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Pour interpréter la production des saveurs lourdes dans les collisions AA, il faut comprendre les eets nucléaires froids. Les eets nucléaires froids n'apparaissent pas lors des collisions pp. Le système le plus simple pour étudier les eets nucléaires froids est le système pA. Dans ce système aucun eet nucléaire chaud ne peut, à priori, intervenir.

2.2.1 Présentation des eets nucléaires froids

Dans une collision pA, on peut considérer trois grands types d'eets nucléaires froids :

 Une absorption dans l'état nal4 (absorption "simple"). Dans ce cas les par-ticules créées dans les collisions entre partons sont dissociées par les nucléons spectateurs du noyau incident. En général, quand ces eets sont les seuls à intervenir, la production des particules lourdes évolue exponentiellement par rapport au nombre de collisions NN ;

 Une modication des fonctions de distribution des gluons dans les nucléons5

("shadowing" ou "antishadowing"). Les mesures de diusions profondément in-élastiques ont montré que la fonction de distribution d'un parton i notée fi(x) (sous section 2.1.1) était modiée par le milieu nucléaire. A l'échelle d'énergie nécessaire pour la création des saveurs lourdes, les gluons sont prépondérants dans les nucléons. On dénit le rapport RA

G(x) pour la modication des fonc-tions de distribution des gluons en fonction de la variable de Bjorken x de la façon suivante :

4. Ce type d'absorption est en général considérée comme un eet nucléaire froid puisqu'il est mis en évidence dans les collisions pA.

Figure 2.4  Evolution de RA

G en fonction de x à Q2 = 9 GeV2 pour diérentes paramétrisations. D'après [101]. RAG(x) = f A g (x) fgp(x). (2.2) Ici, fA

g (x) est la fonction de distribution des gluons dans le noyau et fp

g(x)

est la fonction de distribution des gluons dans le proton. On peut déterminer le rapport RA

G(x) en considérant les limites imposées par des ajustements glo-baux sur les mesures de diusions profondément inélastiques et les processus de Drell-Yan. Il faut également considérer la conservation de l'impulsion et la conservation du nombre quantique baryonique. La gure 2.4 montre l'évo-lution du rapport RA

G en fonction de x pour diérentes paramétrisations des fonctions de distribution ou diérents échantillons de données ajustées dans le cas d'un transfert d'énergie Q2 = 9 GeV2. Les paramétrisations EKS98 [102] et EPS08 [103] sont similaires mais l'ajustement n'est pas eectué sur le même échantillon de données. Les paramétrisations nDS [104] et HKN [105] sont dif-férentes des paramétrisations EKS98 et EPS08. On note que le RA

G peut être plus grand ou plus petit que l'unité. Quand RA

G> 1 on parle de "shadowing" et quand RA

G < 1 on parle d'"antishadowing". Ces deux phénomènes sont induits

par l'augmentation exponentielle de la densité de gluons (appendice .5). Quand la densité de gluons est susamment élevée, les fonctions d'onde de ces der-niers se chevauchent. Il se produit alors des phénomènes de diusion multiple. Lors des diusions multiples, les fonctions d'onde des gluons interfèrent. Quand l'interférence est destructive il y a "shadowing", quand elle est constructive il y a "antishadowing". Ainsi, lorsque on augmente l'énergie dans le centre de masse des collisions hadroniques, le "shadowing" ("antishadowing") entraîne une saturation (augmentation) des sections ecaces de production des saveurs

lourdes6. On observe un fort "shadowing" et un fort "antishadowing" pour la paramétrisation EPS08. En eet, la paramétrisation EPS08 décrit les distribu-tions de gluons dans la région cinématique du DIS (Deep Inelastique Scattering) où la densité de gluons est proche de la saturation. En revanche, les paramé-trisations nDS et HKN décrivent les distributions de gluons dans le domaine cinématique des "jets" (qui peuvent être décrits par la pQCD) où la densité de gluons est loin de la saturation. C'est pour cette raison que le "shadowing" et l'"antishadowing" sont beaucoup moins marqués. La paramétrisation EKS98 donne des résultats intermédiaires.

 Un eet de diusion multiple du parton initial dans le noyau incident (eet Cronin) [106]. L'eet Cronin entraîne une augmentation de l'impulsion trans-verse (pt) de la particule dans l'état nal. En pratique la valeur moyenne < p2

t >

augmente proportionnellement au nombre de centres de diusion que le parton rencontre.

Bien qu'ils ne soient pas décrits en détail dans cette section, il existe d'autres eets nucléaires froids moins connus :

 Le "Color Glass Condensate" (CGC) (Appendice .5) a peut être été observé au RHIC et devrait être mis en évidence au LHC. Le CGC se manifeste comme un eet de saturation de la production des saveurs lourdes ;

 Le parton incident peut perdre de l'énergie dans la matière nucléaire froide ;  Les hadrons créés lors des collisions d'ions lourds peuvent être détruits lors de

l'évolution spatio-temporelle de celle-ci (annihilation B ¯B ou D ¯D, suppression des quarkonia par les "comovers"...).

2.2.2 Résultats expérimentaux

L'absorption nucléaire "simple"

La gure 2.5 résume la production de J/Ψ normalisée à la production Drell-Yan7 dans une large variété de collisions mesurées au SPS (√sN N ≃ 20 GeV ) [107]. Les points expérimentaux forment une courbe qui décroit exponentiellement avec l'épaisseur nucléaire L. Cette dépendance exponentielle peut être interprétée comme une absorption des J/Ψ par les nucléons dans le noyau incident. En eet, l'épaisseur Lest proportionnelle au nombre de nucléons que rencontre le J/Ψ après sa création8. Notons que l'on observe une absorption plus importante pour le Ψ [108].

Le "shadowing"

La gure 2.6 a été obtenue à partir des données de l'expérience E866 à Fermi-lab [109]. Elle décrit l'évolution de α pour le méson D et les quarkonia J/Ψ et Ψ

6. Ceci est également vrai dans certains cas pour les saveurs plus légères. 7. Le Drell-Yan est supposé insensible aux eets de milieu [110].

8. L = N/σρ, où N est le nombre moyen de collisions successives calculé avec le modèle de Glauber, σ est la section ecace inélastique NN et ρ est la densité de nucléons.

Figure 2.5  Quantité de J/Ψ norma-lisée par rapport au processus Drell-Yan en fonction de l'épaisseur nucléaire L me-surée au SPS. D'après [107].

Figure 2.6  Suppression des quarko-nia mesurée dans les collisions pA à

sN N ≃ 40 GeV au FNAL. La

suppres-sion est illustrée par l'évolution de α en fonction de la variable xF (voir texte). D'après [109].

en fonction de la variable de Feynman xF dans les collisions pA à √sN N ≃ 40 GeV . En l'absence d'eets nucléaires, la section ecace de production des saveurs lourdes en mode pA (σpA) est proportionnelle à la section ecace de production des saveurs lourdes en mode pp (σpp) et au nombre de collisions binaires NN (A) : σpA= σpp×A. On suppose qu'en présence d'eets nucléaires froids, σpAest modiée comme il suit : σpA = σpp × Aα. Le terme α est donc la variable qui permet de quantier les ef-fets nucléaires froids. Quand on considère la réaction entre le parton contenu dans le proton et le parton contenu dans un nucléon du noyau, la variable de Feynman xF est la diérence entre la fraction de l'impulsion totale du proton portée par le proton (xp) et la fraction d'impulsion totale du noyau portée par le parton dans le noyau (xA) : xF = xp − xA. On note que, pour xF ∼ 0, α est indépendant de xF

et que le Ψ est absorbé en plus grande quantité que le J/Ψ (α(J/Ψ) > α(Ψ)). On peut interpréter cette tendance comme les conséquences de l'absorption nucléaire simple. A partir de xF > 0.2 on observe une décroissance importante de α. Ce phénomène n'est pas explicable sans invoquer des eets diérents de l'absorption nu-cléaire "simple", il faut alors considérer des eets de "shadowing" de gluons (RA

G< 1 sur la gure 2.4) [111, 112]. Notons néanmoins, que le "shadowing" ne permet pas d'expliquer à lui seul cette tendance.

La séparation des deux types d'absorption au RHIC.

Aux énergies du RHIC (√sN N = 200 GeV), l'absorption nucléaire "simple" et le "shadowing" sont présents simultanément. L'expérience PHENIX est capable de mesurer le J/Ψ à mi-rapidité (|y| < 0.35) mais aussi à l'avant (1.2 < |y| < 2.2). La gure 2.7 montre le facteur de modication nucléaire du J/Ψ mesuré dans les collisions dAu9. Les J/Ψ émis à des rapidités positives sont originaires des partons de plus faible x dans le noyau d'or (jusqu'a x = 2 · 10−3 dans ce cas). Ils sont d'avantage supprimés ce qui, en général, est le signe de "shadowing". En faisant l'hy-pothèse de scénarios de "shadowing" diérents, on peut alors utiliser un ajustement où la section ecace d'absorption nucléaire "simple" est le paramètre libre. La sec-tion ecace d'absorpsec-tion nucléaire "simple" ainsi déduite est reportée sur la gure comme σbreakup. On note que l'erreur est très importante (plus de 100%). Ainsi, les eets nucléaires froids sont très mal connus au RHIC. Notons que l'absorption liée au "shadowing" et l'absorption nucléaire "simple" pourraient être séparées en s'ap-puyant sur la mesure précise du charme ouvert (ce qui n'a pas encore été réalisé au RHIC). En eet, comme les saveurs lourdes naissent principalement de la fusion de gluons, le charme ouvert et le J/Ψ subissent les mêmes eets dans l'état initial alors qu'ils n'ont pas du tout le même état nal [113].

Figure 2.7  Rapport de modication nucléaire du J/Ψ mesuré dans les colli-sions dAu par PHENIX. D'après [81].

Figure 2.8  Valeur moyenne du carré de l'impulsion transverse du J/Ψ mesu-rée au SPS. D'après [113].

9. Cette observable est construite de la même manière que le RAA (chapitre 1, equation 1.15) mais les distributions mesurées dans les collisions AA sont remplacées par les distributions mesurées dans les collisions deutérium-Or (dAu).

L'eet Cronin

L'eet Cronin a été observé dans de nombreuses expériences [109, 114, 115]. La gure 2.8 illustre les résultats du SPS [113] pour le J/Ψ. On observe clairement une augmentation de la valeur moyenne < p2

t > en fonction de l'épaisseur nucléaire L. Cette évolution est caractéristique de l'eet Cronin (voir plus haut).

Cette section a présenté succinctement les connaissances actuelles au sujet des ef-fets nucléaires froids dans le cadre de l'étude des saveurs lourdes. La partie suivante présente la mesure des eets nucléaires chauds. Comme on ne peut pas prétendre mesurer les eets nucléaires chauds sans une compréhension préalable des eets nu-cléaires froids, les eets nunu-cléaires froids attendus pour les saveurs lourdes dans les collisions AA au LHC sont présentés dans la section suivante. Par ailleurs, bien que le sujet ne soit pas abordé dans cette section, un nouvel eet nucléaire froid qui a peut être été observé au RHIC devrait être mis en évidence au LHC. Il s'agit de l'eet de saturation de la production des saveurs lourdes imputable à la création du "Color Glass Condensate" (CGC) (Appendice .5). Notons enn qu'un scénario de "shadowing" (et d'"antishadowing") est présenté dans le chapitre 6 dans le cadre des muons de décroissance des saveurs lourdes produites au LHC dans les collisions AA à √sN N = 5.5 T eV dans la fenêtre de centralité 0 − 10%.