• Aucun résultat trouvé

1 Variabilité spatiale des précipitations en modélisation hydrologique

1.2 Le problème de la variabilité spatiale des précipitations

1.2.1 Mesure et estimation des précipitations

1.2.1.1 Les outils de mesure

Les hydrologues travaillent essentiellement avec des précipitations observées. L’instrument de me- sure le plus ancien pour mesurer les précipitations est le pluviomètre qui permet la mesure du vo- lume d’eau collecté sur un intervalle de temps. C’est donc une mesure ponctuelle qui n’est pas re- présentative des précipitations sur une grande surface sans l’utilisation de techniques d’extrapolation s’appuyant sur un réseau de mesure ayant une densité spatiale appropriée. D’après L’hôte (1990), les premières estimations plausibles des pluies sur des grands bassins versants à par- tir des mesures ponctuelles de terrain sont attribuées aux savants Pierre Perrault (1611-1680), Ed- mé Mariotte (1620-1684) et Edmund Halley (1656-1742).

Quelques siècles plus tard, avec les avancées technologiques réalisées pendant la seconde guerre mondiale sur la détection et l’estimation à distance par ondes radio, le RADAR (RAdio Detection And Ranging) apparaît comme un nouvel outil de mesure des précipitations. Marshall et al. (1947) montrent qu’il existe une forte corrélation entre la réflectivité des ondes émises par un radar et l’intensité des précipitations. Ils soulignent que : « il devient possible par conséquent de déterminer

avec une précision suffisante l’intensité de la pluie en un point assez éloigné (de l’ordre de 100 km) à travers l’écho radar issu de ce point ». Le radar apparaît alors comme un outil de mesure très inté-

ressant puisqu’il permet d’accéder à une observation spatialisée des champs de précipitation. Ces premiers travaux ont suscité d’abondantes recherches sur la mesure des précipitations par té- lédétection. Plus récemment encore, l’utilisation des images satellites est à l’origine de nombreux projets de recherche pour l’estimation des précipitations (Yilmaz et al., 2005; Gourley et al., 2011; Moreno et al., 2012). Cependant, le comportement stochastique des champs de précipitations, aus- si bien dans le temps que dans l’espace, associé aux sources d’incertitudes des appareils de mesure, dégradent l’estimation des précipitations.

1.2.1.2 Estimation des précipitations à partir des réseaux de mesure ponctuels

La modélisation pluie-débit nécessite la connaissance des précipitations à l’échelle de grandes sur- faces telles que les bassins versants. Dans le cas d’un échantillonnage des champs de précipitations par un réseau de mesure au sol, les données ponctuelles des pluviomètres doivent être extrapolées pour estimer la quantité d’eau précipitée sur une surface donnée. De nombreuses techniques d’extrapolation existent (Thiessen, 1911; Delhomme, 1978; Creutin et Obled, 1982), elles sont plus ou moins simples à mettre en œuvre et a priori exactes (Singh et Chowdhury, 1986; Lebel et al., 1987).

Chapitre 1 : Variabilité spatiale des précipitations en modélisation hydrologique

31 Dans tous les cas, quelle que soit la méthode d’extrapolation utilisée, la précision de ces estima- tions dépendra de la densité du réseau pluviométrique pouvant capturer la variabilité spatiale des précipitations. Par exemple, Huff (1970) calcule dans l’Illinois une erreur moyenne inférieure à 5% sur l’estimation des quantités d’eau mesurées avec une densité de 65 km² par pluviomètre. Il note cependant, que les erreurs varient en fonction du type d’événements et qu’elles sont deux à trois fois supérieures pour les événements convectifs qui présentent une forte variabilité spatiale par rapport aux événements stratiformes relativement uniformes spatialement. De même Robinson (2006) et Hrachowitz et Weiler (2010) ont montré que les erreurs d’estimation de la pluie de bassin augmentent (par rapport aux estimations obtenues avec la totalité du réseau) avec la diminution de la densité du réseau pluviométrique.

Certains travaux proposent de dimensionner l’échantillonnage spatial d’un réseau de mesure plu- viométrique en calculant les dimensions caractéristiques de différentes structures pluvieuses. Creutin et al. (1997), Berne et al. (2009, 2004) et Emmanuel et al. (2012) ont calculé des vario- grammes à partir des images radar pour définir les distances et durées de corrélation des champs de précipitation. En général, les deux sont liées : plus la durée de l’événement est courte, plus la "distance caractéristique" des structures pluvieuses est petite :

• Sous climat méditerranéen, où les orages convectifs d’été présentent de fortes variabilités spatiales des précipitations, Berne et al. (2004) suggèrent une résolution temporelle de 3 à 6 min et une résolution spatiale de 2 à 4 km pour des bassins versants urbains de 1 à 10 km². En termes de cumul sur les événements cévenols extrêmes de septembre et novembre 2002, Berne et al. (2009) calculent une distance maximale de décorrélation des structures de pluie qui varie entre 28 km (pour une durée de 6 h) et 75 km (pour une durée de 12h.).

• Sous climat océanique, Emmanuel et al. (2012) identifient quatre types d’orages :

o La première structure est caractérisée par une distance de décorrélation de l’ordre

de 17 km avec un temps de décorrélation de 15 min et correspond à des zones plu- vieuses peu variables.

o La deuxième se distingue par une distance de décorrélation de 5 km avec un temps

de décorrélation de 5 min et correspond à des amas pluvieux intenses et fortement variables.

o Les troisième et quatrième structures sont des doubles structures d’orages. Elles sont constituées par l’association de petits amas intenses (portées de 5 min et infé- rieures à 5 km) localisées au sein d’amas moins variables (portées de 12-15 km et 15 min).

32

Au final, les auteurs conseillent un échantillonnage spatial au sol compris entre 6 et 2 km (soit environ la distance de corrélation divisée par 3) pour capturer correctement les struc- tures mises en évidence.

Ces études montrent l’importance de l’échantillonnage spatial de la mesure pour obtenir des esti- mations fiables, notamment dans les régions exposées à de fortes variabilités spatiales des précipi- tations. Or, il est techniquement et économiquement impossible de mesurer les précipitations en tout point de l’espace. Par conséquent, du fait de l’hétérogénéité spatiale des précipitations, il est impossible de connaitre réellement les précipitations sur un bassin versant avec un réseau au sol ponctuel (Storm et al. 1989; Sugawara 1993).

1.2.1.3 L’apport des mesures spatialisées des radars météorologiques

Par rapport aux pluviomètres, qui ne permettent d’accéder qu’à des mesures ponctuelles des pré- cipitations, les radars météorologiques, qui fournissent une information spatialisée des champs de précipitations, offrent de grandes perspectives pour l’estimation des précipitations observées (Berne et Krajewski, 2013; Delrieu et al., 2009; Marshall et al., 1947). Cependant, la mesure radar est soumise à de nombreuses incertitudes et nécessite de nombreux traitements à la fois pour cor- riger la donnée radar et obtenir une estimation des précipitations au sol (Andrieu et al., 1997; Austin, 1987; Bourrel et al., 1994; Krajewski et Smith, 2002; Tabary, 2007; Wilson et Brandes, 1979). Des progrès considérables ont été réalisés et une abondante littérature a été publiée sur ce sujet (Biggs et Atkinson, 2011; Hazenberg et al., 2011).

Notons que l’un des principaux traitements de la mesure radar consiste à ajuster les estimations radar avec les caractéristiques des précipitations mesurées au sol : quantités précipitées grâce au pluviomètre (Seo et al., 1999; Wilson et Brandes, 1979; Wood et al., 2000a) et taille des gouttes grâce au disdromètre (Creutin et al., 1997; Martner, 1977; Uijlenhoet et Pomeroy, 2001). Bien qu’une nouvelle génération de radars (émettant en bande X et utilisant la double polarisation) permette d’espérer obtenir des estimations précises de précipitation sans recalage avec les me- sures au sol (Moreau et al. 2009; Diss et al. 2009), la qualité de ces mesures diminue fortement au- delà de 60 km du radar (Diss 2009) et le déploiement de ce type de radar est encore limité. C’est pourquoi, dans la plupart des cas, les estimations spatialisées de précipitation par radar sont dé- pendantes du réseau de mesure au sol, puisqu’elles sont corrigées à l’aide de ces mesures ponc- tuelles, ce qui permet d’améliorer considérablement l’estimation de précipitations (Borga et Tonelli, 2000; Creutin et al., 1988; Johnson et al., 1999; Krajewski et al., 2010; Seo et al., 1990; Velasco-Forero et al., 2009; Wilson et Brandes, 1979; Wood et al., 2000b; Yilmaz et al., 2005). L’évaluation de la qualité des données radar de précipitation est généralement effectuée de ma- nière ponctuelle : les précipitations mesurées au sol par le pluviomètre sont comparées à

Chapitre 1 : Variabilité spatiale des précipitations en modélisation hydrologique

33 l’estimation obtenue sur le pixel de l’image radar situé au-dessus du pluviomètre. Malgré la diffé- rence d'échelle (dans les deux cas, les précipitations ne sont pas mesurées sur une surface du même ordre de grandeur), ces comparaisons ponctuelles permettent d’accéder à une référence assez fiable (correspondant au cumul ponctuel pluviométrique) afin d’évaluer la précision des don- nées radar. Ces comparaisons sont effectuées avant et/ou après ajustement des données radar afin de séparer les erreurs induites par la mesure radar et les améliorations obtenues par l’utilisation des données radar combinées avec les mesures ponctuelles au sol. Nous détaillons ici quelques-uns de ces travaux de comparaison :

• En France, Tabary et al. (2007) ont évalué au pas de temps horaire l’efficacité du nouveau réseau radar météorologique (sans ajustement avec les mesures au sol) par rapport aux me- sures pluviométriques pour une variété de 27 événements observés dans le Sud-Est de la France. Bien que la qualité des lames d’eau radar soit fortement améliorée sur les courtes distances (0-50 km) et longues distances (100-150 km), ils indiquent un biais résiduel de 28% sur les moyennes distances et 54% sur les longues distances.

• Emmanuel et al. (2011) ont effectué une comparaison par type d’événements entre les données ajustées du radar de Trappes (au Sud-Est de Paris) et 69 pluviomètres. Ils remar- quent que la précision des données radar est significativement meilleure en hiver qu’en été. Cette perte de qualité est liée à la forte variabilité spatiale des précipitations pendant les événements convectifs observés en été (orages).

• Au Royaume-Uni, Biggs et Atkinson (2011) ont comparé les données pluviométriques et ra- dar (sans ajustement avec les pluviomètres) sur un événement extrême d’hiver. Les erreurs ponctuelles pour le cumul de précipitation sur l’événement sont de 16% en moyenne avec des écarts qui varient entre 1% et 54%.

• Aux Etats-Unis, le réseau radar NEXRAD (the NEXt-generation weather RADar) est opéra- tionnel depuis les années 1990 (Fulton et al. 1998). Les algorithmes de traitement n’ont ces- sé d’évoluer et d’améliorer l'estimation des précipitations, notamment grâce aux techniques de correction avec les données ponctuelles mesurées au sol (Johnson et al. 1999). Mazari et al. (2013) évaluent ponctuellement les nouvelles estimations de précipitation du réseau NEXRAD par rapport aux mesures de 50 pluviomètres réalisées au Texas. Sur des événe- ments convectifs avec une forte variabilité spatiale, ils observent des différences de 61% au pas de temps 6 min, 51% au pas de temps horaire et 45% sur le cumul des événements ob- servés.

• En Oklahoma, Krajewski et al. (2010) ont reproduit l’expérience de Wilson et Brandes (1979) sur le même terrain d’étude afin d’évaluer les progrès effectués. Ils comparent les cumuls pluviométriques de 20 événements avec les estimations d’un radar de nouvelle génération (NEXRAD) et obtiennent des différences moyennes de 42% avec des écarts qui varient entre

34

15% et 91%. Après correction des biais par ajustement avec les données sol, les écarts entre les données radar (ajustées) et pluviométriques diminuent : ils sont de 21% en moyenne, 12% au minimum et 45% au maximum. En comparaison avec l’expérience de Wilson et Brandes (1979), ils calculent une réduction de 33% en 30 ans sur les erreurs des données ra- dar par rapport aux mesures pluviométriques. Cependant, ils concluent que « la caractérisa-

tion des incertitudes de l’estimation radar des précipitations n’est pas bien comprise et reste encore inachevée ».

Malgré les efforts considérables réalisés sur les traitements des données radar, ces études mon- trent que les erreurs (par rapport aux données pluviométriques) sont très variables entre les évé- nements (durée, intensité, variabilité spatiale), les saisons (orages d’été et d’hiver), les régions (ef- fets orographiques) et dépendent de la distance au radar (problème d’atténuation du signal). Néanmoins, les estimations radar et pluviométriques ne sont pas totalement comparables du fait des différences entre ces deux techniques de mesure (Austin 1987; Gourley et al. 2006; Mandapaka et al. 2009). D’une part, les pluviomètres fournissent une donnée ponctuelle alors que la mesure radar produit une estimation des précipitations dans un volume qui est moyenné sur une surface. De ce fait, la comparaison peut être biaisée dans le cas des champs de précipitation à forte variabi- lité spatiale ou à faible densité du réseau pluviométrique. Les estimations spatialisées des précipita- tions restent donc toujours incertaines et il est difficile d’évaluer leur qualité quel que soit le sys- tème de mesure utilisé.