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CHAPITRE 4 : Résilience

6) Mentalisation

« On commente ensemble les traumatismes, les émotions, les représentations, le croyances, les soins, les ressources : c’est de la mentalisation » (Lejeune et Ploton, 2012, p. 122).

La mentalisation est définie par Dumas en ces termes : « Capacité de se mettre à la place d’une autre personne afin de comprendre son expérience et, plus largement, d’observer et de raisonner sur ses propres comportements et ceux d’autrui en termes d’états mentaux. La mentalisation est essentielle à l’empathie » (2015, p. 674).

Le rôle de la mentalisation dans l’émergence de trajectoires résilientes est relevé par l’ensemble des auteurs que nous avons abordés. Comment pourrait-il en être autrement à la lumière de cette définition qui la propose comme une capacité à comprendre, à observer et à raisonner sur ses propres comportements. Pour sortir de la sidération du fracas, il est nécessaire de l’observer pour ce qu’il est, fût-ce par une symbolisation et surtout pour les effets délétères qu’il aura eu sur le développement harmonieux d’une personnalité. « Un nombre croissant de recherches montre que des difficultés de mentalisation sont évidentes chez les enfants et les adolescents – garçons

et filles – qui manifestent un niveau élevé d’agressivité ou qui ont un trouble des conduites qui a débuté tôt » (Dumas, 2015, p. 357).

Le fonctionnement psychique de la résilience suppose de recourir à des mécanismes de défense adaptés mais également de faire un travail d’élaboration du trauma et d’intégration des expériences traumatiques par un travail de mise en sens. « Ainsi, le fonctionnement psychique de la résilience passe par l’activation du processus de mentalisation, qui fait appel aux représentations psychiques et à la symbolisation des affects (de Tychey, 2001), […]. Autrement dit, il s’agit d’attribuer un sens à la blessure » (Anaut, 2015, p. 108). L’auteure, dans son approche psychodynamique, reprend également Bergeret pour qui la mentalisation renvoie à la capacité de mettre en mots les éprouvés, les images et les émois ressentis en leur conférant un sens (2015, p. 109).

Le processus de mentalisation se construirait très tôt. Pour Dumas, cette capacité se développe depuis le plus jeune âge dans le cadre des relations d’attachement que l’enfant a avec ses parents et d’autres personnes avec lesquelles il vit et qui s’occupent de lui (Dumas, 2015, p. 357). Il se construit très tôt, à travers la qualité de la médiatisation maternelle et de son substitut (Anaut, 2015, p. 109).

Le concept a été élaboré par Fonagy qui identifie l’attachement précoce sécurisant comme le pré-requis de la construction de la mentalisation : « nous avons avancé que l’acquisition de la fonction réflexive par l’enfant et la tendance à incorporer les attributions d’états mentaux dans les modèles internes opérants des relations du soi avec l’autre dépendent des possibilités qu’il a eues, au début de sa vie, d’observer et d’explorer l’esprit de son donneur de soins primaire » (Theys, 2006, p. 82).

Selon Fonagy et ses collègues, la mentalisation se développerait en cinq stades (Chabot, 2014) :

Tout d’abord, le nourrisson apprend à partir de l’âge de trois mois que lui et l’autre sont indépendants, ce qui jette les bases de la différentiation entre soi et l’autre.

Le deuxième stade se développe parallèlement au premier alors que l’enfant acquiert un sens du soi et de l’autre par la socialisation et qu’il est possible d’influencer les actions des autres par la communication verbale et non verbale. Ensuite, au troisième stade, vers l’âge de neuf mois, l’enfant comprend les actions d’autrui en fonction de leurs résultats ou de leurs impacts sur lui-même, mais sans questionner ce qui peut les avoir motivées.

Ce n’est que lors de sa deuxième année que l’enfant atteint le quatrième stade en développant sa capacité à établir des attributions causales et comprenant ainsi les comportements qu’il peut observer. Il interprète alors les actions comme étant à présent motivées par des intentions ou des états mentaux. Il comprend aussi que ses interprétations peuvent être erronées.

A ce quatrième stade, l’enfant développera deux modes pré-mentalisants en phases successives : le mode équivalent psychique et le mode fictif. Dans le premier, l’expérience de la réalité subjective est ressentie comme la seule et unique réalité possible et l’enfant croit que son entourage partage ses croyances. Lorsqu’il est habité par une pensée, une émotion ou une croyance, il est convaincu d’y voir la seule réalité et est incapable d’envisager la situation sous une autre perspective que la sienne. Ainsi, un enfant de trois ans est convaincu qu’un monstre est caché sous son lit. Il ne pourra être rassuré que par la présence d’un adulte qui l’aidera à surmonter sa peur en allant vérifier avec lui. Il pourra dès lors nommer que sa perspective précédente n’était pas fondée, même si sa réalité subjective est susceptible de réveiller ses craintes en ayant une préséance sur la réalité objective.

Dans la seconde phase, celle du mode pré-mentalisant fictif, l’enfant peut maintenir une réalité imaginaire personnelle indépendante du monde externe, comme des mondes parallèles, à la condition que ces deux mondes soient totalement indépendants et non reliés. Ainsi, en confrontant les réalités externes aux jeux de l’enfant, l’expérience imaginaire personnelle a été mise à mal par la primauté de la réalité. La chaise transformée en char d’assaut pour faire comme-si, ou encore on-disait-que reprendra sa représentation du monde réel quand son père demandera à l’enfant de remettre son char d’assaut sous la table.

La capacité de mentalisation, résultera de l’intégration de ces différents modes d’acceptation du réel. L’expérience imaginaire personnelle de l’enfant peut s’effacer devant la primauté du réel. Il arrive désormais à concevoir ses états mentaux comme des représentations des réalités internes et externes, et ce, chez lui comme chez l’autre. Mais pour cela, il doit avoir eu l’occasion de partager ses expériences, tant internes qu’externes, avec des individus qui s’y intéressent authentiquement et qui voudront le comprendre. Quand l’enfant parvient à prendre conscience et à tolérer les convergences et les divergences entre expériences personnelles subjectives et réalités extérieures, l’enfant commence à faire preuve de capacités de mentalisation et peut affronter des situations difficiles. A travers un jeu imaginaire qui prendra la forme de représentations symboliques pour exprimer des réalités objectives, il peut élaborer des scénarios qui diminueront les charges affectives excessives. Ainsi, il peut à présent prendre conscience que même s’il fait semblant lorsqu’il joue, les frontières entre son expérience subjective sont perméables. (Chabot, 2014)

A partir de l’âge de six ans, toujours selon Fonagy repris par l’auteur, l’enfant atteint le cinquième et dernier stade de développement de la capacité de mentalisation. Ce stade est qualifié d’autobiographique. Il peut alors organiser les souvenirs de ses expériences en les référant à lui-même, en tenant compte des dimensions causales et temporelles, ce qui lui permet de mieux comprendre ses propres comportements et ceux des autres. Il fera des liens entre son expérience d’un évènement passé et son vécu actuel et sera en mesure d’élaborer et d’exprimer verbalement ses propres états mentaux ainsi que sa perception de ceux des autres (Chabot, 2014).

Comme nous venons de le voir, théorie de l’attachement et Modèle Interne Opérant sont au cœur de la construction de la capacité de mentalisation, en mettant en évidence la complexité des rapports interindividuels et en rendant compte de leur importance dans l’élaboration de la psyché et de la gestion des affects. Tous ces éléments se maintiennent également en relation évolutive avec des modifications des représentations des parents et de leurs styles d’attachement. Rien ne serait jamais joué et un parent ou un donneur de soin peut, à un détour de sa vie, modifier son propre MIO et cesser d’infliger une

transmission intergénérationnelle de modes insécures par « une haute capacité réflexive, lui permettant de prendre conscience de son fonctionnement psychique et ainsi donc de prévenir les expériences négatives de son passé qui influenceraient sa relation avec son enfant » (Theys, 2006, p. 86).

Guides inconscients intériorisés et disponibilité escomptée d’une figure d’attachement sont alors imprimés dans la mémoire et ouvrent la voie, dans les cas favorables, au développement de la capacité de mentalisation. Mais même si cette information semble inscrite une fois pour toute, l’intégration de nouvelles informations « peut probablement moduler la tendance de ce modèle à ‘’opérer’’, permettant l’élaboration de nouveaux MIO » (Theys, 2006, p. 85) et ainsi espérer augmenter la capacité de mentalisation.

Il nous semble intéressant de convoquer à présent un dernier concept qui serait en filigrane des précédents et qui permet de comprendre et de cimenter entre elles certaines intrications des théories que nous avons présentées et qui transparaissent dans les récits : le locus de contrôle.