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Chapitre 3 Recension des écrits

3.2 La charge de travail social

3.2.2 Les pour et les contre de la mesure de la charge en travail social

La tendance mondiale des 20 dernières années indique que la quantité de travail pour beaucoup de travailleurs, indépendamment de la profession, est plus importante qu’avant, le temps d’exécution plus court, l’action de planifier réduite, voire même considérée

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comme un luxe (Brun, 2009; Greenglass, Burke, & Moore, 2003). De plus, la qualité des services et la sécurité des usagers sont scrutées à la loupe par différents types d’organisations telles que le Protecteur du citoyen, le Vérificateur général du Québec et Agrément Canada. Pour les travailleurs sociaux, il en résulte une pression croissante. Paradoxalement, il y a peu d’avancées sur la mesure de la charge de travail.

La méthode traditionnelle du work measurement (input -» processus de transformation -» output) a été utile pour certains types de travail. Par exemple, le travail en usine est bien établi, stable avec des composantes répétitives, simples et clairement définies qui se produisent dans un cycle de production court (Niebel & Freivalds, 2003). Le travail social a pratiquement tous les qualificatifs contraires. Les interventions sont nombreuses, variées, et requièrent différentes tâches et habiletés pour être actualisées. Comme le travail est non routinier, les cycles de « production » sont variables et potentiellement longs (Gathercole & DeMello, 2001). Les aspects plus invisibles du travail comme la concentration, la vigilance, l’organisation et la superposition des tâches ont plutôt été négligés par les méthodes de mesure de la charge (Brun, 2009). C’est pour ces raisons que les tentatives de mesure du travail social, comme pour d’autres professionnels des ressources humaines, n’ont pas eu beaucoup de succès. De plus, les personnes plus éduquées, avec un statut de professionnel, sont plutôt résistantes aux mesures de contrôle que peuvent représenter les études sur l’utilisation du temps (Harris, 1993).

La mesure du temps en travail social implique de classifier les activités du travail social. Cette façon de faire ne fait pas toujours l’unanimité. Certains diront qu’il est inapproprié de diviser la pratique en catégories d’intervention car cela représente mal les interrelations entre l’évaluation psychosociale et les autres types d’intervention (Cleak, 2002; Pockett et al., 2001). D’autres pensent que c’est réducteur et que cela ne rend pas justice à la complexité et à la nature systémique et intégrée de la pratique. Enfin, certains craignent, par ces mesures, de freiner l’innovation et la créativité dans la pratique du travail social. Bref, pour les opposants de la mesure, ce calcul va à rencontre du côté humain de leur travail et la personne qui reçoit les services n’en retire aucun bénéfice. Ils considèrent que ce processus consomme plus de temps qu’il n’en sauve (Bergeron & Robert, 2007; Cleak,

2002; Pockett et al., 2001). Les objections viennent surtout de considérations idéologiques, mais aussi pour certains, d’une peur, à tort ou à raison, d’être démasqués d’une utilisation du temps non optimale (Savaya, 1998). Toutefois, ces objections n’ont pas toujours rendu service au travail social puisque, par le fait même, elles mettent en doute la scientificité de la profession (Couturier & Carrier, 2003).

Par ailleurs, il n’y a pas que des côtés négatifs à l’introduction de la mesure. Comme la mesure implique de classifier les interventions, il en résulte une plus grande facilité pour les travailleurs sociaux à définir avec rigueur ce qu’ils font et amène, par le fait même, une clarté dans la définition des rôles et des fonctions (Bergeron & Robert, 2007). Comme mentionné précédemment, cela permet une ouverture au dialogue et aide à définir la place du travail social parmi les autres professions du domaine de la santé (Cleak, 2002; Couturier & Carrier, 2003; Pockett et al., 2001). Finalement, une mesure procure des données standardisées. Elle permet de comparer les services d’un établissement à un autre, d’allouer des ressources humaines et d’obtenir du financement (Dubuc, Delli-Colli, Bonin, & Tousignant, 2007).

Comme la charge de travail peut être influencée par la gravité des situations, il faut aussi être en mesure de documenter les caractéristiques des usagers. À cet effet, les avis sont aussi partagés. Les oppositions viennent de loin. Toute référence à la notion de diagnostic social, amenée en 1917 par Mary Richmond, était mal vue car cela évoquait un rapprochement au modèle médical. La classification du fonctionnement social est aussi évitée par certains par crainte d’étiqueter les usagers, de les stigmatiser et d’ainsi contribuer à leur exclusion sociale (Bergeron & Robert, 2007; Pockett et al., 2001; Savaya & Spiro, 1997). On a longtemps dit que le travailleur social était son propre outil pour intervenir, avec ses savoirs d’expérience et son pragmatisme. Pour certains, l’introduction d’outils standardisés qui visent à évaluer, circonscrire et nommer, avec des paramètres communs, la réalité des usagers vient dire que les savoirs objectivés ont plus de valeur (Couturier & Carrier, 2003). Les antagonistes appréhendent que les réponses aux problèmes présentés par les usagers soient prescrites et formatées d’avance, sans considérer la singularité de l’individu, évacuant ainsi le côté subjectif de l’intervention (King, 2009; King et al., 2004).

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En fait, ils redoutent que le jugement clinique du travailleur social, s’il n’est pas appuyé par un instrument de mesure, ne soit pas reconnu (Bergeron & Robert, 2007). La réticence de certains praticiens origine du fait que l’emploi d’instruments de mesure n’est pas suffisamment abordé dans la formation initiale des travailleurs sociaux et que, par le fait même, ils se sentiraient moins compétents que d’autres professionnels initiés tôt dans leur formation à cette forme d’évaluation (Berkman et al., 1999).

Cependant, certains auteurs affirment que nous ne pouvons pas nous permettre d’exclure les instruments de mesure de la pratique puisqu’ils sont liés aux avancées de la profession. D’un point de vue clinique, ils sont utiles pour détecter un problème, déterminer le besoin d’une intervention en travail social et vérifier le progrès ou l’amélioration de l’état d’un usager (Berkman & Maramaldi, 2001). Or, pour les partisans de la mesure, l’utilisation d’instruments n’enlève rien à l’analyse du travailleur social et doit toujours s’accompagner du jugement clinique (Van Hook, Berkman, & Dunkle, 1996). En regard de la recherche, compte tenu des projections sur l’augmentation des besoins de travailleurs sociaux dans les 20 prochaines années, l’usage d’instruments de mesure pourra permettre l’évaluation de l’effet des interventions et le rapport coût-efficacité de la pratique du travail social auprès des aînés (Rizzo & Rowe, 2006). Les données standardisées, lorsqu’il y a un mécanisme établi pour les maintenir à jour, donnent accès à des indicateurs pour la planification des services (Cleak, 2002; Dubuc et al., 2007; Pearson, 2000). Combinées aux renseignements sur l’intervention, les données standardisées sur les usagers peuvent justifier les ratios actuels de travailleurs sociaux, mais également démontrer le réel besoin de ressources humaines supplémentaires (Pockett et al., 2001).

Au Québec, la pratique des travailleurs sociaux est touchée par l’adoption d’outils pour l’évaluation de l’autonomie de la personne (OEMC) et pour l’évaluation psychosociale pour la protection du majeur inapte. Même s’ils ne sont pas, à proprement dit, des instruments de mesure, sauf pour la partie SMAF de l’OEMC, ils permettent une uniformisation de ces activités professionnelles en s’assurant que les composantes essentielles soient considérées (Larivière, 2007).

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