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Née avant la diffraction des rayons X, la spectroscopie par rayonnement infrarouge (IR) est une des techniques de caractérisation des imogolites la plus communément utilisée. Elle est employée pour l’identification de composés, la détermination de la composition d’un échantillon et/ou la caractérisation des états vibrationnels d’une molécule.

En 1962, Yoshinaga et Aomine [39] utilisent cette technique sur les imogolites naturelles. Ils constent que le spectre obtenu entre 700 et 4000 cm−1 était semblable à celui des allophanes. Quinze ans plus tard, Farmer et coll. [111] étudient le spectre d’absorption des imogolites à plus basse fréquence, entre 250 et 650 cm−1. Ils ont ainsi pu mettre en évidence une bande de vibration à 348 cm−1 caractéristique de l’organisation structurale locale des imogolites. Mais c’est en étudiant en détail une bande d’absorption autour de 1000 cm−1, associée aux vibrations Si O, qu’il est possible de faire la distinction entre imogolites, allophanes et proto-imogolites, ces dernières étant de petites tuiles considérées comme les structures précurseurs aux imogolites [112]. En effet, des études de spectroscopie IR réalisées sur différentes étapes de la synthèse [113, 114] ont montré que le dédoublement du pic d’absorption à ∼ 1000 cm−1 est caractéristique de la formation des nanotubes d’imogolite SiOH.

Figure 14 – Spectroscopie d’absorption X pour des proto-imogolites (PROTO), des imogolites synthétiques (SYN) et naturelles (NAT) [112].

La substitution des atomes de silicium par des atomes de germanium a permis d’apporter des preuves sur l’attribution de certains modes de vibration [67]. En effet, des modes de vibration entre 900 et ∼ 1000 cm−1 sont relocalisés à plus basse fréquence

(entre 800 et ∼ 900 cm−1) quand le silicium est substitué par du germanium, plus

lourda. Ceci montre que ces modes de vibration impliquent des atomes de silicium ou de germanium. Ce résultat est confirmé par les simulations moléculaires [96, 115]. A

contrario, la substitution impacte peu les modes de plus basse fréquence, attribués à la

vibration des atomes d’aluminium. Il est néanmoins difficile de décrire précisément ces modes de vibration de basse fréquence car, dans une structure complexe comme celle des imogolites, ils sont couplés les uns aux autres.

Pour étudier la structure locale d’une argile, la spectroscopie à résonnance magnétique nucléaire (RMN) est une technique incontournable. Elle permet, par exemple, de caractériser quantitativement la géométrie locale autour des atomes de silicium et d’aluminium. Barron et coll. [116] ont été les premiers à utiliser la spectroscopie RMN sur des imogolites. En accord avec la structure proposée par Cradwick et coll., la RMN

du 29Si a mis en évidence des atomes Si en configuration tétraédrique et reliés à 3

atomes d’aluminium via 1 atome d’oxygène (environnement de type Q3(3Al)). Un peu

plus tard, des mesures RMN de 27Al ont confirmé que tous les atomes d’aluminium

sont en configuration octaédrique [117]. Dans le chapitre III, nous verrons que la spectroscopie RMN est nécessaire pour analyser la transformation structurale des nanotubes d’imogolite en fonction de la température.

L’analyse chimique et thermique, la diffusion des rayons X, la microscopie et la diffraction électronique et les spectroscopies infrarouge et RMN sont les approches expérimentales les plus communément utilisées pour caractériser les nanotubes d’imogolite et leurs propriétés physico-chimiques. Mais bien d’autres techniques expérimentales ont été employées comme : la microscopie à force atomique [78] et à effet tunnel [118], la spectrométrie de photoélectrons X [94], la diffusion dynamique

de la lumière [119] et la spectroscopie d’absorption X [120]. Cette dernière technique sera d’ailleurs utilisée dans le cadre du chapitre III. Enfin, des mesures originales de diffusion inélastiques de neutrons ont aussi été réalisées sur les imogolites (chapitre IV).

E. Propriétés, enjeux et applications

La monodispersité en diamètre mise en évidence par Cradwick [61] est sans doute la propriété structurale la plus remarquable des nanotubes d’imogolite. Guimarães et coll. expliquent l’origine de la monodispercité des nanotubes d’imogolite [121]. Pour faire

simple, l’énergie d’un nanotube de carbone décroît, au premier ordre, en 1/D2 où D

est le diamètre du tube [122], c’est pourquoi on obtient généralement un échantillon polydisperse à l’issue d’une synthèse de nanotubes de carbone. À l’inverse, l’énergie des nanotubes d’imogolite présente un minimum en fonction du diamètre (et de la chiralité) dont la position dépend du taux de substitution des atomes de silicium par des atomes de germanium et de la fonctionnalisation de la paroi interne comme nous le verrons dans le chapitre II. La monodispercité en diamètre (et en chiralité) des échantillons d’imogolite est donc assurée par cet aspect énergétique.

La possibilité de contrôler à la fois le diamètre de ces objets [67] et les propriétés physico-chimiques de leur surface [81, 82] ont conduit à envisager différentes applications de ces nanotubes [123].

En particulier, les nanotubes d’imogolite ont été utilisés comme renfort dans la fabrication de nanocomposites imogolite/polymère. En réalisant leur synthèse en présence de poly(vinyl alcohol) (PVOH) , Yamamoto et coll. sont parvenus à obtenir un film aux propriétés optiques (Figure 15) et mécaniques améliorées [124]. Des résultats similaires ont été obtenus avec d’autres polymères tels que le poly(methyl methacrylate) (PMMA) [125] et le poly(acrylic acid) (PAA) [126, 127]. Shikinaka et coll. [128] ont montré qu’il est possible de former des gels d’imogolites dont les propriétés d’écoulement varient sous une sollicitation mécanique (thixotropie).

a b

Figure 15 – Transparence de films de PVOH/imogolite obtenus de deux manières différentes : (a) synthèse in situ en présence de PVOH ; (b) réalisation du film par mélange avec le PVOH après la synthèse des nanotubes [124].

Contrairement à d’autres types de nanotubes, les paramètres morphologiques et les propriétés de surface des nanotubes d’imogolite sont parfaitement ajustables en fonction des conditions de synthèse, faisant de ces objets un système modèle pour l’étude du confinement moléculaire. Dès le début des années 2000, les nanotubes d’imogolite ont été proposés comme un matériau de filtration moléculaire, en particulier pour l’adsorption et le stockage des gaz [48, 129-132]. Il est également intéressant de noter que la fonctionnalisation de l’interface interne entraîne une augmentation de la sélectivité

moléculaire pour le CO2, le CH4 et le N2 [83]. Les nanotubes d’imogolite méthylés, dont la cavité interne est hydrophobe, peuvent aussi être utilisés en phase liquide pour piéger des molécules organiques [82, 133]. Les imogolites pourraient finalement être utilisées comme des « briques élémentaires » pour des applications de filtration par osmose inverse [134]. En combinaison avec leur compatibilité avec différents polymères, la fabrication de membranes à base d’imogolite suscite de plus en plus d’intérêt depuis quelques années. Dans ce cadre, plusieurs études ont rapporté la réalisation de membranes de filtration à base de nanotubes d’imogolite (Figure 16) conduisant à une augmentation substantielle du flux d’eau tout en obtenant une élimination significative des ions [135-139]. Cependant, les mécanismes impliqués dans l’amélioration de la performance des membranes doivent encore être soigneusement étudiés du point de vue fondamental. C’est aussi dans ce contexte que, dans le chapitre IV de ce travail de thèse, nous étudierons la structuration et la dynamique de l’eau sur la surface interne des nanotubes hydrophiles GeOH. Couche de polyamide Nanotubes d’imogolite Na+ Cl

-Figure 16 – Illustration schématique du processus de désalinisation par une membrane de filtration à base de nanotubes d’imogolite [138].

Il a été reconnu très tôt que les nanotubes d’imogolite étaient de bons adsorbants, surtout dans un contexte environnemental où ils montrent une grande capacité à adsorber des anions et des cations métalliques sur leurs surfaces. Parfitt et coll. [45] ont montré que l’imogolite naturelle est capable de fixer de grandes quantités de phosphates, jusqu’à 120 − 250 µmol/g. Les auteurs supposent que le mécanisme d’adsorption serait lié à une réaction d’échange de ligands à la surface des nanotubes d’imogolite. Des mécanismes similaires ont été invoqués pour l’adsorption de cations métalliques (Cu2+, Pb2+, UO2+

2 ) sur la surface externe des imogolites [87, 140]. D’autre part, Levard et coll. [58] ont révélé que les atomes de nickel s’incorporent dans les lacunes octaédriques de la paroi externe des nanotubes. Les nanotubes d’imogolite en milieu aqueux agissent également comme un support pour stabiliser la formation de nanoparticules Pt, Au, Ag et bimétalliques sur des sites spécifiques de la surface externe des nanotubes [141-143]. Ces résultats offrent de nombreuses perspectives sur l’utilisation potentielle des nanotubes d’imogolite pour le traitement de l’eau [144-146], comme agents antimicrobiens sous forme de films [147, 148] (voir Figure 17) ou de pansements transparents [149] mais aussi pour des applications en catalyse [150].

Echantillon de

contrôle AgNO3 Imogolites AgNO3 + imogolites

Figure 17 – Boîtes de pétri avec des bactéries E. coli. (a) Echantillon de contrôle sans nanoparticules d’argent et sans nanotubes d’imogolite. (b) Echantillon avec des nanoparticules d’argent. (c) Echantillon avec des nanotubes d’imogolite SiOH. (d) Echantillon réalisé avec une solution de nanoparticules d’argent et des nanotubes d’imogolite.

Peu de temps après la première synthèse d’imogolite [62], il a été suggéré que ces nanotubes pourraient jouer le rôle de catalyseur [151]. Mais, malgré les nombreux progrès réalisés dans la synthèse des nanostructures d’imogolite, ce domaine reste relativement inexploré. La première étude publiée portait sur le couplage entre des atomes de cuivre et des nanotubes d’imogolite, induisant une activité plus élevée dans la décomposition de l’hydroperoxyde de tert-butyle [150]. Les nanotubes d’imogolite et leurs dérivés ont également été utilisés pour la photodécomposition de l’acétaldéhyde [152], l’hydroxylation des oléfines [153], l’oxydation catalytique des hydrocarbures aromatiques [154], l’isomérisation du glucose en fructose [155] ou la photodégradation des colorants azoïques [71, 156] (voir Figure 18).

Figure 18 – Schématisation de la photodégradation de colorants [156].

Sur le plan théorique, les calculs basés sur la théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT) révèlent une caractéristique très intéressante propre à la structure de l’imogolite.

En effet, les parois interne et externe des nanotubes d’imogolite sont polarisées, cette polarisation étant associée à une séparation de la bande de valence et de la bande de conduction dans l’espace direct [157, 158]. Les caluls révèlent la présence d’excitations de transfert de charge proche de l’UV de l’intérieur vers l’extérieur des nanotubes, rendant théoriquement les nanotubes d’imogolite efficaces pour des approches de photocatalyse [159, 160]. Malgré l’utilisation antérieure des imogolites comme support de catalyseur et les résultats préliminaires sur leur performance pour la décomposition photocatalytique des colorants organiques [71, 156], l’utilisation des nanotubes d’imogolite comme photocatalyseur reste à explorer.

F. Conclusion

Dans ce chapitre d’introduction, nous avons présenté les objets étudiés lors de cette thèse, les nanotubes d’imogolite. Nous avons notamment souligné les caractéristiques intéressantes de ces nanotubes inorganiques (synthèse par chimie douce, monodispersité et modularité de leurs parois) par rapport aux nanotubes de carbone, qui sont les objets emblématiques des nanosciences.

Nous avons présenté l’article fondateur de Cradwick et coll. (1972) qui décrit la structure des nanotubes d’imogolite SiOH naturels, tout en soulignant qu’elle n’a pas pu être déterminée de manière entièrement quantitative. Il en va de même pour les

nanotubes SiOH et GeOH synthétiques et les nanotubes méthylés (SiCH3 et GeCH3)

synthétisés beaucoup plus récemment. Pour ces derniers, les auteurs se contentent de supposer que leur structure est similaire à celle des nanotubes hydroxylés. Le chapitre II est consacré à la détermination quantitative de la structure des nanotubes synthétiques SiOH, SiCH3, GeOH et GeCH3, sur la base d’expériences de diffusion des rayons X sur poudres. La connaissance de leur structure est nécessaire à la compréhension de leurs propriétés et, au-delà, au développement d’applications basées sur ces systèmes.

Nous avons décrit les divers champs d’applications qui ont commencé à être explorés dans la partie E. Parmi ceux-ci, la nanofluidique est un domaine de recherche très dynamique et dont nous avons souligné l’intérêt au niveau fondamental, comme les potentialités en termes énergétiques et pour la désalinisation de l’eau. Un des intérêts des nanotubes d’imogolite pour la nanofluidique est la possibilité de disposer d’une surface interne hydrophile ou hydrophobe et donc de modifier les interactions entre l’eau et la paroi. Dans ce cadre, au chapitre IV, nous présentons l’étude détaillée de la structure et des propriétés de l’eau liée à la surface interne des nanotubes d’imogolite

GeOH. Une première étude de l’eau dans des échantillons hydrophobes GeCH3est aussi

discutée. Ces travaux ont été réalisées sur la base d’expériences de diffusion inélastique et quasi-élastique des neutrons, couplées à des simulations de dynamique moléculaire qui ont été rendues possibles par la détermination de la structure des nanotubes dans le chapitre II. Dans la partie D, nous avons passé en revue les principales méthodes expérimentales qui ont été utilisées pour étudier les nanotubes d’imogolite ainsi que leur remplissage par des gaz ou par l’eau. La diffusion inélastique des neutrons n’en fait pas partie. De ce point de vue, sa mise en oeuvre ici est donc originale. Soulignons néanmoins que la diffusion élastique et inélastique des neutrons est largement utilisée pour les argiles bidimensionnelles [161, 162] et que son intérêt n’est plus à démontrer. Enfin, les transformations des argiles en température ont été largement étudiées, comme nous en discutons dans l’introduction du chapitre III. Cela n’est pas le cas pour les nanotubes d’imogolite GeOH. De plus, des zones d’ombres subsistent dans la littérature sur la transformation des nanotubes SiOH en température. Certains auteurs mentionnent une re-cristallisation des imogolites en un matériau cristallin tridimensionnel, la mullite, via une phase amorphe tandis que d’autres évoquent une phase lamellaire. Dans ce contexte, nous présentons au chapitre III une étude multitechnique de la structure locale et de l’ordre à longue distance dans des échantillons d’imogolite GeOH traités en température.

plusieurs domaines : la cristallographie au sens large (structure et dynamique), les nanosciences et les argiles. Les chapitres II et IV sont naturellement corrélés et s’inscrivent dans le domaine de la nanofluidique, de la structure des nanocontainers à la dynamique de l’eau confinée. Le chapitre III peut sembler relativement disjoint puisqu’il est relié aux transformations en température des argiles. Il ne l’était pas dans l’optique initiale de la thèse. L’objectif était, sur la base des données bibliographiques qui mentionnent l’existence d’une phase lamellaire, de transformer les nanotubes en nanorubans ou en lamelles puis d’étudier le confinement de l’eau dans ces systèmes bidimensionnels. En termes de nanofluidique, cela aurait été un pendant des nombreuses études actuelles sur la structure et le glissement de l’eau entre des feuillets de graphène [163]. Nous avons finalement conclu que la phase intermédiaire n’était pas lamellaire mais ses propriétés, encore inexplorées, pourraient se révéler intéressantes pour, par exemple, la catalyse ou le renforcement des matériaux.

Chapitre II

Résolution de la structure des

nanotubes d’imogolite

Sommaire

A Introduction . . . 26

B Principe de la diffusion des rayons X . . . 26

B.1 Les rayons X . . . 26