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Matériaux et Techniques

Dans le document Faire voir l'absence (Page 35-39)

Chapitre 2. Manifestation de l’ambiguïté et du dualisme dans mes œuvres

2.0 Matériaux et Techniques

« L’idée comme forme échappe au sens, mais peut être atteinte par la vue. L’art et la science font corps par le corps. L’alliance est duelle »63 Nadeau

Le dualisme fait de l’œuvre le lieu d’une énigmatique juxtaposition forme/fond où le réel doit être caché pour apparaître, un peu à la manière d’un corps sous des voiles symboliques. La forme et le fond ne sont que deux aspects d’une même réalité, où la structure délivre le sens recherché, généré par la transparence de la forme- signe, qui doit à la fois cacher et révéler l’idée.

« Un désir d’immortalité se voile dans le concept du double, car l’ombre continue son existence après la décomposition du

corps physique »64 Schnabel

Pour moi, l’ambiguïté se définit comme une proposition dichotomique pour sauvegarder la signification. Utilisant l’intermédialité entre sculpture, peinture, vidéo et poésie, j’explore les reliquats de souvenirs au moyen d’introspection et de réinterprétation d’évènements passés, dont le lieu de l’œuvre est l’endroit de convergence de l’espace-temps et du spectateur pour faire une expérience esthétique.

Par leur co-présence, les divers éléments symboliques s’opacifient mutuellement, créant un espace dans l’espace qui est reconnu par le sujet en tant qu’œuvre. « En sens inverse, les œuvres impliquent le regardeur non seulement comme amateur d’art, mais aussi comme sujet voyant impliqué dans ce qu’il voit. » 65

63 Nadeau, Maurice, Histoire du surréalisme, Paris : Du Seuil, 1945-970, 188 p. 64 Schnabel, William. Site Web : https://fr.wikipedia.org/wiki/Double_(dualité) 65 Wajcman, G., L’objet du siècle, Paris : Lagrasse : Verdier, 1998, p. 36-40

« L’œil de l’artiste doit être toujours tourné vers sa vie

intérieure »66 Kandinsky

Je travaille selon une logique progressive de composition, à partir d’un processus qui procède par stades successifs, où chacune des strates introduit un autre élément, procédure ou technique différente. La structure est basée sur le rythme, l’harmonie et la forme. Mais chaque stade apporte sa part d’impondérables. J’utilise mes expériences de la vie pour faire évoluer ma création qui est passée de l’utilisation de : l’écriture et la photographie, à la sculpture et la vidéo – au moyen soit d’image-montage, de matériaux mixtes, ou de tableau- montage.

Selon Didi-Huberman dans L’image brûle :

L’image, puisqu’elle est reliée à la mémoire, opère un mélange de diverses expériences passées, produisant un composé anachronique et hétérogène. Elle est formée d’une multitude d’éléments avec lesquels le regard doit composer. Le temps fait monter à la surface l’ordre caché de la forme et de l’image.67

Didi-Huberman

Avant d’aller plus loin, je veux préciser le sens du mot image dans mon travail. En effet, ce terme peut prendre plus d’un sens selon le contexte d’utilisation. Pourtant, je retiendrai uniquement la définition donnée par Didi-Huberman dans Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, « […] l’image est l’objet du voir et du regard; tout élément regardé est en fait une image. »68 Ainsi, les divers éléments, accompagnés de portions de corps fragmenté et fantomatique, sont des images survivantes exprimant l’éclatement du souvenir. Mais est-ce une portion d’image, réelle ou imaginaire?

Jusqu’à maintenant, les gestes qui ont été posés sur la matière découlent de ma mémoire involontaire et des choix volontaires que j’ai faits. Les éléments se stratifiant s’étalent sur l’ensemble des temporalités de l’œuvre. Mes œuvres deviennent des métaphores du temps qui passe en

utilisant plusieurs langages et référant à

66 Kandinsky Wassily, Point et ligne sur plan, Paris : Gallimard, 1926-1991, p. :111

67 Didi-Huberman, Georges, L'image brûle, In Penser par les images, Paris : Éditions Cécile Defaut, 2006, p.51 68 Didi-Huberman, G., Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Les Éditions de Minuit, 1992, p.192.

différentes formes d’expression. J’ai dû inventer mes propres outils pour faire voir ce qui est sans traces visibles.

« Ce qui fait les choses, c’est leur pouvoir de transformation »

Proverbe oriental

Pour innover, j’ai utilisé les qualités de la transparence pour voiler le signifié, et celle de l’opacité pour retenir et concentrer la perception sur l’objet signifiant. J’ai procédé de différentes façons : i) en combinant un média ancien aux nouvelles technologies, ii) en procédant par soustraction ou déconstruction et reconstruction, iii) en combinant vide et transparence à la lumière, iv) en utilisant le trompe-l’œil, pour donner un effet tridimensionnel par des jeux d’ombre et de lumière, et v) en utilisant le contraste clair-obscur — le noir (émotion — mort) et la lumière (la vie) — pour exprimer la douleur et la perte. Le noir utilisé en avant-plan contraste avec la lumière diffuse et mystérieuse qui se dégage de l’arrière-plan – car le noir est nécessaire pour faire rayonner la lumière.

La cohérence de la mise en espace a été retravaillée en variant différentes stratégies et moyens pour représenter la dualité présence-absence dont : i) le rapport forme/fond, ii) le virtuel/actuel, iii) les temps juxtaposés/la durée de « l’entre » de l’œuvre (un des éléments de base pour me dévoiler), iv) la décontextualisation du spectateur par l’abolition des repères visuels, et vi) l’intermédialité. C’est grâce à ces moyens plastiques et des interventions subtiles, que le corps-signe devient un témoin actif de la présence de l’absence, de l’ici/ailleurs.

Dans beaucoup de mes œuvres, le noir est associé à son contraire, la lumière. Ce qui symbolise l’alternance du désespoir et de l’espoir, du chagrin et de la joie. La métaphore lumineuse est présente pour désigner l’ouverture à la nature intangible et immatérielle des choses. Le noir est lié à la mort et la lumière à la vie et au spirituel.

L’innovation se situe aussi dans la prise de conscience du langage spécifique de chaque matériau. Elle est aussi dans la capacité de combiner les technologies nouvelles à la mixité entre sculpture, photo, écriture, vidéo et procédé électrique, afin de cristalliser de nouveaux moyens de création, en les détournant de leurs fonctions initiales.

Évidemment, les matériaux que j’utilise influencent l’aspect esthétique et formel de l’œuvre, plus particulièrement le/la : bois, fer, tissu, plexiglas, image numérique, poésie et lumière. C’est généralement par ces choix, lors de la prise de décision, que la forme se finalise. L’aspect de ces matériaux me parle et je me laisse inspirer et guider par leurs apparences physiques et le fini du rendu.

Pour avoir fait de la poterie pendant des années, je comprends qu’il faut composer et comprendre la matière afin d’entrer en contact avec elle, je dirais même entrer en symbiose avec elle. Maurice Fréchuret explique — au sujet des formes nouvelles qui émergent dans l’art au XXe siècle : « [...] la relation de l’artiste d’aujourd’hui avec la matière : le geste de l’artiste consiste à laisser parler les matériaux et les forces qui interagissent naturellement. » 69

Les liens physiques qu’entretiennent les matériaux entre eux m’amènent sur des sentiers inédits. Chaque élément doit être relié à l’ensemble dans l’espace-temps, alors qu’apparaissent de nouvelles formes d’explorations technologiques pas toujours faciles ou possibles à gérer ou à réaliser. La cohérence de l’ensemble découle essentiellement de l’unification des différents éléments de l’œuvre. Chaque transformation ouvre à un nombre illimité de possibilités, les unes fructueuses, les autres aboutissant à des impasses. Dépassant l’objet physique réalisé à partir de matériaux divers, l’effet d’immatérialité, créé par le vide, la transparence et la lumière, transcende l’œuvre.

Quand l’œuvre commence à s’exprimer physiquement, la période de doutes apparaît. Mon inquiétude et mon angoisse sont le fruit de mes décisions intermédiaires qui ont un impact sur le résultat final. Il arrive que je m’aperçoive que le résultat provisoire nécessite certains ajustements structurels dus à l’ambivalence des éléments plastiques. Selon Anton Ehrenzweig, la majorité des problèmes d’art sont des problèmes de forme, de perception ou de création de formes. 70

En recourant à la lumière, je sollicite activement la perception visuelle du spectateur, ce qui implique soit que l’œuvre reçoive la lumière provenant de la vidéo, soit que l’œuvre intègre son propre éclairage en tant que dispositif lumineux. Lorsque l’œuvre est terminée, elle prend son autonomie. Je la redécouvre surprise comme si elle ne venait pas de moi ou c’est une partie de moi que je découvre. C’est comme si je sortais d’une gestation ou d’un rêve. L’œuvre demande à être regardée autrement, comme un enfant qui devient adulte.

69 Fréchuret, M., Espaces de l'art, le mou et ses formes, essai sur quelques catégories de la sculpture du XXe siècle, Paris : École nationale supérieure

des Beaux-Arts - Coll. "Espaces de l'art", 1993,p. 134.

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