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Fréquence et niveaux de contamination des espèces cibles et non-cibles des traitements

II. 2 2 Suivi de l’exposition des rongeurs : de la collecte à l’analyse des données

II.3. Résultats

II.4.1. Fréquence et niveaux de contamination des espèces cibles et non-cibles des traitements

Nos résultats confirment l’exposition des espèces non ciblées par les traitements biocides AVKs : c.-à-d. Mulots sylvestre ou à collier, Campagnol roussâtre et campagnols du genre Microtus, comme démontré précédemment, notamment au Royaume-Uni par Townsend, Entwisle & Hart (1995), Brakes & Smith (2005) et Tosh et al. (2012). Cependant, notre étude montre pour la première fois que les traitements PPP à la bromadiolone menés contre le Campagnol terrestre (blé empoisonné enfoui dans le sol) n’attirent pas que le Campagnol terrestre et le Campagnol des champs ; les Mulots et le Campagnol roussâtre sont également exposés à la bromadiolone à proximité des parcelles traitées.

Si les campagnols terrestres sont aussi fréquemment exposés que les espèces non-cibles, les espèces ciblées par les traitements biocide (rats / souris) sont plus souvent contaminées que les mulots et les campagnols roussâtres. Le taxon considéré n’explique cependant que faiblement la présence ou l’absence d’AVKs dans les rongeurs (moins de 12% de la déviance totale est expliquée par les variables de l’effet fixe du modèle explicatif de l’occurrence d’AVKs dans la communauté de rongeurs). De plus, de faibles effectifs de rongeurs commensaux sont impliqués dans nos modèles, et leur échantillonnage puisque non standardisé ne permet pas une comparaison directe de leurs fréquences d’exposition avec celles des espèces non-cibles. Cependant nos résultats sont cohérents avec ceux obtenus par Tosh et al. (2012) dans le cadre d’un échantillonnage standardisé. Leur étude est la seule, à notre connaissance, à avoir également comparé les fréquences d’exposition des rongeurs cibles et non-cibles biocides via la quantification des résidus d’AVKs dans les rongeurs. Dans leur étude, les souris (n=12) présentent plus fréquemment des AVKs dans le foie que les mulots (n=55) (33 % versus 15%). Ces proportions sont similaires aux nôtres (37,5% de souris exposées versus 9,1% de mulots globalement et 25,9% versus 5,7% en contexte biocide), et cela malgré le fait que Tosh et al. (2012) aient quantifié les résidus dans le foie des rongeurs ; donc qu’ils détectaient les AVKs avec une plus grande sensibilité que dans notre étude (résidus quantifiés dans le corps entier des rongeurs).

L’espèce considérée explique faiblement la présence ou l’absence d’AVKs mais elle conditionne en grande partie les niveaux de contamination des individus exposés aux AVKs (r² partiel associé à l’espèce de 42,9 %). Au sein des communautés de rongeurs échantillonnées, les espèces ciblées par les traitements (rats, souris et campagnols terrestres) présentent des concentrations d’AVKs supérieures à celles des espèces non-cibles (mulots, campagnols roussâtres et campagnols des champs) ; avec un facteur allant de 3 à 149 entre les concentrations médianes selon les couples d’espèces considérés. Le cas des souris est particulier. Dans un contexte biocide, les concentrations d’AVKs mesurées dans les souris sont similaires à celles des espèces non cibles, ce qui est une fois de plus cohérent avec les données de Tosh et al. (2012) qui a trouvé des concentrations similaires d’AVKs dans les souris et les mulots. La différence des concentrations dans les souris avec les autres

espèces tiendrait à la très forte contamination des individus piégés dans un local de stockage des appâts bromadiolone utilisés dans la lutte contre le Campagnol terrestre ; un individu atteint même une concentration 10 fois supérieure à la DL50 associée à l’ingestion de bromadiolone chez la souris (1 mg/kg ;Newton et al. 1999). Rats surmulots et campagnols terrestres sont en revanche nettement plus contaminés (50 et 92 % des concentrations dépassant 0,1 mg/kg) que les espèces non-cibles ; en particulier le Campagnol roussâtre et les Mulots (0 ou 6 % des concentrations dépassant 0,1 mg/kg). Les moindres concentrations dans les espèces non-cibles ne sont a priori pas dues à une plus faible accumulation des AVKs ou attirance pour les appâts. En effet, dans les tests de laboratoire ou les tests in situ d’efficacité des appâts (FGARs ou SGARs), donc dans des situations où les appâts sont largement disponibles, les concentrations mesurées dans les espèces exposées, qu’elles soient cibles ou non-cible sont similaires et toujours de l’ordre du mg/kg (Erickson & Urban 2004 ; Giraudoux

et al. 2006 ; Sage et al. 2008 ; Delattre & Giraudoux 2009 ; Commission Directive 98/8/EC 2009c ;

Vyas, Hulse & Rice 2012). Dans certains cas, les espèces non-cibles peuvent même être plus exposées que les espèces cibles. Dans une étude in situ où les appâts au flocoumafène (taux de 0,005 % de matière active) sont appliqués de manière à ne jamais manquer, les résidus moyens de cet AVK dans les rats (0,6 mg/kg) correspondent à une dose équivalente à une part de 20 % d’appâts dans le régime et sont plus faibles que ceux dans les rongeurs non-cibles (campagnols, souris domestiques et mulots sylvestres) qui équivalent à une part de 50% d’appâts dans le régime (Commission Directive 98/8/EC 2009c). Sur des parcelles traitées à la chlorophacinone contre le Chien de prairie à queue noire, les concentrations de cet AVK sont plus élevées dans les spermophiles rayés (7,04 mg/kg et 7,56 mg/kg, n=2) que dans l’espèce cible (jamais supérieures à 5 mg/kg, n=10) (Vyas, Hulse & Rice 2012). Ainsi, cette différence dans la contamination des espèces cibles et non-cibles tiendrait à l’accessibilité des appâts pour les différentes espèces ; elle-même conditionnée par leur occupation des milieux.

Les traitements biocides ciblent principalement les rats et souris, espèces essentiellement commensales et les appâts sont ainsi essentiellement appliqués à l’intérieur des bâtiments ou aux alentours. Dans l’étude de Tosh et al. (2011) (Nord de l’Irlande), 68% des 162 agriculteurs enquêtés utilisaient des appâts à l’intérieur des bâtiments, 48% en utilisaient à l’extérieur et 10 % des enquêtés utilisaient des appâts loin des bâtiments (champs ou haies). Or, Mulots et Campagnol roussâtre ne sont qu’occasionnellement commensaux ; ils auraient ainsi un accès réduit à la majorité des traitements biocides. Concernant les traitements contre le Campagnol terrestre, les appâts ne peuvent être utilisés que sur les signes de présence de cette espèce donc en milieu ouvert et doivent être enfouis (Préfet du Doubs 2007). Or, Mulots et Campagnol roussâtre évoluent principalement dans les habitats boisés ou buissonnants et en surface (Giraudoux 1991 ; Harris et al. 1995 ; Quéré & Le Louarn 2011). Ils ne sont jamais piégés dans les galeries de campagnols terrestre (Denis Truchetet comm. pers.) et rarement en surface dans les zones d’openfield (Giraudoux 1991). Ce comportement limite leur accès aux appâts enfouis au milieu des prairies, et leur intoxication résulterait probablement plus de la consommation des appâts enfouis à proximité des haies, lisières ou buissons qui les abritent et/ou de la consommation des appâts mal enfouis (phénomène potentiellement plus fréquent

à proximité des haies ou lisières si l’agriculteur doit relever sa charrue de traitement). Le Campagnol des champs est une espèce de milieux ouverts (Giraudoux 1991) et qui est plus souterraine que les Mulots et le Campagnol roussâtre (Quéré & Le Louarn 2011). Dans notre étude, sa plus grande fréquence de contamination aux AVKs dans un contexte PPP, lorsque les appâts sont enfouis, confirme l’influence du mode d’occupation des milieux par les espèces sur leur niveau de contamination. De plus, et comme observé par Sage et al. (2008) ; les concentrations dans les campagnols des champs piégés sur les parcelles traitées à la bromadiolone peuvent atteindre des niveaux létaux (soit 1 mg/kg ; DL50 chez la souris) alors que ce n’est le cas pour aucun mulots ou campagnols roussâtres.

Notre étude est la première qui permette de caractériser la fréquence et les niveaux d’exposition dans les principales espèces de la communauté de rongeurs et dans 2 contextes d’usage. Nous montrons en particulier que les fréquences et les niveaux de contamination dans les différentes espèces de rongeurs sont, à l’échelle du paysage, conditionnées par leur occupation des milieux et donc leur accessibilité aux appâts.

II.4.2. Influence de l’usage des AVKs (biocide ou PPP) et de leur saisonnalité sur la