Interactions entre microbiote et facteurs génétiques

Les facteurs génétiques d’un individu impactent fortement la composition et les fonctions de son microbiote intestinal ainsi que l’interaction entre les cellules immunitaires et les bactéries (Org et al., 2015). Des souris déficientes pour le gène Card9 (caspase recruitment domain family

member 9), un gène présentant des polymorphismes à risque pour la MC, présentent un microbiote

altéré augmentant la susceptibilité à une colite induite au DSS associée à une perte des cellules Th17 (Sokol et al., 2013). En effet, cette dysbiose entraîne un défaut du métabolisme du tryptophane bactérien produisant des ligands du récepteur aryl hydrocarbone humain (AHR) dont la signalisation est importante pour la tolérance muqueuse, augmentant la susceptibilité à développer une colite (Lamas et al., 2016). L’administration de Lactobacillus à ces souris, une bactérie capable de métaboliser le tryptophane en ligands AHR, est suffisante pour diminuer la colite. Un défaut des ligands AHR est également retrouvé au niveau fécal chez les patients atteints de MICI porteurs de polymorphismes à risque dans le gène CARD9 (Lamas et al., 2016).

Bacteroides fragilis est capable de protéger les souris d’une colite induite et de favoriser le

développement des cellules Treg via l’autophagie et notamment les protéines NOD2 et ATG16L1 grâce aux vésicules de membrane externe (OMV, outer membrane vesicles) qu’elle sécrète. Un défaut des protéines NOD2 et ATG16L1 favoriserait ainsi la mise en place de l’inflammation (Chu

et al., 2016). Comparativement aux souris sauvages, les souris déficientes pour le gène Nod2

présentent une plus faible diversité et un changement de la composition du microbiote (Lauro et al., 2016), ainsi qu’une dérégulation des réponses immunitaires les prédisposant au développement d’une inflammation (de Souza et al., 2018). Les études menées chez les patients atteints de MICI et porteurs de polymorphismes de NOD2 rapportent une association entre ces polymorphismes et l’augmentation des Enterobacteriaceae associées à la muqueuse intestinale (Knights et al., 2014) ainsi que des groupes Clostridium coccoides et Eubacterium rectale au niveau iléal (Li et al., 2012), mais également une diminution du genre Roseburia et des bactéries Faecalibacterium prausnitzii au niveau fécal (Aschard et al., 2019). Par ailleurs, la diminution de Roseburia a pu être observée à la fois chez des patients atteints de MICI et chez des sujets sains présentant un risque génétique élevé pour le développement des MICI, suggérant qu’une dysbiose microbienne pourrait précéder le développement des MICI (Imhann et al., 2018). Plusieurs études ont révélé une association entre certains SNP et l’abondance de certains taxa fongiques (Sokol et al., 2017) et bactériens (Rothschild

et al., 2018) chez les patients atteints de MICI. Cependant, cette dernière étude suggère que

22 du microbiote est héritable, et que les facteurs environnementaux auraient un impact bien plus important que les facteurs génétiques sur la composition du microbiote intestinal humain (Rothschild et al., 2018).

Enfin, en libérant des miARN dans le lumen, les cellules épithéliales intestinales de l’hôte pourraient contrôler la composition de son microbiote. En effet, ces miARN eucaryotes pourraient pénétrer dans les bactéries et réguler spécifiquement des transcrits bactériens, affectant ainsi la croissance bactérienne (Liu et al., 2016b). Malgré les disparités entre les modèles murins et l’Homme, l’ensemble de ces résultats démontre une interaction entre les facteurs génétiques de l’hôte et son microbiote intestinal, jouant un rôle dans la pathogenèse des MICI.

Dans le document en fr (Page 46-52)