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Implication d’agents pathogènes dans le développement de la MC

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I. La maladie de Crohn

I.2 Facteurs étiologiques de la maladie de Crohn

I.2.3 Facteurs microbiens

I.2.3.3 Implication d’agents pathogènes dans le développement de la MC

Les similitudes entre la MC et certaines formes de colites infectieuses (avec sécrétion de cytokines, augmentation du taux des bactéries dans la muqueuse, altération de la phagocytose…) et le fait que la maladie survienne fréquemment suite à des épisodes de gastro-entérites ou de diarrhées post-antibiotiques ont laissé supposer que certains agents infectieux à tropisme intestinal pourraient participer à l’étiologie de la MC (Sartor and Wu, 2017).

Implication d’un agent viral

La présence de plusieurs agents viraux tels que le virus Epstein Barr ou le virus de la rougeole a été recherchée dans les tissus des patients atteints de MC, mais les résultats n’ont pas permis de démontrer leur rôle exact dans la MC (Van Kruiningen et al., 2007). Les souris hypomorphes pour Atg16l1 (Atg16l1HM), c’est-à-dire présentant un défaut d’expression d’Atg16l1, présentent des anomalies des cellules de Paneth suite à un contact avec une souche de norovirus particulière (CR6). Ce modèle murin, en condition axénique ou en absence de ce norovirus, possède des cellules de Paneth de morphologie normale (Cadwell et al., 2010). Des anomalies identiques sont observées chez des patients atteints de MC porteurs du polymorphisme à risque ATG16L1T300A et une infection à norovirus pourrait aggraver les symptômes des MICI (Khan et al., 2009). L’implication d’une infection par le cytomégalovirus (CMV) a également été suggérée et permettrait de réactiver une maladie inflammatoire sous-jacente mais pas d’initier la maladie. De plus, la sévérité de l’inflammation est liée à l’intensité à laquelle le CMV est exprimé dans la muqueuse intestinale (Sipponen et al., 2011). Cependant, il n’a pas été retrouvé une plus forte prévalence des anticorps anti-CMV chez les patients atteints de MC comparativement à la population générale (Lidar et al., 2009). Ainsi, des infections virales pourraient révéler un phénotype associé à un polymorphisme à risque de la MC.

23 Les bactériophages, des virus infectant seulement les bactéries, seraient présents en nombre 10 fois supérieur à celui des bactéries dans le côlon des sujets sains et pourraient ainsi exercer une forte influence sur la diversité et la composition de la population bactérienne. Ils pourraient entraîner une dysbiose chez les patients atteints de MICI en déstabilisant les communautés bactériennes de manière directe en favorisant le transfert de gènes et une réorganisation du génome au sein de la population bactérienne, ou indirectement en diminuant l’activation et la prolifération des lymphocytes T et B (Łusiak-Szelachowska et al., 2017). Chaque individu présenterait une colonisation par une famille phagique dominante (Wagner et al., 2013). De plus, la communauté phagique totale associée à la muqueuse intestinale est plus abondante chez les patients atteints de MC par rapport à des individus sains mais la diversité de cette communauté est réduite (Wagner et

al., 2013). Une augmentation des bactériophages Caudovirales a été rapportée chez les patients

atteints de MC ou de RCH comparativement aux sujets contrôles (Norman et al., 2015) et dans les fèces de patients atteints de MC comparativement aux patients atteints de RCH mais pas aux sujets contrôles (Fernandes et al., 2019). A l’inverse, la quantité de bactériophages est diminuée au niveau des zones ulcérées par rapport aux zones non-ulcérées chez les patients Crohn (Lepage et al., 2008). Au cours d’une colite induite par un transfert de cellules T en modèle murin, la population de phages est altérée de manière similaire à ce qui est observé chez les patients atteints de MICI (Duerkop et

al., 2018). Une augmentation de l’abondance en certains phages tels que ceux infectant les Clostridiales, les Streptococci ou encore la bactérie Alistipes a été observée chez les animaux

atteints de colite. L’expansion de la population de phages ciblant les Alistipes a été associée à une diminution de certains membres des Bacteroidetes, dont l’abondance décline au cours de la dysbiose (Duerkop et al., 2018).

Implication de microorganismes fongiques

Le phosphopeptidomannane de paroi de levure a été identifié comme un antigène entraînant la production d’anticorps ASCA (anti-Saccharomyces cerevisiae antibodies) (Standaert-Vitse et

al., 2006), dont la présence est un marqueur de la MC (Quinton et al., 1998). La levure Candida albicans pourrait agir comme pathogène intestinal en entraînant la formation d’ASCA, puisqu’elle

en exprime l’épitope majeur à sa surface, et pourrait ainsi être à l’origine d’une activation anormale du système immunitaire intestinal (Standaert-Vitse et al., 2006). Les patients atteints de MC et les membres de leurs familles (non atteints) présentent une colonisation du tube digestif par C. albicans plus importante que la population générale (respectivement 44% et 38%, contre 22% pour la population générale) (Standaert-Vitse et al., 2009). La proportion relative de C. albicans est également augmentée dans les fèces de patients atteints de MC (Sokol et al., 2017). En modèle murin de colite induite au DSS, C. albicans aggrave la colite en augmentant la production de TNF-

24 α (Jawhara and Poulain, 2007). Enfin, la voie de différenciation lymphocytaire Th17, un élément important dans la physiopathologie de la MC, est activée lors d’une infection par C. albicans et est cruciale pour contrôler la colonisation par cette levure, que ce soit en modèle murin ou chez l’Homme (Kisand et al., 2010).

Implication de bactéries pathogènes

Les similitudes entre la symptomatologie suite à une infection par des bactéries pathogènes appartenant aux espèces Mycobacterium, Helicobacter, Yersinia, Listeria, Bacteroides, Clostridium ou encore Campylobacter et celle observée dans les MICI laissent penser qu’un déclencheur pathogène pourrait être à l’origine de l’apparition des MICI (Bosca-Watts, 2015). Par exemple, la MC et la tuberculose intestinale partagent l’iléon terminal comme site de prédilection ainsi que la présence de lésions granulomateuses révélées par histopathologie. De plus, Mycobacterium avium sous-espèce paratuberculosis (MAP) est l’agent causal de la maladie de Johne, une iléite granulomateuse chronique des ruminants similaire à la MC. L’hypothèse d’une mycobactérie à l’origine de la MC a été suspectée dès la description anatomopathologique des lésions granulomateuses de la MC (Chiodini, 1989; Greenstein, 2003). Les résultats sont contradictoires en ce qui concerne l’isolement de cette bactérie chez les patients atteints de MC puisque seules quelques études parviennent à mettre en évidence la bactérie ou son ADN dans des biopsies intestinales de patients atteints de MC (McNees et al., 2015). Et l’état actuel des connaissances semble plutôt réfuter l’implication de MAP dans l’étiologie de la MC.

Une implication des bactéries du genre Helicobacter dans la MC a également été suspectée. En effet, un parallèle peut être fait entre l’inflammation provoquée par H. hepaticus ou H. bilis dans différents modèles murins et la réponse immunitaire observée dans la MC (Chin et al., 2000; Jergens

et al., 2007). Cependant, aucun rôle spécifique d’Helicobacter dans les MICI n’a pu encore être

démontré chez l’Homme. La faible séroprévalence de H. pylori observée chez les patients atteints de MC suggère un rôle protecteur de cette infection dans le développement des MICI (Väre et al., 2001). De plus, une association inverse entre la distribution géographique de H. pylori et la MC a été récemment rapportée (Shah et al., 2017). Malgré tout, trois études portant sur un cas de RCH et trois cas de MC suggèrent que la thérapie administrée pour l’éradication de H. pylori pourrait déclencher une MICI latente, en induisant de profonds changements du microbiote intestinal (Chiba

et al., 2016; Jovanovic et al., 2001; Tursi, 2006), tandis qu’une étude récente menée sur 127 patients

atteints de MICI et 254 sujets contrôles réfute cette hypothèse (Rosania et al., 2018).

L’implication de Klebsiella pneumoniae, une bactérie gram-négative responsable de pneumonies nosocomiales chez l’Homme, a été suggérée dans l’induction et la progression de la MC. En effet, des infections récurrentes à K. pneumoniae pourraient augmenter le titre des anticorps

25 dirigés contre cette bactérie. Cependant, ces anticorps ont une réactivité croisée dirigée contre les fibres de collagène de l’iléon terminal, activant ainsi la voie du complément et les cascades pro- inflammatoires, augmentant l’inflammation à ce niveau (Tiwana et al., 2001). Des infections récurrentes à K. pneumoniae résultent en une attaque continue de la muqueuse colique par des cytokines variées, pouvant potentiellement conduire au développement de la MC (Lee and Kim, 2011).

L’hypothèse de la chaîne du froid suggère l’implication des bactéries psychotropes telles que Yersinia ou Listeria (Hugot et al., 2003). Ces bactéries sont fréquemment retrouvées dans une grande variété d’aliments et ont été isolées au niveau de lésions chez des patients atteints de MC (Le Baut et al., 2018). De nombreux aspects de la Yersiniose sont communs avec la MC, notamment la présence de granulomes (Gecse and Vermeire, 2018). Plusieurs espèces de Yersinia ont été identifiées au niveau intestinal chez des patients atteints de MC, les plus fréquemment retrouvées étant Y. enterocolitica, Y. pseudotuberculosis et Y. intermedia (Le Baut et al., 2018). Deux cas d’iléites terminales impliquant Y. pseudotuberculosis et pour lesquels une MC a été par la suite diagnostiquée ont été rapportés par deux groupes indépendants (Homewood et al., 2003; Zippi, 2006). Listeria monocytogenes pourrait représenter un bon candidat impliqué dans l’étiologie de la MC puisque son ADN a été détecté au niveau intestinal, que ce soit chez les patients contrôles ou atteints de MC (Chen et al., 2000), et que la présence de ces bactéries a été identifiée au niveau de lésions de patients atteints de MC (Liu et al., 1995). De plus, des souris déficientes pour le gène

Nod2 associé à la MC présentent une susceptibilité accrue à une infection orale par L. monocytogenes, mais sont résistantes à une infection systémique (Kobayashi et al., 2005).

Cependant, des études supplémentaires sont nécessaires pour confirmer l’hypothèse d’une implication de Yersinia ou Listeria dans la MC.

Certaines souches de Bacteroides fragilis, dites entérotoxinogènes, libèrent une toxine pro- inflammatoire de type métalloprotéase zinc-dépendante ayant été associée à des diarrhées chez l’enfant et l’adulte (Sears et al., 2008) et pouvant induire une inflammation du côlon en modèle murin (Rabizadeh et al., 2007). Bien que certaines études retrouvent ces bactéries et leur toxine chez environ 20 % des patients présentant une MICI active (Basset et al., 2004; Prindiville et al., 2000), d’autres ne montrent pas d’association entre les B. fragilis entérotoxinogènes et la MC (Purcell et al., 2018). De même, Clostridium difficile produit des toxines pouvant entraîner des troubles intestinaux plus ou moins graves et est considérée comme responsable de colites associées à l’utilisation d’antibiotiques et de maladies nosocomiales (Nitzan et al., 2013). Bien que C. difficile n’entraîne pas l’apparition de la MC, elle peut induire une réactivation de la maladie et est plutôt considérée comme un facteur de risque d’exacerbation de la MC (Nitzan et al., 2013). En modèle murin, l’incidence d’une infection à C. difficile est nulle chez les souris contrôles tandis qu’elle est

26 de 40 % chez des souris traitées au DSS et de 100 % chez celles ayant également reçu un traitement antibiotique. Cette infection est alors accompagnée de signes cliniques plus sévères, d’une sécrétion de cytokines pro-inflammatoires plus importante et d’une mortalité plus élevée (Zhou et al., 2018). Chez l’Homme, près de 10 % des patients atteints de MICI ont présenté ou présenteront une infection à C. difficile au cours de leur vie (Clayton et al., 2009) faisant suite à un traitement antibiotique dans 42 % des cas seulement, contre 69 % dans la population générale (Bossuyt et al., 2009). Enfin, bien qu’une augmentation de l’abondance des Campylobacter productrices de toxines ait été mise en évidence chez des patients atteints de MC comparativement aux sujets sains (Kaakoush et al., 2014), ces bactéries ne seraient pas impliquées dans l’initiation des MICI (Nielsen

et al., 2019).

L’implication d’E. coli dans la MC est envisagée depuis longtemps, notamment suite à la découverte de taux élevés d’anticorps anti-E. coli chez les patients (Tabaqchali et al., 1978). Depuis, la détection d’anticorps anti-E. coli dirigés notamment contre la protéine de membrane externe Omp (outer membrane porin) C a permis de confirmer l’implication de ces bactéries (Mow et al., 2004). Des études sur biopsies intestinales de patients atteints de MC ont mis en évidence la présence de bactéries E. coli ainsi que d’antigènes spécifiques d’E. coli, notamment au niveau des macrophages et des cellules géantes à la base des ulcères, le long des fissures, dans les granulomes ou encore dans la lamina propria (Liu et al., 1995; Swidsinski et al., 2002). E. coli colonise anormalement les lésions iléales aigües et chroniques des patients atteints de MC (représentant jusqu’à 100 % de la flore totale aéro-anaérobie) comparativement aux sujets contrôles (Darfeuille-Michaud et al., 1998). Depuis, de nombreuses études à travers le monde ont rapporté une augmentation du nombre de bactéries E. coli ayant des propriétés invasives associées à la muqueuse intestinale chez les patients atteints de MC (Palmela et al., 2017).

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