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Chapitre 5 Discussion et Conclusion

5.1 Discussion

D’entrée de jeu, rappelons que l’identification des caractéristiques des personnes âgées et des intervenants qui influencent la charge de travail aux SSAD n’avait pas, à notre connaissance, encore été étudiée. Pour explorer cette charge de travail, le devis était transversal et il a utilisé une approche quantitative rigoureuse. Nos résultats représentent une avancée intéressante car peu d’études sur le sujet ont été faites. Pour atteindre cet objectif général, plusieurs étapes ont été réalisées. En premier lieu, l’identification des variables et des outils permettant de mesurer les caractéristiques des personnes âgées et celles associées à la charge de travail a été réalisée par une recension exhaustive des écrits. La sélection des variables essentielles a été possible grâce à la participation de soixante travailleurs sociaux du Québec à une consultation d’experts de type Delphi. Le choix des outils permettant de mesurer ces variables s’est effectué par dix experts (cliniciens, chercheurs ou décideurs) lors d’un groupe de discussion focalisée. Pour capter le temps fourni par les travailleurs sociaux pour effectuer leurs différentes activités, une liste préliminaire d’activités a été développée à partir de la littérature scientifique et professionnelle dans le domaine. La validation s’est faite avec des travailleurs sociaux qui ont classifié des activités recueillies dans la pratique quotidienne (« sur le terrain ») dans la liste préliminaire d’activités jusqu'à l’obtention d’un accord quasi parfait entre les travailleurs sociaux. Cette liste d’activités a été incluse dans le logiciel TEDDI pour effectuer une étude de temps et mouvements en continu par rapportage dans le cadre d’un projet pilote. L’identification des variables et des instruments de mesure, de même qu’une méthode pour estimer le temps consacré aux différentes activités, ont permis d’étudier l’association entre les différentes caractéristiques (personnes âgées et travailleurs sociaux) et le temps total fourni à l’aide de modèles de régression multiniveaux.

Les objectifs spécifiques de l’étude auront permis d’explorer ce sujet complexe. Par ailleurs, compte tenu du choix d’une thèse par articles, certains résultats ont déjà été discutés à l’intérieur de ceux-ci, notamment ceux qui les comparent à d’autres études.

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Néanmoins, faute d’espace dans les articles et en raison de résultats complémentaires, certains éléments seront discutés ici. La discussion abordera aussi la validité interne et externe de l’étude, ses retombées et les avenues futures de recherche. Une courte conclusion sera également présentée.

En ce qui a trait à la répartition du temps entre les quatre domaines d’activités, on note une proportion importante consacrée aux activités indirectes comparativement aux activités directes. Les résultats de l’étude pilote et de celle effectuée dans les quatre CSSS ont démontré les mêmes grandes tendances dans l’utilisation du temps. En Angleterre, un sondage auprès de 1153 travailleurs sociaux œuvrant dans les services destinés à l’enfance, à la famille, aux adultes et aux personnes âgées rapporte des résultats similaires à ceux observés dans notre étude. Pour l’ensemble de ces usagers, la répartition du temps de ces travailleurs sociaux est composée d’un tiers du temps en activités directes et deux tiers du temps en activités indirectes. Toutefois, lorsqu’ils observent les données qui ne concernent que les personnes âgées, les travailleurs sociaux indiquent que 25 % de leur temps est consacré aux activités directes destinées aux personnes âgées (Baginsky et al., 2010). En fait, certaines données de ce sondage suggèrent que le temps direct est demeuré relativement stable à travers les années alors que le temps consacré aux autres types d’activités ne cesse d’augmenter, notamment le temps supplémentaire (Baginsky et al., 2010). Il est noté que la moitié des travailleurs sociaux qui ont participé à ce sondage ont fait du temps supplémentaire, et ce, jusqu’à une heure par jour pour 35 % d’entre eux (Baginsky et al., 2010).

Dans le cadre de ses travaux d’optimisation, le MSSS demande aux professionnels des CSSS du Québec d’augmenter le temps direct qu’ils offrent aux usagers. Dans ce contexte, la répartition du temps entre les quatre grands domaines d’activités soit, les activités directes, indirectes, non-cliniques et personnelles, soulève certaines interrogations lors d’activités de diffusion de nos résultats. Les intervenants soulignent qu’il peut être difficile d’augmenter ce temps direct puisqu’il peut être affecté par l’organisation des services dans les CSSS. Par exemple, le fait que la prise de contact, l’évaluation de la demande et parfois aussi l’évaluation globale fait avec l’OEMC soient attribuées à un intervenant du guichet

unique restreint le travailleur social aux activités de suivi et de réévaluation des besoins. Par ailleurs, cette façon de faire contrevient au processus d’intervention qui devrait se réaliser idéalement par un seul intervenant et comme un système articulé d’étapes qui s’accomplissent de façon séquentielle ou parfois simultanément (Thibault, 2011). De plus, elle nuit à la relation de confiance qui doit s’installer entre le travailleur social et l’usager dès le début de la prise de contact. La relation de confiance est à la base d’un climat de travail où le respect, l’écoute et l’empathie permettent à l’usager d’amorcer un changement et de développer ses compétences (Thibault, 2011).

En fait, les activités directes prises de façon isolée sont un pauvre indicateur de la contribution d’un travailleur social (Curtis, 2007). Comme mentionné dans le troisième article, l’impact positif des activités indirectes chez l’usager n’est pas à négliger, notamment sur les besoins non comblés et le réseau social (Bjôrkman & Hansson, 2000). Il est préférable de considérer aussi les activités qui impliquent l’organisation, la planification, la négociation avec d’autres professionnels de son organisation ou d’autres établissements pour obtenir des services afin d’estimer plus adéquatement l’effort fourni et la complexité de son travail (Baginsky et al., 2010). Le temps consacré à la rédaction des évaluations psychosociales, des notes évolutives ou autres documents cliniques est aussi important. Dans le sondage mentionné précédemment, les travailleurs sociaux consacrent 23 % de leur temps aux activités de rédaction qui s’effectuent à l’intérieur d’un dossier clinique informatisé (Baginsky et al., 2010). Dans nos deux études sur le temps fourni, des résultats similaires sont observés. Dans l’étude principale dans les quatre CSSS, les travailleurs sociaux font la mise à jour de l’OEMC de même que leur note évolutive dans la solution informatique RSIPA. Les travailleurs sociaux consacrent 26 % de leur temps à l’ensemble des activités de lecture et de rédaction. Dans l’étude pilote où huit travailleurs sociaux d’un seul CSSS participaient, le temps dédié aux tâches de rédaction correspondait à 25 % du temps total. La seule différence entre l’étude pilote et l’étude principale est le temps consacré à la rédaction de la note évolutive. Dans l’étude pilote, la formulation de la note évolutive consommait 14,3 % du temps total alors que dans l’étude principale, les travailleurs sociaux y ont consacré 8,8 % du temps total. Une hypothèse mise de l’avant pour expliquer cette diminution de temps est l’utilisation du module informatique du

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RSIPA qui s’avère plus performant que le système géronto-gériatrique utilisé par les huit travailleurs sociaux lors de l’étude pilote.

Le temps consacré aux tâches administratives correspond à 15,7 % du temps total, soit un pourcent de moins que ce qui est donné aux usagers et à leur famille. Les quelques études qui ont évalué le temps fourni par les travailleurs sociaux n’ont pas mesuré de façon aussi rigoureuse le temps des activités non-cliniques. Les comparaisons ne sont donc pas possibles dans ce contexte. L’activité « autres tâches significatives » a été sélectionnée 302 fois et prend 5,6 % du temps total, ce qui apparaît beaucoup compte tenu de la définition. Cette activité mesure des tâches administratives telles que faire son choix de vacances, des requêtes informatiques, des impressions de documents, des échanges avec le personnel de soutien. Ce résultat questionne et met en lumière la pertinence de certaines activités demandées aux travailleurs sociaux. Les activités visant le développement et l’avancement de la profession et de la société ne sont pas quotidiennes, sauf la participation à la recherche dans ce cas-ci. La plupart des travailleurs sociaux des quatre CSSS ont participé à l’étude vers la fin de l’hiver, ce qui diminuait les occasions d’avoir des stagiaires et des étudiants. De même, l’orientation de nouveau personnel en vue des remplacements d’été n’a pas été souvent effectuée par les travailleurs sociaux. Le temps consacré à certaines activités qui reviennent à des moments fixes, comme la supervision de stagiaires, peut être sous-estimé dans un devis transversal. Il serait intéressant d’avoir un portrait de la situation sur une année, mais cela représenterait un effort considérable. Dans une future étude, la réalisation d’activités à une période déterminée pourrait être considérée dans l’établissement de l’échéancier. Peu de consultations ou de supervisions cliniques ont eu lieu lors de l’étude. En revanche, le soutien entre pairs semble être une pratique plus établie, tel que rapporté dans le sondage effectué par l’OTSTCFQ (Simard, 2012).

Enfin, comme mentionné dans la recension des écrits, la notion de temps requis pour effectuer différentes activités en travail social n’a pas, à notre connaissance, été étudiée. Dans cette étude, il a été démontré qu’il était possible de mesurer le temps fourni par activité. Cependant, les résultats ne permettent pas de générer des temps requis pour diverses raisons. D’abord, certaines activités n’ont pas été suffisamment évaluées et d’autres données seraient nécessaires pour obtenir des fréquences plus élevées par activité.

Par la suite, pour les transformer en temps standards, ils doivent être ajustés pour tenir compte des interruptions et de la fatigue. Enfin, ces temps standards doivent être soumis à des experts, qui à l’aide de plusieurs critères, tels que des normes de pratique et du motif de l’activité, déterminent le requis. Par ailleurs, il serait essentiel d’avoir une réflexion, avec les travailleurs sociaux, sur la pertinence et l’utilité de temps requis dans leur gestion de la charge de travail afin que ce développement ne soit pas perçu comme une mesure mettant frein à l’innovation et à l’indépendance professionnelle (Ordre des ergothérapeutes du Québec et al., 2012).

L’article 3 fait mention de la forte proportion de temps indirect sur le temps total. À ce sujet, les variables associées au temps indirect sont les mêmes que celles associées au temps total et le pourcentage d’explication de la variation est légèrement plus bas pour le temps indirect. Le modèle du temps direct a été généré à partir du temps fourni à 130 personnes âgées. Le modèle final est composé de trois variables de niveau 1 (personnes âgées), soit le nombre de problèmes de santé (comme dans les deux autres modèles), vivre dans un domicile individuel et le nombre de professionnels consultés. D’abord, la variable, nombre de problème de santé, conserve la même interprétation que dans les modèles du temps total et du temps indirect. Ensuite deux variables à effets aléatoires, le nombre de professionnels impliqués et habiter un domicile individuel (en opposition à un domicile collectif), ont un impact sur le temps direct qui n’est pas constant d’un intervenant à l’autre. Il n’a pas été possible d’expliquer cette relation avec des variables de deuxième niveau (intervenants) ce qui limite l’interprétation que l’on peut en faire. Rappelons que ce ne sont pas toutes les personnes âgées qui ont reçu du temps direct, ce qui a potentiellement limité la puissance de détecter cette relation. En ce qui concerne le nombre de professionnels impliqués dans la situation de la personne âgée, celui-ci serait-il le reflet des nombreux problèmes de santé? Il est difficile de l’affirmer hors de tout doute car le lien entre ces deux variables est faible (r= 0,17). En ce qui a trait au milieu de vie, les usagers qui habitent dans une RPA ne sont pas toujours une priorité des services du SSAD, ce qui pourrait expliquer que certains travailleurs sociaux leur donnent moins de temps et privilégient les personnes qui vivent dans leur domicile individuel (Association québécoise des établissements de santé et de services sociaux, 2011; Protecteur du citoyen, 2012). Pourquoi est-ce que

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d’autres travailleurs sociaux ont une pratique inverse, c'est-à-dire qu’ils donnent moins de temps aux personnes qui ne vivent pas dans un domicile collectif? D’autres études seront nécessaires pour mieux comprendre ce phénomène.

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