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PARTIE IV. DISCUSSION ET CONCLUSION

Encadré 6 Mesures annoncées le 8 avril 2010 par le gouvernement Graham

Modifications législatives et administratives pour améliorer le système de santé

• Reconnaître que les deux RRS sont responsables d'améliorer la prestation des services de santé en français et qu’elles offrent des services de santé aux citoyens dans la langue officielle de leur choix ; • Reconnaître que la RRS A est une organisation dont la langue de fonctionnement est le français et

qu’elle est une organisation francophone ayant la responsabilité de desservir les citoyens dans la langue officielle de leur choix ;

• Reconnaître que le CSNB doit tenir compte des besoins des communautés linguistiques en ce qui a trait à sa mission et qu’il consulte les communautés linguistiques dans la langue officielle de leur choix ; • Dépôt d’un projet de loi visant à changer la structure de gouvernance des RRS à compter de 2012. Ce

projet de loi fera en sorte que plus de la moitié des membres des CA seront élus par suffrage universel, tandis que la ministre de la Santé nommera le reste des membres en tenant compte des intérêts particuliers des communautés ;

• Révision géographique des régions assignées à chaque RRS, et ceci, en consultation avec les collectivités desservies ;

• Modifications à la structure des actionnaires de FNB, afin d’y inclure des représentants des RRS, et à son mandat, afin de s'assurer que l'entreprise continue de communiquer avec les établissements de santé des deux RRS dans la langue de leur choix.

Ces mesures annoncées en avril 2008 représentent un moment charnière de la réforme pour une raison principale : l’État s’adaptait aux enjeux des autres acteurs de la gouverne. Nous avons vu que durant cette étape, l’État réagissait à ces enjeux en s’ouvrant à un dialogue avec des acteurs clés de la population, alors qu’il avait formulé la réforme en vase clos. L’apparition de cet enjeu coïncidait avec des événements se déroulant dans l’environnement externe du système de santé. Des répondants soulignent qu’à la suite d’un solide coup porté au gouvernement Graham, un raté de la vente d’Énergie Nouveau-Brunswick dans lequel les citoyens n’avaient pas été consultés, l’État se tournait de plus en plus vers des instruments de gouverne de type communicationnel et informatif, ou basés sur la démocratie du public. En bref, la stratégie de négociation adoptée par l’État et opérationnalisée par l’expert se soldait par un changement substantiel : la RRS A devenait officiellement francophone.

185 Les informations présentées dans l’encadré 6 proviennent d’un communiqué de presse du gouvernement du

Nouveau-Brunswick, Santé, (2008). « Adoption de modifications administratives et législatives visant à améliorer le système de santé », disponible en ligne : http://www.gnb.ca/cnb/newsf/he/2010f0494he.htm, comme visité le 20 mars 2016.

Retour sur les enjeux de l’État, les stratégies adoptées et les instruments de gouverne Au début de cette phase de la réforme, les enjeux principaux de l’État étaient ceux de performance, en particulier, du contrôle des coûts, et d’accès et de coordination des soins et services de santé. Dans cette lignée, l’État mobilisait des instruments de gouverne de type législatif et règlementairedans l’optique de baliser les comportements des acteurs du contexte pluraliste. En guise d’exemple, il modifiait la Loi afin de réduire le nombre des RRS, et donc, de mieux contrôler les opérations. Par l’entremise du même type d’instrument, il a créé deux organismes, le CSNB, dont l'un des objectifs principaux est d’améliorer la qualité des soins et services, et FNB, dont les activités visent à faire des économies de coûts. En matière de stratégie, nous avons vu que l’État continuait à nourrir le sentiment d’urgence sur la nécessité d’introduire des transformations, entre autres, en adoptant rapidement le projet de loi modifiant la Loi.

À la fin de cette deuxième phase de la réforme, l’État s’ouvrait aux enjeux des acteurs concernés de la RRS A, et il introduisait un instrument se fondant sur le dialogue. Il adoptait un instrument qui propose d’organiser des rapports politiques différents, basés sur la communication et la concertation (Lascoumes & Le Galès, 2004).L’État s’adaptait alors aux enjeux des acteurs du contexte pluraliste, et ceci se soldait par un changement important en matière d’organisation des soins et services de santé. Il faut dire que les enjeux des acteurs associés à la RRS B avaient aussi des effets sur la progression de la réforme, et dans cette optique, l’État adoptait une stratégie pour influencer l’action collective, soit placer une députée de la région de Saint John à la tête du ministère de la Santé.

Les enjeux et stratégies de l’État ainsi que les instruments mobilisés durant cette deuxième étape de la réforme se retrouvent au tableau XIV. La flèche discontinue indique que le processus de consultation mené par le consultant externe mène à la mobilisation de stratégies et instruments particuliers par rapport aux enjeux d’accès et de coordination des soins et services et des besoins de la population francophone et acadienne.

Tableau XIV : Enjeux, stratégies de l’État et instruments de gouverne à

l’étape du grand lancement et de ses suites (2008-2010)

Enjeux Stratégies Instrument

• Performance

• Accès et coordination

• Recourir à des cibles financières pour mesurer la progression du changement • Faire naître un sentiment d’urgence (ex. une clause à la Loi modifiant la Loi aboli les huit

anciennes RRS à la première lecture, acteurs connus comme dirigeants ou administrateurs) • Présenter un plan stratégique • Remplacer le ministre de la Santé

• Changer la Partie III des services publics de la Loi sur les

corporations commerciales

(création de FNB) • Modifier la Loi

(création des deux RRS)

• Adopter la Loi créant

le Conseil du Nouveau-Brunswick en matière de santé (création du CSNB) • Participation citoyenne • Accès et coordination • Besoins de la population acadienne et francophone • Annoncer un plan quinquennal visant l’équité des soins spécialisés dans les deux RRS

• Consulter les acteurs clés de la

communauté

francophone (rapport LeBlanc, 2010)

• Modifier la Loi (projet de loi 58 : les RRS vont reposer sur une base linguistique) • Modifier la Loi (pour

que la ministre de la Santé ait le droit de donner la désignation d’un CHU)

Ceci conclut la deuxième section du cinquième chapitre qui traite de la période du grand lancement de la réforme et de ses suites. La prochaine partie de ce chapitre touche la mise en œuvre de la réforme, c’est-à-dire la période entre 2010 et 2015. Une fois de plus, nous présentons les enjeux et stratégies de l’État ainsi que ceux des autres acteurs concernés pendant cette étape. Les instruments de gouverne permettant d’orienter le changement sont aussi explorés et résumés vers la fin de cette troisième section. Enfin, à la fin du chapitre, nous présentons les résultats atteints du changement.

5.3 Mise en œuvre de la réforme (2010-2015) et résultats atteints

Cette troisième partie du chapitre traite de la phase de mise en œuvre de la réforme (2010 à 2015), soit celle qui suivait les modifications apportées à la structure du système de santé, dans lesquelles la RRS A fonctionnait officiellement en français et la RRS B en anglais186. Dans cette section, nous visons toujours à démontrer que le changement organisationnel est un processus continu (Brown & Eisenhardt, 1997), défini par l’apprentissage (Nonaka, 1994) et l’évolution (Burgelman, 1991), qui s’inscrit dans un horizon temporel à long terme. Ainsi, nous notons que la direction de la réforme lancée en 2008 demeurait sensiblement la même, et ceci, malgré les quelques changements de gouvernement. Les enjeux de l’État restaient donc à peu près similaires, et son ouverture envers le dialogue avec les citoyens demeurait une stratégie qu’il continuait à privilégier. Autrement dit, ce groupe particulier d’acteurs avait toujours recours à des instruments de type informationnel et communicationnel (Halpern, Lascoumes, & Le Galès, 2014) qui s’inscrivaient dans son adaptation à l’apparition des nouveaux enjeux des acteurs du contexte pluraliste ainsi qu’à une vague d’ouverture envers ceux-ci dans l’environnement externe du système de santé.

Dans la réalité, le programme d’action de l’État n’était pas mono-instrumental (Lascoumes & Le Galès, 2010). Autrement dit, dans le but d’orienter les relations entre les acteurs de la gouverne, il ne sélectionnait pas uniquement des instruments de nature relationnelle. Durant cette dernière phase de la réforme, il continuait à miser sur des instruments de type « command and control » (Lascoumes & Le Galès, 2004), ce qui lui permettait d’envoyer un message clair aux parties prenantes. Par exemple, afin de conserver un contrôle sur les opérations, il utilisait son pouvoir législatif pour faire des modifications à la gouvernance des RRS. Symboliquement, en utilisant des instruments législatifs ou réglementaires, qui sont un attribut du pouvoir légitime (Lascoumes & Le Galès, 2004), l’État désirait montrer aux autres acteurs clés qu’il était le « patron ».

186 Plus précisément, le français allait être la langue de travail du CA et du personnel au siège social de la RRS A

et l’anglais allait être la langue de travail du CA et du personnel au siège social de la RRS B. Il est utile de rappeler au lecteur que la Constitution et la Loi sur les langues officielles font en sorte que les RRS sont explicitement chargées d’offrir les services de santé dans la langue officielle de choix du patient.

Par ailleurs, l’influence du phénomène systémique de la dualité linguistique sur le système de santé, comme par le passé, se faisait toujours sentir et pouvait contribuer à la mobilisation d’acteurs. Afin de déterminer en partie la manière avec laquelle les acteurs concernés allaient se comporter face aux effets des facteurs du contexte systémique, l’État adoptait certaines stratégies qui détenaient une valeur symbolique. Nous pensons notamment au plan quinquennal de rattrapage des soins spécialisés annoncé durant cette dernière étape du changement, qui cadrait avec les intérêts des acteurs associés à la RRS A, et qui prolongeait l’idée partagée que des possibilités étaient offertes par l’État pour régler le problème d’équité des services spécialisés entre les RRS.

Avant d’en arriver à un état des lieux, et de voir si la réforme a eu des effets ou non sur l’accès et la coordination des soins et des services, nous donnons plus de détails sur les enjeux de l’État ainsi que sur les stratégies et instruments qu’il mobilisait à cette époque. Par la suite, nous nous attardons au contexte des deux RRS et nous examinons leur évolution relativement à l’amélioration de la qualité des soins et services. Alors que nous discutons aussi des enjeux et des stratégies du CSNB, dont ceux entourant l’engagement des citoyens, les données produites depuis sa création nous servent à évaluer les résultats du changement sur la performance du système de santé. Nous montrons que FNB,un organisme créé afin de réaliser des économies de coût, « disparaissait », c'est-à-dire qu'il était intégré dans une nouvelle société de la Couronne, ce qui nous porte à réfléchir sur l’atteinte des objectifs financiers qui étaient escomptés. La figure 6 sert à proposer un découpage des acteurs et autres éléments présentés dans le cadre de cette dernière phase de la réforme.

Figure 6 : Présentation des acteurs du contexte pluraliste et des résultats

atteints à l’étape de la mise en œuvre la réforme (2010-2015)

5.3.1 Le contexte de l’État à l’étape de mise en œuvre de la réforme

Les enjeux du Parti progressiste-conservateur demeurent les mêmes et des stratégies sont dirigées vers celui des besoins en santé de la population francophone et acadienne

En septembre 2010, l’environnement externe du système de santé était touché par l’arrivée au pouvoirdu Parti progressiste-conservateur avec une majorité significative187. À l’époque, le gouvernement Alward présentait son Conseil des ministres qui comprenait Madeleine Dubé à la tête du ministère de la Santé188. Les enjeux de ce nouveau gouvernement tournaient autour de l’efficience, de l’accès et de la coordination des soins et des besoins en santé de la

187 Murat, Philippe. (2010). « Le Cabinet libéral fait ses adieux ». L’Acadie Nouvelle, 6 octobre, p. 6.

188 Le lecteur peut lire, entre autres, Murat, Philippe. (2010). « Des postes importants pour les ministres

communauté francophone et acadienne. Alors qu’ils demeuraient sensiblement les mêmes que le gouvernement précédent, l’enjeu de la participation citoyenne venait dorénavant s'ajouter aux autres. En ce qui concerne l’enjeu lié à la dualité linguistique, le gouvernement nouvellement élu poursuivait certains efforts afin « d’améliorer les services en français dans les régions rurales de la province » et continuait à travailler à la mise en oeuvre des recommandations du rapport LeBlanc (2010) (Ministère de la Santé, 2012, p. 95). Une des stratégies mises de l'avant par l’État consistait à désigner l’HDGLD comme un CHU à l’automne 2010.

En gardant à l’esprit les revendications particulières de la communauté acadienne et francophone exprimées pendant la phase précédente de la réforme, le gouvernement Alward avait promis dans sa plateforme électorale de rétablir l’élection des membres aux CA des deux RRS189. C’est au printemps 2011 que l’État utilisait son pouvoir législatif (projet de loi 45) pour mettre en place des changements concernant la composition et le fonctionnement des CA des RRS. En plus de réduire de 17 à 15 les membres votants des CA des RRS, huit seraient dorénavant élus tandis que sept seraient nommés (Ministère de la Santé, 2012)190.

Un autre instrument moins direct était mobilisé en même temps que la Loi était modifiée : une motion (motion 93) était présentée à l’Assemblée législative afin de créer un Comité permanent des soins de santé qui allait offrir des recommandations quant à la gouvernance des RRS. Ce comité, ayant comme présidente la ministre de la Santé, avait pour mandat d’examiner certains aspects liés aux mécanismes d’élection des CA des RRS, comme les délimitations territoriales (Comité permanent des soins de santé, 2011a). Donc, une fois de plus, un instrument qui mettait l’accent sur les interactions entre l’État et la société civile avait était mobilisée (Lascoumes, 1996), et ainsi, à l’été 2011, la population du NB était consultée « par le truchement d’Internet, de mémoires et de comparutions aux sept audiences publiques » (Comité permanent des soins de santé, 2011b, p. 2).

189 Parti progressiste-conservateur du Nouveau-Brunswick. (2010). « Le Nouveau-Brunswick d’abord… Pour un

changement ». La plateforme électorale est accessible en ligne en cliquant sur le lien suivant : https://www.poltext.org/sites/poltext.org/files/plateformes/nb2010pc_plt_fr_13072011_132709.pdf.

190 L’élection de ces nouveaux membres aux CA allait être menée sous l’autorité du directeur des élections

municipales à compter de celles qui se dérouleraient au printemps 2012 (Comité permanent des soins de santé, 2011a).

En novembre 2011, le comité présentait ses recommandations, qui en incluaient une particulière, soit celle de ne pas modifier la région géographique de chacune des RRS191. Il faut signaler qu’un groupe d’acteurs associés à la RRS A, ESF, souhaitait que les centres de santé communautaires francophones faisant partie du territoire desservie par la RRS B (Centre communautaire Sainte-Anne, à Fredericton, Centre Communautaire Samuel de Champlain, à Saint John et Conseil communautaire Beausoleil, à Miramichi), soient transférés à la RRS A (Comité permanent des soins de santé, 2011b). ESF proposait également que les villes de Neguac, Rogersville, et Baie Sainte-Anne, faisant partie du territoire de la RRS B, soient intégrées à la RRS A (Comité permanent des soins de santé, 2011b; Égalité Santé en Français, 2011). Par contre, les représentants de ces collectivités et centres de santé s’opposaient à toute suggestion de transfert de la RRS B vers la RRS A (Comité permanent des soins de santé, 2011b)192. Ceci démontrait qu’une fois de plus que des éléments du contexte systémique venaient influencer les dynamiques entre les acteurs concernés du système de santé, tout particulièrement, que « le problème » de la dualité linguistique n’était toujours pas réglé. Conséquemment, les membres du comité recommandaient à l’État de maintenir la délimitation territoriale, ce qui permettrait de « dissiper les confusions, de faciliter les élections, de compiler au fil du temps les statistiques sur la santé de la population ainsi que de favoriser la stabilité de l’organisation des services de santé ainsi que la capacité à les gérer et à les améliorer » (Comité permanent des soins de santé, 2011b, p. 6). L’encadré 7 revient sur l’ensemble des recommandations du comité (Comité permanent des soins de santé, 2011b) :

191 La région géographique de chacune des RRS était celle qui avait été annoncée par le ministre Murphy en mars

2008. Comme il a été expliqué dans une autre section, chacune des deux RRS avait « englobé » quatre anciennes RRS.

192 Plusieurs articles dans les médias écrits anglophones et francophones traitaient de l'opposition de ces

communautés face à ce changement éventuel. Se référer par exemple aux textes de Huras, Adam. (2011). « Committee hears support for health care status quo ? Crowd gathers to pass on message to not reconfigure province's health care boundaries », Times & Transcript, 9 septembre, p. A6, ou « Mayor warns of 'civic' unrest Hearing Miramichi region will rise up if health boundaries redrawn, Cormier tells minister », Telegraph Journal, 9 septembre, p. A1, ou encore, à celui de Abboud, Joseph. (2011). « Néguac ne veut pas quitter le Réseau de santé Horizon », L’Acadie Nouvelle, 1er septembre, p.8. Le Premier rapport du Comité permanent des soins de santé

(2011a) offre les raisons pour lesquelles ces communautés s’opposaient « farouchement » à un transfert vers la RRS B. Le rapport est disponible en cliquant sur le lien suivant : https://www.gnb.ca/legis/business/committees/reports/57-2/57-2-sante.pdf.

Encadré 7 : Recommandations du Comité permanent des soins de santé