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La matrice absorbante est une partie importante du matériau. Celle-ci doit en effet être capable d’absorber les fuites et de se dégrader tout en gardant son intégrité suffi- samment longtemps. La nécessité d’utiliser des matériaux de bases biocompatibles limite les choix possibles. La famille des polysaccharides présente un certain nombre de poly- mères biosourcés biocompatibles. Deux polysaccharides ont été identifiés lors du travail de thèse précédent : l’alginate et le chitosane [17]. Ces deux polysaccharides peuvent être utilisés sous forme decomplexe polyélectrolyte (PEC)et sont bien tolérés par le système immunitaire [18,19].

1.2.1 Alginate

L’alginate est un polymère naturel obtenu à partir d’algues brunes (Phaeophyceae), notamment de Laminaria hyperborea, Laminaria digitata, Laminaria japonica , Asco-

phyllum nodosum ou encore de Macrocystis pyrifera, via des traitements alcalins [18,20]. L’extraction de l’alginate peut se décrire en 3 étapes [21]. En premier lieu, les algues sont placées dans une eau froide légèrement acide (HCl dilué) jusqu’à ce que les sels ma- rins soient éliminés. Cette étape peut, si nécessaire, être répétée. Secondement, les algues sont traitées par une solution alcaline, par exemple de carbonate de sodium (de 2 à 4 % par rapport à la masse d’algues) pendant 40 minutes, en chauffant jusqu’à obtention d’une pâte épaisse. La troisième étape consiste à diluer le mélange dans de l’eau froide qui sera ensuite filtrée. Le filtrat obtenu contient alors l’alginate de sodium. Il est ensuite précipité grâce à l’ajout d’ions calcium Ca2+. Cependant, ce dernier contient des impu- retés mitogèneset cytotoxiques et n’est donc pas utilisable directement pour les appli- cations biomédicales [20]. Pour un traitement à grande échelle, on utilise des ions Ba2+, plus affins envers l’alginate que les ions Ca2+ [22]. Les gels de type Ba-alginate sont très stables dans les milieux neutres ou acides contenant des agents chélatants tels que les ci- trates, phosphates ou encore l’acide éthylenediaminetetraacétique (plus connus sous le nom d’EDTA). Les billes de Ba-alginate sont alors lavées dans différentes solutions, par exemple du citrate de sodium à 500 mM, puis Ba2+ est remplacé par Na2+ dans une so-

lution alcaline contenant de l’EDTA à laquelle NaCl est ajouté, avant que l’alginate de sodium ainsi purifié ne soit précipité dans l’alcool.

Plus qu’un polymère, l’alginate en faite une classe de polymères. «Les alginates» sont en effet composés de deux sous unités appelées acide guluronique (G) et mannuronique (M) (figure1.7). Ces unités s’associent en motifs GGGG (blocs G), MMMM (blocs M) ou MGMGMG (blocs MG) [18,23]. De la répartition de ces blocs dépendent les propriétés de l’alginate. Par exemple, les blocs G sont plus disponibles pour former des interactions io- niques fortes et une importante proportion de ces blocs résulte ainsi en un gel plus rigide lors de la gélification par le calcium. Les séquences G et M dépendent de la source d’al- ginate employée. Afin de contrôler ces séquences, des procédés de biosynthèses faisant appel à des bactéries ont été développés [24].

L’alginate de sodium est soluble dans l’eau sous forme carboxylate R-COO−(pKa al- lant de 3,4 à 4,5 en fonction des caractéristiques du polymère) [25]. Outre sa tenue méca- nique faible, l’alginate, sous forme de films, se dissout ainsi rapidement en milieu aqueux. Ainsi, il est souvent utilisé sous forme réticulée, typiquement par des ions divalents : Pb2+, Cu2+, Cd2+, Ba2+, Sr2+, Ca2+, Co2+, Ni2+, Zn2+ ou encore Mn2+ [20]. Ces ions vont in- teragir avec les fonctions COO−pour ponter les chaînes d’alginates entre elles. Les ions calcium sont cependant majoritairement utilisés pour des raisons évidentes de disponi- bilité (faible prix) et de compatibilité pour les applications à portée biomédicale. La réti- culation peut se faire selon deux méthodes distinctes [18,20,26]. En réticulation externe, Na-alginate est mis en contact avec une solution contenant des ions Ca2+, typiquement introduits sous forme de CaCl2. La diffusion des ions se fait alors de l’extérieur vers l’in-

térieur du gel d’alginate. Un gradient de réticulation se met ainsi en place. La deuxième méthode permet d’éviter ce phénomène en internalisant la source d’ions. Par exemple, on utilise le sel CaCO3, non soluble, qui peut alors, en solution, être internalisé par le gel

sans pour autant interagir. En variant le pH, on libère les ions Ca2+de manière uniforme,

FIGURE1.7 – Structure de l’alginate, composé d’unités guluroniques (G) et mannuroniques (M),

directement depuis l’intérieur du gel. Au vu du caractère divalent des ions calcium, on pourrait s’attendre à une coordinence linéaire de 2. Il n’en est rien puisqu’il a été montré que l’interaction entre les unités G et Ca2+ suit un modèle appelé «boite à œufs» (figure

1.8, gauche) [18,27]. La diffraction des rayons X sur des alginates riches en blocs G semble de plus indiquer que les chaînes d’alginate impliquent chacune deux unités G adjacentes (donc 4 en tout) dans la coordination d’un ion calcium pour former des dimères au niveau des zones de jonction [28].

On sait aujourd’hui que les sous-unités G ne sont pas seules à jouer un rôle dans la formation des gels Ca-alginate. Entre autres, malgré une affinité envers les cations cal- cium moindre, les blocs MG sont impliqués dans la coordination. L’utilisation d’épimé- rase AlgE4 permet de produire des polymères alternant des séquences MG en convertis- sant les blocs M. Dans une étude de Donati et al., des alginates composés uniquement d’alternances MG sont alors comparés à des alginates composés uniquement d’unités M [29]. Les deux gels sont traités par du Ca(ClO4)2(non hydrosoluble) et du D-glucono-δ-

lactone. La lactone s’hydrolyse lentement au cours du temps, abaissant le pH et entrai- nant la libération des ions Ca2+(réticulation interne). On remarque alors que la présence d’alternance MG permet la réticulation (figure1.8, droite, a) tandis que la seule présence d’unités M ne conduit pas à la formation d’un gel (figure1.8, droite, b). La formation de jonctions MG/MG est de plus responsable de la contraction du gel, conduisant à son l’es- sorage (expulsion d’eau). Les forces de friction à l’intérieur du réseau augmentent alors proportionnellement à la longueur des blocs MG. Enfin, cette étude démontre aussi la formation de jonctions G/MG.

D’un point de vue applicatif, l’alginate est utilisé dans de nombreux domaines bio-

Ca2+

FIGURE1.8 – (Gauche) chaînes d’alginate réticulées par des ions calcium selon le modèle «boite

d’œufs» : chaque ion Ca2+est coordiné par 4 unités G. (Droite, a) alginate composé uniquement

de séquences MG et (droite, b) d’unités M, tous les deux traités Ca(ClO4)2/D-glucono-δ-lactone

médicaux [18]. Entre autres, on peut noter la libération de principes actifs, de protéines ou même de cellules. Simple, rapide et facile à produire, les surfaces d’alginates sont peu affines pour les protéines et les cellules n’ont pas de récepteurs sensibles à ce polysaccha- ride. Il en résulte une faible fixation des cellules ce qui a permis de nombreuses études portant sur l’implication des protéines de couplage (typeRGD, voir section1.3) sur la fixation, la prolifération et la différenciation cellulaire. D’un point de vue commercial, l’al- ginate est couramment utilisé sous forme de pansements ou de compresses d’alginate de calcium, comme répertorié par le VIDAL qui met en avant ses propriétés hémostatiques et absorbantes3.

Quoi qu’il en soit, l’intérêt ici porté à l’alginate repose sur ses propriétés absorbantes intéressantes. En outre, en tant que polyanion et afin d’améliorer ses propriétés méca- niques, l’alginate est souvent combiné avec des polycations tels que le chitosane.

1.2.2 Chitosane

Tout comme l’alginate, le chitosane est un polysaccharide biosourcé. Ce polycation, dont la structure est exposée figure1.9, est un copolymère linéaire flexible de 2-acétamido- 2-déoxy-β-D-glucopyranose (unité acétylée) et 2-amino-2-déoxy-β-D-glucopyranose (unité déacétylée) liés enβ (1-4). Les deux types d’unités qui le composent (acétylées et déacéty- lées) diffèrent au niveau du carbone C2. Le chitosane est issu de la valorisation des exos- quelettes de crustacé (crabes, crevettes ou encore la plume de calamar) [30]. Ces déchets industriels sont en effet majoritairement composés de chitine, représentant jusqu’à 40 % de la composition de ces exosquelettes [31]. Si l’on souhaite extraire la chitine des cre- vettes, il s’agit alors, après lavage et séchage, de lyophiliser ces dernières avant de les broyer pour obtenir une poudre [32]. Une étape de déminéralisation est ensuite néces- saire afin de se séparer de la partie minérale (carbonate de calcium, 20-50 %) par un trai- tement acide. Plus précisément, l’équilibre de décalcification est le suivant :

3. Source : site officiel du VIDAL, www.vidal.fr/classifications/saumon rubrique «Accessoires et matériel médical/Hémostase».

FIGURE1.9 – Structure du chitosane, issu de la chitine avec (gauche) une unité acétylée et (droite)

CaCO3+ 2 HCl −−→ CO2↑ + CaCl2+ H2O (1.1) La filtration permet alors de se séparer des minéraux hydrosolubles produits lors de la réaction1.1. Le résidu est cependant toujours chargé en protéines (20-40 % de la com- position initiale). Cette pollution protéique peut être problématique dans la mesure où elle peut être la cause de réactions allergiques. La déprotéinisation consiste à casser les liaisons chitines/protéines. Un grand nombre d’agents chimiques peuvent être utilisés : NaOH, Na2CO3, NaHCO3, KOH, K2CO3, Ca(OH)2, Na2SO3, NaHSO3, CaHSO3, Na3PO4ou encore Na2S [33]. Bien qu’elle entraine une déacétylation partielle ainsi que la diminution du poids moléculaire (hydrolyse), la soude est majoritairement utilisée. Moins efficace, la déprotéinisation enzymatique (p. ex. à base d’alcalase, pancréatine ou trypsine) limite cependant les impacts du traitement sur la structure du polysaccharide et, de manière gé- nérale, des efforts importants sont consacrés à l’optimisation des procédés d’extractions [34].

Plus récemment, des champignons comestibles ont été utilisés comme source de chi- tine4. Enfin, quoiqu’en soit la source, la chitine peut, une fois extraite, être transformée en chitosane par déacétylation partielle. Pour ce faire, il s’agit d’hydrolyser l’amide afin d’éliminer le groupement acétyle CH3-C=O. Si cette hydrolyse est réalisable à la fois en

milieu acide ou basique, les traitements alcalins sont généralement utilisés [35,36]. Il en résulte une grande variété de chitosanes caractérisés, selon la source et le procédé utilisé, par desdegrés d’acétylation (DA)et des poids moléculaires variables. Arbitrairement, on parle cependant de chitosane uniquement lorsque leDAest inférieur à 50 %.

La chitine est insoluble dans l’eau. Cependant, dans le cas du chitosane, un milieu acide permet la protonation des amines primaires libérées par la déacétylation, avec un pKa autour de 6,5 [33]. Insoluble à pH neutre, la formation d’amines protonées NH3+ rend favorable la solubilisation du chitosane, ce qui contraint généralement à travailler en présence d’un acide protique type HCl ou AcOOH. La solubilisation s’effectue lorsqu’au moins 50 % des amines sont protonées [37].

Tout comme pour l’alginate, le chitosane est utilisé sous forme de pansements. Ses effets bactériostatiques sont en effet recherchés et mis en avant par les fournisseurs5. En faite, les propriétés du chitosane dépendent très largement de ses caractéristiques [38]. Par exemple, les chitosanes présentant desDAsfaibles peuvent favoriser la prolifération et l’adhésion cellulaire [39]. Combinés avec des poids moléculaires élevés (2 000 kDa), les chitosanes àDAsfaibles (8 %) permettent une meilleure cicatrisation lorsqu’utilisés en tant que gels sur des brulures de l’épiderme, comparé à ceux de plus bas poids mo- léculaires et hautDAs[40]. Dans un même temps, la déacétylation tend à augmenter la résistance à la traction des films à base de chitosane [41]. La mesure duDAet du poids

4. Source Sigma : 740063, dérivé en chitosane haute pureté.

moléculaire du chitosane étudié est donc nécessaire afin d’identifier le chitosane dont il est question.

Ceci étant posé, le chitosane est, de plus, biocompatible. Le chitosane n’est en effet pas toxique, il est cytocompatible, hémocompatible et biorésorbable. En outre, il montre des propriétés antibactériennes, antifongiques, mucoadhésives et analgésiques [42]. Ces propriétés en font un polymère de choix pour une application de pansement chirurgi- cal biorésorbable. Les liaisons glycosidiquesβ (1-4) sont en effet, chez les mammifères, hydrolysées par les lysozymes, ce qui permet la dégradation in vivo du chitosane [43,44]. La structure du chitosane, riche en fonctions hydroxyles et amines, permet de plus l’établissement de liaisons hydrogène intermoléculaires qui facilitent la mise en forme de gels et de films. Les amines du carbone C2 sont chimiquement réactives et peuvent servir à la fonctionnalisation du chitosane, par exemple par des couplages peptidiques (formation d’amide, voir section3.3.1). Le greffage de polymères fonctionnels est donc possible par le biais de ces fonctions.

Enfin, son caractère cationique lui permet d’interagir avec les anions. En contact avec des polyanions, par exemple l’alginate, il est alors possible de former desPECs.

1.2.3 Les complexes polyélectrolytes (PEC)

Les complexes polyélectrolytes (PECs) sont des assemblages moléculaires de poly-

mères de charges opposées. La combinaison d’un nouveau matériau à partir de deux polymères préexistants permet, à simple coût, d’obtenir de nouvelles propriétés combi- nant les caractéristiques intrinsèques des polymères d’origine. De manière générale, la formation desPECssuit trois étapes (figure1.10) [45]. Rapidement, les forces de Coulomb permettent la formation d’un complexe désordonnée. Le complexe se réorganise ensuite (environ 1 H) avant de s’agréger pour former différentes structures, via des interactions hydrophobes. Ce schéma est général et dépend du complexe polyélectrolyte considéré.

⊝ ⊕ ⊕ ⊕ ⊝ ⊝ ⊕ ⊕ ⊕ ⊕ ⊝ ⊝ ⊝ ⊝ ⊝ ⊝ ⊕ ⊝ ⊝ ⊝ ⊝ ⊕ ⊕ ⊕ Réorganisation inter-complexe Polycation Polyanion Complexe primaire erratique Complexe secondaire ordonné Mélange Réorganisationintra-complexe

Fibrilles Enchevêtrement Réseau

FIGURE1.10 – Formation des PECs : en premier lieu, la formation de liaisons via les forces de Coulomb créer un réseau erratique, les chaînes s’ordonnent alors avant l’apparition d’interactions

LesPECsà base d’alginate et de chitosane sont bien connus dans la littérature [46]. La formation du PECest possible grâce aux interactions entre les carboxylates R-COO− de l’alginate et les amines protonées NH+3 du chitosane. Contrairement à la complexa- tion des ions calcium, le ratio M/G de l’alginate ne semble pas influer sur son interaction avec le chitosane [47]. Différents paramètres peuvent cependant influer sur les proprié- tés desPECsobtenues. Tout d’abord, le pH final du mélange, étant convenu que les in- teractions entre les deux polymères sont tributaires de l’état chargé de leurs fonctions acido-basiques [48]. Un pH situé entre le pKa de l’alginate (environ 4,0) et du chitosane (environ 6,5) paraît donc favorable. Le DA du chitosane détermine en outre le nombre de fonctions amines protonables et a donc son importance [48]. Enfin, la proportion des deux polymères ainsi que le procédé de mélange sont des paramètres importants.

Ces deux paramètres ont été étudiés dans une précédente thèse, et il est apparu qu’un ratio alginate/chitosane de 63/37 (m/m) ainsi qu’une homogénéisation à l’Utra-Turrax permettait d’obtenir des propriétés intéressantes en termes de résistance enzymatique (75 % de conservation dans un milieu pancréatique simulé) et d’absorption (environ 2 000 %) [49]. Avec ces propriétés et dans ces conditions optimisées, lesPECsà base d’alginate et chitosane se sont montrés prometteurs quant à leur utilisation en tant que matrice absorbante pour la prévention des fistules pancréatiques.

A cette matrice absorbante d’alginate et de chitosane, il est proposé de conférer des propriétés bioadhésives thermorégulées, afin de permettre une pose facilitée et un main- tien sécurisé du biomatériau. Il convient alors de s’intéresser aux phénomènes liés à la bioadhésion, c’est-à-dire à l’adhésion de systèmes vivants, en commençant par la com- préhension des mécanismes de biologie cellulaire sous-jacents.