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b Mesurer les effets des AVKs et l’efficacité des mesures de limitation du risque sur les

I. Introduction générale

I.6. Enjeux face à l’exposition généralisée des prédateurs de rongeurs aux rodenticides AVKs

I.6.2. b Mesurer les effets des AVKs et l’efficacité des mesures de limitation du risque sur les

L’exposition aux AVKs, en ajoutant une cause de mortalité supplémentaire chez des espèces en danger d’extinction, peut être dramatique pour ces populations (Brakes & Smith 2005). Par ailleurs, les prédateurs sont exposés de façon généralisée à de faibles doses d’AVKs (que ce soit des espèces communes ou menacées), et si des effets sublétaux en découlaient, ce serait l’ensemble des prédateurs qui seraient alors potentiellement affectés (Berny 2011). Ainsi, les rodenticides pourraient être impliqués dans le déclin de certaines espèces menacées comme le Milan royal en France (Berny & Gaillet 2008) ou dans celui d’espèces communes comme l’Effraie des clochers au Canada (Albert et

al. 2010). Aucun lien n’a pu être avéré entre l’exposition aux AVKs de certaines espèces et leur

dynamique de population nationale au Royaume-Uni (Shore et al. 2005 ; Walker et al. 2008) et au Danemark (Christensen, Lassen & Elmeros 2012). L’usage des AVKs est dans ces pays (Danemark et Royaume-Uni) uniquement biocide, et des effets sur les populations non-cibles ont pu être mis en évidence, à des échelles plus locales, dans le cadre de traitements rodenticides en nature (éradication des espèces invasives sur les îles ou lutte phytopharmaceutique).

Dans le cadre de l’éradication des espèces invasives des milieux insulaires, des impacts

significatifs des traitements sur les populations non-cibles ont été rapportés. Par exemple suite à des traitements au brodifacoum en Nouvelle-Zélande, certaines espèces d’oiseaux ont subi des déclins allant de 20 à 100 % (Empson & Miskelly 1999). Sur les petites îles, les populations non-cibles

peuvent être suivies de façon rapprochée. Par exemple, les populations de Créadion rounoir de l’Ile du Nord Philesturnus carunculatus rufusater et celles de Kiwi d’owen Apteryx owenii ont été suivies (e.g. équipement des animaux avec des émetteurs) afin de suivre leur survie pendant des opérations de traitements au brodifacoum sur les îles Mercury (100 à 225 ha) (Towns & Broome 2003). Ainsi, il a pu être montré qu’une diminution des quantités d’appâts distribuées par hectare par voie aérienne et le changement du système de distribution des appâts des hélicoptères ont permis une réduction des effets sur les espèces non-cibles. Par ailleurs, la petite taille des populations non-cibles a rendu possible, dans certains cas, la capture des individus et leur encagement temporaire durant les traitements (Howald et al. 2007). Ces mesures ont ainsi été mises en place avec succès sur des espèces vertébrées (oiseaux, reptiles, rongeurs). Cependant sur les plus grandes îles, qui sont biologiquement plus complexes, le suivi de l’impact des traitements rodenticides sur la faune non-cible reste un défi (Howald et al. 2007).

Dans le cadre du contrôle des pestes agricoles, les effets indésirables des rodenticides sur la faune non-cible doivent potentiellement être appréhendés à des échelles spatiales encore plus vastes que sur les îles. Entre 2006 et 2007 en Espagne, des traitements ont été menés sur des centaines de milliers d’hectares (270 000 ha en 2007) pour lutter contre le Campagnol des champs. Ainsi, des tonnes d’appâts ont été déversées, entrainant une mortalité massive chez les animaux non-cibles (Olea et al. 2009). Dans la plupart des cas, l’impact des AVKs sur les espèces non-cibles ne peut être évalué à un niveau populationnel, et cela principalement à cause des difficultés pour les mesurer à de telles échelles spatiales. Proulx & MacKenzie (2012) ont montré à une échelle locale (zones d’environ 15 km²), qu’une zone traitée plus intensivement aux rodenticides (89,7 % du secteur traversé traité) présentait des densités de Blaireau américain Taxidea taxus 2,2 fois plus faibles et des densités de Renard roux 6,4 fois plus faibles qu’une zone moins intensivement traitée (19,6 % du secteur traversé traité). Il est à noter que 2 molécules sont utilisées dans le cadre de ces traitements contre le Spermophile de Richardson Spermophilus richardsonii : la chlorophacinone mais aussi le phosphure de zinc, qui n’est pas un AVK. Dans cette situation comme dans la situation espagnole évoquée précédemment, les auteurs préconisent la mise en place d’un programme de lutte intégrée contre ces pestes agricoles.

En France, les traitements PPP menés contre le Campagnol terrestre entraînent également l’empoisonnement de la faune non-cible (Berny et al. 1997), ce qui a conduit une évolution des pratiques de traitements. Depuis 2001, l’utilisation des rodenticides est devenue préventive et non plus curative. L’utilisation de la bromadiolone est ainsi interdite au-dessus d’un seuil indiciaire de densité relative correspondant à 50 % des intervalles de 10 m d’un transect occupés par des indices (tumuli) (Giraudoux et al. 1995 ; Figure 6). Les agriculteurs sont encouragés à traiter le plus tôt possible dans le cycle c’est-à-dire pendant les premiers stades de croissance des populations de Campagnol terrestre (Ministère de l'Agriculture et de la Pêche 2002), ce qui permet de réduire les quantités d’appâts utilisées tout en conservant une bonne efficacité de contrôle (Delattre & Giraudoux 2009). Au début des années 2000, de nombreux agriculteurs continuaient à utiliser la bromadiolone

alors que les densités de campagnol étaient élevées (lutte « haute densité »), depuis 2002 et progressivement, les agriculteurs sont passés à une lutte « basse densité ».

L’impact de la lutte « haute densité » a été montré à un niveau populationnel par Raoul et al. (2003). Les populations de renard ont été suivies par comptage indiciaire sur une zone de 100 km² environ dans le département du Doubs. Un déclin prononcé des populations a été observé après des traitements très intensifs en 1997 et 1998 (80 000 ha traités), et les densités de populations sont restées basses jusqu’en 2000. Si la dimension temporelle du déclin était claire, son étendue et sa dynamique spatiale n’ont pu être appréhendées. Les effets d’un passage à une lutte « basse densité » sur les dynamiques des populations non-cibles n’ont à ce jour pas été évalués. Cependant depuis 2004 la Fédération des chasseurs du Doubs (région Franche-Comté), dans le cadre de la gestion des espèces chassables, suit par comptage au phare les populations de renard sur l’ensemble du département. Or, dans ce département la bromadiolone est utilisée contre le Campagnol terrestre. Les effets de la molécule sur la faune non-cible ont abouti à un protocole de traçabilité des appâts utilisés. Ainsi, les agriculteurs déclarent les traitements effectués aux instances régionales de l’agriculture (la Direction Régionale de l’Alimentation et de l’Agriculture, DRAAF) et depuis 1991 en Franche-Comté, une base de données a été constituée qui renseigne pour chaque commune et chaque année, les quantités d’appâts utilisées. Croiser les données sur les traitements bromadiolone et les densités de renard permettraient d’appréhender à une échelle départementale, l’effet des AVKs sur la dynamique des populations non-cibles. Par ailleurs, le croisement de ces informations permettrait d’évaluer l’effet sur la faune non-cible d’un passage vers des traitements moins intensifs.