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Les œuvres de transition

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Chapitre 2. Manifestation de l’ambiguïté et du dualisme dans mes œuvres

2.1 Les œuvres de transition

C’est ainsi que mes œuvres sont apparues comme un moyen d’expression essentiel, alors que chaque élément de l’œuvre s’assemblait pour former un tout, un bloc d’émotions, composées à la fois de percepts et d’affects. C’est la composition faite par l’association des forces internes de l’œuvre dans l’espace, qui permet l’ouverture à l’être là. Tiré des profondeurs de l’oubli, le symptôme se combine à la machine du temps pour m’emmener vers le passé.

C’est dans cet esprit, sous l’influence des surréalistes et en éloge à l’imagination, que j’ai réalisé : L’œil qui

pleure et La vie après. Ces deux œuvres autobiographiques portent l’empreinte de la survivance. Elles ont une

fonction initiatique dans mon travail de maîtrise, où l’on y retrouve le corps-signe, miroir des souvenirs. Conçues dans le désarroi, elles doivent être comprises comme document et objet imaginaire, comme tombeaux de la mémoire, comme a si bien dit Didi-Huberman.

Mais pourquoi y a-t-il toujours la présence du corps déformé, défiguré dans mes œuvres? Est-ce dû à toutes les souffrances qu’il m’a fait subir?

La représentation de l’affect, dans les deux œuvres, appartient à la figuration et aux crédos surréalistes, mais diffère dans les moyens utilisés pour véhiculer le deuil.

L’œil qui pleure

Figure 1 L’œil qui pleure (2009) Sculpture en plâtre et fibre de verre 20 po x30

« Peindre le cri plutôt que l’horreur, le cri de la chair »71 Bacon

Selon Deleuze :

Bacon s’attache impitoyablement à la représentation picturale du corps humain. Dépassant la figuration, Bacon se tourne vers la sensation, comme Cézanne, même si, en apparence, il n’y a que des différences entre les deux peintres. La sensation, c’est ce qui est peint. Ce qui est peint dans le tableau c’est le corps, non pas en tant qu’il est représenté comme objet, mais en tant qu’il est vécu comme éprouvant telle sensation. 72

À l’origine instinctivement je me suis dirigée vers la sculpture, moyen le plus apte à exprimer la réalité de la vie. La présence du corps est un symbole de ma conscience de la fragilité et de la vulnérabilité de l’homme.

L’œil qui pleure est une sculpture métaphorique, représentant un corps morcelé, plaidoyer de l’émotion et de

la trace de la souffrance. Il a été construit à la façon d’un mannequin, de plâtre moulé directement sur le corps, au moyen de bandelettes préplâtrées. Les multiples couches de sels minéraux ajoutés aux fibres de verre ajoutent, par leurs nuances, à l’illusion de la réalité de la blessure.

On peut réaliser que je suis consciente de la pensée de Freud qui nous dit que l’inconscient et la libido ont un rôle fondamental à jouer dans la création, entre rêve et réalité. C’est, à la fois, la représentation de la blessure — le cancer du sein — qui a affecté ma mère et ma sœur, et le « cri » de l’horreur, entre conscience et inconscience.

La réalité de l’homme est faite de contraires : bien/mal, vie/mort et dans mon travail la trace de cette dualité est omniprésente : présence/absence, bonheur/souffrance, plein/vide pour exprimer l’émotion, la perte et la solitude. La blessure n’est plus apparente, mais le stigmate reste imprégné dans la mémoire de toutes les femmes.

Le remplacement du sein par l’ajout d’un œil qui pleure donne à la sculpture un tout unitaire métaphorique et souligne la détresse de toutes les femmes atteintes de cette maladie.

71 Deleuze, Gilles,Francis Bacon logique de la sensation, Paris : Du Seuil, 2002, p. 41 72 Ibid, p. 28-31

La vie après…

La vie après… est la troisième partie d’un triptyque référant au long parcours pour passer à travers un

divorce. Le visage est un organe de communication non verbale. Il parle. Il dévoile sa vulnérabilité. Il est une supplication. Au-delà des traumatismes qui ne sont pas cachés, l’information que ce visage transmet, à travers les traits et les expressions faciales, livre un déchirant plaidoyer sur la fragilité humaine et véhicule une charge émotive ayant une incidence sur la réaction du spectateur. L’image-souffrance s’étale, prenant largement possession de l’espace comme représentation de la blessure, suintant comme trace indélébile de la tristesse. Cette image hétérogène, faite d’intervalles et de lacunes, connote la brûlure et les bouts de survivance.

Il y a un moment d’émotion, capté dans cette image-montage, qui s’articule autour de l’accumulation de souvenirs juxtaposés sur les temps de l’œuvre. Il y a une image de rêve réduite à un rôle de signifiance. « L’image visuelle, et même toute représentation, écrit Pontalis, tendrait, sans jamais l’obtenir, vers la possession de la même chose, telle une scène figée pour l’éternité. »73

Ma principale intervention fut d’utiliser les logiciels d’image de synthèse pour faciliter l’œuvre construite par accumulation qui se juxtapose à une ambivalence affective amour-haine. L’aplatissement de l’image contraste avec l’illusion de tridimensionnalité obtenue par la transparence. Appel à la femme blessée ou à la mère qui n’a pu être?

C’est un mouvement vers ce qui n’est pas là, reflétant les temps multiples stratifiés qui s’ajoutent à l’être affecté et procurent un visage transformé par la douleur. C’est un long cri qui semble jaillir de l’intérieur de l’être, où pointe l’émotion en rapport avec le drame de l’existence.

Les outils utilisés pour représenter le cri sont : l’utilisation de la transparence, et le contraste par le clair/obscur pour faire ressurgir la perception optique et permettre de mieux regarder, peut-être de mieux voir et de faire voir. Ici, la photographie a quitté le champ des apparences pour investir celui des illusions, de la manipulation et de la fiction. On y perçoit la dualité intérieure dans l’image et dans l’œuvre par l’association des contraires : i) transparence/opacité, ii) présence/absence, et iii) le trompe-l’œil par l’utilisation de l’ombre et de la lumière, et par des associations de couleurs sombres à l’arrière-plan en contraste avec des tons lumineux pour créer une atmosphère d’angoisse à laquelle on ne peut échapper. C’est un désir de retour vers le passé afin de le rendre vivant, par le biais de la mémoire involontaire, seule capable d’abolir les limites imposées par le temps.

Dans cet autoportrait, où se lit la souffrance dans la modification de la figure, je voulais représenter l’affect. L’être qui souffre perçoit la solitude et l’isolement comme un vide existentiel. Ce n’est pas seulement le visiteur qui crée le sens de l’œuvre, mais l’œuvre aussi qui se transcende par la lumière et la transparence.

« Toute construction est un jeu d’équilibre entre vide et plein, parole et silence, repos et mouvement »74 Cauquelin

L’image me regarde et se détache. Elle devient un élément d’interrogation sur les possibles du faire voir; c’est ce qui a donné lieu pour réviser ma façon d’utiliser de nouveaux procédés d’intermédiation. Comme le mentionne Louise Paillé, « [...] L’essentiel est que l’œuvre se faisant soit révélée comme système de relations. »75

Après la réalisation d’œuvres autobiographiques, j’ai travaillé sur les thèmes du vide et de la transparence accompagnés de vidéos. J’ai exposé une œuvre appelée « le vide » et par la suite j’ai exploré le vide et la transparence combinés à la vidéo en associant sculpture, texte, photographie, et installation, dans différentes œuvres. Simultanément, l’objet visé multipliait ses aspects par ses ombres, empreintes et traces. L’objectif étant de développer l’essence d’un vocabulaire identitaire au moyen de l’objet chargé de sens.

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