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Attention et état interne INTRODUCTION

Attention et état interne

4. Attention et état interne INTRODUCTION

Parmi les différentes composantes cognitives susceptibles d’être modulées par l’état interne de l’individu, l’attention, qui est la capacité à se focaliser sur un stimulus donné tout en

filtrant les stimulations non pertinentes de l’environnement (Posner, 1980), est peut-être la plus

manifeste. Ainsi, lors d’une tâche cognitive,un biais d’attention peut s’exprimer selon l’humeur

du sujet testé (Mendl et al., 2009; Paul et al., 2005). Par exemple, face à une tâche de Stroop (dans laquelle le sujet doit nommer la couleur d’un mot affiché tout en ignorant sa signification), les sujets présentant un trouble de l’anxiété afficheront un traitement plus long pour les mots

menaçants que des sujets contrôles (Mathews et MacLeod, 1985). Des sujets présentant des risques de dépression montreront aussi une attention sélective plus prononcée envers des expressions faciales négatives que positives (Joormann et al., 2007). De tels biais d’attention ont également été décrits chez l’animal, bien que peu d’études existent à ce jour. Par exemple, chez le mouton, les individus anxieux vont présenter un biais d’attention vers des stimuli

menaçants (e.g.présence d’un chien) (Lee et al., 2016). De la même façon, une augmentation

de la vigilance envers des cris d’alarme a été mise en évidence chez des étourneaux privés de

bains d’eau, une activité hautement motivée permettant l’entretien de leur plumage (Brilot et Bateson, 2012). Si la plupart des études menées jusqu’à présent concernaient plutôt des états

émotionnels négatifs, des relations ont quand même été établies entre émotions positives et

attention. Une étude conduite par exemple chez des étudiants a montré un biais d’attention vers

des stimuli positifs chez des sujets optimistes par rapport aux étudiants plus pessimistes (Segerstrom, 2001).

De même, de nombreux travaux montrent également que l’état chronique des individus est un facteur qui peut avoir toute son importance dans la modulation des caractéristiques

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139 attentionnelles. Effectivement, une forte diminution voire une absence totale d’intérêt envers l’environnement, considérée comme une forme d’apathie, a été décelé chez des animaux en stress chronique (chiens : Beerda et al., 1999; truies : Broom, 1986; moutons : Fordham et al., 1991) et de façon similaire une baisse d’engagement attentionnel envers l’environnement ou

vers des stimuli biologiquement pertinents a été observé chez des chevaux en mal-être (Fureix et al., 2012b; Rochais et al., 2016a, 2016b). La durée d’attention visuelle s’est révélée être une mesure utile de l’attention d’un individu portée vers un homme (Xitco et al., 2001) ou un congénère (Range et Huber, 2007), et récemment Rochais et al. (2017b) ont développé un test

d’attention visuelle (VAT) permettant de mesurer les caractéristiques attentionnelles

individuelles des chevaux. (e.g. durée totale d’attention, nombre de séquences d’attention).

Cependant aucune étude n’a encore déterminé l’impact de l’état de bien-être sur ces caractéristiques.

Par ailleurs, la valence émotionnelle positive d’un stimulus ou d’une situation est connue pour moduler l’attention visuelle sélective (Raymond, 2009) ou encore la direction de

l’attention (Taylor et Fragopanagos, 2005) portés par l’individu. Chez l’Homme, une

amélioration des performances lors de tâches d’apprentissage a été observée par exemple lorsque que de l’argent était promis en cas de succès (Libera et Chelazzi, 2006). Chez le cheval,

il a été prouvé que l’utilisation de renforcements positifs, notamment d’un aliment appétent,

permet de promouvoir une plus grande attention envers l’entraineur et la tâche demandée lors des sessions d’apprentissage, et d’améliorer en conséquence la performance des sujets (Rochais et al., 2014; Sankey et al., 2010b). De plus, comme nous avons pu le constater dans le chapitre 1, l’anticipation d’un évènement positif se caractérise par une attention accrue envers la source de récompense (e.g. agneaux : Anderson et al., 2015; dauphins : Jensen et al., 2013; gorilles : Krebs et al., 2017), notamment chez le cheval (Peters et al., 2012). Cependant, un niveau

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(e.g. excitation sexuelle lors de parade) ou négatif (e.g. alerte), associé à une forte intensité émotionnelle, se traduisant par des changements posturaux (e.g. encolure très relevée chez le cheval, Waring, 2003). Ainsi, si l’ensemble des études citées ci-dessus laissent suggérer que

l’attention (quand non associée à une posture d’alerte) pourrait être un marqueur d’émotions positives chez l’animal, nous manquons encore aujourd’hui de mesures concrètes pouvant permettre notamment de distinguer attention positive d’intensité forte ou modérée.

Pour tester cette hypothèse, l’imagerie cérébrale s’impose comme une solution particulièrement pertinente puisqu’elle permet d’identifier à la fois (1) la valence d’un état émotionnel, par l’intermédiaire de l’activation différentielle de l’hémisphère droit versus

gauche (Théorie de la valence, Davidson, 1995), et (2) son intensité via l’étude des types d’onde cérébrale produits en réponse à un stimulus. Différentes gammes d’ondes ont été effectivement identifiées selon l’état d’éveil, allant des ondes delta (0-γHz), caractéristiques d’un sommeil

profond, aux ondes gamma (>30Hz) associées à un état d’éveil élevé, en passant par thêta (γ -8Hz, somnolence), alpha (8-12Hz, état de veille) et bêta (12-30Hz, éveil modéré). De

nombreuses études ont déjà été menées chez l’Homme et ont permis d’associer certaines

émotions à une activité électrique cérébrale spécifique (e.g. Mauss et Robinson, 2009; Watanuki et Kim, 2005). Une étude conduite chez le mouton, utilisant la spectroscopie proche infrarouge fonctionnelle (fNIRS), a tenté de mettre en évidence des différence d’activation selon l’attention des individus vers des stimuli à valence positive (i.e vidéo de mouton) et négative (i.e.vidéo de chien), mais aucune différence n’a pu être observée selon la valence du

stimulus lors d’un test d’attention (Raoult et Gygax, 2018). Chez le cheval, si, à ce jour, aucune

étude a mesuré directement l’activité cérébrale affichée en fonction de la valence émotionnelle,

deux recherches utilisant l’électroencéphalographie (EEG) ont récemment montré une interaction entre ondes cérébrales produites et latéralité hémisphérique en fonction de l’état

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En nous basant sur le test d’attention visuelle développé par Rochais et al. (2017b), et

réalisée ici en présence ou non d’un humain, nous examinerons si les caractéristiques

attentionnelles peuvent être impactées par l’état de bien-être des individus. En effet, il a été clairement démontré que les chevaux sont sensibles à la présence et aux signaux émis par

l’Homme, et qu’ils sont capables de détecter des indices subtils tels que l’état attentionnel d’un

humain (Pfungst, 1911; Proops and McComb, 2010; Sankey et al., 2011). De même, en cas

d’échec face à une tâche cognitive, les chevaux peuvent se référer à l’expérimentateur présent

dans leur box pour « les aider » à résoudre la tâche (Lesimple et al., 2012b; Malavasi et Huber, 2016). Aussi, pour ces différentes raisons et considérant l’effet d’audience déjà démontré chez

plusieurs espèces (e.g. chimpnzés : Kalan et Boesch, 2015; poulets : Marler et al., 1986; chiens : Marshall-Pescini et al., 2013), nous avons décidé de réaliser le test d’attention visuelle,

développé par Rochais et al. (2017b), dans deux situations différentes : la situation classique

incluant la présence d’un expérimentateur diffusant le stimulus (Rochais et al., 2017b) et une

situation, non testée jusqu’à présent, consistant à diffuser le stimulus de manière automatisée sur un écran et permettant ainsi de s’affranchir de la présence d’un humain durant le test (article 3). Puis, en nous appuyant sur le développement d’un nouvel outil au laboratoire EthoS permettant la mesure de l’activité électroencéphalographique chez des chevaux éveillés et libres

de leurs mouvements (Cousillas et al., 2017), nous tenterons de caractériser ici l’activité cérébrale des animaux associée à l’attention visuelle portée vers des stimuli de différentes

valences et nous nous attacherons particulièrement au traitement d’un stimulus positif (article 4).

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Synthèse de l’article 3

Question

La technique d’électroencéphalographie (EEG) apparait particulièrement pertinente dans une optique de

mesure des émotions chez l’animal puisqu’elle permet d’identifier à la fois la valence d’une réponse

comportementale, via l’étude de l’activité de l’hémisphère gauche (émotions positives) versus droit (émotions négatives), et son intensité, via le type d’ondes produit. Si des études ont déjà permis d’identifier un profil d’activité cérébrale lors d’une tâche d’attention visuelle chez le cheval, nous manquons encore d’informations concernant l’activité EEG produite lors d’un traitement mêlant émotions et cognition.

L’activité cérébrale des chevaux attentifs à des stimuli de différentes valences a alors été ici évaluée.

Méthode

Sept chevaux ont été soumis à une tâche cognitive spatiale, après avoir auparavant appris à associer une certaine localisation (e.g. côté droit du manège) à un stimulus positif (i.e. seau rempli d’un aliment appètent), et son opposé (e.g. côté gauche du manège) à un stimulus négatif (i.e. seau rempli d’un aliment aversif). Au cours du test, composé de 5 essais (incluant les 2 positions apprises : positive (P), négative (N), et 3 positions intermédiaires nouvelles : proche positive (NP), milieu (M), proche négative (NN)), nous avons mesuré

l’activité comportementale des chevaux, mais aussi leur activité cérébrale à l’aide d’un casque EEG

composé de 5 électrodes. Ces mesures ont été réalisées durant 15 secondes tout au long de la phase

d’anticipation des différents stimuli, c’est-à-dire de l’arrivée du cheval sur la ligne de départ jusqu’au

moment où il est détaché par l’expérimentateur, avec la possibilité éventuelle d’accéder dès lors au seau.

Résultats

D’un point de vue comportemental, les chevaux ont montré une claire motivation à atteindre le seau

positionné en situation Positive, contrairement au seau N. En revanche, les latences d’approche des seaux

ambigus étaient semblables, quels que soit leur position. Par ailleurs, si les comportements exprimés étaient

principalement des regards vers le seau ou vers l’environnement durant les premières secondes

d’anticipation, un changement comportemental a eu lieu vers la sixième seconde où davantage de

comportements d’excitation (e.g. tentatives d’avancer) ou de frustration ont été exprimés. Parallèlement, les enregistrements EEG ont montré dès la première seconde de traitement une activité significativement supérieure des ondes thêta, plus particulièrement face aux seaux ambigus, et dans une moindre mesure des ondes bêta, les ondes delta, alpha et gamma étant par ailleurs très peu présentes. La comparaison des profils EEG de la première seconde des conditions P et N ont indiqué une différence au niveau de la production

des ondes thêta dans l’hémisphère gauche, clairement supérieure aux autres types d’onde face au seau P, et

légèrement inférieure à la production de bêta face au seau N. Enfin, un changement clair des profils EEG a été mis en évidence entre la première et la sixième seconde de traitement, se résumant en une diminution des ondes lentes au profit des ondes rapides (particulièrement bêta) à la sixième seconde.

Conclusion

Ces résultats démontrent pour la première fois une interaction entre traitements attentionnel et émotionnel

au cours d’une tâche cognitive spatiale chez le cheval. L’éveil émotionnel suscité par les différents stimuli

semble avoir promu la production d’ondes thêta, reconnue pour leur implication lors de tâches cognitives, notamment spatiales, faisant appel à la mémoire de travail et la prise de décision. Son activité dans

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Manuscrit en préparation

Manuscript in preparation

EEG profiles reflect perceived valence of visual