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Maurice Hauriou, précurseur des sciences de l'information et de la communication

B/ L'informatique comme élément essentiel de toute organisation

1) Maurice Hauriou, précurseur des sciences de l'information et de la communication

La théorie de l'institution développée par Maurice Hauriou a pour origine un objet sociologique : le groupe. Partant de cette base extra-juridique, il en déduit des enseignements pour le droit359. Cette théorie contient les germes de la relation de nécessité existant entre une

institution et l'activité de traitement de l'information. Le doyen toulousain définit lui même l'institution, dans son acception la plus générale, comme « une organisation sociale établie en relation avec l'ordre général des choses, dont la permanence est assurée par un équilibre de forces ou par une séparation des pouvoirs et qui constitue par elle-même un état de droit »360. De

manière plus synthétique et dynamique, il la définit comme « une idée d’œuvre ou d'entreprise qui se réalise et dure juridiquement dans un milieu social »361. Résumant et systématisant les

différentes définitions de cet auteur, le professeur Jacques Mourgeon définit l'institution comme suit : « En sus de ces deux composants principaux que sont l'entité collective et l'idée qui l'anime, l'institution présente diverses caractéristiques. On trouve, en premier lieu, une durée, une relative permanence, l'accomplissement de l’œuvre pouvant être à long terme et durer davantage que la participation de chacun des membres : douée d'une existence propre, l'institution évolue indépendamment de son substrat humain. On trouve, en second lieu, une structure, car il ne saurait y avoir accomplissement d'une œuvre collective sans un minimum d'organisation et de coercition. La structure est constituée par l'agencement des organes moteurs de institution et par les relations s'établissant entre eux, ou entre eux et les membres »362.

Cette systématisation du professeur Mourgeon est particulièrement intéressante pour notre sujet en ce qu'elle permet de bien distinguer au sein du concept d'institution la notion de structure. Non pas que le doyen Hauriou ait méconnu cet élément au sein de sa propre théorie mais la définition qu'il en propose, au regard de celle proposée par le professeur Mourgeon, n'est qu'à peine esquissée363. A contrario, ce dernier met sur le même plan la nécessité de coercition

358 MEHL Lucien, « La cybernétique et l'administration II: les applications de la conception cybernétique de l'administration », RA, septembre-octobre 1958, p. 541: « Si l'on opère le rapprochement de la conception cybernétique et celle de Fayol, on constate que ces deux conceptions sont au fond équivalentes: organiser se rapporte à l'élaboration des structures ; commander aux procédures, à l'art de la décision, quant à la prévision et au contrôle ce sont les actes initiaux et finaux de toute préoccupation administrative, qu'il s'agisse des structures ou des procédures, et l'expression coordonner souligne que l'administration est essentiellement une activité de synthèse, qu'il convient d'harmoniser les relations entre les structures, la circulation des flux dans les différents réseaux ».

359 MOURGEON Jacques, La répression administrative, thèse, LGDJ, Bibliothèque de droit public, Tome LXXV, 1967, p. 23 : « La théorie de l'institution est, en effet, une théorie des phénomènes de groupe. Le groupe est sa donnée. L'étude des relations au sein du groupe et entre groupes est son objet. La description du droit du groupe est sa finalité ».

360 HAURIOU Maurice, « L'Institution et le droit statutaire », in Recueil de Législation de Toulouse, 2ème série, T. 11,

1906, p. 135.

361 HAURIOU Maurice, « La théorie de l'institution et de la fondation (essai de vitalisme social) », 1925, in Aux

sources du droit. Le pouvoir, l'ordre et la liberté, Bloud & Gay, 1933, réimp. Centre de philosophie politique et

juridique de Caen, 1986, p. 10.

362 MOURGEON Jacques, op. cit., pp. 24-25.

pour l'institution et celle de sa structuration. Il n'insiste que sur la première car elle constitue l'objet même de sa thèse, à savoir, que « l'institution administrative (…) secrète, en quelque sorte, une répression parce que la répression est consubstantielle à toute institution »364. Ce faisant, il

prolonge des analyses plus anciennes d'auteurs privatistes constatant le caractère consubstantiel du pouvoir disciplinaire à toute institution365. Mais à ce stade, il est d'ores et déjà possible de

conclure qu'à l'instar de la coercition, toute institution implique, par principe, l'existence d'une structure de coordination de ses différents moyens et membres entre eux et avec l'extérieur.

Mais le recours à la théorie d'Hauriou ne constitue qu'une première étape dans l'explicitation de cette relation. Non pas que cet auteur n'ait pas perçu la nécessité de concevoir l'institution comme le produit, d'une part, d'une interaction permanente avec son environnement et, d'autre part, de la circulation « des relations nécessaires pour assurer la perpétuelle tension interne d'un organisme social ». En effet, son étude sur l' « énergétique sociale » présentée en 1899 dans ses

Leçons sur le mouvement social fait véritablement figure d'ancêtre des sciences de la

communication366. Et cet auteur ne cesse de revenir sur ce sujet dans son étude consacrée la

même année à La gestion administrative367.

sans que le terme même n'apparaisse véritablement. Voir HAURIOU Maurice, « La théorie de l'institution et de la fondation (essai de vitalisme social) », 1925, in Aux sources du droit. Le pouvoir, l'ordre et la liberté, Bloud & Gay, 1933, réimp. Centre de philosophie politique et juridique de Caen, 1986, p. 10: « pour la réalisation de cette idée, un pouvoir s'organise qui lui [à l'institution] procure des organes ; d'autre part entre les membres du groupe social intéressé à l'idée, il se produit des manifestations de communion dirigées par les organes du pouvoir, et réglées par des procédures ». Il est également possible de considérer qu'elle se retrouve, de manière tout aussi atténuée, dans l'idée d'équilibre mise en avant dans SFEZ Lucien, Essai sur la contribution du doyen

Hauriou au droit administratif français, LGDJ, 1966, p. 89 : « Une institution est une organisation sociale dont la

permanence est assurée par un équilibre de forces internes. La durée est une condition fondamentale. Une œuvre qui, quoique bien organisée, ne paraîtrait pas devoir survivre à son fondateur ne serait pas une institution ».

364 MOURGEON Jacques,op. cit., p. 524.

365 GAILLARD Emmanuel, Le pouvoir en droit privé, thèse, Economica, 1985, p. 35 et ss. L'auteur présente les thèses des précurseurs de l'analyse institutionnelle en droit privé et rappelle la décision qui les encourageât dans cette voie : C. Cass., soc., 16 juin 1945, Etablissements Poliet et Chausson c/ Vialard, DS, 1946, p. 427. La Cour y établit que le silence du règlement intérieur ne suffit pas à « priver le patron d'un pouvoir disciplinaire inhérent à sa qualité ».

366 HAURIOU Maurice, Leçons sur le mouvement social, Larose, 1899, p. 167 : « La production, la circulation, la consommation du pouvoir interne, la création des relations nécessaires pour assurer la perpétuelle tension interne d'un organisme social, constituent le véritable travail de cet organisme qui est ainsi un travail interne. Quant au service extérieur rendu, à l'action extérieure exercée par l'organisme social, ils sont surérogatoires. On peut dire d'une institution sociale quelconque, qu'elle fonctionne avant tout pour elle-même, très accessoirement pour le service qu'elle doit rendre au public. C'est ainsi que le véritable travail physiologique consiste dans la glycogénie, dans le répartition et la consommation du glycogène qui assurent l'élasticité musculaire. Au demeurant, les organismes sociaux et les organismes vivants sont des « systèmes » mécaniques qui doivent dépenser un travail continuel pour se maintenir à l'état de systèmes ».

367 HAURIOU Maurice, La gestion administrative, Larose, 1899, p. III : « Je crois avoir démontré qu'il s'établit dans la gestion, d'une façon nécessaire, une collaboration entre l'administration et le milieu administrable. D'une part, des vérités scientifiques qui trouvent leur application en matière sociale nous enseignent que tout travail est coopératif (…). D'autre part, des analyses minutieuses confirment qu'en effet, dans tous les cas de gestion, on découvre une coopération. Le fonctionnaire, le fournisseur, l'entrepreneur, le contribuable, le conscrit, le simple administré sont, en des occasions innombrables, des collaborateurs de l'administration. A côté de la Puissance publique qui commande, apparaît celle qui gère la vaste entreprise coopérative des services publics ; dans la gestion administrative, le caractère coopératif se révèle avec la même évidence que dans la production économique ; il explique une forme de société très étroite, la naissance de droits subjectifs des administrés et la création d'un contentieux de la pleine juridiction qui est le plus large qui puisse exister entre l'administré et l'administration ».

Or, en 1899, l'impact de l'information sur l'organisation ne pouvait être connu. La cybernétique et la sociologie des organisations constituent des progrès dans la compréhension des phénomènes de groupe en sciences sociales. Ces progrès permettent une lecture plus fine des phénomènes de gestion administrative, dans le prolongement direct de l'intuition d'Hauriou et de Duguit. Il faut donc, à leur instar368, partir des sciences sociales pour mieux comprendre le droit administratif. Un

détour hors du droit s'impose alors pour gagner en précision. Il s'opère par la cybernétique et la sociologie des organisations. Ces théories permettent de préciser, en dehors du droit, l'importance de l'information comme condition d'existence et de continuité du groupe institutionnel. L'apport de ces deux théories à la matière juridique est opéré par les auteurs intervenant en science administrative.

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