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V. Discussion générale

V.3. Perspectives

V.3.3. b Affiner les analyses de régime alimentaire

Les analyses de régime alimentaire dans les fèces se basaient dans notre étude sur l’identification des restes macroscopiques et étaient, pour les rongeurs, limitées par la qualité des os et des dents restants. Il n’était ainsi pas toujours possible de différencier les espèces de campagnols du genre Microtus et de distinguer les mulots des souris domestiques. Si les campagnols du genre

Microtus ont des mœurs relativement similaires, la souris domestique est beaucoup plus commensale

que les mulots. Ainsi, nous montrons que les souris sont plus contaminées aux AVKs que les mulots. Nos résultats sont à prendre avec précaution en raison des faibles effectifs de souris analysés mais cela suggère que la consommation de l’une ou l’autre de ces espèces de Murinae par les prédateurs ne les soumettra pas à la même exposition aux AVKs. L’utilisation de méthodes génétiques permettrait d’identifier les rongeurs consommés de manière spécifique (Napolitano et al. 2008 ; Shehzad et al. 2012 ; Pompanon et al. 2012) et donc de préciser les voies d’exposition des

prédateurs. L’utilisation de la méthode du metabarcoding permettrait par ailleurs, car elle est plus économe en temps que l’analyse macroscopique des restes alimentaires ou que des approches moléculaires moins récentes (Pompanon et al. 2012), d’augmenter les effectifs de fèces analysées. Ceci faciliterait le couplage des mesures d’exposition non invasives aux AVKs dans les fèces aux analyses de régime alimentaire, et permettrait d’envisager des suivis sur de grandes échelles spatiales et temporelles.

Les mesures d’exposition faites dans le plasma ou le foie peuvent être associées à l’analyse des isotopes stables ; ce qui permet de définir la position trophique relative des individus capturés. Shore et al. (2012) ont pu ainsi déterminer que des renards exposés aux AVKs étaient à une position trophique plus élevée que des renards non exposés. Dans leur zone d’étude, les espèces proies les plus susceptibles de contenir des AVKs (les Murinae), étaient en effet à un plus haut niveau trophique que des espèces moins exposées (espèces plus herbivores comme les campagnols du genre

Microtus). Selon le taux de renouvellement des tissus analysés, la mesure des isotopes stables est

représentative de périodes allant de quelques jours à plusieurs mois. Les périodes de temps intégrées par les différents tissus sont concordantes avec celles représentées par les contaminations d’AVKs ; de l’ordre du mois pour le foie et de quelque jours pour le plasma (De Lange & Van den Brink 2006 ; Dalerum & Angerbjorn 2005).

V.4. Conclusion

Dans le cadre de la lutte PPP contre les rongeurs, les stratégies de lutte intégrée développées sont le résultat de collaborations étroites entre chercheurs, organismes techniques agricoles et donc agriculteurs (voir pour le campagnol terrestre Delattre & Giraudoux 2009 ou Couval et al. 2013ab et voir Singleton et al. 2010 pour la lutte contre d’autres rongeurs nuisibles en culture, notamment dans les pays asiatiques). L’originalité du contexte franc-comtois réside dans le fait que les travaux de recherche ne se sont pas limités à l’étude des facteurs de contrôle des populations de rongeurs (synthèse dans Delattre & Giraudoux 2009), mais qu’ils ont également portés sur les aspects écotoxicologiques associés à la lutte (Raoul et al. 2003 ; Giraudoux et al. 2006 ; Coeurdassier et al. 2012 ; Sage et al. 2010 ; Sage et al. 2007 ;Sage 2008). En parallèle et de façon indépendante, le suivi des populations de renards roux a été réfléchi sur l’ensemble du Doubs par la Fédération des chasseurs départementale (dans une perspective de gestion des espèces cynégétiques). Dans ce contexte, et sur la base des travaux présentés dans ce mémoire, nous pouvons envisager un dispositif de surveillance dont l’espèce sentinelle serait le Renard roux et qui permettrait la préconisation dynamique de nouvelles mesures visant à limiter le transfert vers les prédateurs de la bromadiolone utilisée pour une lutte PPP contre le Campagnol terrestre (Figure 32).

En France, dans certaines régions, les pullulations sont plus localisées et de fréquence moins régulières qu’en Franche-Comté (massifs Pyrénéens et Alpins jusqu’à 2400 m d’altitude), mais la tendance semble être à un rapprochement des cycles (Couval et al. 2013a). De plus, de nouvelles régions sont soumises à des pullulations spatiales et temporelles de grande ampleur ; entre autres la Bourgogne (Côte d’Or, Saône et Loire) ou la Champagne-Ardenne (Ardennes) (Couval et al. 2013a). Dans le cas d’un contrôle chimique du Campagnol terrestre dans ces régions, le dispositif proposé ici pourrait être transposé. De plus, ce dispositif permettrait de surveiller les effets de la bromadiolone dans la lutte contre d’autres rongeurs nuisibles des cultures. En effet, l’utilisation de la bromadiolone serait, en France, étendue à la lutte contre le Campagnol des champs Microtus arvalis, le Campagnol provençal Microtus duodecimcostatus, le Campagnol souterrain Microtus subterraneus et le Mulot sylvestre Apodemus sylvaticus (Ministère de l'Agriculture de l'Agroalimentaire et de la Forêt 2012).

Dans le cadre d’une lutte PPP (toutes pestes agricoles et pas seulement les rongeurs) et en Europe, l’heure est à la mise en application du paquet pesticide et donc au développement de méthodes de suivi des traitements et de leurs effets (Department for Environment Food and Rural Affairs 2013 ; Comité de surveillance biologique du territoire 2011), ainsi qu’au développement des stratégies de lutte intégrée (Birch, Begg & Squire 2011 ; Pretty 2008). Dans un cadre biocide, on dépasse l’encadrement des pratiques agricoles seules, ce qui complique la mise en place des suivis.

Figure 32.Dispositif de suivi de l’efficacité des mesures mises en place pour limiter le transfert et les impacts des AVKs vers et sur les populations de prédateurs.

Dans un cadre biocide, nous l’avons vu, un dispositif de mesure, chez les prédateurs, de l’exposition aux AVKs et des effets qui en résultent est difficile à mettre en place en raison de la diversité des utilisateurs, des molécules et des situations écologiques concernés. L’utilisation des rodenticides biocides, donc dans le cadre de la protection de la santé humaine ou celle des animaux, peut se faire et est donc évaluée dans des scénarios très différents : à l’intérieur ou proche des bâtiments, dans les égoûts, dans les zones ouvertes (golfs par exemple) et dans les décharges (qui favorisent la prolifération des rongeurs et attirent ainsi les prédateurs) (Larsen 2003). Pour prendre en compte les risques pour les prédateurs associés aux différents usages (PPP / biocide) et contextes d’utilisation, les produits (type d’appâts / substance active / concentration de sustance active) sont homologués pour un usage donné, un contexte d’utilisation donné et parfois pour un utilisateur donné. Cependant l’encadrement de l’utilisation des AVKs dans les différents scénarios de leur utilisation biocide suscite actuellement des débats. Au Royaume-Uni par exemple l’utilisation des SGARs les plus toxiques (flocoumafène, brodifacoum et diféthialone) était jusqu’à présent restreinte à un usage à l’intérieur des bâtiments ; ceci pour limiter le transfert vers la faune non-cible (Health and Safety

Executive 2012). Cependant, l’emploi de molécules contre lesquelles les populations de rongeurs contrôlées sont résistantes entraine une inefficacité et ainsi un allongement des campagnes de traitements; ce qui augmente le risque d’intoxication secondaire (Health and Safety Executive 2012 ; Shore et al. 2013). Ainsi, en présence de résistance vis-à-vis de la bromadiolone et du difénacoum ; le Royaume-Uni autorise l’utilisation du flocoumafène, du brodifacoum et de la diféthialone lors de courtes campagnes de traitements ; et cela même sur des populations de rats établies loin des bâtiments (Health and Safety Executive 2012 ; Buckle et al. 2013). Dans ce contexte, il apparait essentiel de mesurer les effets sur le transfert des prédateurs des choix faits en matière d’encadrement des usages biocides des AVKs.

Par ailleurs, dans le cadre de la lutte biocide, la vigilance est également de mise car l’Europe, lors de la réfome récente sur les biocides (règlement N°528/2012), prévoit une procédure d’évaluation et de mise sur le marché facilitée des nouvelles substances actives biocides ; ceci pour encourager le développement de nouvelles molécules par les industriels. Les produits biocides contenant de nouvelles substances actives peuvent par exemple obtenir une autorisation de mise sur le marché au niveau communautaire (European Union 2009) . Concernant les anticoagulants, le challenge actuel consisterait à développer des molécules présentant une affinité forte pour leur récepteur (enzyme de recyclage de la vitamine K) lors de l’ingestion mais qui sont ensuite plus rapidement éliminées par l’organisme que les composés actuels (Berny 2011). Plusieurs pistes de développement de molécules sont explorées à l’heure actuelle : amélioration de la performance des rodenticides non anticoagulants comme le phosphure de zinc ou des anticoagulants de 1ère génération ou identification de molécules alternatives aux propriétés anticoagulantes comme la paraminopropiophenone (PAPP) (Eason et al. 2012). Si les propriétés des nouvelles molécules peuvent être partiellement anticipées, leur mise sur le marché facilitée à l’échelle communautaire questionne dans un contexte où on n’évalue encore que partiellement les effets environnementaux indésirables associés à des molécules qui sont, comme c’est le cas des AVKs, utilisées depuis des dizaines d’années.