• Aucun résultat trouvé

S MART G RIDS ET PROJETS NUMÉRIQUES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Développement territorial et services publics,

S MART G RIDS ET PROJETS NUMÉRIQUES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

par Hervé Rannou58

L

es Réseaux Intelligents d’Énergie (Smart Grids) font partie de ces sujets qui semblent faussement devoir être rangés dans la seule case

technologies, bien loin des préoccupations politiques ou

stratégiques. Ils représentent pourtant l’un des défis parmi les plus importants des prochaines années, tant d’ailleurs dans le secteur de l’énergie électrique que dans celui du numérique. Ces réseaux concernent les collectivités, les entreprises comme les citoyens et ils accompagnent de manière indissociable le développement des nouvelles énergies. Jeremy Rifkin, chantre de la troisième révolution industrielle, va d’ailleurs à ce sujet jusqu’à promettre la fin de la production centralisée de l’énergie. Il annonce l’avènement d’une sorte d’Internet 2.0 de l’énergie dans laquelle chaque consommateur deviendrait également producteur. Si, par certains aspects, sa vision peut sembler excessive et si le rôle, à bien des égards paradoxal, que ce gourou donne aux États paraît contestable, son analyse fait toutefois sens en termes de tendance. Elle annonce un probable changement de paradigme.

Des problématiques au cœur de l’action des collectivités dans le monde

La perception des Smart Grids est différente d’un pays à l’autre, selon que sa production d’énergie soit organisée de manière centralisée ou non. Dans le premier cas, les Smart Grids constituent un enjeu technologique avec une mise à jour des infrastructures des réseaux. Dans les autres cas, ils représentent un système de gestion optimisé de flux énergétique et financier dans l’intermédiation entre les acteurs du marché. Une autre distinction se fait jour avec la montée en puissance de plusieurs pays en forte croissance partant d’un niveau d’infrastructure assez faible. C’est le cas par exemple de la Chine, de l’Inde et du Brésil. La Chine a récemment annoncé un investissement de 250 milliards de dollars dans les infrastructures énergétiques dont 45 seront dédiés aux Smart Grids. Il s’agit de niveaux d’investissements considérables qui devraient s’accompagner d’une montée en puissance d’acteurs locaux.

Si une partie de ces investissements concerne le cœur même des réseaux

de transmission et d’optimisation des flux énergétiques dans le réseau, un autre agit sur la distribution locale et sur l’optimisation de l’efficacité énergétique au sein de territoires de plus en plus « intelligents ». Le concept n’est pas nouveau. Il remonte, dans le monde du numérique, au milieu des années 1990 avec un certain nombre de projets regroupés sous l’appellation de « Smart Cities » ou « Smart Communities ». Il avait cependant un peu disparu au début des années 2000 du fait de son confinement à des projets trop limités. On doit sa renaissance à IBM qui, partant du numérique, a développé une vision plus globale de la ville. L’industriel des services a su être force de proposition à cet égard alors même que deux sujets majeurs apparaissaient sous un jour nouveau dans les villes : la mobilité et l’énergie. Le triptyque « Energie, Mobilité, Numérique » est probablement celui autour duquel ces projets vont désormais s’organiser. La Corée avec son programme « U-City » fait partie des pays parmi les plus mobilisés sur le sujet. Les États-Unis sont également fortement présents du fait de leur organisation très décentralisée. La ville intelligente, c’est bien entendu d’abord la ville connectée. Ce n’est toutefois pas seulement une cité dans laquelle les usages des citoyens évoluent vers plus d’internet ou plus de smartphones. Cette ville connectée concerne en fait l’ensemble des infrastructures des villes et les différents services qui doivent communiquer entre eux. Comme le confirme plusieurs exemples, l’énergie et les télécommunications figurent d’ailleurs parmi les éléments structurants de cette approche. C’est le cas des candélabres intelligents comme celui de IntelliStreets59ou en France d’ETDE avec la

CityBox. Ils sont équipés de panneaux solaires, ils optimisent la consommation du lampadaire, ils accueillent un réseau d’antennes (WiFi ou autres technologies). L’association entre des équipements favorisant l’efficacité énergétique et les mobiles est également intéressante. On notera en particulier le cas du thermostat Nest60, mis au point par l’inventeur de

l’iPod qui s’est reconverti dans l’énergie. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autre d’applications réunissant énergie et mobile61.

Les quartiers et les immeubles intelligents

Ces tendances incitent à examiner de près l’évolution de l’aménagement de la ville et notamment des quartiers ou des immeubles intelligents. Ces dernières années ont vu ainsi le développement des bâtiments à basse consommation (BBC) ainsi que l’émergence du concept d’immeuble à énergie positive (BEPOS). Poussé par un certain nombre d’architectes, il

59 http://intellistreets.com/ 60 http://www.nest.com/

tend à faire en sorte qu’un immeuble puisse trouver son autosuffisance énergétique. Avec eux apparaissent de nouveaux métiers et de nouveaux services sur le marché de l’optimisation de la consommation énergétique. L’effacement est l’un d’entre eux. Il repose sur un montage astucieux qui permet à un opérateur tiers de récupérer de l’énergie lors de périodes de pointe auprès de clients acceptant des coupures sur des périodes prédéfinies ou adaptables.

L’association de l’effacement avec la montée en puissance des énergies décentralisées ouvre de nouvelles perspectives. On peut en effet demain imaginer des gestionnaires d’immeubles et pourquoi pas de quartiers ou de villages qui agrégeraient les sources de production, proposeraient aux habitants des services d’effacement et feraient leur affaire de tous les services d’optimisation de la consommation locale. C’est une fonction d’agrégateur qui pourrait ainsi s’organiser pour un immeuble ou pour un groupe d’immeubles. Cela suppose toutefois des évolutions réglementaires qui permettraient à un tel acteur tiers d’intervenir sur des infrastructures qui font aujourd’hui partie du réseau de distribution.

Ces solutions d’optimisation énergétique de proximité demandent une fluidité de communication qui concerne des volumes de plus en plus conséquents. Le couplage des activités télécoms et énergie est d’ailleurs en marche ; il prouve que les réseaux intelligents tirent parti des infrastructures à Haut Débit. C’est le cas de l’Ontario avec Energate : Après

ses premières initiatives de réseaux intelligents, l’Ontario confirme son leadership avec un des programmes les plus avancés dans les Smart Grids en

tirant profit de la puissance du haut débit62. Les offres de cette nature se

multiplient actuellement63. En France, le simple compteur Linky, décrit

plus avant, qui va remonter des données toutes les 10 minutes environ, devrait générer un volume de données de plusieurs petaoctets64. Qui va

gérer ce volume de données ? Les opérateurs de télécommunications suivent aujourd’hui de près ces évolutions. Déjà, au sein d’un marché allemand décentralisé de distribution locale65, Deutsche Telekom étend ses

activités dans les domaines des compteurs intelligents et des services associés. Orange se lance également dans les projets de ville intelligente en tant qu’acteur de services. Dans un marché en France très centralisé, l’entreprise ne semble toutefois pas encore vouloir devenir un acteur du compteur sur des infrastructures qui sont propriétés des collectivités.

62 http://www.businesswire.com/news/home/20120120005197/en/Energate-Broadband-Enabled- Demand-Response-Platform-Approved-Deploying

63 Exemple : http://www.graybar.com/utility/services

64 Un petaoctet représente l’équivalent de 100 millions de films 65 http://www.telekom.com/innovation/80762

Une réflexion commune entre infrastructures d’énergie et de télécommunications

Les relations entre les communes propriétaires des infrastructures de distribution et ERDF, concessionnaire dans 95 % des cas en France, semblent d’ailleurs depuis quelques années compliquées. Les syndicats d’électrification se sont exprimés à plusieurs reprises à ce sujet. Le financement du compteur Linky est au cœur des discussions actuelles. La FNCCR (Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies) est attachée à un service public qui reste le même pour tous à l’échelle nationale. Le financement et la propriété du compteur Linky constituent un point de débat. Il a été annoncé, puis démenti, qu’il serait considéré comme propriété des communes « en tant que bien de retour ». Cela ne réglerait toutefois ni les enjeux de financement réel entre concédant, concessionnaire et utilisateur, ni la question des droits liés à l’accès aux services du compteur puisque seul ERDF disposerait de ces droits. L’Allemagne avec ses 850 opérateurs locaux n’est pas dans ce schéma. Chacun de ces opérateurs locaux peut retenir le compteur qu’il souhaite comme dans tous les pays où la distribution n’est pas centralisée. On pourrait en effet se dire que les compteurs devraient avant tout respecter des standards et non simplement devoir être fournis par un pool d’industriels retenu par l’opérateur national. Pourtant le compteur va jouer un rôle particulièrement critique dans le développement des services en aval du compteur. Il constituera le nœud de liaison entre le distributeur et le consommateur, et, au-delà, avec tout acteur tiers qui serait en mesure de proposer des services via ce compteur.

Aussi, la question que se posent certaines collectivités en France est celle d’une reprise en main de la gouvernance de la distribution électrique à l’instar des DNN66 (Distributeurs Non Nationalisés). Cette question n’est

pas loin de rejoindre celle qui a trait au rôle des syndicats d’électrification dans le développement du Très Haut Débit. Que ce soit dans un modèle totalement décentralisé ou au travers de groupement d’acteurs, les syndicats d’électrification pourraient occuper demain une place centrale dans la structuration des infrastructures électriques et de télécommunications. Dans un contexte financier tendu, les collectivités ne pourront pas se payer le luxe de mettre en place des gouvernances et des modèles disjoints. Pour cette simple raison, les syndicats d’électricité pourraient devenir la pierre angulaire à partir de laquelle se bâtirait la stratégie des collectivités en matière d’infrastructures et de services dédiés à l’énergie et aux télécommunications.

66 Gaz Électricité de Grenoble, Électricité de Strasbourg, Usine d’électricité de Metz, Sorégies de la Vienne, la régie des Deux-Sèvres, Colmar.

Une filière économique

Dernier point et non le moindre : le potentiel d’emplois. L’association entre technologies numériques et énergie devrait se traduire par un marché considérable67 porté par les chinois, les Coréens et les Américains. Les

Français Schneider et Alstom sont également très actifs à l’échelle mondiale. On est cependant loin d’un tissu fait de grandes et petites entreprises. Certes les appels à projets de l’ADEME permettent à des projets significatifs de se réaliser et à des technologies ou des services d’émerger. Ces initiatives ne constituent toutefois pas encore l’amorce d’un marché. C’est pourtant un défi essentiel. Les besoins des collectivités non seulement doivent permettre à celles-ci de faire face à leur avenir énergétique. Ils doivent aussi permettre l’éclosion d’un tissu de PME qui peine aujourd’hui en France à voir le jour.

67 Nous l’évaluons pour notre part à 100 milliards de dollars par an à horizon de 2000-2025. À noter que la Chine vient d’annoncer un programme de 153 milliards de dollars sur les Smart Cities après que l’opérateur national électrique ait lui-même annoncé il y a six mois un investissement de 250 milliards dont 45 dans les Smart Grids.