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Faire voir l'absence

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Faire voir l’absence

Mémoire

Janik Bouchard

Maitrise en arts visuels

Maitre ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Résumé

Ce mémoire traite du processus créatif et de l’avènement de l’image dans l’œuvre, par la lumière. Comment remonter le temps en sculptant la lumière par des signes secrets afin de représenter la survivance de la brûlure? Comment représenter l’image qui, témoin de ma vulnérabilité, brûle encore?

La base onirique de cette recherche représente l’intervalle du temps dans la mémoire, où se révèle l’émotion latente, montrant un passé proche et/ou éloigné, d’images réduites en cendres.

La lumière est le matériau de base; c’est elle qui (re) construit l’image dans l’espace-temps, qui fixe un contact visuel avec une forme, un geste, un moment. Elle est un vecteur de création qui épouse la forme en plus de révéler et de dramatiser le lieu physique de manière inattendue. Son interaction évidente avec le vide et la transparence s’accompagne d’un questionnement théorique suscité par l’éveil d’un geste animé par les concepts d’imagination, d’émotion, de mémoire et de temps multiples.

Chaque signe annonce sa disparition; c’est la conjuration d’une chose absente et des traces qui ont survécu à la perte. Vivre, c’est assumer lucidement la tension entre les absolus.

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Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Liste des Figures ... vii

Remerciements ... ix

Avant-propos ... xi

Introduction ... 1

Chapitre 1 Genèse de mon travail... 3

1.1 Cheminement théorique ... 4

1.1.1 Problématique ... 6

1.1.2 Signes et symboles ... 7

1.1.2.1 La représentation du corps humain ... 8

1.1.2.2 La métaphore ... 10

1.1.2.2.1 Le cri ... 11

1.1.2.3 Vide et Plein – Présence et Absence ... 12

1.1.2.4 Lumière et Transparence... 13

1.1.4 Ambiguïté/Dualisme ... 19

Chapitre 2. Manifestation de l’ambiguïté et du dualisme dans mes œuvres ... 23

2.0 Matériaux et Techniques ... 23

2.1 Les œuvres de transition ... 27

L’œil qui pleure ... 28

La vie après… ... 30

2.2 Les œuvres de la maîtrise ... 32

Réflexion ... 35

Passage ... 37

Transcendance ... 39

Évolution ... 41

Trace lumineuse ... 43

Conclusion ... 47

Bibliographie ... 49

Webographie... 51

Annexe 1 ... 53

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Liste des Figures

Figure 1 L’œil qui pleure (2009) Sculpture en plâtre et fibre de verre 20 po x30 ... 28

Figure 2 La vie après. (2010) Montage photo ... 30

Figure 3 Réflexion (2013) vidéo 1 min. ... 35

Figure 4 Passage (2014) Tableau-montage : masonite 4' x8' et procédé électrique ... 37

Figure 5 Transcendance (2014) Tableau-montage : masonite 4' x 6', peinture, procédé électrique ... 39

Figure 6 Évolution (2015) Tableau-montage : masonite 4' x8', peinture, carton, procédé électrique ... 41

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Remerciements

Mes plus sincères remerciements s’adressent en tout premier lieu, à mon directeur de recherche à la maîtrise, monsieur Marcel Jean. Son dévouement, sa confiance à mon égard, sa compréhension, sa rigueur et ses judicieux conseils m’ont guidée tout au l de l’élaboration de ce projet. Ce fut un honneur pour moi de travailler à ses côtés tant dans l’élaboration de ce mémoire, dans mon travail en atelier que dans son atelier de recherche en création, à l’Université Laval.

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Avant-propos

Ce mémoire de maîtrise doit non pas redire ce que le monde artistique pense, mais exprimer ce que je sous-entends dans mes œuvres, ce qui est présent dans le non-dit.

Quel portrait conceptuel pourrais-je obtenir en cristallisant ces fantômes qui me hantent et en construisant mon esthétique entre l’espace et la lumière?

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Introduction

« L’idée du passé ne prend un sens et ne constitue une valeur que pour l’homme qui se trouve en soi-même une passion de

l’avenir »1 Valéry

Au cours de ces deux dernières années ma recherche création s’est articulée autour du rôle de l’inconscient dans le développement de l’indice métaphorique pour faire voir l’absence dans mes œuvres.

Écrire sur le « faire voir » de la présence de l’absence est mettre en mots ce sur quoi je travaillais depuis longtemps sans le savoir, que ce soit en poésie, en musique ou en arts visuels. Cependant, le fait de questionner ma pratique m’a fait réaliser la présence, toujours constante, de la blessure inscrite dans ma chair. Ce qui m’a aussi obligée à réaliser que mes émotions portaient toujours les stigmates de la perte et les traces de la douleur.

Mon projet de création propose des réflexions issues de lectures théoriques et d’expérimentations pratiques. Mes créations sont composées de : sculptures, photographies, vidéos et poésie, accompagnées d’une mise en espace dans un environnement lumineux.

Dans ce mémoire, le premier chapitre, que je nomme Genèse de mon travail, représente les concepts et les notions théoriques qui m’ont aidée à clarifier ma problématique de recherche. J’établis et définis les différentes stratégies et moyens utilisés, concernant ma production jusqu’à ce jour.

Le deuxième chapitre : Réflexion sur ma pratique, présente l’évolution de mon travail artistique autour des notions d’image, d’ambiguïté et de dualisme, de sublime, de transparence, d’espace-temps, de lumière et de mise en espace. J’ai trouvé des textes d’auteurs, de philosophes et d’artistes, chez qui j’ai recueilli certains points de vue afin d’établir des parallèles avec ma recherche. Certaines notions comme la transparence, le vide et la lumière ont commencé à émerger jusqu’à devenir primordiales. J’ai travaillé davantage sur le rôle de la perception de l’image ainsi que sur la notion du temps de son avènement. C’est aussi l’étape où mes idées se sont concrétisées.

Cette recherche m’a offert un temps de réflexion bénéfique, par le biais de nombreuses et enrichissantes expérimentations.

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Chapitre 1 Genèse de mon travail

« L’intuition est la faculté de visualiser plusieurs images

incompatibles occupant le même point dans l’espace »2

Ehrenzweig

Je pense la création comme un mode « d’écoute intuitive flottante, » 3 suivi par des enchaînements qui s’articulent tout d’abord dans la conscience autour de la perception et des souvenirs. C. Petitmengin nous dit que pour Jung l’intuition « s’appuie sur un processus inconscient, de sorte que les résultats sont représentés sous forme d’images symboliques. » 4

L’intuition et l’inconscient guident ma recherche créatrice dans un processus qui est rendu possible par le biais de l’attention caractérisée par : l’inattendu et l’imprévisible. Le hasard travaille au profit de l’imagination qui introduit l’accidentel, le fortuit et l’imprévu. Le processus d’introspection est progressif et présente une rupture dans mes habitudes de vie, forçant le lâcher-prise pour permettre de déplacer mon attention vers l’acte de se souvenir, caractérisé par l’éveil des percepts et des émotions. Lorsque les pensées « prémonitoires »5 émergent et qu’une prise de conscience s’impose, mon travail de création, de validation et de transformation entre en jeu. On dit que l’intuition peut parler différents langages, mais pour ma part, l’imagerie mentale se met à jouer un grand rôle dans le développement des signes. Un état imaginaire anime le déroulement de la mémoire, caractérisé par la discontinuité d’une logique associative, qui offre une possibilité de régression illimitée des souvenirs inscrits les uns dans les autres et pose la question du rapport entre le rêve et la réalité.

Dans le mouvement incessant du souvenir et du temps qui passe, je cherche le lien indissoluble entre l’idée et sa matérialité afin que matériau et forme s’unissent pour obtenir un effet de transformation de l’image en devenir. Cela demande d’être présent à la succession des découvertes intuitives. Cela demande beaucoup. Créer est une aventure inquiétante, ambigüe. Je dis ambigu parce que ce processus fait appel aux parties consciente et inconsciente de mon être, pour faire en sorte que les formes occupent l’espace qualitativement. À tout moment, le sens peut glisser, l’idée se perdre. Cette prise de conscience comporte beaucoup d’imprévisibilité et de rupture de continuité.

2 Anton Ehrenzweig, L'ordre caché de l'art, Paris : Gallimard, 1982, p. 173 3 Petitmengin, Claire, L’expérience intuitive, Paris : L’Harmattan, 2001, p.187 4 Ibid, p. 69

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Je suis au centre de cette production artistique bien que je sois absente. Afin de mieux comprendre mon évolution artistique et d’élucider le fil conducteur de mon processus créatif, j’ai suivi la piste de la mémoire consciente et inconsciente où reposent des thèmes affectifs qui peuvent facilement mettre en déséquilibre mon identité. C’est dans cette perspective que j’ai examiné les agrégats de mes souvenirs par le biais d’analogies, qui m’ont permis de découvrir le paysage inconscient de ma mémoire et l’âme secrète des choses.

Dans la contemplation du passé et du presque dépassé, il y a toujours une certaine nostalgie de l’enfance. Le temps a passé, mes boucles ont été coupées et ce que j’ai gagné en connaissance je l’ai perdu en gaieté. Mes œuvres, alimentées par les images-souvenirs, forment un pont solidaire entre l’avant et l’après, vers un temps indivisible et indéterminé. Je défais l’écheveau de mes souvenirs tels que je me les remémore. Selon W. Benjamin,« le souvenir devient la trame et l’oubli la chaine, car un évènement vécu est fini tandis qu’un évènement remémoré est sans limites. » 6 Les évènements surgissent et l’image altérée apparaît.

Ainsi, l’unité du texte deviendra l’acte de remémoration, l’envers du miroir, à la recherche d’un bonheur imaginé. Ce bonheur imaginaire repose dans l’entrecroisement des temps multiples où réside ma mémoire involontaire abritant des fantômes de demi-mort de n’avoir pu changer certaines conditions de vie destructrices. Il s’agira de cartographier les connexions souterraines qui serviront de fil conducteur au sens, en écho au miroir de l’âme.

C’est à partir d’une réflexion de Kundera dans son livre L’insoutenable légèreté de l’être — la légèreté et

pesanteur de l’être-là et du non-être,7 que mon questionnement du faire voir de l’absence par l’indice est

abordé. Le défi est de tisser un pont entre le corps et l’esprit.

1.1 Cheminement théorique

Je ne peux parler du temps, de l’avant et de l’après, sans introduire la notion de mémoire et d’inconscient. À partir de recherches intuitives basées sur mes souvenirs, j’examine comment je peux déconstruire, reconstruire et reproduire autrement une nouvelle image, fragment de mon identité, l’envers de mon décor. L’art doit inclure la dimension du temps-mémoire pour faire voir l’être-là. Ainsi, cette introspection me permet

6 Benjamin, W., Œuvres II, Gandillac, Maurice de; Rochlitz, Rainer; Rusch, Pierre (Trad.); Rochlitz, Rainer (Présentation), Paris : Gallimard, 2000, p. 36 7 Kundera, Milan, L’Insoutenable légèreté de l’être, Paris : Gallimard, 1984, 476 p.bh

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d’apercevoir des vestiges incrustés dans la mémoire-temps par le biais de la synchronicité de l’indice au moyen du lent dévoilement de mon ombre à la découverte de mes paysages intérieurs.

Comme le fait remarquer Jung, « la synchronicité est la coïncidence simultanée d’au moins deux évènements qui ne présentent pas de liens de causalité, mais dont l’association prend un sens pour la personne qui les perçoit. »8 Est-ce une intuition ou un rapport de synchronicité qui me fait représenter un corps fantôme « entre » l’ombre et la lumière?

« J’ai réinventé le passé pour voir la beauté de l’avenir » 9

Aragon

Mon parcours, à la croisée de l’image-montage et du tableau-montage, s’articule à partir d’un processus de déconstruction et de construction qui rassemble les questions de mémoire, d’image et de montage de temporalités multiples, de l’ici et de l’ailleurs. Le vide, la ligne, la forme et les rapports à l’espace en sont les composantes. Le cadrage et les angles de vue orientent le regard et la perception du spectateur. J’analyse comment le phénomène lumineux intervient dans la conception et le rendu de l’œuvre afin d’augmenter le dialogue avec le spectateur pour représenter la vulnérabilité de l’homme. Afin de signifier le cri, la dualité est utilisée par des jeux de tensions et d’oppositions entre lumière/ombre, vide/transparence.

G.-A. Bornheim présente les traits essentiels de la position philosophique d’Heidegger sur le faire voir de l’être-là « […. ] compris en tant qu’être au monde — celui qui définit sa réalité et qui trouve son sens dans la temporalité. »10 Par ailleurs, Jung propose une distinction entre : i) l’inconscient personnel (matériaux refoulés, éléments qui appartiennent à la vie du sujet, mais qui sont passés provisoirement en dessous du seuil de la conscience) et ii) l’inconscient collectif, commun à l’ensemble des hommes.11

La double origine de l’œuvre entamant l’oubli, m’a permis d’aborder la création comme une prémisse au lever du voile de ma psyché, dans l’attente de ce qui est à venir, pour faciliter mon ouverture à l’autre. Ainsi, mes œuvres deviennent des métaphores identitaires, sédimentées dans le temps de l’œuvre.

8 Jung, C.G., L’homme et ses symboles, Paris : Laffont, 1964, p. 211 9 Aragon, L., Le fou d’Elsa, Paris : Gallimard, 1963, p. 196

10 Bornheim, G-A, Heidegger - L’Être et le Temps. Paris : Hatier - Coll. « Sophos », p.21 11 Jung, C. J. Dialectique du moi et de l’inconscient, Paris : Gallimard, 1964, p. 50-53

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1.1.1 Problématique

« Toute conscience est conscience perceptive » 12

Merleau-Ponty

Les questions que je me pose sont : i) comment mes intuitions inconscientes interviennent dans le processus créatif de l’image-symptôme? ii) comment réconcilier le conscient et l’inconscient pour vaincre l’angoisse du vide? iii) comment faire voir la blessure dans sa relation de survivance, et iv) comment se fait la relation de l’intuition à la mémoire et à l’indice? Pour Deleuze, le but de l’art « […] c’est d’arracher le percept aux perceptions d’objet et […] d’arracher l’affect aux affections comme passage d’un état à un autre. »13 Dans L’objet du siècle, Gérard Wajcman souligne que « les œuvres de l’art ne sont pas faites pour se souvenir,

mais pour rendre présent. »14

Dans le processus du « faire voir l’absence », la libre association et la synchronicité (quel fait aime se produire avec tel autre) ont été privilégiées pour me permettre de pénétrer dans les relations entre la psyché et la matière afin de libérer les affects — à la frontière entre inconscient/conscient — afin de rendre présent et de faire voir ma blessure, ma solitude et ma vision de l’homme.

Comme l’a fait remarquer Nietzsche, lorsque notre fierté est en cause, la mémoire préfère souvent céder. Et c’est pourquoi, selon Jung, beaucoup de souvenirs restent à l’état subliminal parce que désagréables. De ce fait, mon objectif a été d’analyser certaines perceptions, de les morceler, de les faire éclater en images afin de les rendre visibles autrement. Le « Je » a été questionné pour comprendre l’intervalle de l’œuvre dans le processus créatif, entre passé et futur.

Ce travail devient le lieu d’une confrontation dichotomique pour et contre l’oubli, par la juxtaposition de différentes temporalités dans la réalisation de l’unicité de l’œuvre. La dualité amour-haine génère des formes ambivalentes qui augmentent l’ambiguïté et renvoient à un lieu au-delà de la représentation. Les souvenirs se confondent peu à peu et s’entassent, tels des agrégats de cendres. La présence de l’absence suinte dans l’œuvre, dans un mouvement de glissement l’une dans l’autre. On n’oublie pas, on continue.

Ainsi, le faire voir se réalise par la transformation de l’indice en métaphore, à travers les temps de l’œuvre, le durable et l’éphémère (blessure intangible), qui s’active en présence du spectateur. Les différents rythmes

12 Merleau-Ponty, Maurice. Site Web : http://theses.ulaval.ca/archimede/fichiers/23406/apc.html

13 Deleuze, G., & Guttari, F., Qu’est-ce que la philosophie ? Paris: Les Éditions de Minuit - Coll. Critique, 1991-2006, p. 154 - 166 14 Wajcman, Gérard, L’Objet du siècle, Paris : Lagrasse : Verdier, 1998, p. 24

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temporels sont explorés dans l’encodage métaphorique ainsi que dans l’intériorité de l’œuvre par le tressage de l’interdisciplinarité qui concrétise un rapport symbiotique entre l’espace-temps et les différents médias. La liaison entre les contrastes et paradoxes est assurée par la continuité temporelle dans l’espace, animée par la lumière, la transparence et le vide. Je préfère laisser des vides comme espaces de réflexion pour exprimer la perte et la solitude au sein d’œuvres conçues comme des espaces-temps particuliers.

1.1.2 Signes et symboles

L’homme est un signe, qui pense par signes et la pensée se manifeste par des signes. Je ne pouvais écrire sur le signe sans me référer à Pierce, car, selon lui : « La sémiotique est la théorie des signes linguistiques et des signes non linguistiques. » 15 Elle fournit les outils nécessaires pour véhiculer et décoder les signes de l’art en ce qui nous concerne. L’homme utilise le mot parlé ou écrit pour transmettre ce qu’il a à l’esprit. Son langage est rempli de symboles, mais il emploie aussi des signes ou des images.

Jung dit que ce que nous appelons signe ou symbole est un terme pour désigner un nom ou une image qui, même s’ils nous sont familiers, possèdent des implications inconscientes. La raison en est que « beaucoup de choses se situent au-delà des limites humaines, ce qui explique que nous utilisons des symboles pour représenter les concepts que nous ne pouvons définir. » 16 Un principe de dualité s’installe entre ce qui est conscient et inconscient (intuition); « ce qui est plein ou vide de vie, ce côté blanc et plage de l’existence. »17

Ainsi, lorsque j’aborde le rôle de mes rêves, la libre association et les signes, je ne perçois que le reliquat des évènements, car la qualité de mes sens limite ma perception de la réalité qui comporte des aspects inconscients. Le symptôme éclaire les strates de sens déposées au fil du temps.

C’est dans cet état de conscience élargie que le signe métaphorique est utilisé comme glissement analogique du faire voir. L’intention subversive est importante. À partir de l’inconscient, je m’attache aux combinaisons à la recherche d’un souvenir démystifié, en utilisant des logiques multiples et le montage — pour reconstruire et rendre visible les rapports de temps complexes engageant la mémoire. Il ne s’agit pas de trouver un sens extérieur à l’image, car l’œuvre ouvre de multiples chemins à celui qui la regarde. « L’image doit être regardée, interrogée dans le présent pour que l’histoire et la mémoire soient entendues. »18 Le spectateur doit voir l’œuvre en toute liberté, pour une rencontre poétique.

15 Peirce, C., Gérard Deledalle, Écrits sur le signe, Paris : du Seuil - Ordre philosophique, 1978, p. 212 16 Jung, C.G., L’Homme et ses symboles, Paris : Robert Laffont, 1964, p.62

17 Bouvier, Nicolas, Le vide et le plein – Carnets du Japon. Paris : Hoëbeke, 2004, p. 30 18 Didi-Huberman, G., Phalènes, Paris : Éditions de Minuit, 2013, p. 352

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Je ne veux et ne peux pas recréer le passé, mais j’essaie d’entamer l’oubli, de comprendre, d’expliquer ce qui est sous-entendu et présent dans ce passé que j’exprime. J’examine les aspects inconscients par les enchaînements qui me permettent de découvrir certaines constantes dans le déroulement des évènements. De quel monde viennent-ils? Dans quel monde me mènent-ils? Quel est le portrait conceptuel ou intuitif que je pourrai esquisser qui peut produire une justification de ma démarche artistique? Mes œuvres sont construites à partir de signes qui évoquent et convoquent par la suggestion et l’ambiguïté.

1.1.2.1 La représentation du corps humain

« Le corps intervient dans sa relation à l’esprit »19

Bergson

La représentation du corps humain est omniprésente dans l’art de toutes les époques. Les artistes, désireux de comprendre l’être dans toute sa temporalité, se sont questionnés sur le phénomène du « faire voir » par le biais du corps humain comme axe principal de représentation. Ces artistes ont travaillé ardemment afin de légitimer leurs visions du corps, entier ou morcelé, afin d’aborder sous différents angles les questions d’identité, de conditions et de rapports humains. Bien que les tendances artistiques du XXe siècle aient presque nié la représentation du corps humain, ces œuvres nous ont obligés à revoir le faire voir par le corps et à nous questionner sur la place qui lui revient sur la scène artistique, sous quelle forme elle se présente et dans quel espace?

« L’objet qui présente pour nous la plus grande importance pulsionnelle est bien sûr, un autre être humain, dès lors l’humanisme dans l’art ne cesse d’exalter l’importance de l’apparence humaine »20

Ehrenzweig

Le thème du corps est omniprésent dans mes œuvres. Victime ou bourreau, il est le centre de mes préoccupations, comme élément essentiel pour un retour sur moi et sur l’autre. C’est une interrogation sur les modalités et les possibilités du voir et du regard, sur leurs différences et leurs implications esthétiques. « C’est

19 Bergson, Henri, Matière et mémoire, Paris : PUF, chapitre 1, 1939, 280 p. 20 Ehrenzweig, Anton, L'ordre caché de l'art, Paris : Gallimard, 1982, p. 17

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l’être que l’absence d’être rend présent. »21 Par des jeux de découpage, montage et effets miroir, j’explore les liens éphémères entre le monde onirique et le monde visuel, en utilisant l’omniprésence de l’être là dans l’espace-temps. Il devient une interface dans l’axe du temps-mémoire dans sa relation au spectateur, par le biais de traces multiples (photographiques, textuelles, vidéographiques.

Jean Starobinski rapproche « la conscience et le corps grâce à l’œil; c’est le regard qui assure à notre conscience une issue hors du lieu qu’occupe notre corps. »22 À l’aide de la métaphore, le corps transformé devient un des enjeux de déplacement des perceptions, en rappelant que le corps est aussi mémoire physique et émotionnelle, consignant à fleur de peau les traces du passé entre douleur et étreinte. Il se pense et se donne à voir comme présence et solitude.

« Le corps se pense dans le temps »23 Nadeau

L’être-là est présenté aux limites de la représentation — de part en part dans son rapport au monde, où se jouent l’illusion et la matérialité de processus créatif ambivalent. Combiné à la transparence et au vide, il contribue à l’émergence de rapports divers qui s’établissent entre formes et objets, démontrant les différences entre les éléments, par des contrastes, oppositions, juxtapositions : spatiotemporel, virtuel/actuel, opaque/transparent, créant l’ambiguïté.

« Le corps est rapport au monde accompagné de ses champs perceptifs »24 Merleau-Ponty

Ce qui n’est pas moi est autre. L’identité ne serait qu’une frontière bornée par mon corps. Comme être humain, je reproduis la trace de l’autre dans moi qui devient l’évocation de ma présence éphémère au monde et le reflet de mon regard porté sur le corps de l’Autre, afin de conjurer l’angoisse de l’absence et de tenter une relation impossible à l’autre. C’est le dualisme de la présence de l’absence par le vide, la lumière, les temps multiples comme matériaux.

21 Blanchot, M., L’espace littéraire, Paris : Gallimard, p. 265 22 Starobinski, Jean, L’œil vivant, Paris : Gallimard, 1999, 400 p.

23 Nadeau, Maurice, Histoire du surréalisme, Paris : Du Seuil, 1945-1970, 188 p.

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Donnez-moi donc un corps : c’est la formule de renversement philosophique. Le corps n’est plus l’obstacle qui sépare la pensée d’elle-même, ce qu’elle doit surmonter pour arriver à penser. C’est au contraire ce dans quoi elle plonge ou doit plonger, pour atteindre à l’impensé, c’est-à-dire la vie. Non pas que le corps pense, mais, obstiné, têtu, il force à penser, et force à penser ce qui se dérobe à la pensée, la vie.25

Deleuze

Les souvenirs les plus douloureux sont chargés de possibilités. Comme dit N. Bouvier « les fruits et les visages meurtris ont plus à offrir que les autres. »26 Je lutte contre l’oubli en cherchant à comprendre comment le corps exerce son être là, comme trace intangible, imaginaire.

« Et le corps qui est-ce qui est, le voici qu’il ne peut plus se contenir dans l‘étendue! / Où se mettre? / Où devenir? / Cet Un veut jouer à Tout »27 Valéry

1.1.2.2 La métaphore

La métaphore est une création de la pensée ou du langage qui s’articule autour de la mémoire, de l’inconscient et des souvenirs pour devenir phénomène esthétique et glissement analogique. J’utilise la métaphore comme stratégie indicielle appelant la dualité réelle/virtuelle, appelant à l’imagination du spectateur.

Au fil des années, j’ai réalisé que mes rêves sont mon meilleur champ d’exploration pour la technique de la libre association. Par exemple, les Chinois sont très attentifs à la théorie des coïncidences significatives; ils ne se demandent pas quelle était la cause, mais quel fait aime à se produire avec tel autre? Influencé par les Chinois, Jung parle plus spécifiquement du concept de synchronicité qui nous permet de pénétrer plus profondément dans les relations entre la psyché et la matière.

Comment m’orienter dans toutes ces théories? Ces deux théories m’ont fait réfléchir et ont réveillé en moi de vieux souvenirs logés dans l’inconscient, un peu comme lors de mon grave accident de voiture. Cet

25 Deleuze, Gilles, Cinéma 2, L’image temps, coll. Critique, Les Éditions de Minuit, 1985, p. 246

26 Bouvier, Nicolas, Le vide et le plein – Carnets du Japon, Paris : Hoëbeke - Collection Étonnants voyageurs, 2004, p. 30 27Pickering, Robert, Paul Valéry : « Regards » sur l’histoire, Clermont-Ferrand : PUBP, 2008, , p. 333

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évènement a échappé à ma mémoire consciente, mais il est resté dans l’inconscient. Ainsi, à chaque fois que je me retrouve dans une condition similaire, je ne peux m’empêcher de repenser et revivre mes craintes et peurs vécues lors de l’accident.

L’inconscient est composé d’une multitude de symptômes, impressions et survivances qui continuent à m’influencer, telle de la braise facile à réactiver. Ces symboles de l’affect et des percepts m’informent des aspects peu connus de ma personnalité — l’ombre – pour m’aider à me dépasser.

La métaphore devient ainsi un signe dans le processus de transcendance et le vide devient une expression de l’ouverture à l’être là. C’est aussi un mal du vide que je cherche à dissimuler. Cette ambiguïté annonce le message, qui doit à la fois cacher et révéler l’idée et confirme que l’opacité en art n’est conçue que comme transparence obscurcie, ce qui fait de l’objet métaphorique, un mode d’expression indirect et voilé.

Il semble que l’on puisse découvrir l’ombre de l’artiste à travers l’âme secrète des objets projetés. Ce qui peut provoquer le sentiment que l’objet est plus que l’œil ne peut saisir, et que l’absence de sens peut être transformée en vide métaphorique. Ainsi, l’expression symbolique de présence de l’absence permet de sortir du vide pour vaincre l’attente par la réconciliation des contraires.

Si je regarde mon cursus sous l’angle des paradoxes, mon art a un aspect double. Dans un sens, chaque image représente une portion manquante, un symptôme, un signe secret, un reliquat de ce qui a survécu, comme a dit Man Ray « les cendres intactes d’un objet consumé par les flammes »28 ; elle est aussi l’expression de l’ombre de mon esprit, en négatif. Par le biais de l’image morcelée, je travaille à faire voir l’être-là, dans ses rapports engageant la mémoire et l’histoire.

1.1.2.2.1 Le cri

Pour E. Souriau, l’œuvre « se transcende par le sublime ce qui manifeste pour un être, une intention plus haute, qui le métamorphoserait. »29 L’œuvre devient donc plus grande qu’elle même grâce à la transcendance et elle répond à des aspirations profondes de l’homme. Le sublime peut venir d’un rêve, d’une vision, d’une impression. Il contient toutes les dimensions du monde, l’espace et le temps, l’esprit, la réalité de l’homme. Ainsi, le spectateur à l’instar de l’artiste et par sa médiation, accède aux plus hauts sentiments spirituels dont il

28Ray, Man. Site Web :

http://lapetitemelancolie.com/2012/07/26/man-ray-4-planches-pour-illustrer-larticle-lage-de-la-lumiere-publie-dans-la-revue-minotaure-1933-man-ray-trust/

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soit capable. Dans un entretien avec David Sylvester, F. Bacon30 explique qu’au début il avait commencé à peindre l’horreur, mais que c’était trop dramatique; alors il enchaine en disant que « ce qui compte c’est de peindre le cri. » Si l’on se rappelle, chez Bacon les visages d’horreur sont pleins de visions, de peurs et de cris silencieux projetés vers le spectateur. On sent un cri étouffé, intériorisé. Les corps se définissent aussi bien par les affects projetés que par leurs interactions avec la vision. Deleuze souligne que chez la plupart des gens, Bacon suscite un choc parce qu’il présente des figures de souffrance et d’angoisse, afin de présenter les forces agissantes derrière les choses.L’émotion ne dit pas « je » elle n’est pas de l’ordre du moi, mais de l’évènement. « Il faudrait plutôt recourir à il souffre plutôt qu’à je souffre. » 31

Si le sublime est plus qu’un sentiment ou l’émotion du sujet, je suis avide d’explorer de nouveaux territoires et de provoquer des accidents de parcours sur des sentiers inconnus vers un « art où je peux représenter les forces agissantes derrière mes œuvres, »32 c’est-à-dire le cri transcendé de la chair, au moyen d’œuvres où chacun des éléments (lignes, formes, vide, transparence et absence de couleur) reflète le « trou de brûlure. »33

1.1.2.3 Vide et Plein – Présence et Absence

« Importance du vide comme ouverture au rythme, à la poésie, à la lumière, à la forme, à la profondeur et au son »34

Cheng

Selon Pierre Fédida,le vide peut « symboliser un gisement de sens; il unit ce qui gît dessous, ce qui ci-gît et ce qui gît devant. » 35 Ce sentiment de vide que l’on ressent si souvent, est l’expérience d’attente de sens

après une perte, une séparation ou bien en référence à cet utérus resté vacant. Mais, il n’est pas simple de reconstruire le manque ou la perte. La structure physique du vide est une répétition qui change l’aspect du temps. Son utilisation permet de donner « […] un rôle entre — entre un regard et le visage qui se tait, entre soi et l’autre qui n’est pas là »36. Le vide comme élément de base est ancré dans plusieurs traditions artistiques, que ce soit en musique, en poésie ou arts plastiques. Par exemple dans l’interprétation de formes musicales le vide est traduit par certains rythmes syncopés précédés de silence créant un espace pour « permettre aux

30 Bacon, Francis, L'art de l'impossible - Entretiens avec David Sylvester, Genève : Skira, 1976, rééd. 1995, p. 45 31 Deleuze, Gilles, Deux régimes de fous et autres textes, Paris : Les Éditions de Minuit, 2003, p. 167-172 32 Lyotard, J-F., Leçons sur l’analytique du sublime, Paris : Galilée, 2007, ch. 23-29, 304 p.

33 Didi-Huberman, G., Phalèlnes, Paris : Les Éditions de Minuit, 2013, p. 360 34 Cheng, F., Vide et plein – Le langage pictural chinois, Paris : Du Seuil, 1979, p. 50 35 Fédida, Pierre, L’absence, Paris : Gallimard, 2005, p. 304

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sons de se dépasser et d’accéder à une résonance au-delà des résonances. »37 De même en poésie, on supprime volontairement certains mots syntaxiques, appelés mots vides, pour créer soit un parallélisme soit une antithèse ou autre. Par la discontinuité générée, ces procédés révèlent le désir de l’artiste de transformer le temps réel en espace réel et métaphorique.

Mais c’est en arts visuels que le vide est le plus manifesté, alors que le spectateur réalise que le vide représenté semble relier le monde sensible et invisible. Le vide causé par la brûlure s’installe et devient l’intervalle de germination de l’œuvre. Le rapport à la mémoire et à l’omniprésence du corps-signe représente les relations entre la psyché et la matière. Le vide métaphorique doit être perçu « comme un dévoilement à l’être-présent. »38

C’est ici que le texte de Didi-Huberman dans Phalènes39 sera utile pour comprendre le sens de la notion d’image. Le vide « le trou de la brûlure »40 devient un intervalle atemporel où l’absence se transcende par la réconciliation des contraires. Les formes spatiales du vide deviennent un concept de représentation répondant au besoin d’exprimer l’absence et la solitude.

Le véritable désir d’un ailleurs va me pousser à expérimenter l’utilisation du vide combiné à la transparence et, par-dessus tout à la lumière. Le vide est-il l’absence? Le vide serait-il l’ouverture vers le plein de la création? La création serait-elle ce lieu de l’espace-temps propre à accueillir le vide… d’un corps, d’une vie? Il appert que la création serait pour moi, le double mouvement du déliement des fils de mes deuils et du tissage de l’œuvre.

1.1.2.4 Lumière et Transparence

La lumière génère l’image au moyen du vide et de la transparence. Loin de me diriger vers une image simpliste, je préfère travailler sur un symptôme venant des temps multiples de ma mémoire, telle que représentée dans mes tableaux-montages, par le biais de la lumière indicielle qui sculpte les corps.

Comment la faire résonner cette matière lumineuse? La lumière joue un rôle important dans ma démarche : c’est elle qui (re) construit l’image et qui capte l’instant d’un contact visuel avec une forme. Elle transforme la représentation du corps et est une interaction importante avec l’être-là, car sans elle, il n’y a plus cette magie de la vie. La lumière devient une substance organique, vivante à travers mes œuvres. Elle est un point de

37 Cheng, p. 55

38 Fédida, Pierre, L’absence, Paris : Gallimard, 2005, p.310 39 Didi-Huberman, G., Phalènes, Les Éditions de Minuit, 2013, p. 360 40 Ibid, p. 360

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convergence du corps-esprit. Je l’utilise comme phénomène, comme matériau pour la matérialisation de la présence/absence afin d’obtenir un aspect fantomatique, quasi immatériel des formes pour augmenter l’expérience du spectateur. L’interaction du vide et de la lumière crée des tensions et des mouvements tectoniques. Quelle forme et quelle intensité donner à cette lumière qui devient l’intervalle du vide? Comment certains matériaux plus ou moins transparents remettent-ils en question la capacité du spectateur à déceler le sens? Pour obtenir l’effet escompté, j’utilise le vide, la transparence, la juxtaposition temporelle et le rythme soit par la superposition d’éléments soit par l’utilisation de la trame.

La lumière n’est pas qu’une simple assistance technique qui vient compléter le projet en cours, mais bien un vecteur de création qui va épouser la forme de l’œuvre, le corps fantôme, révéler et dramatiser le lieu physique de manière inattendue. Je déconstruis/reconstruis l’espace avec des structures trouées afin de sculpter la lumière et l’intégrer au lieu.

« Les œuvres d’art parlent d’elles-mêmes » voilà la déclaration de Mathieu Beauséjour qu’on peut lire sur une de ses aquarelles, réalisée en 2007. Elle le fait en recourant à la lumière, qui sollicite activement la perception visuelle du spectateur, et qui implique aussi que l’œuvre intègre son propre éclairage en tant que dispositif lumineux. La lumière définit la présence de l’absence et ouvre à l’intermédialité des formes qui lie et rythme l’ensemble des éléments de l’œuvre. L’homme est métaphore, mais tout entier dans l’œuvre.

« La transparence est matière sous un voile de lumière »41 Buydens

Présente dans toutes mes œuvres la lumière s’inscrit comme le principe qui anime le vide de l’œuvre par le jeu des contrastes : ombre/lumière, très souvent en complémentarité avec le multimédia. Ce rapport délimite l’espace-temps. Le vide préfigure le rien et fait sentir les pulsations de la métaphore. L’œuvre devient la représentation de mon monde intérieur. La lumière modèle les surfaces. L’image devinée devient l’imaginaire du spectateur. Les œuvres évidées alternent les sensations de vide et de plein, d’images de mémoire et d’existence imaginaire. De ces formes suggérées, le spectateur peut projeter ses images personnelles que la lumière aidera à matérialiser le temps d’un instant. L’expérience spatiale devient une expérience visuelle. La confrontation entre le transparent et l’opaque provoque une tension et une densité de l’espace qui vient abolir les repères du spectateur.

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Michel Guérin propose comme thèse que « […. ] la transparence est un fait tragique, non une idéologie. Il est important d’opposer le tragique de la transparence effective au semblant d’idéal de transparence. » 42 Ce paradigme a partie liée avec le désir de traverser l’apparence. Ainsi, j’utilise des dispositifs optiques qui privilégient l’indirect. Je combine sculpture, photographies, vidéos, poésie — avec différents matériaux, soit : le fer, le bois, le plexiglas, le tissu, et l’écriture afin que ces différents aspects se rejoignent par le biais de cadrages, de dispositifs de vision, parsemés de jeux d’ombre/lumière modulés, pour confirmer l’importance du point de vue. Ainsi, le dispositif sur la voix du corps devient un jeu de miroirs, qui révèle quelque chose des situations ou des corps-signes.

1.1. 3 Mémoire et Temps

La mémoire-durée sert de fil d’Ariane au passé « comme coexistence virtuelle. »43 Elle contient des aspects conscients et inconscients. Ainsi, selon Jung,44 l’ombre de l’inconscient arrive souvent au moment où il faut

ajuster une attitude déviante. La conscience devient un témoin virtuel qui permet une prise de conscience nécessaire au dépassement des blocages. L’expérience intuitive devient essentielle à la conscience pour accéder à l’émotion créatrice. C. Petitmangin45 nous dit que l’émotion est génératrice d’idées et que, si elle est

combinée à l’intuition, elle est un mode de pensée qui nous permet d’entrer en contact avec l’être.

C’est d’abord l’affectivité qui suppose que le corps soit autre chose qu’un point mathématique et lui donne un volume dans l’espace. Ensuite, ce sont les souvenirs de la mémoire, qui relient les instants les uns aux autres et intercalent le passé dans le présent. Enfin, c’est encore la mémoire, sous forme d’une contraction de la matière qui fait surgir la qualité.46

Deleuze

Prendre le temps d’habiter l’image — en faire l’expérience — qui doit être comprise tour à tour comme document ou objet de rêve, voici ce que signifie la notion de durée. Didi-Huberman compare l’image à un papillon qui apparaît et disparaît – de sa phase de gestation à sa phase d’envol (émotion) :

42 Guérin, Michel (dir.), Pascal Krajewski; Pierre Huygue; Gilles Suzanne; Collectif, La transparence comme paradigme, Provence : PUP, 2008, 332 p. 43 Deleuze, Gilles, Le Bergsonisme, Paris : PUF, 1966, p. 56

44 Jung, C. G., L’homme et ses symboles, Paris : Robert Laffont, 1964, p. 172 45 Petitmengin, C., L’expérience intuitive, Paris : L’Harmattan, 2001, p 69 46 Deleuze, Gilles, Le Bergsonisme, Paris : PUF, 1966, p.16

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C’est la flamme qu’elle désire… […] d’un coup elle s’enflamme – émotion profonde […] il y a sur la table un minuscule flocon de cendre. Les images comme les mots sont des trésors et des tombeaux de la mémoire.47

Didi-Huberman

Le temps-mémoire est questionné pour un voyage de moi à l’autre par une remise en question des symptômes, du récit et de l’actuel de la création. La faculté d’archivage du temps passé et des cendres qu’il en reste joue également sur la portée de l’image.

Dans ce processus, l’imagination et le montage sont des étapes importantes pour rendre visible les temps complexes générés d’images hétérogènes, faites d’intervalles et de trous de brûlure :

« […] la vérité […] n’apparaît pas dans le dévoilement, mais bien plutôt dans un processus que l’on pourrait désigner analogiquement comme l’embrasement du voile […], un incendie de l’œuvre, ou de la forme, atteint son plus haut degré de lumière » 48

Benjamin

Certains souvenirs sont associés à l’apprentissage infantile, alors que d’autres se rattachent à une sensation différente de l’espace et expérimentent la durée. Jacquard49 soumet l’idée que ce qui crée le sentiment d’une durée est lié à notre capacité de nous souvenir et d’évoquer. La durée, fait place à l’instant. La recherche de mes souvenirs s’est faite à partir de la perception que j’ai des évènements — de simultanéité, d’antériorité et de postériorité.

47 Didi-Huberman, G. Phalènes, Paris : Les Éditions de Minuit, 2013, p. 344 48 Benjamin, W., Origine du drame baroque allemand, Paris : Flammarion, 1985, p. 28 49 Jacquard Albert, Voici le temps du monde fini, Du Seuil. 1991, p. 21

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Bergson considère la mémoire comme un phénomène identique à la durée : la durée comme mémoire, conscience, liberté. La mémoire y est présentée comme un moyen de conservation et d’accumulation du passé dans le présent. À vrai dire, la durée est essentiellement une continuation de ce qui n’est plus dans ce qui est. La mémoire les relie l’un à l’autre. Il explique que le corps intervient dans sa relation à l’esprit, car percevoir consciemment signifie la liberté de choisir.50

Deleuze

Cette définition de la mémoire met en cause l’idée du présent qui n’est pas, mais est devenir et l’idée du passé qui ne cesse pas d’être. De ce mixte du temps, le souvenir passe de virtuel à actuel et de là naît l’image métaphorique comme réalité psychologique qui m’amène de l’autre côté du miroir.

Selon Bergson, le présent passe, l’éphémère conserve et se conserve et l’avenir se dessine dans le présent, reste l’intervalle.51 L’intervalle devient l’articulation du temps dans l’espace-temps. Freud en parlant des œuvres de Léonard de Vinci a expliqué le fonctionnement de « l’impression de l’absence comme d’un environnement suggéré par le jeu ambigu des images dont le signe renvoie toujours à un lieu où il n’y a rien à voir. »52 Le temps est une préoccupation constante, car en essayant de spatialiser le temps, de saisir l’insaisissable, je tente de l’abolir.

Le temps se définit comme la sédimentation de l’inconscient et du conscient. La temporalité de l’œuvre est représentée en terme d’image-symptôme dans l’espace lumineux. La cadence devient répétition. L’élément qui se répète le plus est le corps humain évidé, fantomatique, qui se module en vertu des souvenirs. Ainsi, comme disait le Chapelier dans Alice aux pays des merveilles « […] il faut que je batte le temps – le temps est un être vivant. »53 La conscience spatiale s’évalue en termes de perception du corps de l’autre. Entre matérialiser la durée ou spatialiser le symptôme, mes expériences tentent de mettre en relief le corps pour véhiculer une temporalité.

Ma curiosité, qui comme Alice cherche à comprendre son rêve, me pousse à explorer mes souvenirs d’enfance, le rôle de ma mère, ma déception de ne pas être un garçon, et toutes les émotions vécues dans le monde adulte en me limitant à deux aspects de ma mémoire la : i) subjectivité-souvenir (virtuel) et ii) subjectivité-contraction (actuel devenir). Les signes métaphoriques de l’objet imaginé apparaissent ou disparaissent selon mon désir dans un emboitement de souvenirs dont le thème central est la perte.

50 Deleuze, Gilles, Le Bergsonisme, Paris : PUF, 1966, p. 59-61 51 Ibid, p. 43-44

52 Fédida, Pierre, L'absence, Paris : Gallimard, 2005, p. 369

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J’observe le déroulement de la séquence des éléments, caractérisée par la discontinuité, qui fait se succéder les évènements par association d’images ou d’idées, analysées selon une logique des contraires : i) conscient/inconscient, et ii) temps passé/virtuel/actuel. Corps aimé, corps-souffrance — tantôt représenté sous forme d’images ou partie d’images provenant de repères perceptuels et affectifs afin d’exprimer le vide de l’absence. Les moyens utilisés pour représenter le temps imaginaire sont : l’ambiguïté des traces intertextuelles, la transparence, le vide et les temps multiples, juxtaposés et superposés aux images ou éléments. Le vide devient un ferment bouillonnant de particules virtuelles, vibrant d’énergie et de vitalité.54

« La mémoire intervient comme un lieu structuré de recherche tourné vers le futur; le temps passé intervient comme une structure du temps […] temps perdu, temps retrouvé dans le temps absolu de l’œuvre d’art où s’unissent toutes les autres dimensions » 55 Deleuze

Par exemple, Deleuze postule que « tomber amoureux c’est individualiser quelqu’un par les signes qu’il porte et qu’il émet. Selon lui, les signes amoureux sont des signes mensongers qui génèrent la souffrance. »56 Mais en final, tous les signes convergent vers l’art.

Les êtres que j’ai aimés m’ont fait souffrir, chacun à leur tour, mais la fracture temporelle des fragments de souvenirs fait que les images remémorées restituent aléatoirement dans le présent les réminiscences du passé. Mes œuvres portent l’empreinte de ces réalités absentes.

Quelle meilleure façon de représenter l’ambivalence que par le glissement du caché dans la métaphore? Comment représenter ce glissement de l’une à l’autre? Le langage est un outil qui peut être imparfait, mais la métaphore peut produire un effet de sens plus filtré.

Cette acceptation des notions de la mémoire et du temps, je me propose de rechercher quelles places elles occupent dans mon corpus d’œuvres. J’espère que ce processus de réflexion apportera un sens aux évènements passés et une ouverture à l’enfant intérieur.

54 Luminet, J-P., M. Lachièze-Rey, La physique et l’infini, Paris : Flammarion, 1957-1994, p. 92-93 55 Ibid, p. 27

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1.1.4 Ambiguïté/Dualisme

« On ne peut pas exprimer par des mots ce qu’on a dans l’œil et dans la main. Les paroles faussent les pensées, faussent les paroles : on ne se reconnait plus »57

Giacometti

Selon E. Durkheim :

[…] l’homme est, à la fois, « ange et bête » sans être exclusivement ni l’un ni l’autre. Il en résulte que nous ne sommes jamais complètement d’accord avec nous-mêmes, car nous ne pouvons suivre une de nos deux natures sans que l’autre en pâtisse. Nos joies ne peuvent jamais être pures; toujours, il s’y mêle quelques douleurs puisque nous ne saurions satisfaire simultanément les deux êtres qui sont en nous. C’est ce désaccord, cette perpétuelle division contre nous — même qui fait, à la fois, notre grandeur et notre misère : notre misère, puisque nous sommes ainsi condamnés à vivre dans la souffrance; notre grandeur aussi, car c’est par là que nous nous singularisons entre tous les êtres. Ainsi, un désir d’immortalité se voile dans le concept du double, car l’ombre continue son existence après la décomposition du corps physique. 58

Le dualisme est défini dans le dictionnaire de la langue française comme « un système manichéen construit sur

l’opposition entre deux notions, entre deux principes irréductibles. »59 De son côté, Bergson propose une conception dualiste de l’être, selon laquelle l’esprit existe par lui-même et n’est pas un produit de l’activité biologique du cerveau.60

Nietzsche écrivait que nous ne connaissons rien d’autre que le monde de nos sentiments et de nos représentations. Ainsi, je donne la priorité au corps vécu, car ma conception de l’être est une analogie de mes percepts et affects et un reflet de ma vie.

L’art est devenu, un moyen de lutte contre l’oubli en unissant et superposant différentes temporalités. La dualité temps-mémoire est questionnée en espérant que le sens de l’œuvre apparaisse à la conscience, à

57 Giacometti, Alberto. Site Web : www.gelonchviladegut.com/wp-content/uploads/.../200-CITATIONS.pdf.

58 Durkheim, Emile. Site Web : http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/sc_soc_et_action/texte_4_15/dualisme_nature_hum.htmln

Consulté le 30 mai 2015.

59 Dictionnaire de la langue française. Site Web : http://www.le-dictionnaire.com 60 Bergson, H. Site Web : https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Bergson

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l’insu de la raison. Je m’interroge sur la relation fragile que j’entretiens avec le monde sensible et imaginaire. Le corps est un très bon exemple de dualité et devient un des axes référentiels de ma recherche, pour signifier la présence de l’absence, tel que vécu comme sensation.

La dualité est explorée sous plusieurs points de vue : spatio/temporel, virtuel/actuel, opaque/transparent, présence-absence, vide/plein, lisible/codée. Une même chose révèle son contraire. L’union des contraires est recherchée, mais n’est pas toujours possible. Je trouve nécessaire d’explorer les deux extrêmes afin de trouver les liens dynamiques qui peuvent unifier le tout pour représenter l’âme secrète des éléments qui génèrent le vide de l’absence.

« On ne guérit d’une souffrance qu’à condition de l’éprouver pleinement. » 61 Proust

À l’origine, les surréalistes m’ont influencé beaucoup. À partir de là, j’ai commencé à chercher à atteindre la substance du temps perdu à la recherche d’une réalité enfouie dans l’inconscient afin d’exprimer la solitude. Admiratrice de Marcel Proust pour son œuvre de remémoration et de tissage de souvenirs dans « A la recherche du temps perdu — Le temps retrouvé », ma recherche est devenue une quête de remémoration de certains souvenirs, qui ont joué un rôle primordial dans mon cheminement et qui ont fait surgir un monde de symboles devenus les signes de ma création. Ce vocabulaire est devenu l’essence d’une réalité inconsciente sous le voilage du processus créatif.

« L’art est la rencontre de l’esprit et de la matière » 62 Russ

Alors j’ai tourné en rond, revivant mes souvenirs en boucle, dans l’illusion que le bonheur passé finirait par déteindre sur le présent pour me redonner un avenir. Le cycle pensée, émotion, création s’est décliné en une série d’œuvres fragmentées relatives au vide de l’absence.

Il est difficile pour moi d’expliquer mon processus créatif, car tout se passe à partir de l’intuition, comme dans un rêve où le temps, l’espace et la présence constante du souvenir s’installent en métaphore. J’ai compris que

61 Proust, Marcel. Site Web : http://www.maphilo.net/citations.php?cit=2051

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c’est en moi-même que je peux trouver cet ailleurs pour révéler « l’entre » du temps-mémoire, et le transformer en aura lumineuse.

Dans ce premier chapitre, j’ai présenté quelques notions qui ont accompagné mon projet de création : la métaphore, le corps et sa représentation, mon histoire personnelle liée à la représentation de l’absence, la mémoire et le temps et la volonté d’explorer la lumière, la transparence et la mise en espace pour exprimer l’ambiguïté et le dualisme. On pourra voir, au chapitre qui suit, comment se sont articulés dans l’œuvre les éléments de la recherche liés à cette problématique.

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Chapitre 2. Manifestation de l’ambiguïté et du

dualisme dans mes œuvres

2.0 Matériaux et Techniques

« L’idée comme forme échappe au sens, mais peut être atteinte par la vue. L’art et la science font corps par le corps. L’alliance est duelle »63 Nadeau

Le dualisme fait de l’œuvre le lieu d’une énigmatique juxtaposition forme/fond où le réel doit être caché pour apparaître, un peu à la manière d’un corps sous des voiles symboliques. La forme et le fond ne sont que deux aspects d’une même réalité, où la structure délivre le sens recherché, généré par la transparence de la forme-signe, qui doit à la fois cacher et révéler l’idée.

« Un désir d’immortalité se voile dans le concept du double, car l’ombre continue son existence après la décomposition du

corps physique »64 Schnabel

Pour moi, l’ambiguïté se définit comme une proposition dichotomique pour sauvegarder la signification. Utilisant l’intermédialité entre sculpture, peinture, vidéo et poésie, j’explore les reliquats de souvenirs au moyen d’introspection et de réinterprétation d’évènements passés, dont le lieu de l’œuvre est l’endroit de convergence de l’espace-temps et du spectateur pour faire une expérience esthétique.

Par leur co-présence, les divers éléments symboliques s’opacifient mutuellement, créant un espace dans l’espace qui est reconnu par le sujet en tant qu’œuvre. « En sens inverse, les œuvres impliquent le regardeur non seulement comme amateur d’art, mais aussi comme sujet voyant impliqué dans ce qu’il voit. » 65

63 Nadeau, Maurice, Histoire du surréalisme, Paris : Du Seuil, 1945-970, 188 p. 64 Schnabel, William. Site Web : https://fr.wikipedia.org/wiki/Double_(dualité) 65 Wajcman, G., L’objet du siècle, Paris : Lagrasse : Verdier, 1998, p. 36-40

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« L’œil de l’artiste doit être toujours tourné vers sa vie

intérieure »66 Kandinsky

Je travaille selon une logique progressive de composition, à partir d’un processus qui procède par stades successifs, où chacune des strates introduit un autre élément, procédure ou technique différente. La structure est basée sur le rythme, l’harmonie et la forme. Mais chaque stade apporte sa part d’impondérables. J’utilise mes expériences de la vie pour faire évoluer ma création qui est passée de l’utilisation de : l’écriture et la photographie, à la sculpture et la vidéo – au moyen soit d’image-montage, de matériaux mixtes, ou de tableau-montage.

Selon Didi-Huberman dans L’image brûle :

L’image, puisqu’elle est reliée à la mémoire, opère un mélange de diverses expériences passées, produisant un composé anachronique et hétérogène. Elle est formée d’une multitude d’éléments avec lesquels le regard doit composer. Le temps fait monter à la surface l’ordre caché de la forme et de l’image.67

Didi-Huberman

Avant d’aller plus loin, je veux préciser le sens du mot image dans mon travail. En effet, ce terme peut prendre plus d’un sens selon le contexte d’utilisation. Pourtant, je retiendrai uniquement la définition donnée par Didi-Huberman dans Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, « […] l’image est l’objet du voir et du regard; tout élément regardé est en fait une image. »68 Ainsi, les divers éléments, accompagnés de portions de corps fragmenté et fantomatique, sont des images survivantes exprimant l’éclatement du souvenir. Mais est-ce une portion d’image, réelle ou imaginaire?

Jusqu’à maintenant, les gestes qui ont été posés sur la matière découlent de ma mémoire involontaire et des choix volontaires que j’ai faits. Les éléments se stratifiant s’étalent sur l’ensemble des temporalités de l’œuvre. Mes œuvres deviennent des métaphores du temps qui passe en

utilisant plusieurs langages et référant à

66 Kandinsky Wassily, Point et ligne sur plan, Paris : Gallimard, 1926-1991, p. :111

67 Didi-Huberman, Georges, L'image brûle, In Penser par les images, Paris : Éditions Cécile Defaut, 2006, p.51 68 Didi-Huberman, G., Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Les Éditions de Minuit, 1992, p.192.

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différentes formes d’expression. J’ai dû inventer mes propres outils pour faire voir ce qui est sans traces visibles.

« Ce qui fait les choses, c’est leur pouvoir de transformation »

Proverbe oriental

Pour innover, j’ai utilisé les qualités de la transparence pour voiler le signifié, et celle de l’opacité pour retenir et concentrer la perception sur l’objet signifiant. J’ai procédé de différentes façons : i) en combinant un média ancien aux nouvelles technologies, ii) en procédant par soustraction ou déconstruction et reconstruction, iii) en combinant vide et transparence à la lumière, iv) en utilisant le trompe-l’œil, pour donner un effet tridimensionnel par des jeux d’ombre et de lumière, et v) en utilisant le contraste clair-obscur — le noir (émotion — mort) et la lumière (la vie) — pour exprimer la douleur et la perte. Le noir utilisé en avant-plan contraste avec la lumière diffuse et mystérieuse qui se dégage de l’arrière-plan – car le noir est nécessaire pour faire rayonner la lumière.

La cohérence de la mise en espace a été retravaillée en variant différentes stratégies et moyens pour représenter la dualité présence-absence dont : i) le rapport forme/fond, ii) le virtuel/actuel, iii) les temps juxtaposés/la durée de « l’entre » de l’œuvre (un des éléments de base pour me dévoiler), iv) la décontextualisation du spectateur par l’abolition des repères visuels, et vi) l’intermédialité. C’est grâce à ces moyens plastiques et des interventions subtiles, que le corps-signe devient un témoin actif de la présence de l’absence, de l’ici/ailleurs.

Dans beaucoup de mes œuvres, le noir est associé à son contraire, la lumière. Ce qui symbolise l’alternance du désespoir et de l’espoir, du chagrin et de la joie. La métaphore lumineuse est présente pour désigner l’ouverture à la nature intangible et immatérielle des choses. Le noir est lié à la mort et la lumière à la vie et au spirituel.

L’innovation se situe aussi dans la prise de conscience du langage spécifique de chaque matériau. Elle est aussi dans la capacité de combiner les technologies nouvelles à la mixité entre sculpture, photo, écriture, vidéo et procédé électrique, afin de cristalliser de nouveaux moyens de création, en les détournant de leurs fonctions initiales.

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Évidemment, les matériaux que j’utilise influencent l’aspect esthétique et formel de l’œuvre, plus particulièrement le/la : bois, fer, tissu, plexiglas, image numérique, poésie et lumière. C’est généralement par ces choix, lors de la prise de décision, que la forme se finalise. L’aspect de ces matériaux me parle et je me laisse inspirer et guider par leurs apparences physiques et le fini du rendu.

Pour avoir fait de la poterie pendant des années, je comprends qu’il faut composer et comprendre la matière afin d’entrer en contact avec elle, je dirais même entrer en symbiose avec elle. Maurice Fréchuret explique — au sujet des formes nouvelles qui émergent dans l’art au XXe siècle : « [...] la relation de l’artiste d’aujourd’hui avec la matière : le geste de l’artiste consiste à laisser parler les matériaux et les forces qui interagissent naturellement. » 69

Les liens physiques qu’entretiennent les matériaux entre eux m’amènent sur des sentiers inédits. Chaque élément doit être relié à l’ensemble dans l’espace-temps, alors qu’apparaissent de nouvelles formes d’explorations technologiques pas toujours faciles ou possibles à gérer ou à réaliser. La cohérence de l’ensemble découle essentiellement de l’unification des différents éléments de l’œuvre. Chaque transformation ouvre à un nombre illimité de possibilités, les unes fructueuses, les autres aboutissant à des impasses. Dépassant l’objet physique réalisé à partir de matériaux divers, l’effet d’immatérialité, créé par le vide, la transparence et la lumière, transcende l’œuvre.

Quand l’œuvre commence à s’exprimer physiquement, la période de doutes apparaît. Mon inquiétude et mon angoisse sont le fruit de mes décisions intermédiaires qui ont un impact sur le résultat final. Il arrive que je m’aperçoive que le résultat provisoire nécessite certains ajustements structurels dus à l’ambivalence des éléments plastiques. Selon Anton Ehrenzweig, la majorité des problèmes d’art sont des problèmes de forme, de perception ou de création de formes. 70

En recourant à la lumière, je sollicite activement la perception visuelle du spectateur, ce qui implique soit que l’œuvre reçoive la lumière provenant de la vidéo, soit que l’œuvre intègre son propre éclairage en tant que dispositif lumineux. Lorsque l’œuvre est terminée, elle prend son autonomie. Je la redécouvre surprise comme si elle ne venait pas de moi ou c’est une partie de moi que je découvre. C’est comme si je sortais d’une gestation ou d’un rêve. L’œuvre demande à être regardée autrement, comme un enfant qui devient adulte.

69 Fréchuret, M., Espaces de l'art, le mou et ses formes, essai sur quelques catégories de la sculpture du XXe siècle, Paris : École nationale supérieure

des Beaux-Arts - Coll. "Espaces de l'art", 1993,p. 134.

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2.1 Les œuvres de transition

C’est ainsi que mes œuvres sont apparues comme un moyen d’expression essentiel, alors que chaque élément de l’œuvre s’assemblait pour former un tout, un bloc d’émotions, composées à la fois de percepts et d’affects. C’est la composition faite par l’association des forces internes de l’œuvre dans l’espace, qui permet l’ouverture à l’être là. Tiré des profondeurs de l’oubli, le symptôme se combine à la machine du temps pour m’emmener vers le passé.

C’est dans cet esprit, sous l’influence des surréalistes et en éloge à l’imagination, que j’ai réalisé : L’œil qui

pleure et La vie après. Ces deux œuvres autobiographiques portent l’empreinte de la survivance. Elles ont une

fonction initiatique dans mon travail de maîtrise, où l’on y retrouve le corps-signe, miroir des souvenirs. Conçues dans le désarroi, elles doivent être comprises comme document et objet imaginaire, comme tombeaux de la mémoire, comme a si bien dit Didi-Huberman.

Mais pourquoi y a-t-il toujours la présence du corps déformé, défiguré dans mes œuvres? Est-ce dû à toutes les souffrances qu’il m’a fait subir?

La représentation de l’affect, dans les deux œuvres, appartient à la figuration et aux crédos surréalistes, mais diffère dans les moyens utilisés pour véhiculer le deuil.

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L’œil qui pleure

Figure 1 L’œil qui pleure (2009) Sculpture en plâtre et fibre de verre 20 po x30

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« Peindre le cri plutôt que l’horreur, le cri de la chair »71 Bacon

Selon Deleuze :

Bacon s’attache impitoyablement à la représentation picturale du corps humain. Dépassant la figuration, Bacon se tourne vers la sensation, comme Cézanne, même si, en apparence, il n’y a que des différences entre les deux peintres. La sensation, c’est ce qui est peint. Ce qui est peint dans le tableau c’est le corps, non pas en tant qu’il est représenté comme objet, mais en tant qu’il est vécu comme éprouvant telle sensation. 72

À l’origine instinctivement je me suis dirigée vers la sculpture, moyen le plus apte à exprimer la réalité de la vie. La présence du corps est un symbole de ma conscience de la fragilité et de la vulnérabilité de l’homme.

L’œil qui pleure est une sculpture métaphorique, représentant un corps morcelé, plaidoyer de l’émotion et de

la trace de la souffrance. Il a été construit à la façon d’un mannequin, de plâtre moulé directement sur le corps, au moyen de bandelettes préplâtrées. Les multiples couches de sels minéraux ajoutés aux fibres de verre ajoutent, par leurs nuances, à l’illusion de la réalité de la blessure.

On peut réaliser que je suis consciente de la pensée de Freud qui nous dit que l’inconscient et la libido ont un rôle fondamental à jouer dans la création, entre rêve et réalité. C’est, à la fois, la représentation de la blessure — le cancer du sein — qui a affecté ma mère et ma sœur, et le « cri » de l’horreur, entre conscience et inconscience.

La réalité de l’homme est faite de contraires : bien/mal, vie/mort et dans mon travail la trace de cette dualité est omniprésente : présence/absence, bonheur/souffrance, plein/vide pour exprimer l’émotion, la perte et la solitude. La blessure n’est plus apparente, mais le stigmate reste imprégné dans la mémoire de toutes les femmes.

Le remplacement du sein par l’ajout d’un œil qui pleure donne à la sculpture un tout unitaire métaphorique et souligne la détresse de toutes les femmes atteintes de cette maladie.

71 Deleuze, Gilles,Francis Bacon logique de la sensation, Paris : Du Seuil, 2002, p. 41 72 Ibid, p. 28-31

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La vie après…

Figure

Figure 2 La vie après. (2010) Montage photo
Figure 3 Réflexion (2013) vidéo 7 min.
Figure 4 Passage (2014) Tableau-montage : masonite 4' x8' et procédé électrique
Figure 5 Transcendance (2014) Tableau-montage : masonite 4' x 6', peinture et procédé électrique
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