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Mesure des émotions positives 2.1 Un défi majeur 2.1 Un défi majeur

Malgré les différentes théories et concepts proposés dans la littérature, de nombreuses difficultés existent encore face à la mesure des émotions positives et, par-dessus tout, il est

indéniable que trop peu d’éléments sont à ce jour disponibles pour être capable de clairement identifier un état affectif positif chez l’animal (Boissy et al., 2007b; de Vere et Kuczaj, 2016; Fredrickson, 1998; Seligman et Csikszentmihalyi, 2000). D’après de Rivera et al. (1989) les émotions positives seraient moins nombreuses et plus diffuses que les émotions négatives.

Selon d’autres auteurs, elles seraient également moins discernables les unes des autres,

comparées aux émotions à valence négative (Ellsworth et Smith, 1988). Selon la théorie adaptative, la sélection naturelle aurait façonné les émotions de telle sorte qu’elles se produisent lors de situations constituant une menace ou au contraire une opportunité d’augmenter la fitness de l’individu. Le déséquilibre existant entre les opportunités de se trouver face à chacune de ces

deux situations en faveur des situations menaçantes, expliquerait selon Nesse (1990) pourquoi beaucoup moins de recherches ont été menées sur les émotions positives. Les émotions négatives étant alors plus urgentes pour la survie, elles auraient primé sur les émotions positives (Seligman et Csikszentmihalyi, 2000). D’après Fraser et Duncan (1998), les processus évolutifs

auraient favorisé l’expression d’émotions positives lors de «situations d’opportunités » ce qui expliquerait pourquoi ces émotions sont plus variables et difficiles à aborder.

Un changement émotionnel s’accompagne de changements neuronaux (e.g. activité cérébrale), comportementaux (e.g. expressions faciales), physiologiques (e.g. rythme cardiaque) et cognitifs (e.g. attention), qui sont tous objectivement mesurables (Mendl et al., 2010). Si l’évaluation de l’expérience subjective de l’animal n’est pas directement accessible,

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elles sont mesurables (Désiré et al., 2002; Paul et al., 2005). Cependant, certaines difficultés

apparaissent dans l’évaluation des états émotionnels. Premièrement, une émotion est une expérience affective aigüe de courte durée dont il est difficile d’estimer la longévité. Par

conséquent, il est évident que la temporalité constitue un facteur important lors de la mesure de

l’état émotionnel d’un individu à un moment T. Ainsi il n’est pas exclu que cet état affectif

évolue avec le temps. Ce flou temporel peut alors poser question par exemple quant à la fiabilité de certaines mesures physiologiques (e.g. Schrader et Ladewig, 1999). Par ailleurs, bien souvent la mesure des comportements ou réponses physiologiques émises en réponse à un

stimulus permettent une bonne évaluation quantitative de l’intensité ressentie par l’individu (i.e.

excité vs. calme). En revanche, il est plus délicat de discerner exactement la valence (i.e.

positive ou négative) des changements biologiques exprimés par les animaux. De plus, il est

particulièrement difficile de distinguer l’intensité de la valence lors de la mesure d’un état interne. En effet, créer une situation provoquant une réponse émotionnelle d’intensité similaire

mais de valence opposée est assez simple. En revanche, exposer des individus à des stimuli

générant des réponses de même valence mais d’intensité opposée est plus délicat (Briefer, 2012). Cette limite fait partie entre autres des raisons pour lesquelles, depuis très longtemps, la majorité des études se sont concentrées sur les émotions négatives.

Nous détaillerons dans cette troisième sous-partie les différents indicateurs d’émotions

positives déjà évoqués dans la littérature et soulèverons les quelques ambiguïtés qui y sont

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2.2 Des propositions d’indicateurs : perspectives et ambiguïtés

-Indicateurs physiologiques

L’activation du système nerveux autonome (orthosympathique et parasympathique) a été

beaucoup étudiée, via principalement l’évolution du rythme cardiaque (RC) lors d’un traitement

émotionnel. En effet, suite aux nombreuses études évaluant les réponses physiologiques au stress (e.g. vaches laitières : Hopster et al., 2002; chevaux : Stewart et al., 2003), nous pouvons

aujourd’hui affirmer que l’activation de ce système est déterminée en grande partie par les

émotions. Ainsi, partant de ce postulat, l’évolution du RC a été mesurée en réponse à des stimuli

positifs. La plupart des états émotionnels positifs étudiés étant caractérisés par une forte

intensité, très souvent les études ont conclu qu’une émotion positive se distinguait par une

augmentation du RC. Effectivement, l’observation d’une régulation du système nerveux

autonome serait particulièrement révélatrice du niveau d’intensité de l’éveil émotionnel

(Cacioppo et al., 2000). Cette observation a été par exemple réalisée lors de l’anticipation d’évènements positifs (e.g. nourriture : Leliveld et al., 2016, brossage : Tamioso et al., 2018). Cependant, le même constat a été fait lors de l’anticipation d’évènement négatifs (moutons : Baldock et Sibly, 1990; vaches laitières : Waiblinger et al., 2004), associés à une augmentation

du stress. Ainsi la mesure du rythme cardiaque n’apparait pas complètement fiable et difficilement associable à une valence spécifique (Imfeld-Mueller et al., 2011). Il semblerait en

revanche que la variabilité du rythme cardiaque (VRC) soit plus fiable dans l’évaluation des

émotions (von Borell et al., 2007), et plusieurs études chez l’Homme ont corrélé une augmentation de cette variabilité avec un état émotionnel positif (e.g. Lee et al., 2005). Une

augmentation de la VRC indiquant l’activation du système parasympathique a été mise en

évidence chez des brebis pendant et après un brossage, associée à une relaxation de l’animal

(Tamioso et al., 2018), ou encore chez des agneaux se faisant caresser (Coulon et al., 2015). De même Langbein et al. (2004) ont constaté chez des chèvres une augmentation significative de

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15 la VRC lorsqu’elles avaient réellement appris à réaliser une tâche de discrimination visuelle. La thermographie infrarouge permet de mesurer de manière indirecte les variations de flux sanguin grâce à la détection de changements de température de la peau, et constitue ainsi une jauge de

l’état d’activation du système nerveux autonome. De la même manière que pour le rythme

cardiaque, des résultats contradictoires ont été révélés selon les stimuli positifs utilisés (poules pondeuses : Moe et al., 2012; vaches : Proctor et Carder, 2015; chiens : Travain et al., 2016),

suggérant une fois encore que cet indicateur physiologique relève plus de l’intensité de que de la valence de l’état affectif.

L’activation du système neuroendocrinien a été largement étudiée en réponse au stress, associé à une augmentation de la concentration en cortisol (Selye, 1936). Néanmoins, certaines contradictions apparaissent quant aux réponses observées dans le cas des émotions positives. Une diminution de la concentration en cortisol salivaire a été mesurée chez l’Homme face à des vidéos plaisantes (Watanuki et Kim, 2005) ou encore lors d’interactions positives avec l’Homme chez le chien (Bergamasco et al., 2010), alors qu’une augmentation de la

concentration en cortisol urinaire a été mesurée chez le porc avant l’accès à une récompense

(Reimert et al., 2013) ou dans un environnement enrichi (de Jong et al., 1998). Par ailleurs, il semblerait que des fluctuations de ce système neuroendocrinien soit davantage informative de

l’état chronique que d’un éveil émotionnel aigu (Boissy et al., 2007b; Mormède et al., 2007; Pawluski et al., 2017).

Enfin, d’après plusieurs auteurs, les corrélats neurophysiologiques des émotions seraient plus fiables que les mesures réalisées au niveau des systèmes périphériques (Izard, 2007; Panksepp, 2007). Ainsi, chez l’Homme, des études utilisant l’électroencéphalographie (EEG) ont permises d’identifier des zones d’activation cérébrale en réponse à des stimuli positifs ainsi que des gammes d’ondes prédominantes. Une activation du lobe frontal gauche a été par exemple observée à la vue de vidéos (Watanuki et Kim, 2005) ou lors de l’écoute de musiques (Schmidt

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et Trainor, 2001) plaisantes. Une étude a récemment essayé, grâce à la technique de

spectroscopie infrarouge fonctionnelle, de mesurer l’activité cérébrale chez des animaux éveillés face à des stimuli positifs et négatifs, mais aucune différence n’a pu être établie

(moutons : Raoult et Gygax, 2018).

-Indicateurs comportementaux et posturaux

Les expressions faciales sont depuis longtemps reconnues comme étant le reflet des émotions,

particulièrement chez l’Homme (Darwin, 1872; Ekman, 1984). Si des grimaces de douleurs ont été décrites (lapins : Keating et al., 2012; rats : Sotocina et al., 2011), plus rares sont les études décrivant les expressions faciales associées aux émotions positives, bien qu’une « playface » ait été caractérisée chez plusieurs espèces notamment chez les primates non-humains (Palagi et Mancini, 2011) et les chiens (Bekoff, 1974). Chez les bébés, un claquement des lèvres (lip smacking), associé à un relâchement des muscles du milieu du visage et parfois un sourire

accompagné d’un plissement du coin des yeux, est associé à la perception d’un goût sucré

plaisant (Berridge, 2003). Un claquement des lèvres similaire est également observé lors de toilettages mutuels chez les primates non-humains (Steiner et al., 2001; Van Hooff, 1967).

Cependant, l’étude des mimiques faciales est fastidieuse puisqu’elle nécessite de recueillir un

nombre important de photographies, difficiles à standardiser sur le terrain, et par la suite une analyse très détaillée image par image. De plus, il est parfois difficile de démêler ces expressions des vocalisations et autres comportements émis simultanément (pour une revue : Waller et Micheletta, 2013). Par ailleurs, deux expressions faciales peuvent se distinguer par des nuances très fines, difficilement visibles au premier regard (Van Hooff, 1967).

Les posturesconstitueraient en revanche des éléments cruciaux de l’expression des émotions

(Darwin, 1872). Darwin décrit alors par exemple un dos arqué et une queue tout à fait raide chez un chat « montrant son affection pour son maitre » (Darwin, 1872). Cependant une étude réalisée chez le moutons a conclu que la posture de la queue ne permettait pas de différencier

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des contextes à valence positive ou négative chez cette espèce (Reefmann et al., 2009). La position des oreilles apparait en revanche être particulièrement informative de l’état émotionnel de l’animal chez plusieurs espèces. Chez la vache, une fréquence plus importante d’oreilles

pendantes a été particulièrement observée lors de grattage par un expérimentateur à des endroits

appréciés par l’animal (de Oliveira et Keeling, 2018; Proctor et Carder, 2014; Schmied et al., 2008), de même chez le mouton lorsqu’un repas, enrichi ou non, était délivré aux individus

(Reefmann et al., 2009). De la même façon, lors d’une étude analysant la perception des

contacts tactiles donnés par des soigneurs à des agneaux, une corrélation positive a été établie entre le temps passé proche du soigneur et la fréquence d’oreilles observée en position pendante

(Coulon et al., 2015). Enfin, une étude caractérisant les expressions faciales chez le rat a mis en

évidence un élargissement de l’angle entre l’oreille et l’axe de la tête lors d’épisodes de

« chatouillements », associant cette position à une relaxation des individus (Finlayson et al., 2016) (Fig.4). Si une orientation des oreilles vers l’avant est synonyme d’attention, voire de

vigilance dans certain cas, envers un stimulus, et a été associée à des états émotionnels de forte intensité tels que ceux exprimés lors de l’anticipation d’un évènement positif (chèvres Capra hircus : Briefer et al., 2015b; brebis : Tamioso et al., 2018), il semble qu’elle soit également

associée à une perception globalement positive de l’environnement (chevaux : Rochais et al., 2016a; Sankey et al., 2010c). Par ailleurs, au-delà de la posture en elle-même, la fréquence des

changements de posture d’oreille, mais aussi de queue semble être particulièrement associée à

une émotion positive. En effet, une augmentation significative des mouvements de queue a été constatée lors des phases de brossage (vaches : de Oliveira et Keeling, 2018; brebis : Tamioso et al., 2018), mais également de jeu chez le porc (Marcet Rius et al., 2018), lors de l’acquisition d’une récompense suite à la réalisation d’une tâche cognitive (McGowan et al., 2014) ou encore

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18 Figure 4 : Position des oreilles observée chez le rat au cours d’un traitement positif (i.e. « chatouillement » par un expérimentateur (à gauche) ou négatif (i.e. exposition à un nouvel environnement incluant une diffusion intermittente de bruits intenses) (à droite), d’après

Finlayson et al. (2016).

L’expression en elle-même de certains comportements est décrite comme gratifiante pour

l’individu sur long terme, car hautement motivée, et n’apparaitrait que lorsque les autres besoins sont satisfaits. Alors, l’état émotionnel des individus réalisant ces comportements sera évalué

comme positif (Boissy et al., 2007b). Ainsi, la présence de jeu est généralement considérée comme associée à un état affectif positif, au moins chez le jeune, (Vanderschuren et al., 1997). Le jeu constituerait un entrainement pour former les individus à faire face aux évènements inattendus. Considérant que les animaux recherchent activement des opportunités de jeu, il est communément supposé que ce comportement soit associé à un état de « plaisir » (Spinka et al., 2001). Des comportements de jeu ont par exemple été observés après une augmentation de

l’espace disponible dans les enclos chez des porcelets (Chaloupková et al., 2004) ou encore

après l’apport d’un bac à eau permettant le bain chez des visons juvéniles (Vinke et al., 2005). Les comportements, postures et vocalisations émis dans ce contexte ont été ainsi analysés

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19 comme le reflet d’émotions positives (agneaux : Anderson et al., 2015; porcs : Marcet Rius et al., 2018; rats : Panksepp et Burgdorf, 2003) et semblent se caractériser par des états de forte

intensité. Ceci pourrait être différent chez l’adulte, par exemple, une présence anormalement importante d’épisodes de jeux a été observée en captivité chez des macaques rhésus

contrairement à une situation se rapprochant des conditions naturelles (Blois-Heulin et al., 2015). De même, une augmentation des épisodes de jeu a pu être mise en évidence dans des situations restrictives et stressantes (chats Felis silvestris catus : Bateson et al., 1990; porcs : Wood-Gush et al., 1990). Par ailleurs, une corrélation positive a été démontrée entre la fréquence de jeu et des indicateurs de mal-être des individus. Il se pourrait en effet que le jeu

permette d’évacuer un stress lié à des conditions de vie sous-optimales (primates non-humains : Blois-Heulin et al., 2015; chevaux : Hausberger et al., 2012). Ainsi, si ce comportement serait associé à une émotion positive immédiate, il pourrait en revanche refléter un état chronique altéré. Il devient alors difficile de définir si et de quelle manière le jeu reflète des états affectifs purement positifs (Ahloy-Dallaire et al., 2017). Aussi, suivant le même raisonnement que le jeu, la présence de comportements affiliatifs (Spruijt et al., 1992) a été proposée comme

indicateur d’états affectifs positifs. En effet, certaines évidences montrent que le toilettage

mutuel serait accompagné d’une diminution du rythme cardiaque chez l’individu receveur, signifiant une décontraction de l’individu, et permettrait de maintenir les liens sociaux au sein

du groupe (Aureli et al., 1999; Dunbar, 1991; Sato et al., 1993). En revanche, l’interprétation de l’occurrence de ce comportement ne semble pas si simple puisque certaines études ont mis

en lien une augmentation des comportements de toilettage mutuel avec le niveau d’anxiété des

individus (e.g. macaques Macaca sylvanus : Semple et al., 2013). D’autres auteurs ont souligné

une fréquence importante de ces comportements affiliatifs dans des environnements appauvris en comparaison à des environnements enrichis (porcs : de Jong et al., 1998; Horrell et Ness, 1995). Ainsi, la présence de ces comportements en lien avec des états affectifs doit être évaluée

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20 avec précaution et s’il semble qu’ils soient source d’émotions positives à court terme, il semblerait également qu’ils s’expriment davantage chez des individus dont l’état de bien-être apparait plutôt préoccupant.

La latéralitéest définie comme la préférence systématique d’un côté du corps sur l’autre dans

la réalisation de tâches motrices ou perceptuelles impliquant des organes perceptifs ou des membres appariés (Rogers et Andrew, 2002). A la suite des différentes théories relatant

l’implication d’une latéralité hémisphérique dans le traitement des émotions (Campbell, 1982; Davidson, 1995), plusieurs auteurs ont essayé de mettre en avant des biais de latéralité dans les réponses comportementales des animaux à des stimuli positifs. Chez le chien, une prévalence

de l’hémisphère gauche a été par exemple observée lors du traitement de vocalisations

humaines positives (Siniscalchi et al., 2018). Par ailleurs une orientation majoritaire de la tête vers la droite (traitement par hémisphère gauche) a pu être démontrée en réaction à la diffusion de vocalisations de congénères chez différentes espèces (lions de mer Zalophus californianus : Böye et al., 2005; primates non-humains : Petersen et al., 1978; Poremba et al., 2004; chats : Siniscalchi et al., 2016).

Les vocalisations ont été largement étudiées en lien avec les émotions chez l’animal, considérées comme un marqueur fiable de l’expression de l’état interne de l’individu (Briefer, 2012; Manteuffel et al., 2004a), notamment à cause de l’implication majeure du système

limbique dans leur production (Papoǔek et al., 199β; Seyfarth et Cheney, 2003). Des auteurs

ont proposé que certains paramètres acoustiques puissent refléter la valence d’une situation : une situation positive serait associée à une diminution de la durée et de la fréquence fondamentale (e.g. Briefer et al., 2015a; Taylor et al., 2009). Cependant, pour la plupart de ces travaux, les situations positives étaient assumées par les auteurs sans réellement tester le point

de vue de l’animal. De plus, la mise en avant de vocalisations de hautes fréquences chez le rat,

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al., 1998). Par ailleurs ces études ont davantage mis en évidence une variation de l’intensité que

de la valence émotionnelle, et peu de recherches ont réussi à clairement distinguer l’encodage

des deux dimensions caractérisant les émotions (pour une revue : Briefer, 2012; Manteuffel et al., 2004b). Au-delà des vocalisations, il semblerait que l’étude des sons non-vocaux constitue également un champ de recherche intéressant en lien avec les émotions positives puisque plusieurs exemples de ces productions sonores ont été relevés, notamment dans des contextes positifs de faible intensité (e.g. Fichtel et al., 2001; Montenegro, 1998; Policht et al., 2008; Scheumann et al., 2007) (voir chapitre 5).

Un des moyens les plus couramment utilisés pour évaluer les émotions positives chez l’animal consiste à créer artificiellement une situation spécifique supposée provoquer l’état émotionnel recherché chez l’individu étudié. Les comportements ainsi observés dans cette situation seront considérés comme l’expression d’un état affectif positif. Les comportements d’anticipation

d’un évènement positif ont été largement proposés dans ce sens. Les auteurs justifient en effet que le désir lié à l’arrivée pressentie d’une récompense et les comportements qui y sont associés

correspondent à une phase appétitive médiée par la production de dopamine, impliquée dans le circuit (central) de la récompense (Boissy et al., 2007b; Spruijt et al., 2001). Par ailleurs,

considérant qu’un état de mal-être est associé à de l’anhédonie (i.e. perte de motivation pour

une ressource normalement fortement appétente), les auteurs considèrent alors que l’expression d’une forte motivation à obtenir une ressource positive traduit un état de bien-être chez

l’individu (Spruijt et al., 2001). Le contexte d’anticipation est ainsi régulièrement utilisé par les scientifiques comme référence d’une situation source d’émotions positives (e.g. Baciadonna et al., 2018; Briefer et al., 2015b; Leliveld et al., 2016; Maigrot et al., 2017). D’un point de vue

émotionnel, les réponses enregistrées dans ce contexte sont indéniablement caractérisées par une forte intensité qui se traduit par une augmentation du rythme cardiaque et de la locomotion, de nombreuses transitions comportementales et posturales ainsi qu’une attention accrue envers

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la source de récompense. En revanche, la valence associée à ces comportements est plus ambigüe. L’observation de comportements stéréotypiques, pourtant largement démontrés

comme un signe d’expression d’un état chronique altéré (Cooper et McGreevy, 2007; Lesimple et al., 2016b), est récurrente dans cette situation (dromadaires Camelus dromedarius : Aubé et al., 2017; visons Mustela vison : Hansen et Jeppesen, 2006; Vinke et al., 2004; renards argentés

Vulpes vulpes : Moe et al., 2006; pour une revue : Rose et al., 2017). Par ailleurs, une étude a montré que chez les dauphins, les individus pessimistes exprimaient davantage de

comportements d’anticipation avant les sessions d’entrainement (Clegg et Delfour, 2018). Récemment, une étude a exploré le traitement hémisphérique de vocalisations émises chez la chèvre dans des contextes positifs (i.e. anticipation de nourriture) et négatifs (i.e. isolation,

frustration alimentaire, playback d’aboiement de chiens). Les chercheurs n’ont pas pu mettre en évidence de différence concernant l’orientation de la tête en réponse aux stimuli de différente valence, et une dominance de l’hémisphère droit dans tous les cas (Baciadonna et al., 2018).

Cette étude laisse ainsi penser qu’il se produit un traitement émotionnel identique pour les

vocalisations émises en situation d’anticipation et en situation négative. Ces différents constats posent question quant à l’interprétation réelle des comportements observés durant cette période

comme indicateurs d’émotions positives. Il semblerait ici que la temporalité d’accès à la

ressource convoitée soit un facteur important à prendre en compte. On pourrait en effet penser

qu’un délai d’attente trop long par rapport aux attentes de l’individu soit assimilé à une perte

de contrôle entrainant de la frustration (e.g. Johannesson et Ladewig, 2000) (voir chapitre 3).

-Indicateurs cognitifs

Un état affectif n’inclut pas seulement des émotions aiguës, mais aussi des humeurs plus durables dans le temps qui résultent de l’intégration des expériences émotionnelles à court terme (Mendl et al., 2010). Aussi, plusieurs études chez l’Homme ont prouvé que l’état affectif