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V. Discussion générale

V.2. Quelle surveillance mettre en place pour évaluer l’exposition des prédateurs aux AVKs et les

V.2.3. b Contexte biocide

V.2.3.ba. Echelle et résolution des suivis

Pour définir une résolution et une échelle de suivi appropriées, les variations spatiales et temporelles des usages doivent être mieux caractérisées. Des suivis nationaux ont pu être menés (Etats-Unis ; U.S. Environmental Protection Agency 2006, Canada ; ENKON environmental limited project no. 1004-01 2005, ou Royaume-Uni ; Dawson, Bankes & Garthwaite 2000 ; Dawson & Garthwaite 2001 ; Hughes et al. 2013 et Tosh et al. 2011) et ainsi des tendances nationales sur les usages peuvent être obtenues (e.g. dominance croissante des SGARs). Cependant ces suivis sont peu nombreux et ces enquêtes donnent peu d’informations sur l’importance de la mise en place des mesures de limitation du risque (Hughes et al. 2013). De plus, des contrastes régionaux existent indubitablement en lien avec les activités économiques régionales (e.g. l’utilisation des AVKs augmente en particulier à l’automne dans les grandes plaines céréalières, Liphatech comm. pers.) et la variabilité spatiale des usages et les conséquences qui en découlent sur les prédateurs ne sont que peu décrites à des échelles intermédiaires. Cette caractérisation peut s’appuyer sur des enquêtes sur les usages dont les pilotes / les opérateurs pourraient être les institutions et/ ou les producteurs de rodenticides.

Par ailleurs, si on envisage de comparer des situations nationales (par exemple restriction ou non de l’usage des AVKs aux professionnels), cela suppose de choisir une espèce qui puisse être retrouvée dans toute l’Europe (voir l’hémisphère Nord) donc qui soit suffisamment cosmopolite. Cela impose également une prise en compte du régime alimentaire qui peut, en lien avec la disponibilité des proies, varier à l’échelle continentale (e.g. pour le Chat forestier Lozano, Moleon & Virgos 2006) ou nationale (e.g. pour le Renard roux en Espagne ; Diaz-Ruiz et al. 2013).

V.2.3.bb. Choix de l’espèce sentinelle

Concernant le suivi de l’exposition, d’après nos travaux, l’utilisation des fèces de « type renard » n’est pas forcément le moyen optimal pour suivre l’exposition des prédateurs aux usages biocides ; le faible nombre de fèces positives retrouvées dans ce contexte nous laisse supposer qu’un grand nombre de fèces doit être collecté pour obtenir un signal exploitable. Ceci devrait cependant être vérifié par la collecte de fèces dans des secteurs plus diversifiés (régions plus urbaines ou dont l’agriculture est plus céréalière par exemple) et en couplant la mesure d’AVKs à l’analyse du régime alimentaire pour identifier un effet confondant des proies sélectionnées.

Une alternative consisterait à sélectionner une autre espèce sentinelle. Le fait qu’une des 2 fèces positives collectées en secteur biocide dans notre étude soit une fèces de chien suggère que les fèces d’espèces domestiques pourraient être utilisées. En France, les molécules restreintes à un usage biocide sont plus souvent retrouvées dans le foie des animaux domestiques que dans celui des animaux sauvages (Berny et al. 2010 ; voir la Figure 9 de la partie I.6.1.bb.). En Espagne, 71,4 % des carnivores domestiques étaient exposés à des toxiques contre 41,2 % de l’ensemble des animaux sauvages et domestiques échantillonnés, ce qui suggère qu’ils pourraient être utilisés comme sentinelle des expositions aux toxiques (Mateo, Sánchez-Barbudo & Camarero 2013). Le comportement d’enfouissement de ses fèces par le Chat domestique (Turner & Bateson 2000) semble compromettre son utilisation en tant qu’espèce sentinelle. Le chien semble plus approprié puisqu’il n’enfouit pas ses fèces et que c’est l’espèce de carnivore la plus répandue dans le monde (Vanak & Gompper 2009) ; ainsi ses fèces pourraient en théorie être collectées facilement dans tous les contextes de traitements biocides. Cependant, les chiens peuvent s’intoxiquer de façon primaire en ingérant directement des appâts ou de façon secondaire par la consommation de rongeurs intoxiqués (Rodrigues 2006) et la représentativité de leur exposition vis-à-vis des prédateurs doit être vérifiée.

La collecte de pelotes d’Effraie des clochers peut être également envisagée puisqu’il est possible d’y détecter des AVKs (Eadsforth, Dutton & Harrison 1991 ; Gray, Eadsforth & Dutton 1994). L’avantage de cette méthode est qu’on peut connaître précisément l’âge des pelotes par le nettoyage du site de collecte lors d’un premier passage et le prélèvement de pelotes lors d’un 2e

passage. Cette espèce, puisque cosmopolite (Frey et al. 2011), est également une bonne candidate en tant qu’espèce sentinelle mais en Europe elle est principalement inféodée à un habitat rural (Frey et al. 2011) ; ce qui ne permet pas un suivi dans les grandes agglomérations. La part de commensaux (rongeurs les plus exposés aux AVKs en contexte biocide, Figure 29) est par ailleurs variable dans son régime : ils ne sont jamais retrouvés dans les pelotes récoltées dans le secteur de pullulation du Campagnol terrestre en Franche-Comté (Bernard et al. 2010), mais les rats peuvent constituer 35 % de la biomasse consommée en Irlande du Sud (Eadsforth, Gray & Harrison 1996) et atteindre 35 % d’occurrence dans les pelotes d’effraies dans les villes au Canada (Hindmarch & Elliott 2012). L’analyse de la mesure d’exposition doit donc être couplée à celle du régime alimentaire.

S’il n’est pas possible de déterminer une espèce sentinelle appropriée dans un contexte biocide par l’utilisation des fèces ou des pelotes, le suivi de l’exposition par la mesure des résidus hépatiques d’AVKs chez des espèces chassables (renard ou sanglier par exemple) peut être envisagé. Le suivi d’exposition chez le sanglier aurait des implications en terme de santé publique puisque la viande de cette espèce est consommée (Pitt, Higashi & Primus 2011) et permettrait de tracer des intoxications primaire (consommation des appâts) ou secondaire (consommation de rongeurs contaminés) (Couval

et al. 2013a). La collecte de ces espèces chassables pourrait consister en un prélèvement aléatoire

(tirs ou piégeage) par les fédérations de chasseurs et les piégeurs. L’évaluation de l’état de santé général (condition corporelle), de la charge parasitaire des individus prélevés, ainsi qu’un prélèvement d’os, permettraient de mieux quantifier l’importance des effets sublétaux chez les individus exposés aux AVKs. Le suivi d’exposition dans le sang nécessite la capture des individus et peut être envisagé lorsque l’espèce fait l’objet d’un suivi spécifique, comme c’est par exemple le cas du Milan royal avec le baguage des jeunes au nid (Coeurdassier et al. 2013). La mesure d’exposition aux AVKs dans le plasma des jeunes milans peut par ailleurs être couplée avec des mesures d’effets : mesures biométriques ou mesure des temps de coagulation. La mesure des temps de coagulation apparait délicate chez les oiseaux en raison de leur temps de coagulation court (Fisher 2009 ; Montaz 2013), mais le temps de Quick, le temps de thrombine et le temps de Venin de Vipère Russell ont pu être déterminés chez le Colin de virginie (Rattner et al. 2010), l’Effraie des clochers (Webster 2009), le Petit-duc maculé Megascops asio (Rattner et al. 2013) et le Crécerelle américain Falco sparverius (Rattner et al. 2011).

A priori le suivi des densités de population n’est pas limitant dans le choix d’une espèce sentinelle sauvage parmi celles citées précédemment puisque des protocoles sont opérationnels à large échelle (mise en œuvre par les associations naturalistes ou les fédérations de chasseurs) pour suivre les populations de ces espèces ; pour le renard à une échelle nationale (Webbon, Baker & Harris 2004) ou régionale (chapitre IV.B) et pour les rapaces à des niveaux nationaux en France (http://rapaces.lpo.fr/mission-rapaces) ou au Royaume-Uni (Walker et al. 2008 ;Walker et al. 2012).