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Changements « transformateurs » présentés par le ministre Murphy le 11 mars

PARTIE IV. DISCUSSION ET CONCLUSION

Encadré 1 Changements « transformateurs » présentés par le ministre Murphy le 11 mars

Changements structuraux annoncés dans le cadre de la réforme du système de santé lancée le 11 mars 2008

• La transition d’un système de santé formée de huit RRS à deux RRS : cette nouvelle structure serait officiellement en place le 1er septembre 2008

• La création du CSNB, dont le mandat principal était double, soit d’offrir à la population de la province l'occasion de s'exprimer et de participer à un dialogue sur les enjeux relatifs aux soins de santé et de l’informer sur le rendement du système de santé

• La consolidation de certains services non cliniques, qui étaient à l’époque gérés par les huit RRS, dans une nouvelle entreprise du secteur public (FNB)

Stratégie de l’État à cette étape d’implantation de la réforme : nourrir le sentiment d’urgence

En cette même matinée, le ministre Murphy annonçait également le nom des individus qui seraient les PDG et les présidents des CA des deux RRS, du CSNB et de FNB. Certaines de ces personnes occupaient des postes à la haute direction des anciennes RRS ou étaient sous- ministres adjoints ou délégués au ministère de la Santé. Un répondant suggère d’ailleurs que l’État était allé chercher des « stars » dans les anciennes RRS et qu’il faisait de ces personnes des acteurs clés de la réforme. Un autre répondant souligne que le fait que l’État n’utilisait pas un chasseur de têtes montrait l’urgence de faire le changement. Cette décision d’avoir choisi

leur identité propre. La RRS A prendrait plus tard le nom corporatif du Réseau de santé Vitalité tandis que la RRS B serait connue sous le nom de Réseau de santé Horizon.

des « stars » ou des acteurs connus au sein du système de santé pour diriger les nouvelles organisations était une manière pour l’État de limiter les résistances.

« À l'annonce, il y a des gens en place pour gérer ce nouveau système. Il y avait des gens à l'intérieur du ministère de la Santé qui ont voulu avoir un concours pour chaque position, "head hunters", et moi je n'étais pas d'accord à faire ça. On n'a pas fait ça, parce que ça nous aurait pris neuf mois pour mettre en place les gens nécessaires après le concours pour chaque position. Pendant ces neuf mois, la réforme aurait dégringolé à cause qu’il n’y aurait pas eu les personnes responsables en place pour forcer la situation et comme ça la journée même de la réforme […] Comme ça, la réforme n'a pas évolué d'une façon ou d'une autre pendant les prochains dix ou quinze mois. Ç'a été une ligne droite. On a éliminé tous les obstacles. Parce que les groupes d'intérêt, les personnes qui ont voulu garder leurs livres de chèque, les autres ministres. Tous ces gens-là auraient eu le temps d'arrêter la réforme avant que la réforme ait été dans leurs têtes officiellement lancée, neuf ou dix mois plus tard. Mais à cause que toutes les personnes étaient nommées et avisées cette journée-là, le 11 mars, c'était un fait accompli. C'était fini cette journée-là. » ÉTAT-3

« Même lorsqu'on a fait la réforme, on avait une opportunité de repenser la structure de gouvernance à l'intérieur des réseaux de santé. On a refait la même erreur. Ils sont allés chercher les étoiles de chacun des réseaux de santé. Je parle des vice-présidents, ils sont allés chercher le meilleur de ce qu'ils avaient [...] J'avais posé la question à Andrée Robichaud qui était la première PDG du Réseau Vitalité, où Aldéa Landry a, par hasard, été nommée présidente du CA80. Le hasard fait bien les choses en politique. Andrée qui était ancienne sous-ministre adjointe qui se retrouve là. Sans concours. Même chose de l'autre côté. Ça se passe par magie et par osmose. » CITOYEN-22

Au même moment, le ministre Murphy continuait à nourrir le sentiment d’urgence en signalant que le dépôt de mesures législatives pour les deux nouvelles RRS et le CSNB seraient adoptées en avril et proclamées le 1er septembre 2008. L’utilisation hâtive de ce type d’instrument de régulation avait donc une signification particulière : l’État usait de son autorité ou de son pouvoir législatif pour atteindre rapidement ses objectifs. D’ailleurs, poussé dans son désir d’envoyer un message clair aux acteurs concernés sur la nécessité d’introduire des transformations, l’État ajoutait une clause privative au paragraphe 17 de la Loi qui rendait irrecevable toute action en justice permettant l’abolition des nouvelles RRS. Au paragraphe 16

80 Le 11 mars 2008, Marie-Marthe-Aldéa Landry était effectivement nommée présidente du CA de la RRS A.

Madame Landry est avocate et femme politique. Elle a entre autres siégé à l’Assemblée législative du NB entre 1987 et 1991, comme députée du Parti libéral du NB, pour la circonscription Shippagan-Les-Îles. (Source : Basque, M. et GRHESUM. 1998. « Répertoire des députés provinciaux, 1784-1991 », en ligne : http://www.cuslm.ca/~clio/fenetre/frame3/politnba.htm, comme visité le 10 mai 2017).

(1) du Projet de loi 34, c’est-à-dire la Loi modifiant la Loi, une clause abolissait dès la première lecture les huit anciennes RRS, et non à la troisième lecture, comme c’était le processus habituel devant l’Assemblée législative81. Dans un média francophone provincial, Michel Doucet, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Moncton, affirmait qu’une telle approche était inusitée et normalement utilisée dans les situations exceptionnelles d'urgence82. Voici les propos de deux répondants à l’égard de la stratégie de l’État lors du grand lancement de la réforme :

« Premièrement, quand ils ont (l’État) fait l'annonce, ils avaient préparé la loi, parce qu'ils changeaient de loi. Donc, la première chose qu'il a faite (ministre de la Santé), de mémoire, il a congédié les conseils d’administration. Il leur a enlevé leur pouvoir. Ils devenaient "juste" des directeurs généraux sans pouvoir. Après ça, ils ont passé la loi assez vite pour dire "maintenant, on tombe de huit à deux". Après ça, ils avaient même nommé qui allaient être les directeurs généraux de ça. » DIRIGEANT-24

« I think that the legislation in itself is a legal instrument that influences change, so decisions that were made to determine what went in the legislation, who had control over appointment of Chairs and CEOs and Board members all of which themselves showed government influence over the change. » ÉTAT-11

D’autres stratégies de l’État en relation avec l’enjeu de performance : des cibles qui sont surtout financières

En ce qui concerne le « monitorage » de l’évolution du changement par l’État, aux yeux de certains répondants, un des principaux indicateurs utilisé pour mesurer de la progression du changement, sinon un des seuls, était lié à l’enjeu de performance du système de santé83. Selon eux, le contrôle de la croissance des dépenses publiques en santé était un moyen de monitorer le succès de la réforme. À titre d’exemple, en ce qui concerne les deux RRS, des répondants suggèrent qu’une des mesures principales qui leur permettait d’évaluer la progression du

81 Doucet, Michel. (Éditorial). (2008). « Un précédent juridique dangereux ». L’Acadie Nouvelle. 12 avril, p. 12. 82 Doucet, Michel. (Éditorial). (2008). « Un précédent juridique dangereux ». L’Acadie Nouvelle. 12 avril, p. 12. 83 Le lecteur constate que la « performance » est un enjeu qui pousse l’État, aux trois étapes de la réforme, à

passer à l’action. Tandis que nous sommes conscients que la qualité des soins et services est une dimension qui fait généralement partie de la performance d’un système de santé, dans notre cas, nous nous en tenons au discours de l’État. Ainsi, dans notre texte, lorsque nous faisons référence à l’enjeu de « performance », il est question du contrôle des coûts.

changement était le budget. Par contre, les indicateurs précis concernant la qualité des soins et services étaient pratiquement absents.

« Pas vraiment. Il y aurait probablement dû en avoir (outils de mesure). Mais moi, la meilleure mesure de la réforme, c'est le fait que le système de santé n’allait pu s’accroitre autant. Puis, que ça croissait de 8,3 % par année avant la réforme. On avait un accroissement de la santé, du système, désorganisé complètement. Chacune des régies faisait ce qu'elle voulait, on avait des dédoublements. Avec la réforme, on mettait plus d'ordre là-dedans, et ça c'est la mesure primaire pour moi. » ÉTAT-21

« Est-ce qu'on mesurait? Et bien, c'est sûr que notre budget était une des mesures. La deuxième mesure, c'était de compléter les tâches avant le premier septembre, parce qu'on avait juste six mois pour tout mettre en place pour ce qu'on appelle "go live". DIRIGEANT-10

Dans l’optique de rendre les nouvelles organisations « opérationnelles » avant la proclamation des mesures législatives le 1er septembre 2008, divers comités de transition étaient créés. D’ailleurs, il faut rappeler que pendant la période précédente de formulation de la réforme, l’État avait fait appel à une agence de consultants externes qui lui avait proposé un plan de mise en oeuvre. Selon des répondants qui représentent l’État, ces plans d’action servaient à mesurer l’évolution du changement. Des outils, comme des « check-list », étaient utilisés par les dirigeants des nouvelles organisations afin de rendre compte des tâches accomplies. Toutefois, d’après d’autres répondants, ces plans d’action élaborés préalablement par le groupe d’experts n’étaient pas mis à exécution, car les acteurs du système de santé ne « jouaient pas le rôle » qu’ils devaient suivre.

« Yes, there was an action plan. Again, the government had work with consultants, maybe KPMG or Deloitte. They were there because when they made the plan to do this, like I said, it was sort of within government, a small group of people that were involve in the design of what they wanted and they had a consulting company helping them, but I'm not sure if it was Deloitte. So, when we came in, we sort of had a manual, a help tool, they had all kinds of checkpoints that we sort of had to achieve. In other words, we had to have a senior organisation group together by a certain date. We had to have the board in place and then a board chair and we had to have bylaws. So it was like a checklist. » DIRIGEANT-28

« […] C’était clairement établi. Mais exécuter la réforme et exécuter ton rôle sont deux chose différentes. Un an ou un an et demi était prévu. L’expert-conseil avait été

embauché pour ce plan de mise en œuvre là. Il y avait un "playbook". Si tu le regardais, tu ne pourrais pas faire de sens de ça. Ça disait par exemple comment ce ferait la transition pour les employés. On était outillé pour le suivre. Là où ça a tombé à l’eau, c’est qu’il y avait un rôle à jouer par quelqu’un pour le suivre, mais ça n’a pas été fait de la bonne façon. C’est dans l’exécution le problème, ce n’était pas faute d’outil. » DIRIGEANT-13

Dans un autre ordre d’idées, peu de temps après le grand lancement de la réforme, l’État présentait un plan stratégique s’intitulant Transformer le système de santé du Nouveau-

Brunswick, le Plan provincial de la santé 2008-2012. Le ministre Murphy répétait alors que le

but ultime de la réforme était de créer un système de santé moins fragmenté, plus souple, mieux organisé et financièrement viable (Ministère de la Santé, 2008a). Dans ce plan, l’État rappelait aux acteurs concernés qu’un de ses enjeux principaux, qui avait justifié la nécessité des transformations, était l’amélioration de l’accès et de la coordination des soins et des services. Dans un document additionnel, une centaine d’initiatives liées au plan stratégique étaient présentées, comme des stratégies pour la petite enfance et la jeunesse, les soins de santé primaires et les services et soins de santé en français (Ministère de la Santé, 2008e). Les axes stratégiques du plan, au nombre de six, se retrouvent dans l’encadré 2. Voici les propos du ministre Murphy dans le communiqué de presse dévoilant le plan stratégique (2008-2012) :

« Pour y arriver, nous devons implanter un système provincial unique et bien intégré, un système faisant bon usage de nos ressources humaines, infrastructurelles et financières. Nous avons déjà pris des mesures pour moderniser les structures de l'organisation, notamment par la constitution de deux régies régionales de la santé en vue de réduire les dédoublements coûteux. À présent, nous devons mettre l'accent sur l'aspect clinique des soins de santé, là où le nouveau plan de santé prend tout son sens. »84

84 Nouveau-Brunswick, Santé, (2008). « Le nouveau Plan provincial de la santé place les besoins des patients au

premier plan », Communiqué de presse, en ligne : http://www.gnb.ca/cnb/newsf/he/2008f0299he.htm, comme visité le 29 mars 2016.

Encadré 2 : Les six piliers du Plan provincial de la santé (2008-2012)